Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Pourquoi jouons-nous à de nouveaux jeux ?

Notre cerveau nous récompense pour avoir cherché et joué à ce que nous connaissons déjà. Alors pourquoi devrions-nous essayer de jouer à d’autres jeux ? C’est tout l’attrait de la nouveauté.


À quelques jours de Noël, depuis plusieurs semaines maintenant, nous avons sauté de plein pied dans la rentrée ludique et ses multiples nouveautés. Au point qu’il nous apparaît compliqué de suivre l’actualité ludique et tous les nouveaux jeux qui sortent, semaines après semaines.

Il faut admettre que jouer à de nouveaux jeux est difficile. Alors évidemment, la difficulté ici n’a rien à voir avec celle qu’on aurait à réaliser un double-salto arrière ou éviter d’avoir quelqu’un en jeans se balader sur le plateau d’un tournage (coucou Mando). Non, il ne s’agit pas vraiment de la même difficulté. Mais comparé à jouer à des jeux que nous connaissons déjà, auxquels nous jouons déjà, il peut nous paraître parfois difficile de jouer à de nouveaux jeux. Ou en tout cas, de les chercher.

On peut s’imaginer qu’une fois une certaine ludothèque « complète » montée, avec 10-20-50 jeux, on peut se contenter de ceux que l’on possède déjà. Il est facile de renoncer à la recherche, à l’acte d’acheter de nouveaux jeux.

Parce que oui, plus que jamais, chercher, trouver de nouveaux jeux prend du temps, beaucoup de temps. Parce qu’il y en a d’une part de plus en plus de jeux, et parce qu’il y a d’autre part de plus en plus de canaux multiples et variés pour s’informer. Il existe de plus en plus de blogs, de vidéos, de photos sur les différents sociaux.

Finalement, on pourrait avoir envie de « laisser tomber », de nous contenter des jeux que l’on possède et connaît déjà. Mais, non.

Pourquoi jouons-nous à de nouveaux jeux ? 

La plupart d’entre nous possédons déjà suffisamment de jeux pour jouer pendant ces 1d6 prochaines années. Et pourtant. Nous continuons à nous informer, à regarder des vidéos et à lire des articles par-ci par-là. En 2020, jamais l’information n’aura été aussi pléthorique et facile d’accès. La tentation est grande de clamer que la vie était plus… simple il y a 10, 20, 30 ans, quand il n’existait qu’un ou deux sites d’information ludique, une ou deux boutiques en ligne, voire même pas du tout, et surtout, 10, 20, 50x moins de jeux qui sortaient chaque année (coucou 1997).

Mais alors, pourquoi chercher autre chose ? Pourquoi passer autant de temps à chercher d’autres jeux ? Parfois même plus de temps qu’à y jouer ?

Et surtout, de manière plus cynique, pourquoi passer autant de temps pour un jeu que nous finirons peut-être par ne pas aimer ?

On aime que ce que l’on connaît

De la musique aux jeux de société, en passant par les marques de vêtements et les canons de beauté, la blague est explicite : les gens n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà. C’est un dicton plutôt évident à disséquer. Lapalissade, il s’agit d’une boucle de rétroaction positive et flagrante : nous apprécions les choses que nous connaissons parce que nous les connaissons et donc nous les apprécions. Tadaaa. 

Mais il y a une explication physiologique et psychologique à notre nostalgie et à notre désir de chercher du réconfort dans le familier. Cela peut nous aider à comprendre aujourd’hui pourquoi jouer à de nouveaux jeux peut nous sembler si difficile. Et pourquoi cela peut parfois nous mettre mal à l’aise. Vous avez certainement dans votre cercle d’amis une personne qui abhorre quand on lui sort un tout nouveau jeu à essayer.

Tout cela à voir avec la plasticité de notre cerveau. Voilà.

Nos cerveaux changent lorsqu’ils reconnaissent de nouveaux modèles dans le monde. C’est justement ce qui rend nos cerveaux… utiles et pratiques. Lorsqu’il s’agit de découvrir de nouveaux jeux, un réseau de nerfs dans le cortex appelé réseau corticofuge aide à cataloguer les différents modèles et mécaniques de jeux. 

Lorsqu’un jeu ou une mécanique spécifique correspond à un motif, notre cerveau libère une certaine quantité de dopamine. La dopamine est la principale source chimique de certaines de nos émotions les plus intenses. C’est la raison essentielle pour laquelle certains arts, telle la musique, la peinture, la bande-dessinée et dans une certaine mesure le macramé (OK, peut-être pas) suscitent en nous des réactions émotionnelles aussi puissantes.

La dopamine est un neurotransmetteur, un composé chimique relâché dans notre cerveau. La dopamine est relâchée lorsqu’une action ou qu’un événement surprenant se produit. Lorsqu’une attente s’est produite. Ce rush de dopamine crée une sensation agréable.

Plus ou moins (in)consciemment on essaie alors d’en produire dans nos activités quotidiennes. Aller au casino pour essayer de toucher le gros lot ? Un rush de dopamine. Checker ses mails, ses likes sur Insta, TikTok ou Twitter ? Un rush de dopamine. Parce qu’on ne sait jamais pas ce qui va se passer. Parfois oui, parfois non, ce n’est jamais régulier.

Les développeurs l’ont bien compris. Plus ils surprennent, et plus ils provoquent en nous une certaine forme de dépendance. Ce besoin d’aller vérifier. Pour ce relâchement de dopamine. Si on savait que chaque fois qu’on allait checker nos mails on en recevrait un, on finirait par se détourner de cette activité.

