
Dans les jeux comme dans la vie, la chance n’existe pas
Dans les jeux et dans la vie, certaines personnes semblent avoir plus de chance que d’autres. Mais est-ce que la chance existe vraiment ?
J’ai un aveu à vous faire. Je n’ai jamais de chance. Quand je joue à des jeux de société, chaque fois que je dois piocher une carte, tirer une tuile ou lancer un dé, je tombe sur le mauvais résultat, la mauvaise pioche. Toujours.
Et, comble de malheur, mon épouse, Coco, elle, jouit d’une chance incroyable ! Autant vous dire que lorsqu’on joue ensemble, ce qui est souvent le cas, je me fais alors laminer. Mon épouse tombe toujours sur la carte ou la tuile qu’elle cherchait. Et quand elle lance un dé, le résultat lui convient toujours.
Notre couple est le parfait exemple de gens chanceux (Coco) et malchanceux (moi. Snif).
Mais comment est-ce possible ? Comment expliquer que certaines personnes sont plus chanceuses que d’autres ? Et si on en comprend les origines, comment faire pour devenir alors plus chanceux, dans les jeux, dans la vie ?
Un petit café ?
C’est l’histoire de Martin et Brenda.
Martin s’arrête prendre un café un matin avant sa réunion. En entrant, il remarque un billet de cinq Livres Sterling près de la porte. Il le ramasse, salue le barista, commande son café, puis scrute la boutique avant de choisir de s’asseoir à côté d’un homme bien habillé au comptoir. Il initie alors la conversation. Avant son départ, ils échangent leurs cartes de visite. Une matinée réussie et chanceuse, pour Martin.
Brenda visite la même enseigne. Mais pour elle, les choses ne se déroulent pas de la même manière. Elle passe juste devant le billet de cinq Livres à la porte. Elle ne le prend pas. À l’intérieur, elle commande son café et s’assoit au comptoir à côté d’un homme d’affaires. Elle le fait en toute discrétion, sans dire un mot à personne. Au final, Brenda ne reçoit pas de billet de 5 Livres, et ne fait pas de rencontre qui pourrait mener à une opportunité. Brenda n’a vraiment pas de chance !
Mais comment est-ce possible ? Comment est-ce que ces deux histoires parallèles peuvent co-exister en même temps et pourtant s’avérer si différentes ?
Tout ceci n’était qu’une expérience. Brenda et Martin ont existé. Ils ont participé à une expérience en psychologie sociale. Tout le reste était factice et monté par et pour la recherche : le café était rempli d’acteurs et de caméras, et le billet abandonné avait été laissé par terre en toute rationalité.
Cette expérience a été menée par le professeur Richard Wiseman de l’Université du Hertfordshire en Angleterre dans les années 90 pour étudier la chance.
Après la scène dans le café, le professeur a interviewé Martin à Brenda à propos de leur matinée. Brenda a répondu que la matinée s’était déroulée sans incident. Martin, lui, a répondu qu’il avait trouvé de l’argent dans la rue et qu’il avait eu une belle conversation avec un inconnu au café.
Wiseman (un nom approprié…) a mené huit ans d’entretiens approfondis avec plus de 400 personnes pour étudier le concept de chance. Martin et Brenda ont fourni deux des entrevues les plus inhabituelles. Wiesmann les a sélectionnés pour des raisons bien précises. Brenda a eu plusieurs accidents au préalable. Elle se décrivait comme un «désastre ambulant» et se considérait comme très malchanceuse. Martin avait remporté un jackpot de plus de 7 millions de livres et, sans surprise, croyait qu’il était très chanceux. La première n’a pas vu le billet au sol et ne s’est pas créé d’opportunité. Le second, « chanceux », oui.
Les bons comptes font les bonnes chances
Le même chercheur, Richard Wiseman, a mené une autre expérimentation dans les années 90. Il donné un journal à des volontaires et leur a demandé de compter le nombre de photographies. Il ne leur a fallu que quelques minutes pour le faire. C’est peu.
