En 2022, le jeu tire son épingle du jeu
En 2022, le jeu de société a connu une année faste. Tendance éphémère ou évolution pérenne ? Faites vos jeux.
Le jeu en 2022
En 2022, le marché a repris des couleurs. Après deux ans de pandémie et une production quelque peu ralentie, 2022 a été l’une des années, si ce n’est L’ANNÉE la plus florissante, prolifique. Près de 5 000 sorties, avec de très, très nombreux et excellents titres.
Il faut reconnaître que passer du temps ensemble autour d’un jeu de société est devenu une alternative à l’anxiété ambiante. Fini, le temps où passer deux heures à jouer avec les grands-parents était synonyme de lenteur et d’ennui. Des centaines, des milliers de nouveaux jeux sont créés chaque année et des festivals sont organisés pour célébrer cette « culture », pour peu que l’on puisse parler de culture bien sûr. Comment cette popularité ? C’est en partie à cause de la pandémie. Mais ce n’est peut-être pas la seule explication.
La pandémie a bon dos
Il semble que la pandémie soit l’explication la plus évidente pour expliquer la hausse des ventes des jeux de société, en France ou en Suisse. Les statistiques sont là pour le confirmer. L’Association suisse des jouets a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 500 millions de francs en 2020, et les ventes de la Fnac ont triplé pendant le grand confinement du printemps 2020.
Selon la plateforme d’étude de marché Euromonitor International, le marché des jeux de société et des puzzles dépassera 13 milliards de dollars en 2022, après une croissance à deux chiffres en 2020. Et tout ça dû à la crise sanitaire. Pour penser, pour passer à autre chose, les gens se sont tournés vers les jeux et les puzzles. De quoi faire gonfler les chiffres. La pandémie n’a fait que mettre le phénomène en lumière.
Les effets de la pandémie vont toutefois au-delà de la santé et des finances. Le « monde » numérique commence à susciter un sentiment de… lassitude. Les gens commencent à ressentir le besoin de «toucher» les choses, comme le jeu de société, sentir l’odeur du vieux carton (oui, parce que les jeux ont une odeur) et manipuler les cartes.
Pixels ou meeples, faut-il choisir ?
Une reconnexion à la matérialité plutôt qu’aux… pixels. Mais ce n’est peut-être pas aussi simple, simpliste. L’opposition entre jeux vidéo et jeux de société est dépassée. Ces derniers s’alimentent mutuellement. Et les jeux vidéo peuvent créer des liens sociaux. On peut faire du jeu vidéo, ensemble, même à distance.
En d’autres termes, les personnes qui ont grandi avec les jeux vidéo sont les plus grands consommateurs de jeux de société. La pandémie a vu une hausse de la popularité des jeux de société, non pas comme un rejet de la technologie, mais plutôt comme une redécouverte de la culture du jeu. Les jeux vidéo et les jeux de société s’enrichissent l’un l’autre. Jouer a permis aux gens de se reconnecter et de partager des moments de convivialité.
Les gamers seraient même à l’origine de la démocratisation de la culture du jeu en général. Selon cette hypothèse, ce seraient les personnes qui ont grandi avec les jeux vidéo qui aiment ainsi les jeux de société. L’analyse des ventes de la Fnac confirme ceci, le top « jeux de société » étant principalement acheté par les 25-35 ans, c’est-à-dire les milléniaux. Ils sont les personnes nées entre 1980 et 2000. Elles représentent la génération la plus connectée et la plus technologiquement avancée. Ils sont très actifs sur les réseaux sociaux et ont des préférences et des comportements distincts en matière de consommation. Le jeu, vidéo, de société, notamment.
Le jeu est profondément ancré dans la vie des êtres humains depuis des milliers d’années, peu importe la civilisation. Il n’y a qu’à voir les jeux de société déjà joués dans l’Antiquité. On n’a pas dû attendre le XXe siècle pour se mettre à jouer. On le faisait déjà bien longtemps avant. Et la plupart de ces jeux antiques ont infusés jusqu’à aujourd’hui dans nos jeux modernes (ex : le Senet, les jeux de course…).
Boulot, métro, jeu
Aujourd’hui, la société est particulièrement attirée par le jeu car elle cherche à s’évader de sa réalité, en quelque sorte. Depuis le début de l’apparition du Covid il y a trois ans exactement, et 2022 tout pourri également (invasion de l’Ukraine, catastrophe climatique…), le marché du jeu propose des scénarios, des thèmes qui sont éloignés de la modernité et de nos problèmes quotidiens. Prenez Gloomhaven, le plus gros best-seller de ces dernières années, du méd-fan décapant, héroïque et épique. Ou Betrayal, un jeu d’horreur, dont la troisième édition est sortie cette année.
Bien que le jeu de société soit une manière de divertir, il sert aussi à mesurer ses capacités et compétences par rapport aux autres. à se demander si le jeu ne serait pas une métaphore du quotidien. Cela permet à un joueur ou à une joueuse de prendre du plaisir dans l’incertitude et de vivre des réussites sans vraies conséquences. En jouant, on peut retrouver un sentiment d’accomplissement. Et peut-être ainsi réajuster son regard sur le monde réel une fois la partie terminée.
Est-ce que le jeu de société peut remplacer un… pansement dans des moments difficiles ? Peut-être pas. Cela serait lui conférer un rôle trop important. Il peut plutôt servir de moyen de divertissement, mais avec le même effet. Il permet aux gens qui traversent des difficultés de retrouver une sensation de réussite et de redonner un certain sens à leur vie une fois que la partie est finie.
En 2022, nous sommes bien entrés dans l’âge d’or du jeu de société. Et, bonne nouvelle pour le marché, et pour nous, cet âge d’or n’est pas prêt de s’arrêter. Car le jeu, pour enfants, familles, ados et adultes, nous est nécessaire.
Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.