Le fait de ne jamais savoir ce qui va se passer nous excite, nous motive. Promesse de bonheur. On pense, à tort, que la dopamine est l’hormone du bonheur. Mais c’est faux ! La dopamine est l’hormone de la motivation.

Reconnaissance faciale ludique

Prenez le jeu qui bruisse fort en ce moment sur la toile. Micromacro : Crime City. C’est du « Où est Charlie » mâtiné de Sherlock avec un soupçon de puzzles Mordillo. Nos sociétés connaissent bien l’une, l’autre ou ces trois références culturelles en même temps.

La majorité de nos cerveaux ont cristallisé ces références et savent exactement à quoi s’attendre au moment où l’on étale la gargantuesque carte de Micromacro. Lorsque le réseau corticofugal est confronté aux mécaniques du jeu, notre cerveau libère juste la bonne quantité de dopamine. Comme une aiguille traçant les sillons d’un disque Vinyle, nos cerveaux retracent ces motifs. Plus nous possédons de «disques», comprenez par-là, de jeux, et plus nous pouvons nous rappeler de modèles pour envoyer ce shot exquis et motivant de dopamine.

À relire certains commentaires à la suite de nos Gaming News, on peut constater que certains membres de notre communauté fustigent le manque d’originalité des sorties, avec tant de jeux, tant de licences déjà pré-existantes. Des rééditions (coucou 7 Wonders 2020), des adaptations (coucou Small World of Warcraft), des extensions et autres stand-alone (coucou Unlock)

En réalité, tout est question de plan de marketing neuroscientifique du marché du jeu de société. Lorsque nous jouons à un jeu qui n’a pas encore été cartographié dans le cerveau, le réseau corticofuge se détraque quelque peu et notre cerveau libère trop de dopamine en réponse. Lorsqu’il n’y a pas d’ancrage ou de motif sur lequel ancrer l’expérience, le jeu peut s’avérer comme désagréable ou décevant. Si les neurones dopaminergiques, ceux-là même qui produisent de la dopamine, ne peuvent corréler leur déclenchement avec des événements extérieurs, le cerveau est incapable de faire des associations convaincantes. Nous devenons un peu… fous ?

La façon dont le système corticofuge apprend de nouveaux modèles limite nos expériences en rendant tout ce que nous savons déjà beaucoup plus agréable que tout ce que nous ne connaissons pas. Maintenant qu’ils sont enfin ouverts, il suffit d’aller faire un tour dans un magasin non spécialisé de jeux et de voir la pléthore de variantes Monopoly. Nos cerveaux luttent contre l’inconnu de la vie. Nous sommes conçus pour abhorrer l’incertitude de la nouveauté.

Jouer à un jeu, à un thème, à un univers connu représente un certain réconfort passif. Comme mettre ses chaussettes confortables préférées, re-re-re-revoir Friends pour la 17e fois ou écouter Indochine comme on le faisait au lycée.

Plus que jamais, en ce moment historique et pandémique d’anxiété colossale, nous avons besoin de réconfort. Sur toutes les sorties récentes en cette fin 2020, la plupart sont des jeux qui reprennent des licences, des univers, des thèmes, des mécaniques connus. C’est familier, molletonné, doux comme de la ouate.

L’acte de jouer à de nouveaux jeux de société en pleine pandémie mondiale et mortelle est difficile, car fatiguant. Et pourtant, c’est un acte nécessaire. Le monde continuera de tourner et le monde du jeu de société doit bouger avec.

Même si nous sommes confinés, ou invités, incités à le faire, même si l’économie s’arrête ou tourne au ralenti, même s’il n’y a plus d’événements (le FIJ n’aura pas lieu en public début 2021. Il s’agira d’un événement pro pour les éditeurs, les auteurs, distributeurs et la presse), pas, peu ou moins de soirées entre potes, le choix de chercher, de découvrir, de jouer à de nouveaux jeux est un moyen de maintenir une industrie créative à flot.

Depuis 9 mois, nous traversons une crise majeure et historique. Chaque jour apporte son lot de chiffres impressionnants. Et dans ce monde différent, inconnu, nos cerveaux ne se sont jamais aussi montrés plastiques. De quoi en profiter pour « imprimer » de nouvelles choses, de nouvelles expériences, de nouvelles découvertes de jeux.

Et un autre argument en faveur d’une exploration constante est que nous nous souviendrons à vie de ces jours de pandémie. Ces instants seront gravés dans nos mémoires : les applaudissements à 20h, les skyperos, les cours de yoga en ligne, les parties sur Tapletop Simulator. Chercher et découvrir de nouveaux jeux en fera partie. Tentez l’inconnu.

Et vous, quelles sont les dernières pépites ludiques que vous avez découvertes ?

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3 Comments

  • ClimberMind

    A part Micro Macro et It’s a wonderful world bien connu de vos services (le vocabulaire policier est à la mode en ce moment), la petite découverte ludique du moment est ==> Q.E. . Un jeu d’enchère illimitée , très simple fun. Le principe acheter des entreprises avec tout un système de points. On peut dépenser autant que souhaité mais attention celui qui a dépensé le plus dans la partie a perdu !!

  • PIERRE BELLET

    Merci pour cet article remarquable. Vous exposer très clairement la notion de curseur entre nouveauté et déjà vu et quels mécanisme du cerveau sont activtés. En effet, nous sommes tous à la recherche d’une émotion passée que nous cherchons à revivre avec si possible la même intensité. Remarquable ! Pierre Bellet, fondateur de Laboludic. https://www.laboludic.com

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