En réalité, il ne leur aurait suffi que de quelques secondes. Pourquoi ? Sur la deuxième page du journal, il y avait un message qui sitpulait : ARRÊTEZ DE COMPTER. IL Y A 43 PHOTOS DANS CE JOURNAL. Pas une seule personne ne l’a lu. Et le texte n’était ni petit, ni dissimulé. Aucun volontaire ne l’a pourtant vu. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient absorbés par la recherche et le décompte de photographies.
Mais ce n’est pas tout.
Au milieu du journal se trouvait un message encore plus significatif. Il offrait une chance de gagner une récompense, financière. ARRÊTEZ DE COMPTER ET DITES À L’EXPÉRIMENTATEUR CE QUE VOUS VENEZ DE LIRE ET GAGNEZ 250 $.
Encore une fois, il s’agissait d’une annonce d’une demi-page en gros caractères. À la fin de l’expérience, Wiseman a demandé s’ils avaient vu quelque chose d’inhabituel dans le journal. Et ils ne l’avaient pas fait. Il leur a donc demandé de le parcourir à nouveau. En quelques secondes, ils ont vu le premier message et ont été choqués quand ils ont vu le second.
Vous connaissez certainement cette vidéo, vue 24 millions de fois :
Avez-vous obtenu le résultat correct ? Mais avez-vous aussi vu quelque chose qui sortait de l’ordinaire ?
Fleming, ce gros flemmard
Le 3 septembre 1928, le biologiste écossais Alexander Fleming s’aperçoit que la culture de staphylocoques sur laquelle il travaillait s’est dissoute au voisinage d’une moisissure qui l’avait incidemment contaminée. Un processus banal que tout bactériologiste connaissait déjà à l’époque.
Mais.
À la différence de ses confrères, qui ont vraisemblablement jeté les cultures, parce que toutes… pourries, Fleming, lui, se passionne pour ce moisi. Il le laisse alors se développer et en mène une expérimentation. C’est ainsi qu’il découvre la pénicilline.
Les pénicillines sont des antibiotiques issus d’une toxine synthétisée par certaines espèces de moisissures du genre Penicillium, et qui est inoffensive pour l’humain. Les pénicillines sont utilisées dans le traitement d’infections bactériennes. Bref, un médicament utile et essentiel qui a sauvé des vies. Tout ça parce que Fleming s’en est rendu compte. Peut-on dire que Fleming était plus… chanceux que tous ses autres collégues bactériologistes ?
La chance. Explication
Mauvaise nouvelle, non, la chance n’existe pas.
Bonne nouvelle, non, la malchance n’existe pas.
Non, les superstitions n’existent pas non plus. Ce n’est pas parce que vous jouez à la loterie un vendredi 13 que vous avez plus (ou moins ?) de chance de gagner.
Est-ce que la Loi des Séries ou la Loi de Murphy existe ? Non, bien sûr que non.
Mais alors, comment expliquer les trois recherches présentées ici, le café, le journal et la péniciline ? N’y a-t-il pas un facteur chance qui intervient ? Et comment expliquer que Coco, mon épouse, a tellement de chance en jouant, et moi, pas ?
Tout est question de posture d’esprit. Et de sérendipité.
La sérendipiquoi ?
La sérendipité est, au sens strict et original, la conjonction du hasard heureux qui permet de faire une découverte inattendue d’importance ou d’intérêt supérieurs à l’objet de sa recherche initiale, et de l’aptitude de ce même chercheur à saisir et à exploiter cette « chance ». Entre guillemets.
Il s’agit de l’art de découvrir ou d’inventer en prêtant attention à ce qui surprend et en imaginant une interprétation pertinente.
Le terme, initialement anglophone, Serendipity, a été forgé par l’auteur britannique Horace Walpole en 1754, à partir du conte oriental Voyages et aventures des trois princes de Serendip de Cristoforo Armeno.
