Jeux de plateau

Le voyage dans le temps ne transporte pas les jeux de société

« Faut voir grand dans la vie ! Quitte à voyager à travers le temps au volant d’une voiture, autant en choisir une qui ait de la gueule”. Ou comment le voyage dans le temps n’inspire pas le jeu de société.


Voyage dans le temps

Avez-vous aussi remarqué que dans le milieu du jeu de société, de nombreux thèmes sont récurrents : les villages médiévaux, les civilisations antiques, les univers fantastiques, le futur, les zombies, les donjons sombres et humides…

S’il y a bien un thème qui est peu décliné, peu présent dans les jeux de société, c’est le voyage dans le temps. Certains s’y essayent toutefois, avec plus ou moins de brio. Petit tour d’horizon de quelques jeux.

Une (très) brève histoire du voyage dans le temps

Pour commencer, tentons de cerner une brève histoire du voyage dans le temps. Le voyage dans le temps est, somme toute, une idée, un concept, un thème nouveau, moderne, né à la toute fin du 19e siècle. Ou à peu près.

On recense la présence littéraire du tout premier voyage dans le temps au 9ème siècle avant notre ère, dans le texte hindou du Mahabharata, puis dans des récits tels que Rip Van Winkle de Washington Irving écrit en 1819. Dans le folklore et les légendes, plus anonymes, on retrouve également le voyage dans le temps avec le personnage de Merlin l’Enchanteur dans le cycle arthurien des chevaliers de la Table ronde, qui visite les temps passés. Les Celtes, eux, croyaient en la possibilité de voyager dans le temps et dans un monde parallèle, via tombes et tertres.

Le plus souvent, les voyages dans le temps s’imaginent dans le passé ou d’un aller simple vers le futur. En gros, les protagonistes s’endorment et se réveillent plus tard, dans le, dans leur futur.

Et puis, la claque ! C’est en effet en 1895 que le britannique, romancier d’anticipation et auteur de jeux de société Herbert George Wells publie son fameux roman La machine à remonter le temps, avec des voyages allers-retours cette fois « possibles ». Wells repose son ouvrage sur le concept que le temps est une dimension, et qu’on peut surfer dessus, tranquillou. Un concept en avance sur son temps, puisqu’il faudra attendre les théories d’Einstein de 1905 pour cristalliser tout ça.

C’est en 1905 en effet que la théorie de la relativité restreinte d’Einstein a permis de ne plus traiter le temps et l’espace de manière séparée, mais de les unifier en un espace-temps à quatre dimensions. Oui, quatre !

Dix ans plus tard, dans sa théorie de la relativité générale, Albert Einstein y ajouta la gravité, abandonnant ainsi le concept d’une force au profit d’une courbure de l’espace-temps. L’espace-temps peut être ainsi comparé à une sorte de tissu élastique, dans lequel les trajectoires des planètes se courbent au voisinage de corps massifs comme le Soleil. Vous saignez du nez ? C’est normal. C’est de la physique quantique.

À noter que bien avant les romans, au milieu du 19e siècle, le milieu de l’art avait l’habitude de créer des capsules temporelles à destination des générations futures. On n’est pas dans un « pur » voyage dans le temps, mais presque, avec l’idée de laisser, partager un patrimoine.

Oubliez la DeLorean, on a plutôt affaire ici à des écrins cachés à même le sol. C’est le cas, par exemple, du Genevois Gustave (super prénom !) Revilliod, collectionneur et illustre fondateur du somptueux Musée Ariana, situé tout près de l’ONU. Dès 1857, il va en effet placer, cacher 5 capsules dans et autour du parc éponyme, dont une certaine surface va être léguée à l’ONU. Lors des travaux de construction de l’ancêtre de l’ONU, la Société des Nations, sur le parc-même, aux alentours du musée, on en dégottera deux.

Au passage, cette histoire de capsules temporelles est, par ailleurs, tout le socle de notre aventure Le Pyrim de Cobalt que nous avons organisée en live dans le musée en 2018.

