Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Oltréé, l’aventure, avec un très grand A

Oltréé est le tout nouveau jeu coopératif d’Antoine Bauza. Trépidant !


Oltréé. L’aventure.

Oltréé. Ce nom étrange ne vous dit peut-être pas grand-chose. À moins que vous ne soyez fan de jeu de rôle. Oltrée est un petit jeu de rôle indé créé par Le Grümph, un auteur de jeu de rôle connu dans le milieu rôliste pour sa créativité foisonnante et ses jeux plutôt ramassés, disruptifs.

Oltréé, le jeu de plateau, annoncé pour juin 2021, puis enfin sorti avec plusieurs mois de retard en décembre 2021, est en réalité est l’adaptation du jeu de rôle sorti en 2013. Du médiéval épique.

Un jeu coopératif d’aventure et narratif, dans lequel chaque scénario, appelé Chronique, offre un cadre riche et unique, avec son atmosphère, son intrigue unique, ses amis et ses ennemis. Déplacement, gestion, exploration, narration, baston. Tout un programme. Nous y avons joué. Nous avons kiffé !

« L’aventure est dans chaque souffle de vent. » Charles Auguste Lindbergh

Oltréé reprend l’univers, les aventures rocambolesques du jeu de rôle. On incarne des Patrouilleurs, avec un fortin à protéger, à gérer. Les patrouilles nous emmènent à la découverte de régions avoisinantes. Et qui dit découverte, dit forcément rencontres, difficultés et, en un mot comme en cent, aventure.

Aventure. Le mot est lâché. Oltréé, le jeu de plateau, nous plonge dans une péripétie passionnante. Mais pas unique. On n’a pas affaire ici à une seule campagne au long cours. Le jeu compte un grand nombre de scénarios, appelés Chroniques, elles-mêmes découpées en péripéties, multiples. Autrement dit, comme tout jeu de plateau, on peut y re-re-rejouer. En découvrant d’autres aventures, ou en voulant répéter la même Chronique pour améliorer sa performance. Pour un jeu narratif, Oltréé ne joue pas la carte du jeu Kleenex.

“L’aventure est-elle au coin de la rue ?” Jacques Dutronc

Oltréé parvient à ménager la chèvre et le chou, entre narration et stratégie. On explore un univers, on vit une aventure, on plonge dans des chroniques. Et pourtant, le jeu parvient également à offrir des choix, des voies stratégiques.

Oltréé est certes un jeu narratif, immersif, mais pas seulement. Il va falloir gérer des objectifs, des ressources, des actions, des pistes. Est-ce un jeu de rôle ? Un jeu de plateau de gestion ? Tout en même temps. Et c’est réussi ! Pour notre plus grand plaisir.

“L’aventure, c’est d’abord l’ouverture aux autres.” Anonyme

Et comment s’articule, se cristallise la coopération dans Oltréé ? Doit-on redouter le phénomène du King Speaker, ou Alpha Gamer ?

Tout commence par le choix de son Patrouilleur. Il y en a plusieurs à choix. Chaque personnage dispose de ses talents, de ses spécificités : plus ou moins de fatigue, de vitalité, une compétence propre, qui lui offre un dé supplémentaire en cas de lancer, de défi correspondant, ainsi qu’une action bonus personnelle. Tous ces attributs, spécifiques, permettent au jeu d’empêcher l’effet King Speaker. Tout le monde à la table peut se sentir investi et décider pour soi-même.

Ensuite, l’autre aspect qui renforce la coopération dans le jeu, c’est que toutes les ressources, hormis la nourriture, sont partagées. On en obtient une, on la place aussitôt au milieu du fortin. Tout le monde pourra aussitôt en bénéficier. De quoi générer une sorte de pot commun qui facilite, qui suscite la coopération.

Enfin, impossible de gagner à Oltréé sans communiquer, sans décider, ensemble. Si on joue un peu dans son coin de royaume, sans se soucier d’une stratégie commune, partagée, c’est le drame ! L’union fait la force. Il faut s’entendre sur des actions successives, organisées. Je fais ça ici maintenant, toi cela après. À noter que le niveau de difficulté des chroniques d’Oltréé est particulièrement… relevé. Si on ne joue pas ensemble, on n’a aucune chance de s’en sortir.

