
Enseigner grâce au jeu de rôle grandeur nature. Loufoque ou efficace?
Dans le cadre de mon cours de Terminale au lycée à Genève, je viens tout juste d’achever la semaine passée un jeu de rôle grandeur nature pour placer mes étudiant.e.s en situation
Quelle situation?
La classe était divisée en trois équipes: deux pays voisins et l’ONU en chien dans un jeu de quilles (comme dans la vraie vie, donc)
Leur but?
Parlementer pour se partager un territoire neutre et s’accorder pour déterminer une frontière, tout en s’attribuant certaines ressources présentes. Le tout sans passer par les armes
Sachant qu’avant de jouer, chaque lycéen.ne reçoit un rôle secret, avec des objectifs personnels à remplir
Le but de l’atelier? Mettre les élèves en situation pour les faire réaliser les tenants, aboutissants et argumentaires en géopolitique, le sujet du programme cantonal en Terminale à Genève
Une activité qui marche du tonnerre. Non seulement les étudiant.e.s s’impliquent, mais ils apprennent beaucoup grâce à elle. Dans « activité », il y a… activ
US
Je ne suis de loin pas le seul à tenter des approches pédagogiques différentes
Le cours d’histoire de 6e année d’un enseignant de Milwaukee est un jeu de rôle appelé Realm of Nobles , dans lequel les élèves ne se contentent pas d’apprendre l’Europe médiévale, ils la vivent
Ils se joignent à des guildes, obtiennent des succès, s’impliquent dans des métiers et mènent de temps en temps une bataille épique dans un royaume médiéval imaginaire
L’enseignant a mis cet atelier en place pour que la fusion entre histoire, fantaisie, narration et jeu de rôle incite les étudiant.e.s à apprendre. A mieux apprendre
Grâce à cette méthode narrative et immersive, les élèves se retrouvent plongés dans une histoire, dans l’Histoire. Et en tirent un apprentissage plus réaliste, avec une plus grande accroche émotionnelle, de quoi donner plus de sens aux cours
La montée de l’eduLARP
Le LARP, pour Live Action Role Playing Game, c’est le jeu de rôle grandeur nature comme on l’appelle de ce côté-ci de l’Atlantique. Cette activité, cette méthode n’est pas récente
Des modèles de Nations Unies, des reconstitutions historiques, des procès fictifs et d’autres types de simulations figurent dans la boîte à outils de l’enseignant depuis des décennies
Ce qui est toutefois nouveau aujourd’hui en 2019, c’est que la simulation se présente sous forme de jeu et selon les initiatives, peut durer pendant une période prolongée (pas mon cas)
Il faut avouer que le jeu de rôle Donjons et Dragons (DnD) et son regain récent en popularité y doit certainement pour quelque chose. DnD a mis au point et popularisé un éventail de codes, devenus désormais des éléments essentiels du jeu vidéo, tels que les points d’expérience (XP), les niveaux, le butin, les classes de personnages et les combats (OK, même si ce dernier aspect est nettement moins utilisé dans l’enseignement)
Et à quand remonte les premiers LARP / GN?
Au milieu des années 70, de nombreux fans de DnD ont revêtu un costume pour jouer « en vrai » des aventures imaginées. Perso, j’ai réalisé mon tout premier événement en septembre 1989. Je vais « fêter » mes 30 ans de GN cette année…
Depuis les années 70, le LARP, ou le GN en français, s’est bien démocratisé pour s’immiscer un peu plus dans la culture pop. La grande mode des Escape Games en est peut-être une déclinaison actuelle
Si la mode du GN s’est d’abord construite aux US, elle s’est ensuite répandue un peu partout et surtout en Scandinavie
Cette popularité des GN en Scandinavie a incité deux éducateurs danois à ouvrir l’ école Østerskov qui enseigne au moyen d’edularps
Une école qui enseigne avec le GN. Oui
Aujourd’hui, on trouve des edularps dans des écoles en Suède, en Finlande et au Danemark, et même certaines écoles américaines ont suivi le mouvement
Il faut dire que l’éducation de la Révolution Industrielle est passée et dépassée, il faut chercher aujourd’hui à innover
Les edularps ne sont pas seulement une méthode fun d’apprentissage, mais également un moyen plus efficace. L’idée ici n’est pas tant de travailler sur les connaissances uniquement, mais sur l’immersion pour amener à la compréhension
En 2016, il y a même eu une étude sur le GN utilisé en école, avec une conclusion qui démontre que le GN déploie «une plus grande motivation, un plus grand engagement, une interaction avec des pairs, une collaboration et une compréhension du contenu»
Fun VS Effort
Edularps et d’autres variantes de classe utilisant les jeux, tels que les jeux ou les classes gamifiées, se répandent, avec parfois non pas de sombres histoires de sorciers ou de magiciens, mais des gestions de crises politiques, historiques ou environnementales. De quoi prendre ces méthodes plus au sérieux
On parle de serious game dans le jeu vidéo, quand le jeu vidéo est utilisé à des fins d’apprentissage, de compréhension, didactique et pédagogique. Ici, le LARP devient lui aussi « du sérieux », de quoi être utilisé en éducation
Avec tout ce qui rend le jeu captivant, le fait d’obtenir un feedback plus ou moins rapide et direct de ses actions. Et non pas lors du contrôle dans deux mois. Feed-back et liberté
En effet, dans ces edularps, la liberté est un concept fondateur. Ce qui génère une certaine forme d’appropriation de la part des étudiant.e.s. Au contraire parfois de cours administrés par les enseignant.e.s. L’élève peut choisir, ce qui le responsabilise et le fait passer d’élève consommateur passif à élève acteur actif
Dérives
Mais attention aux dérives
C’est le cas par exemple de Classcraft, un peu, AMHA, du grand n’importe quoi
Classcraft va bien au-delà de l’éducation pour proposer une gamification étendue. Nous vous en parlions déjà en détail ici

