Analyses & psychologie du jeu,  Boîte à Outils,  Jeux de plateau,  Jeux de rôle

Vous êtes dans une auberge. Comment l’imagination façonne le jeu

L’imagination, ce formidable moteur de motivation, dans les jeux et dans la vie.


Vous êtes dans une auberge

Vous venez d’entrer dans la forêt. Sombre, touffues, aux arbres inquiétants et serrés qui empêcheraient presque à la lumière de pénétrer. Une forêt, gluante comme une nappe de pétrole. Un sentiment d’oppression vous envahit. Quelqu’un vous observe, vous le ressentez.

Lancez un dé et faites un jet de perception.

Avez-vous déjà vécu cette scène en partie de jeu de rôle ? Lors de votre dernier Escape Game (avant les confinements ?), vous êtes-vous sentis plongés, immergés dans une réalité autre ? Et quand vous jouez à un jeu de plateau, narratif, est-ce qu’il vous arrive de vous laisser envahir par le récit ? C’est tout le principe, le pouvoir de l’imagination.

Imagine all the people

Depuis plus 13 ans que notre blog existe, à raison d’un article par jour, nous en avons publié des articles ! Si certains sont très bien où ils sont, dans le ventre, dans les archives du blog, d’autres, en revanche, méritent qu’on s’y attarde, qu’on y revienne. C’est ce que nous allons dorénavant vous proposer, chaque mercredi, un article paru sur notre blog il y a plus ou moins longtemps. C’est ce que nous appellerons désormais la « boîte à outils du jeu de société », des sujets, des analyses qui pourraient vous (ré)intéresser. Des sujets indémodables, pratiques et utiles.

Mais nous n’allons pas juste faire du copier-coller, en les ressortant de leur léthargie. Nous allons en profiter pour leur offrir un petit ravalement de façade, une mise à jour parfois nécessaire, depuis le temps que ces articles traînent et prennent la poussière numérique.

Après la Boîte à Outils de la semaine passée, L’émerveillement. Quand les jeux de plateau nous transportent, une fois n’est pas coutume, nous changeons aujourd’hui les « règles du jeu » de cet article Boîte à Outils du mercredi pour « jouer avec les codes ».

Plutôt que de recycler un vieil article, nous sommes partis d’un précédent pour vous proposer une autre, une nouvelle réflexion, enrichie aujourd’hui. Rebondir pour mieux sauter, ou un truc du genre. Tout a commencé avec celui-ci, paru le 12 février 2014 : Game Design : le Cercle Magique. Petit retour en arrière de… sept ans, avec une réédition, comme cela se fait beaucoup dans le marché du jeu de société, mais surtout, augmentation et amélioration ! Bonne lecture.

Animal imaginatif

L’imagination, au service du jeu. Mais au fond, qu’est-ce qui fait de l’être humain un animal pas comme les autres ? Est-ce son langage, sa culture, sa conscience ou son empathie, ou est-ce sa capacité d’imagination? Une imagination qui nous permet de nous projeter, d’envisager des choses qui n’existent plus ou qui n’existent pas encore.

L’imagination, c’est que dans le fond, ce qui nous définit, nous, comme êtres humains. Ce qui nous différencie des autres animaux, parce que oui, nous en sommes aussi, c’est notre imagination.

Qu’est-ce qui fait le propre de l’homme ? Quand on définit le propre de l’homme, ça ne veut pas dire qu’on s’extrait du monde animal. Chaque espèce dispose de ses spécificités. C’est même ce qui définit une espèce. Les chiens sont particuliers, les chats sont particuliers. Les humains le sont également, et donc ce que l’on recherche, quand on définit le propre de l’humain, ce n’est pas quelque chose qui nous sortirait de la condition animale.

Nous sommes des mammifères sociaux qui avons développé des capacités cognitives très particulières. Oui, nous avons acquis et développé le langage, la culture, l’apprentissage, les émotions, tant des spécificités propres aux humains, et en particulier les émotions sociales. Toutes ces capacités, extraordinaires, dérivent d’une seule et unique, l’imagination.