En 1754 donc, Horace Walpole se retira sur un bureau de son château à Twickenham, dans le sud-ouest de Londres, et écrivit une lettre. Walpole avait été fasciné par un conte de fées persan sur trois princes de l’île de Serendip qui possèdent des super pouvoirs d’observation. Dans sa lettre, Walpole a suggéré que ce vieux conte contenait une idée cruciale sur le génie humain. Pendant que leurs Altesses voyageaient, ils faisaient toujours des découvertes, par accident et sagacité, des choses dont ils n’étaient pas à la recherche.
Et l’auteur britannique a alors proposé un nouveau mot, la sérendipité, pour décrire ce talent pour le travail de détective. La sérendipité signifiait une compétence plutôt qu’un coup de « chance » aléatoire.
C’est aussi grâce à Fleming, l’inventeur de la péniciline encore une fois, que le mot « serendipity » apparaît en première page du New York Times , le 4 juillet 1949. Le savant évoque l’importance de la sérendipité en science. Selon lui, les grandes découvertes ont été faites le plus souvent par des chercheurs libres de suivre les pistes que le hasard ou la chance leur ont fournies. Selon Fleming, cité en 1949, vous pouvez commencer à chercher quelque chose et découvrir finalement tout à fait autre chose.
C’est le cas d’ailleurs d’un nombre surprenant de commodités de la vie moderne qui ont été inventées lorsque quelqu’un est tombé sur une découverte ou a capitalisé sur un… accident : le four à micro-ondes, le verre de sécurité, les détecteurs de fumée, les édulcorants artificiels, l’imagerie par rayons X. De nombreux médicaments à succès du 20e siècle sont apparus parce qu’un travailleur de laboratoire a pris de «fausses» informations. Le cas du… Viagra, par exemple, dont on a fété les 20 ans il y a deux ans.
Banane bleue
Premier médicament oral indiqué dans les troubles de l’érection, le Viagra était initialement destiné au traitement de maladies cardiovasculaires.
À l’origine, le Viagra n’était pourtant pas destiné à traiter les dysfonctionnements érectiles. Le citrate de sildénafil, nom chimique du Viagra, connu pour sa capacité à dilater les vaisseaux sanguins, a d’abord été testé par le laboratoire Pfizer pour soigner l’angine de poitrine.
L’angine de poitrine est un type de douleur thoracique causée par une diminution du flux sanguin vers le cœur. Au fil des essais cliniques, la molécule s’est révélée peu efficace pour soigner cette maladie due au rétrécissement des artères chargées d’alimenter le cœur en oxygène. Par contre, un effet secondaire… inattendu a attiré l’attention des chercheurs.
Chez certains participants, la prise du médicament s’accompagnait d’érections jusqu’à plusieurs jours après la prise du traitement. Quelques temps plus tard, les laboratoires Pfizer, oui, ceux-là même qui viennent de sortir le vaccin contre la COVID en 2020, lance le Viagra, vendu depuis plus de vingt ans par milliards.
Au final, non, la chance n’existe pas. Ce qui existe, en revanche, c’est l’aléa (trouver, ou non un billet par terre), les conséquences logiques (les moisissures qui se développent, l’effet du sildénafil) et la perception, perspicacité et sérendipité.
Le hasard existe, c’est qui se produit. La chance, c’est ce que nous en faisons. Peut-être que le biais résulte d’une expression fourvoyée. On dit bien « j’ai de la chance ». Ne faudrait-il pas plutôt dire : « je me fais de la chance » ?
Chance au jeu, malchance en amour
Comment cultiver l’art de trouver ce que nous ne cherchons pas ? Et ainsi augmenter ses « chances » ?
Aujourd’hui, nous considérons le hasard comme quelque chose de… vil. Nombreuses sont les critiques de jeux de société modernes (dont les nôtres, aussi) qui vilipandent un jeu pour son hasard trop présent. Au point de trouver que le jeu est trop… chaotique. Mais si, au fond, la signification originale de la chance était très différente ?
La chance n’est pas ce qui vous arrive, mais ce que vous en faites.