« Si tu crois que l’aventure est dangereuse, essaie la routine, elle est mortelle » Paulo Coelho

Pour faire écho au chapitre précédent, et puisque c’est une demande récurrente, en pleine pandémie mondiale, peut-on y jouer en solo ?

Non.

Mais oui.

Non, le jeu ne propose pas de règles, de variantes « officielles » pour y jouer en solo.

Ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse pas le faire !

On peut très bien incarner 2-3-4 personnages soi-même, et se lancer dans l’aventure. Comme un Livre dont vous êtes le Héros, avec plusieurs personnages en mode chorale. Pourquoi pas ? Cela me donne furieusement envie d’essayer !

“La vie nous laisse le choix d’en faire un accident ou une aventure.” Anonyme

Un petit hic pour un petit souci. Tout petit. Le jeu compte un certain nombre de coquilles. On en retrouve quelques-unes dans les règles, et plusieurs ensuite sur des cartes. Rien de méchant, mais pour un jeu qui se veut narratif, au style littéraire riche et lyrique, ça gâche parfois un peu le tableau. Surtout pour un jeu édité par Studio H, H comme Hachette, éditeur de livres.

Un effort de re-relecture aurait pu, aurait être appliqué. D’autant que pour certaines, ces coquilles auraient pu être découvertes par un simple correcteur orthographique informatique.

Ces coquilles, plutôt nombreuses, ne ruinent pas le jeu en soi mais gâchent quelque peu le plaisir d’y jouer. Ça manque de sérieux. Et vous connaissez la fameuse règle des 3. En règle générale, on peut accepter les 2 premières coquilles. À la 3e, le texte perd de sa crédibilité.

“En ce monde, on vit mieux en disant la bonne aventure qu’en disant la vérité.” Georg Christoph Lichtenberg

⚠️ Attention. En page 8, on nous dit ceci pour la construction des tours, un élément essentiel du jeu pour pouvoir remplir des objectifs :

« Le Patrouilleur peut dépenser les éléments indiqués ». C’est maladroit. « Peut », indique qu’on peut le faire, mais qu’on n’est pas obligé. Si on suit la règle à la lettre, le jeu est complétement faussé. On peut donc construire des tours sans grande difficulté ni ressource. On peut les payer, ou pas. C’est une erreur. Il faut plutôt lire : « Le Patrouilleur DOIT dépenser les éléments indiqués ». La condition impérative.

Quand on vous disait plus haut que ces coquilles ne gâchaient pas le jeu, on était peut-être un peu en-deçà de la vérité. Le jeu mériterait une V2, vraiment ! Et tant pis pour celles et ceux, qui, comme nous, ont essuyé les plâtres.

“La vie est une aventure audacieuse ou elle n’est rien.” Helen Keller

Oltréé propose un matériel somptueux ! De superbes, et très nombreuses illustrations colorées de Vincent Dutrait qui réussissent à nous transporter dans l’aventure, à transcender l’expérience du jeu. Beaucoup de cartes, un plateau ample, de larges figurines en bois pour représenter les personnages. C’est simple, et pourtant extrêmement beau et fonctionnel. Aucun déluge de figurines en plastoque de streumon à placer sur le plateau.

Même l’espace de rangement est ingénieux. Pas de « thermofromage » en plastique, juste des compartiments en carton pratiques.

Le jeu aurait très bien pu être fabriqué en Europe. Il l’est en Chine. Son EcoScore chute, c’est bien dommage.

👉 À lire également : « Le jeu le plus écologique est celui qui n’est pas produit »

“L’aventure ce n’est pas de dire « toujours » mais de dire « tout de suite ».” Maurice Leblanc

On reconnaît la patte de l’auteur Antoine Bauza, et son goût immodéré pour les jeux coopératifs. Ghost Stories, c’est lui. Samurai Spirit, c’est lui aussi. Et ça se ressent. Les règles sont, somme toute, extrêmement simples et fluides. Et ceci, malgré un livret copieux, touffu. On y passe de très nombreuses pages à expliquer, expliciter tout le matériel et picto du jeu. Enfin, en fin de livret, on rentre dans le vif du sujet. Les règles à proprement parler. Quoi faire, où et quand. Et ces instructions ne tiennent que sur 3 pages.

À son tour, on commence par lancer un dé qui déclenche l’un ou l’autre événement, qui introduit une menace, une difficulté à affronter. Puis on dispose de deux actions, différentes : construire un bâtiment, une tour, obtenir une ressource, se déplacer. Rien de méchant. Et surtout, le cœur du jeu, on se lance dans une péripétie, i.e. retourner l’une des cartes présentes sur le plateau.