L’imagination doit être entendue dans un sens très particulier. Ce n’est pas uniquement le sens courant qu’on lui donne, qui est celui des rêves, de la fiction, des rêveries. L’imagination, souvent, on l’assimile à des fantasmagories qui nous transportent hors du réel. Petit, on disait souvent de nous qu’on avait beaucoup d’imagination, qu’on se racontait, s’inventait des histoires, fabuleuses, cocasses. Il y existe toutefois une imagination qui est beaucoup plus ordinaire et qu’on a peut-être oubliée, laissée de côté, qui est pourtant toute aussi importante. C’est l’imagination technique.

Techno Parade

Tous les objets qui sont autour de nous ont été pensés, conçus, imaginés avant d’être créés. Regardez autour de vous : la maison dans lequel on vit, les vêtements que l’on porte, l’écran grâce auquel vous nous lisez. Tout ça est aussi œuvre d’imagination, une imagination scientifique.

Pendant très longtemps, on a opposé la raison et l’imagination. Aujourd’hui, les philosophes et les historiens des sciences ont compris que l’imagination est au cœur de la création scientifique. Einstein lui-même le disait, l’imagination comporte plus que la connaissance.  « L’imagination est plus importante que la connaissance. Car la connaissance est limitée, alors que l’imagination embrasse le monde entier, stimulant le progrès, donnant naissance à l’évolution. »

Et quand le célèbre physicien a créé la théorie de la relativité, il s’est imaginé être assis sur un rayon de lumière en train de filer à la vitesse de la lumière face à un miroir. Il utilisait des… images mentales. En un mot, l’imagination.

« L’imagination est plus importante que la connaissance. Car la connaissance est limitée, alors que l’imagination embrasse le monde entier, stimulant le progrès, donnant naissance à l’évolution. »

Albert Einstein

Vélo Boulot Dodo Imagination

Ce mot d’imagination, d’image mentale, constitue ce l’on fait tous les jours, du matin au soir. Et cela commence dès le réveil. On se rappelle ce qu’on doit faire dans la journée, où et quoi manger à midi, etc. On se transporte donc en pensée. On prépare sa journée, son quotidien dans sa tête. L’imagination, c’est un projet mental, une projection mentale de soi.

Si dans le règne animal cette capacité de projection est assez restreinte, elle s’est développée chez nous de manière puissante, omniprésente.

Mais à quoi ça sert, l’imagination ?

Mais au fond, elle nous sert à quoi, cette imagination ? Il faut préciser qu’elle ne nous sert pas « juste » à nous distraire par de la fiction, pendant nos parties de jeux de rôle ou de jeux de plateau, narratifs ou pas.

L’imagination est constitutive de notre comportement, parce que, du matin au soir, on utilise l’imagination comme un outil pour transformer le réel. Comme dit plus haut, il y a une imagination, technique, qui a développé des outils, des objets qui ont été conçus avec une finalité, pour rendre notre existence plus facile.

Contrairement à la perception, l’imagination ne dépend pas d’informations sensorielles externes tirées de ce qu’une personne peut voir, entendre, ressentir, goûter ou toucher sur le moment. Au contraire, elle est généré de l’intérieur et souvent influencée de manière inconsciente par des souvenirs et des sentiments.

Nous, humains utilisons l’imagination pour diverses raisons : pour acquérir de l’expérience et des connaissances sur le monde, pour mieux comprendre le point de vue d’une autre personne, pour résoudre des problèmes, pour créer et interagir avec des œuvres artistiques, etc. L’imagination a tendance à aller de pair avec la créativité et joue un rôle central dans les différentes étapes du développement.

L’imagination des enfants

Si vous, comme moi, avez des enfants et/ou en fréquentez, vous savez à quel point l’imagination est importante, omniprésente pour eux. C’est vrai que les enfants ont une imagination débordante, sont capables de faire des jeux avec trois fois rien. Comment expliquer cette imagination infantile ?