Si vous voulez avoir plus de « chance » aux jeux, dans la vie aussi, tout est question de sagacité et d’opportunité. Observez, réagissez. Vous découvrez quelque chose qui sort de l’ordinaire, ou qui est tout à fait ordinaire, justement. Qu’allez-vous en faire ?
Vous lancez un dé ou piochez une carte, une tuile qui ne vous arrange pas ? Est-ce que c’est parce que vous « souffrez » de manque de chance ? Ou parce que vous n’avez pas encore vu et su comment vous adapter ?
Nous pouvons nous glisser dans une logique étrange et tordue dans laquelle nous croyons à moitié que la pénicilline a choisi Alexander Fleming pour être son émissaire. Ou que le billet de 5 Livres a choisi d’être découvert par Martin et non Brenda, le salop ! Mais en réalité, non. Les découvertes, les réactions, les opportunités sont des produits de l’esprit humain.
Jouer, inventer, tout est question de processus créatif. Inventer et créer sont des processus créatif dans lesquels on « trouve ». Il s’agit toujours d’une expression de nous-même. Laissez tomber quelque chose, et vous en ferez peut-être quelque chose. Pensez à la fameuse et succulente tarte tartin, cette tarte mythique qui se cuit « à l’envers » mais se déguste « à l’endroit ».
L’origine de cette tarte se situe en Sologne, dans le village de Lamotte-Beuvron (quel nom !) à cheval entre le XIXe et le XXe siècle (l’époque, pas le village).
Nous devons aujourd’hui la fameuse tarte au nom de deux soeurs, Stéphanie et Caroline Tatin. Ces dernières ont dirigé l’établissement familial, l’Hôtel Tatin, de 1894 à 1906. Caroline, la plus âgée, recevait la clientèle, tandis que Stéphanie s’affairait en cuisine pour y préparer des tartes aux pommes fondantes et caramélisées.

On raconte qu’un dimanche d’ouverture de la chasse, Stéphanie oublia la pâte et dans le feu de l’action, enfourna son moule garni uniquement de pommes et de sucre. S’apercevant de son oubli, elle rajouta simplement la pâte par-dessus les pommes et termina de cuire la tarte ainsi. Et voilàààà. La tarte tatin fût créée. Par un oubli. Une maladresse. Un coup de malchance.
Une autre version, plus romanesque, raconte qu’avant de la cuire, la tarte serait tombée au sol. La cuisinière aurait alors décidé de la « récupérer » et de l’enfourner ainsi, à l’envers, pour la manger dans ce sens ensuite.
Malchance, vraiment ? Ou « coup de génie » de la cuisinière ? Il semblerait toutefois que la réalité soit moins… homérique. La recette de la tarte tatin existait déjà avant. Il s’agissait en effet d’une spécialité régionale. Ce sont juste les deux sœurs qui sont parvenues à la populariser.
La chance, celle qui existe, est celle que l’on se crée. C’est par hasard que les plus grandes découvertes ont émergé. Parce qu’elles ont suscité de la curiosité et ont mené à de nouvelles opportunités.
Chance et contrôle
Tout ne serait donc qu’une question de posture d’esprit, d’attitude. Mais ce n’est peut-être pas aussi simple et simpliste. Il y a d’autres processus qui sont en jeu (c’est le cas de dire).
Être vivant, c’est s’émerveiller avec des lueurs d’une profonde émotion devant la machine du hasard et du choix qui fait de nous ce que nous sommes. C’est Simone de Beauvoir qui le disait déjà dans son récit autobiographique Tout Compte fait de 1972 :
Chaque matin, avant même d’ouvrir les yeux, je sais que je suis dans ma chambre et mon lit. Mais si je m’endors après le déjeuner dans la pièce où je travaille, parfois je me réveille avec un sentiment d’étonnement enfantin – pourquoi suis-je moi-même? Ce qui m’étonne, tout comme cela étonne un enfant lorsqu’il prend conscience de sa propre identité, c’est le fait de me retrouver ici, et en ce moment, au plus profond de cette vie et pas dans une autre. Quel coup de chance a provoqué cela?