Un enseignant canadien de physique a mis en place tout un système de l’enseignement
En gros, pour chaque activité et attitude des élèves, ceux-ci reçoivent, ou perdent des points d’expérience, de pouvoir et de vie
Si les gamers élèves perdent tous leurs points de vie, ils peuvent même « mourir », i.e. qu’ils leur arrivent des « bricoles » : retenues, moins de temps à disposition pour faire des exercices, etc
Le tout est extrêmement riche, et complexe, avec également un système de pouvoirs, de personnages, de niveau, et même des événements aléatoires plus ou moins chaotiques / fun
Même la BBC en a parlé, le Courrier International ainsi que la Tribune, le journal québécois
Depuis, ce système Classcraft se vend comme une app pour permettre aux enseignant.e.s de se lancer aussi dans la brèche et gérer leur classe avec cet « outil »
Mais là, ça devient trop
Le métier d’élève, car oui, c’est aussi un métier, peut très bien se passer de tous ces artifices gamifiés qui peuvent nuire à l’apprentissage
Et encore une fois, à force de stimulations, on nuit à la motivation. Motiver en récompensant, une (fausse) bonne idée?
VR et RA sont dans un bateau

Aujourd’hui, en plein balbutiements de la VR (réalité virtuelle) et de la RA (réalité « augmentée ») dans l’éducation, on peut se demander si au fond, toute cette tech n’était pas là aussi pour aider nos élèves à s’immerger dans le savoir, plutôt qu’à juste en faire un apprentissage passif et obsolète
La VR, surtout, peut permettre aux élèves de découvrir des situations via un dispositif numérique immersif
Et si le jeu de rôle Grandeur Nature n’était pas le précurseur de la VR? Avec une implication physique complète, et pas juste limitée à la vision?
Sur ce sujet, à écouter, une explication de la VR et de la RA utilisées en classe dans le podcast The 10 Minute Teacher Podcast:
Pour prolonger
Si vous êtes professeur.e de langue et que vous voulez aussi faire du GN en cours pour favoriser l’apprentissage de l’anglais, voici toute une ribambelle de scénarios de GN en anglais, pour 1 à 40+ participants
Pratique
Et aussi, à écouter de toute urgence, ce débat organisé par The Guardian, sur l’éducation en 2019, et après aussi, sorti il y a quelques jours
Le GN en éducation, une initiative loufoque ou efficace selon vous?


3 Comments
Dorian
Bonjour !
Un peu (beaucoup) en retard, excellent article qui invite à regarder plein d’autres articles pour approfondir le sujet.
Une question me taraude depuis quelques un ou deux jours : comment les élèves ont-ils perçu l’exercice de géo ? Je suis très curieux de la réaction des élèves à l’annonce de l’exercice, pendant et après, pourriez-vous en dire un mot ?
Merci beaucoup, et toujours un grand plaisir de voir de nouveaux articles ici ! 🙂
Gus
Bonjour Dorian
Merci pour votre commentaire
Pour répondre à vos questions:
« comment les élèves ont-ils perçu l’exercice de géo ? » Très bien. Mais sans rien vous cacher, ils.elles étaient surpris.e.s au départ
« la réaction des élèves à l’annonce de l’exercice, pendant et après ». Comme souvent, certain.e.s étaient plus investi.e.s que d’autres. Mais l’investissement était quand même très élevé et positif. Je leur ai fait tourner un questionnaire d’évaluation sur le fond et la forme du cours, un bilan très positif. Ils.elles ont beaucoup apprécié l’immersion, l’aspect actif et participatif du cours
L’avantage, c’est que lancé en début de séquence sur la géopolitique mondiale (cours de géo de Terminale Lycée), ce GN nous a permis d’ancrer certains enjeux et débats réels
Avez-vous d’autres questions Dorian?
Gus
Dorian
Bonjour,
Merci bien ! A peu près ce à quoi on pouvait s’attendre donc. Ils doivent être contents d’avoir un professeur qui bouge et s’intéresse à leur avis.
Je me demande si la réaction a été à peu près la même du côté des collègues et supérieurs ?
Un sujet très intéressant qui mérite grandement d’être creusé, notamment sur sa viabilité dans d’autres matières (les mathématiques…?).
Au plaisir, et merci encore pour les réponses.
Dorian