D’abord, il faut préciser que l’imagination n’est pas uniquement infantile. Le psychologue genevois Jean Piaget disait que vers l’âge de 2 ans, il y a ce qu’on appelle l’explosion symbolique. c’est le moment ou l’enfant commence à vivre dans des mondes imaginaires. De faire des jeux, de faire semblant, de jouer à la poupée, de faire des châteaux de sable, se prendre pour un héros et c’était le moment, c’est le moment aussi où il commence à dessiner. C’est le moment aussi de « l’explosion du langage ». Jean Piaget parlait de rentrée dans le monde symbolique, mais qu’on pourrait aussi appeler le monde de l’imaginaire. Ce monde est aussi celui des contes.

Faire semblant, pour un enfant, repose sur quelques éléments clés. L’un d’eux est la substitution d’objet, qui peut impliquer soit de faire semblant qu’un objet est autre chose, une banane devient un… téléphone ou d’utiliser un objet imaginaire, absent mais « bien réel » pour l’enfant.

Un enfant peut également attribuer des propriétés à un objet, comme faire «parler» un animal en peluche. Le jeu imaginatif peut inclure des interactions sociales, que ce soit avec des pairs ou des adultes. Un enfant peut également jouer un rôle ou agir comme s’il était quelqu’un d’autre comme un chevalière ou un prince, avec ou sans accessoires. Le jeu imaginatif implique souvent une méta communication, comme discuter de qui incarnera quel rôle et comment l’histoire se déroulera.

Pourquoi le jeu imaginatif est-il si important ?

Pour l’enfant et son développement, il y a un grand besoin de faire semblant en jouant. La fantaisie et l’imaginaire peuvent enseigner aux enfants des compétences sociales cruciales, telles que la communication, l’empathie et la résolution de problèmes. Le jeu imaginatif peut encourager la curiosité et la créativité. Les parents peuvent aider à encourager l’imagination de leur enfant en leur lisant un conte à l’heure du coucher et en discutant avec eux de certains sujets comme la nature et les questions sociales. Ou en jouant à des Livres dont vous Êtes le Héros pour enfants, comme le tout récent Dream Quest, ou avec la collection Ma Première Aventure des Grenoblois de Gameflow.

Ce monde imaginaire s’arrête à l’adolescence, avec la rentrée dans un réel plus… solide. Alors bien sûr, vous, moi, nous avons conservé notre part d’enfant pour maintenir ce lien avec ce monde imaginaire de notre enfance en continuant à jouer à des jeux de société et de rôle, narratifs, immersifs et… imaginaires. La seule différence entre nous, adultes, et les enfants, c’est qu’on continue à imaginer, à s’imaginer, mais tout est plus intériorisé, camouflé.

L’adulte, c’est animal imaginatif

L’adulte aussi continuer à se « faire du cinéma ». Il se projette mentalement dans l’avenir. Il se projette dans un réel imaginé, fantasmé. Quand on parle d’imagination, on parle en réalité de puissance imaginative. Elle un siège dans notre cerveau, le cortex préfrontal. C’est assez simple, c’est ce qu’il y a derrière le… front.

Comme le nom l’indique, c’est la partie du cerveau qui est la plus développée par rapport aux autres animaux. Elle est sans doute le lieu des anticipations, le lieu des souvenirs, le lieu des activités intellectuelles les plus sophistiqués qui sont propres à l’humain. Et donc, de notre capacité imaginative qu’on estime en tout cas supérieur à celle des autres espèces.

Et comment est-ce que cette compétence, cette fonction s’est créée ? Quel avantage darwinien est-ce que l’imagination nous a offert ? Qu’est-ce qui fait qu’on a ça, aujourd’hui ? Pour résumer, il s’agit ici en réalité de deux interrogations : comment, et pourquoi. Deux questions qui dans une.

On peut imaginer, et c’est le cas de le dire, si on admet que l’imagination a une fonction créative, elle permet de produire des outils avec. Elle permet de se projeter dans l’avenir. Elle permet d’imaginer des scénarios (et pas que de jeux de rôle). Pour résoudre des problèmes, l’imagination est un outil cognitif formidable ! C’est pour ça que nous sommes devenus créatifs. On peut créer des outils, des armes, des objets très différents et donc nous adapter à notre environnement ou le transformer.