Simone de Beauvoir, Tout Compte Fait, 1972.
Et également :
La pénétration de cet ovule particulier par ce spermatozoïde particulier, avec ses implications de la rencontre de mes parents et avant celle de leur naissance et la naissance de tous leurs ancêtres, n’avait pas une chance sur des centaines de millions de se produire. Et c’est le hasard, un hasard assez imprévisible dans l’état actuel de la science, qui m’a fait naître femme. A partir de là, il me semble que mille futurs différents auraient pu découler de chaque mouvement de mon passé: j’aurais pu tomber malade et interrompre mes études; Je n’aurais peut-être pas rencontré Sartre ; quoi que ce soit aurait pu arriver.
Simone de Beauvoir, Tout Compte Fait, 1972.
La célèbre femme de lettres a longtemps contemplé comment le hasard et le choix convergent pour faire de nous ce que nous sommes. Convergent, c’est le mot-clé. Tout n’est pas juste une question de choix, de contrôle. Il demeure toujours un fragment plus ou moins vaste de hasard. On ne peut pas s’imaginer que la chance, que sa chance ne dépend que de nous-mêmes, du libre-arbitre.
Il est dès lors question d’une lutte constante pour l’équilibre de la chance et du contrôle dans la vie que nous menons, et les décisions que nous prenons. Dans la vie, nous pouvons faire ce que nous faisons, prendre les décisions que nous prenons, exercer un certain contrôle strict mesuré de nos actes, mais à la fin, certaines choses restent hors de notre contrôle. Il existe toujours une fine ligne entre compétence et chance.
Toute la question repose sur notre capacité d’apprendre ce que nous pouvons contrôler, et ce que nous ne pouvons pas. Aucune modélisation formelle ne sera jamais capable de capturer les caprices et les surprises de la nature et de la nature humaine.
Tout ceci fait écho aux recherches du neuroscientifique Sam Harris sur le fait que notre libre arbitre de choix n’est que l’illusion du choix. Dans son livre Free Will de 2012, Sam Harris explique :
À maintes reprises, les gens surestimaient le degré de contrôle qu’ils avaient sur les événements – des gens intelligents, des gens qui excellaient dans beaucoup de choses, des gens qui auraient dû savoir mieux… Plus ils surestimaient leurs propres compétences par rapport à la chance, moins ils apprenaient de quoi l’environnement essayait de leur dire, et plus leurs décisions devenaient pires… L’illusion de contrôle est ce qui a empêché le contrôle réel du jeu d’émerger – et avant longtemps, la qualité des décisions des gens s’est détériorée. Ils ont fait ce qui fonctionnait dans le passé, ou ce qu’ils avaient décidé de fonctionner – et n’ont pas compris que les circonstances avaient changé de sorte qu’une stratégie auparavant réussie ne l’était plus. Les gens ne voyaient pas ce que le monde leur disait alors que ce message n’était pas celui qu’ils voulaient entendre. Ils aimaient être les dirigeants de leur environnement. Quand l’environnement en savait plus qu’eux – eh bien, ce n’était pas du tout bon. Voici la cruelle vérité: nous, les humains, nous pensons trop souvent avoir un contrôle ferme lorsque nous jouons vraiment selon les règles du hasard.
Sam Harris, Free Will, 2012.
Ce conundrum cognitif n’est pas un échec personnel de l’individu, mais plutôt un fossile de l’histoire évolutive de notre espèce. Une espèce qui a survécu en faisant face aux menaces immédiates de l’environnements, prenant des incidents isolés pour des expériences représentatives de la nature, confondant des anecdotes aléatoires pour des données.
L’équation de chance et de compétence est probabiliste. Et un inconvénient fondamental de notre « câblage » neuronal est que nous ne pouvons pas tout à fait en saisir les probabilités. Les statistiques sont contre-intuitives. D’un point de vue évolutif, notre cerveau n’est pas façonné pour comprendre cette incertitude inhérente. Il n’y avait pas de chiffres ou de calculs dans nos premiers premier environnements, juste une expérience personnelle. Nous n’avons pas appris à traiter les informations présentées de manière abstraite.