Cette manœuvre de capsule temporelle, popularisée ensuite dans les années 1930, est sans doute la forme la plus… piétonne et triviale de ce qui pourrait s’apparenter à un « véritable » voyage dans le temps. Sans besoin de canette à vider dans le réservoir… envoyer quelque chose dans le futur à raison d’une minute par… minute. Lent, mais efficace.

Après Wells, il faudra attendre la nouvelle de l’auteur de science-fiction Robert A. Heinlein et sa nouvelle de 1941 Un self made man, titre original : By His Bootstraps, publiée dans Astounding Science Fiction. La nouvelle introduit l’idée d’un personnage apparaissant dans plusieurs chronologies, se rencontrant au milieu de paradoxes complexes, et complétement barrés !

Et la boîte de Pandore est ouverte ! Les auteurs et autrices de SF se lance à corps perdu dans ce thème. Le cas par exemple trois ans après Heinlein avec le français René Barjavel et son excellent Le Voyageur Imprudent, qui va jeter les bases du paradoxe du grand-père. Dans ce roman de 1944, un scientifique invente une substance qui lui permet de voyager dans le temps.

D’abord développée sous formes de gélules à ingérer, il en enduit ensuite un scaphandre beaucoup mieux étudié pour les voyages dans le temps. Explorant tout d’abord le futur proche puis un futur très lointain. Mais les voyages dans le temps ne sont pas dénués de danger, et le protagoniste devra apprendre à ses dépens que toute action entraîne des conséquences.

18 ans plus tard, Heinlein revient à ses « amours » de voyage temporel avec Vous les zombies, titre original : All You Zombies en 1959. Ce récit est souvent considérée comme la nouvelle ultime de voyage dans le temps. La nouvelle raconte l’histoire, plus que complexe, d’une mère célibataire qui se révèlera être tout à la fois, sans le savoir, sa propre mère et son propre père, ainsi que son propre amant, puis son propre enfant, du fait de plusieurs boucles temporelles imbriquées et compliquées.

Si vous aimez, comme moi, les films, les séries, les jeux de voyage dans le temps, ne passez pas à côté de ce chef d’œuvre de la littérature de science-fiction. En 2014, All you Zombies a été adapté au grand écran en polar surprenant intitulé Predestination avec Ethan Hawke, à la poursuite d’un terroriste qui n’est autre que… Mais je ne spoilerai rien.

Voyage dans le temps et jeux de société

Avec un marché du jeu de société plus que florissant, en papillonnant sur la base de données de BGG, on en dénombre que 381. Ça vous paraît beaucoup ? Sur les milliers de titres qui sortent chaque année, 381, c’est presque une goutte d’eau dans l’océan…

Il faut reconnaître que placer le voyage dans le temps dans un jeu de plateau n’est pas des plus faciles. Comment faire pour intégrer, gérer les différentes temporalités sans rendre le tout trop artificiel, abstrait, complexe, touffu ? Et le paradoxe du grand-père, là-dedans ?

Ces 381 jeux intègrent des mécanismes ou des thèmes plus ou moins liés au voyage dans le temps. Certains d’entre eux placent la notion de voyage dans le temps au cœur de l’expérience. C’est le cas du très populaire TIME Stories, dont, au passage, on attend toujours la suite en 2021, près d’une année après un dernier scénario tout miteux.

TIME Stories, comme son titre l’indique, sorti chez Space Cowboys en 2015, vous place dans le rôle de personnages, des agents capables de voyager dans le temps, et censé rétablir la bonne timeline. Oui, on dirait le pitch de la toute récente série Marvel Loki…

En 2000 on trouvait également Chrononauts, dans lequel vous allez tenter de modifier la chronologie en retournant des cartes qui représentent des versions alternatives d’événements au cours d’années spécifiques.

Il faut également mentionner l’excellent et disruptif Khronos de 2006, dans lequel vous jouez sur 3 plateaux, présentant 3 temporalités. Et selon vos constructions sur l’un, elles auront un impact sur les autres.

Citons également l’énooooorme Anachrony, dont une toute nouvelle version va sortir dans quelques jours en VF chez Super Meeple. Dans Anachrony, vous prenez les commandes de puissants exosquelettes, voyagez dans des failles temporelles pour changer le futur. Sans conteste le plus gros, le plus intense, le plus ample des jeux de société à voyage dans le temps !