Cette capacité ingénieuse et utile d’adaptation serait la fonction principale de l’imagination. La fiction, la simulation, le jeu serait un « byproduct », une compétence, une fonction… annexe. L’imagination est utile, utilitariste, même. Le fun, c’est là-côté.

Reste à savoir comment est-ce que l’imagination, cette capacité adaptative, s’est développée chez l’être humain, et pas autant chez les (autres) animaux. Cela reste, pour l’instant, un grand mystère !

Jeux de société et Cercle Magique

Quand on parle d’imagination et de jeux, de société, de cartes, de plateau, de rôle, on doit s’intéresser au Cercle Magique. C’est le portail, le seuil, le passage qui mène dans un autre univers, une autre réalité. Son imagination tourne alors à plein pot !

Quand on fait du jeu de rôle, du jeu vidéo, quand on va au cinéma, au théâtre, qu’on lit ou qu’on fait du jeu de plateau, on traverse souvent, parfois, un seuil pour quitter sa réalité et se plonger dans un tout autre contexte, fantastique, immersif, différent. Le Cercle Magique c’est justement la limite entre réalité et « fantasme », quand l’imagination prend le dessus.

Pour mobiliser l’imagination et générer ce fameux seuil, le Cercle Magique, quelques pistes sont possibles pour optimiser l’immersion : placer de la musique, par exemple, qui aide à l’immersion.

Ou, pourquoi pas, sonner une cloche ou tout autre indice sonore pour indiquer qu’on se trouve ailleurs et que notre imagination sera convoquée. Pensez au théâtre (quand ils rouvriront…), les trois coups et le rideau levé placent le public dans un autre contexte, pour le préparer à s’immerger pour 1-2h, pour l’inviter à croire, à imaginer que tout ce qui est vu est… vrai.

En plus de l’aspect sonore, les illustrations représentent également un autre facteur d’immersion. Selon l’esthétique du jeu, on a, plus ou moins, de la facilité à se laisser entraîner et à user de son imagination.

Et le jeu de plateau, dans tout ça ? S’il est vrai que les éditeurs placent bien souvent un texte de présentation du thème en tout début de règles, coucou ITHEM, soyons honnêtes, rares sont les jeux de société qui nous transportent, au contraire des jeux de rôle, qui n’existent que grâce, avec, pour l’imagination.

S’il y a quelques jeux de plateau qui sortent du lot, dont le thème est particulièrement fort et intégré, les jeux à thème fort, narratifs, avec un ITHEM à 5 sur 5 par exemple, il suffit de se balader dans nos chroniques de jeux, dans la très grande majorité des cas, le thème, l’univers, l’immersion sont très faible, on oscille le plus souvent entre 2 et 3 sur l’échelle. Ce qui compte, dans un jeu de société, de cartes ou de plateau, c’est le gameplay et la poursuite de la victoire. Au final, l’imagination est assez peu mobilisée.

Et vous, utilisez-vous souvent l’imagination en jouant ? Quel jeu vous a véritablement transporté ?

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One Comment

  • mangeclous

    La lecture de cet article m’a beaucoup intéressé et m’a fait penser à quelques remarques : En, jeu de rôle les personnages joueurs sont sans cesse amené à faire un exercice pas facile : faire concorder leurs imaginations d’après ce que décrit le MJ…
    Et, aussi certains joueurs m’ont déjà fait la remarque qu’ils préféraient des descriptions pas trop détaillées et surtout pas d’image pour qu’ils puissent imaginer la scène à leur façon… (ce qui ne facilite pas la première remarque).

    D’ailleurs j’ai remarqué en jeu de plateau aussi que pour ma part les efforts marqués pour thématiser un jeu (maracaibo, par exemple) n’arrivent pas à transporter mon imagination. Les jeux qui me transportent sont clairement ceux pour lequel le thème a été le moteur du jeu, ceux pour lesquels il serait difficile de changer le thème (les jeux de vital lacerda, trickerion …)

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