D’innombrables études ont démontré que le dégoût humain pour les chiffres amène les gens à prendre des décisions basées non pas sur les données qui leur sont présentées, mais sur la reconnaissance de modèles d’expériences passées non représentatives que nous appelons instinct ou intuition.
Il nous arrive d’imprégner le hasard et les probabilités d’une touche personnelle. C’est ce qui devient la chance. La chance, c’est quand le hasard a acquis d’une manière subite une valeur, positive ou négative, fortuite ou malheureuse. C’est ce que nous interprétons comme une bonne ou mauvaise chance. Certains d’entre nous investissent la chance comme une mécanique extrinsèque qui œuvre en arrière-fond de nos existences : le destin ou le karma.
Nos expériences l’emportent sur tout le reste, mais surtout, ces expériences sont biaisées. Elles nous apprennent comment interagir et évoluer dans le monde, mais elles nous l’enseignent mal. Il nous est si difficile de distinguer la chance de la compétence dans les décisions quotidiennes. Où se situe le curseur, notre curseur.
Reste à savoir comment non pas seulement survivre mais prospérer dans et avec l’incertitude. Comment vivre avec le fait, horrible et humiliant que, quelle que soit notre degré de maîtrise et de compétence, et autant que ce degré puisse gérer la part de hasard, il ne peut jamais suffire pour l’annuler entièrement. L’objectif premier n’est pas de se sentir affaibli devant ce gouffre d’impuissance mais de se tenir droit et préparé devant un portail de possibilités.
Au final, le hasard peut se révéler beau et bon, pour autant qu’on l’accepte et l’accueille.
Je ne sais pas. Il ne faut pas tout planifier, sinon on se coupe des plus belles histoires. Il faut toujours laisser une place au hasard. Je n’avais pas prévu de m’arrêter ici… On est heureux, non ?
Nadine Monfils, Le Souffleur de Nuages, 2020
3 petites astuces pour avoir plus de chance dans les jeux
1. Léger comme l’oiseau
Afin de tirer le meilleur parti des opportunités, nous devons apprendre à être détendus et ouverts pour les remarquer.
Pensez à l’expérience avec le journal. Si les personnes s’étaient un peu détendues elles auraient pu voir les deux éléments « cachés » dans le journal.
2. Agile comme le chat
Ne restez pas figés sur votre objectif unique. Vous aviez prévu cette stratégie ? Il vous fallait cette carte, ce lancer de dé, cette tuile, et vous ne les avez pas obtenues ? Pas grave. Pivotez !
Suivez une autre voie, celle qui s’offre désormais à vous et que vous n’aviez pas prévu auparavant. Comme dit le fameux dicton, la seule certitude est l’incertitude (un bon dicton en 2020…).
3. Ne pas ruminer comme la vache
« C’est vraiment trop injuste ! »
Si vous êtes nés dans les années 60 ou 70, cette célèbre phrase vous dit quelque chose. Oui, c’est Caliméro qui la répète sans cesse dans le dessin-animé italien de 1962.
Caliméro, c’est ce petit poussin noir qui porte sa coquille d’œuf sur la tête et son baluchon rouge sur l’épaule. « C’est vraiment trop injuste! », est sa réplique fétiche. Le « syndrome de Caliméro », pour autant que ce syndrome existe vraiment, désigne les éternels plaintifs qui passent leurs journées à voir tout en noir, à ruminer et à geindre. On les redoute, on les fuit. Dans les jeux, cessez de vous plaindre.
Plaindre. Plainte. Le mot vient du verbe latin plangere, qui veut dire « frapper ». Comme l’action de se frapper la poitrine pour signifier de sa douleur. Mini-contrariétés, gros soupirs. Vous aussi vous devez connaître ce genre de joueuses et de joueurs à la table, qui, une fois un « mauvais coup du sort » ne parvienne plus à se ressaisir et vous « pourrissent » la partie, la soirée, en ne cessant de se plaindre.