Dans d’autres jeux, le voyage dans le temps est une explication pratique pour placer le thème, comme rencontrer des dinosaures, récupérer des objets dans le passé ou rencontrer des personnalités célèbres du passé. Il existe, enfin, également de nombreux jeux qui surfent sur licences de film ou télévision, comme des jeux Doctor Who, Retour vers le Futur ou Terminator.

À noter enfin 3 autres excellents titres de jeux de société à voyages dans le temps :

The Loop, dans lequel vous tentez d’arrêter un méchant professeur et ses clones sur le plateau à différentes périodes, en remplissant différentes missions à différentes époques. Très tactique, la manière d’intégrer le voyage dans le temps est plutôt malin.

👉 Vous pouvez découvrir notre critique complète ici.


Unlock Timeless Adventures. En juin 2019 sortait la 6e boîte Unlock, avec 3 scénarios plaçant le temps comme thème commun. L’un des scénarios joue justement avec le voyage dans le temps, Perdus dans le ChronoWarp, dans lequel vous allez faire joujou avec une machine à remonter le temps et réparer les quelques erreurs de timeline. Un scénario surprenant, comme souvent avec Unlock, et particulièrement savoureux !

👉 Vous pouvez découvrir notre critique complète ici.


Undo, un pur Mixi, dans lequel vous allez vous balader dans la chronologie d’un récit pour résoudre une affaire, un crime. Le tout tient dans un minuscule paquet de cartes. Belle perf !

👉 Vous pouvez découvrir notre critique complète ici.

Et on attend également pour ces prochains mois That Time You Killed Me, un jeu détonant mélangeant voyage dans le temps et jeu abstrait.

Et les films, dans tout ça ?

Il n’y a pas que les jeux, dans la vie, il y a aussi les films. Autant le voyage dans le temps n’inspire pas les jeux de société, autant ce thème est ultra-présent dans le cinéma. Quels sont les plus réussis, les plus passionnants ? Nous en avons retenus 3 pour vous.

Le plus loufoque

Parler de films de voyage dans le temps sans présenter Hot Tub Machine est interdit par la patrouille du temps. 4 amis se retrouvent dans un jacuzzi, qui sert de… machine à voyager dans le temps. Et là, ça part en cacahouète.

Aussi délire que débile, ce film de 2010 a connu un tel succès qu’un 2e volet est sorti cinq ans plus tard, toujours aussi loufoque. À consommer sans modération !

Le plus complexe

Primer est sorti en 2004, et il a coûté la modique somme de… 7 000 dollars. Court, fauché, Primer est, sans conteste, le meilleur film de voyage dans le temps pour moi. J’ai dû le voir 617 fois pour tout comprendre. Et je ne suis toujours pas certain d’avoir tout compris.

Deux « amis » (je mets entre guillemets, parce que c’est un élément essentiel du film) découvrent le moyen de voyager dans le temps en construisant des boîtes, dans leur garage, puis en les mettant dans un entrepôt. Dit comme ça, ce n’est pas original du tout. Sauf que, les timelines partent dans tous les sens. À voir avec 3-4 tubes d’aspirine. Et comptez ensuite 3-4 heures de recherches sur le net pour lire toutes les analyses du film. D’ailleurs, à la rédaction de cet article, j’ai envie d’aller le re-re-re-re-revoir pour la 618e fois.

Le plus grandiloquent

Time Bandits, ou quand les Monty Pythons et un casting de ouf, dont Sean Connery, s’emparent de la thématique. Un jeune homme s’embarque dans une épopée bigarrée avec des nains (parce que pourquoi pas) voleurs de trésor. Le ton est donné. En plein début des années 80, on sent un souffle funk et pop pour ce périple palpitant.

Et sinon, il y a aussi Droste no hate de bokura, ou Beyond the Inifinite Two Minutes en anglais, un film japonais indé qui vient tout juste de sortir, bien déjanté aussi.

Et on vous laisse, enfin, avec un court-métrage qui ne dure que 5 minutes, une déflagration d’ingéniosité !

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