“Les plus grandes aventures sont intérieures.” Hergé

On ne sait jamais ce qui va nous arriver. Mais on en connaît juste une ligne sur la face cachée de la carte Péripétie, la rumeur. On dit que. On a entendu que. Ce qui donne une toute petite idée de ce qui nous attend, mais pas vraiment non plus. C’est souvent la surprise. Ces cartes Péripétie constituent tout le sel, le piment du jeu. L’aventure. Il va nous arriver des bricoles, des rencontres.

Et comme Oltréé est tiré d’un jeu de rôle, oui, il va falloir lancer le dé. Les dés, selon. Pour chaque affrontement ou résolution de défi, on va devoir lancer un ou plusieurs dé d’une caractéristique spécifique, selon la nature du défi : combat, érudition, voyage, artisanat. Et selon son personnage, qui possède une spécialité propre, ainsi qu’une action bonus, on va pouvoir compter sur un ou plusieurs dés supplémentaires.

Alors oui, il y a beaucoup de hasard, mais on ne perd jamais la partie sur un lancer de dé. Au pire, on ne réussit pas tout de suite, et on peut ressayer plus tard, ou demander l’aide de l’une des autres joueuses. Oui, joueuses. Lire plus bas.

Des règles fluides, et tant mieux. Toute la difficulté du jeu, et son intérêt, repose sur sa capacité à jouer les « pompiers », comme dans Pandemic, comme dans tout jeu coopératif. On est vite pris à la gorge par des difficultés, des situations périlleuses qui encombrent le plateau. Réagir à ceci avant cela ? Avec la chronique qui avance, peu à peu, mais sûrement. On perd si on foire l’aventure, et si l’une des deux pistes, prestige et défense, tombe à zéro. Et on ne gagne que d’une seule et unique manière, en réussissant le scénario, l’aventure, la chronique.

Il faut s’armer de courage pour éplucher le livret de règles, ample, copieux. Mais une fois lancé, le jeu devient, encore une fois, clair, limpide et fluide. Du très grand, du très bon Antoine Bauza.

“Il y a de l’aventure dans les destins ordinaires et les combats quotidiens. ” Julianne Moore

Avec Oltréé, on voit que le marché du jeu de société est en pleine modernisation. Bien que le jeu soit en grande majorité réalisé par des hommes, l’équipe a décidé d’utiliser le terme de « joueuse » partout. Dans le monde du jeu, c’est rare, trop rare !

Le genre dans les règles des jeux de société est souvent masculin (même si on dit… neutre…). Oltréé fait quelque peu bouger les lignes. C’est peu, mais c’est déjà ça. Pourquoi est-ce que les joueuses ne devraient pas se voir représentées, considérées, à commencer par les règles de jeu ?

👉 À lire également : Spécial Journée des Droits des Femmes. Le genre dans les règles des jeux de société.

“La jeunesse est une victoire du goût de l’aventure sur l’amour du confort.” Douglas Macarthur

Peut-on y jouer avec des enfants ? On aimerait bien.

Le jeu est conseillé dès 10 ans, et c’est un grand, grand minimum. Les règles indiquent qu’on pourrait le faire. Mais c’est presque un leurre. Alors oui, comme elles le proposent, cf. ci-dessous, on peut lire à leur place, mais les éléments narratifs ne sont pas les seuls éléments constitutifs du jeu. Il faut gérer quantité d’actions, de décisions, de gestion. Dès 10 ans me semble très, trop jeune.

Prévoir plutôt 12, voire 14 ans, pour pouvoir pleinement profiter du jeu. Non, au contraire de ce que les règles affirment, espère, Oltréé n’est pas un jeu familial.

Oltréé, verdict

Oltréé est un jeu coopératif, narratif, de gestion. Puissant, trépidant. Le nombre important de chroniques, d’aventures donnent envie d’y re-re-rejouer pour les découvrir toutes. Oltréé, un détonant crossover entre jeu de rôle et jeu de plateau.

Antoine Bauza, Grümph et Studio H ont frappé fort, très fort. Oltréé, l’un des meilleurs jeux de 2021. L’un des meilleurs jeux d’Antoine Bauza ! Des jeux comme ça, on en redemande ! On lui pardonnera ses nombreuses coquilles.