En poker, on parle de « partir en tilt« . Quand vous avez perdu une main, à la suite d’un bad beat, et que vous êtes tellement déçus et fâchés que vous n’arrivez plus à vous ressaissir et jouer dans le calme mental requis. On parle de tilt lorsqu’une personne ne peut plus maîtriser ses émotions et qu’elle prend des décisions qui vont à l’encontre du bon sens et du jeu.
Et en parlant de poker, de jeu de cartes, contrairement aux apparences, le poker est l’exemple-type d’un jeu qui ne se repose pas sur la chance. Les grands champions de poker, usuels, ont appris à composer avec l’aléa et à composer avec, à calculer les risques, les probabilités, à lire la communication non verbale des gens, et à reconnaître les bluffs…
Alors comment éviter dans un jeu de « partir en tilt », « en vrille », de ruminer et de se mettre une coquille d’œuf (en figuré, je vous rassure) sur la tête ? Pensez à :
- Respirez et essayez de vous détendre
- Levez-vous de la table et aller faire un tour : pipi, vaisselle, faites-vous un thé, un café, un tofu
- Relativisez le « mauvais coup du sort »
- Préparez-vous pour la suite du jeu. Parce que la partie continue
Conclusion : la prochaine fois que je joue à un jeu de société avec mon épouse, je me dirai que j’ai de la chance. Et « avec un peu de chance », justement, je trouverai moi aussi le billet par terre.
Et encore une chose
Si la chance est une compétence qui se maîtrise, c’est donc bien une compétence qui s’apprend et se développe. Alors, verra-t-on bientôt la chance comme discipline enseignée à l’école ? Entre maths, philosophie et sciences, la chance pourrait très bien trouver sa place dans les curicula.
Si, comme moi, vous avez des enfants, comment leur parlez-vous de la chance ? Comme un moteur fortuit, extrinsèque, ou comme des décisions personnelles, intrinsèques ? La chance, comme une compétence cruciale à acquérir et développer dès le plus jeune âge.
Puisque on en a parlé plus haut, le professeur Wiesmann dispose de sa propre chaîne YouTube, dans laquelle il propose divers expériences, toutes plus cocasses et surprenantes les unes que les autres. Elle est à découvrir ici.
Voici deux de ses vidéos :
Et vous, vous considérez-vous comme ayant de la chance, ou pas ?


2 Comments
Jean Michel Puget
Merci pour cet article qui, à la suite d’autres, met en exergue le rôle pro actif du joueur malgré une apparente chance ou malchance. En ce moment je joue pas mal à rallymanGT sur bga et gagne plus souvent quand je suis attentif et ne me laisse pas distraire par de bons ou mauvais lancer de dés. Dans ce jeu on décide de faire une grosse attaque au bon moment, quand l’on sait que, à de rares exceptions près, le résultat sera favorable avec moins, plus ou autant de warnings (les « mauvais » dés)
On peut ainsi se jouer du hasard.
Adrien
Félicitations pour ce très bel article qui met en lumière les mécanismes individuels à l’œuvre lorsqu’on parle de chance.
Pour poursuivre la réflexion sur l’éducation des enfants à la chance, je vous invite à vous intéresser à la notion de « promptitude à la chance » (dérivé d’une théorie de pryor & bright, des psychologues conseillers en orientation qui se sont intéressés à modéliser la théorie du chaos dans le développement de carrière) en gros, le développement de certaines compétences (de tête: l’audace, la persévérance, la curiosité, l’efficacité, je ne me souviens plus des autres, il y en a huit en tout ) on permet aux enfants (et aux moins jeunes) d’être plus réceptifs aux opportunités qui se présentent à eux et à les saisir.
C’est dans tous les cas intéressant lorsqu’il s’agit d’accompagner des personnes en transition professionnelle ou des personnes qui se considèrent malchanceuses.