Oltréé, l’aventure avec un très, très grand A

Grandiose

Note : 5 sur 5.

  • Auteur : Antoine Bauza pour le jeu de plateau, John Grümph pour l’univers et les aspects narratifs
  • Illustrateur : Vincent Dutrait
  • Éditeur : Studio H
  • Nombre de joueurs et joueuses : 2 à 4 (tourne bien à toutes les configurations)
  • Âge conseillé : Dès 10 ans (comptez plutôt dès 12-14 ans)
  • Durée : 60′ par chronique (environ, tout dépend. Comptez plutôt 90′)
  • Thème : Médiéval-fantastique
  • Mécaniques principales : Narratif, coopératif, gestion

Pour vous proposer une expérience de lecture plus agréable, nous vous proposons un site sans aucune publicité. Nous entretenons des relations d’affiliation avec Philibert et Play-in. Ainsi, lorsque vous achetez un jeu en cliquant sur les liens menant aux boutiques, vous nous soutenez. Grâce à vous, nous pouvons obtenir une petite part des revenus. Ceci nous permet alors d’acheter d’autres jeux et de continuer à pouvoir vous proposer de nouveaux articles.

Votre réaction sur l'article ?
+1
8
+1
3
+1
0
+1
0
+1
0
+1
3

10 Comments

  • FredD

    Belle critique (comme souvent), pour un jeu qui a fait mouche chez nous aussi. Mais je ne suis pas d’accord sur le « peut dépenser », la carte ou la tuile lui donne le droit de dépenser pour construire, selon moi il peut. Ce n’est pas une coquille mais un choix, de l’auteur. A-t-on le droit d’être en désaccord avec vous sans que ça soit pointé comme une erreur ? Cela fait un peu « prof » qui distribue les bons et les mauvais points.

    • Gus

      Bonjour Fred, merci pour votre retour.

      Malheureusement je dois me placer en désaccord avec votre intervention.

      1. Quel intérêt, dans le jeu, de pouvoir dépenser des ressources ? On n’a aucun bénéfice à ne pas ne pas les dépenser (oui, 2x ne pas)
      2. Des tours qui se construisent toutes seules, sans ne rien dépenser comme ressource ? Ce n’est pas cohérent
      3. Les tours se construiraient trop vite si on ne paie pas de ressources, de quoi déséquilibrer le jeu
      4. Tous les autres bâtiments se construisent grâce à des ressources. Pourquoi pas les tours ???
      5. Mais surtout, je vous invite, Fred, à relire la toute dernière ligne de la toute dernière page des règles, qui fait office d’annexe descriptif. On y découvre les différents bâtiments, personnages et tours. On y retrouve le même picto. Et là il est bien indiqué qu’il FAUT payer en ressource. Et non PEUT

      Votre message, et le fait que nous ne soyons pas d’accord, prouve bien, encore une fois, comme mentionné dans l’article, qu’il y a quelques soucis textuels.

      Un grand merci pour votre rection Fred. Excellent dimanche à vous ☀️

      • Sébastien Ducroz

        Pour moi la règle est juste, c’est juste la syntaxe qui peut porter à confusion : en effet, si on se trouve au Fortin on PEUT dépenser ces ressources si on VEUT contruire une Tour ; mais si on dépense pas, on a le droit, mais pas de Tour 🙂 . Mais c’est vrai que j’aurais écrit ca autrement.

        • Gus

          Ce n’est pas aussi simple Séb. Le picto indique bien l’action à effectuer sur la tuile Tour elle-même pour la construire.

          C’est fâcheux toute cette ambiguïté…

    • Gus

      Bonjour,

      Comme indiqué tout en bas, le jeu tourne bien à toutes les configurations. C’est clairement moins épique à 4, mais le jeu passe très bien à 2 et la difficulté s’adapte automatiquement. Malin ! Puisqu’on lance « moins souvent » le dé d’évènements.

  • Flangad

    Bonjour. Avez vous référencé les coquilles présentes sur les cartes? J ai interrogé studioH a ce sujet et ils ne semblent avoir identifié que celles du premier ordre de mission

    • Gus

      Référencé ? C’est-à-dire ? En faire toute la liste, exhaustive ? Dans ce cas-là, non. On a arrêté de compter au bout d’un moment…

À vous de jouer ! Participez à la discussion

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

%d blogueurs aiment cette page :