Critiques de jeux,  Jeux de plateau

🌊Les Basses Terres. Un Agricola-Killer?

Un récit tumultueux et vibrant aux mécaniques classiques qui parvient à l’impossible: passionner 

  • Date de sortie : printemps 2018 pour la VO et la VF pratiquement en même temps
  • Auteurs : Après le couple d’auteurs Brand, Markus and Inka, voici le couple Partenheimer, Ralf et Claudia, dont c’est le tout premier jeu. Et quel jeu?!
  • Illustrateurs : Andrea Boekhoff, Martin Kleinke
  • Editeurs : Feuerland pour la version originale en allemand, Z-Man (donc Asmodée) pour la VF
  • Nombre de joueurs : 2-4 (optimum 3-4)
  • Age conseillé : dès 12 ans (c’est optimiste. Vu la complexité du jeu, disons en tout cas 14)
  • Durée : 1-2h
  • Thème : rural, pastoral, mer
  • Mécaniques principales : placement d’ouvriers

Les Basses Terres, de quoi ça parle?

De la Mer du Nord et de ses verts pâturages

Et qui dit Mer du Nord, dit mer capricieuse et parfois violente

Dans les Basses Terres, tout est dans le titre, il va falloir gérer et anticiper les ravages de la mer en construisant des digues pour éviter l’inondation

A coup de moutons, d’enclos et de bâtiments ruraux, Les Basses Terres n’a rien d’un thème sexy. Si les mécaniques sont à peine cohérentes mais vraiment à peine, le jeu parvient toutefois à cristalliser la menace constante, grandissante et grondante de la mer qui pèse sur les habitants des rivages

Et comment on joue?

C’est du pur placement d’ouvriers. A son tour, on place l’un de ses trois fermiers sur l’une des cinq actions possibles:

Piocher des cartes « ressources »

Construire des bâtiments avec les cartes « ressources » correspondantes

Construire une digue pour lutter contre l’invasion de la mer

Construire et/ou déplacer ses enclos sur son plateau perso

Acheter/vendre du moutmout au/du marché commun selon le prix actuel, qui varie tout au long de la partie en fonction de la résistance slash hauteur des digues. Plus les digues sont efficaces, i.e. plus hautes que les jetons « vagues », plus le moutmout vaut cher, et vice versa

Voilà, c’est tout

Peu d’actions disponibles qui finissent par se répéter

Sachant que chacun de ses fermier indique une valeur. Et selon le fermier joué, sa valeur, on peut effectuer un nombre d’actions correspondantes. Et que les bâtiments, pour être construits, en plus de nécessiter un nombre précis de ressources, demandent une valeur précise de fermier

Les Basses Terres n’est pas à mettre entre toutes les mains. Riche, complexe, les règles sont touffues et bourrées de subtilités: tu peux faire ça mais comme ça et pas comme ça… Les Basses Terres est clairement un jeu pour joueurs et joueuses chevronnées, exigeantes, prêtes à s’investir dans un gros jeu de gestion d’une durée solide de 90-120′

Et c’est tout?

Non

Tout le sel du jeu vient de la menace de la mer (mer, sel. OK je sors)

Selon les tours, on révèle une carte « inondation ». Qui va rajouter un nombre correspondant de jeton « vague ». Ces jetons vont peu à peu se stacker sur le plateau. Et si aucune digue n’est construite pour équilibrer / dépasser les vagues, le ou la joueuse la plus éloignée sur la piste des digues va se manger des jetons « inondation »

En toute fin de partie, et pas avant, pour chaque jeton « inondation » possédé, un mouton est défaussé. Pour autant que l’inondation n’a pas été vaincue

Dans le cas, heureux, inverse, ces jetons « inondation » n’ont aucun effet. Ouf

Cette menace rajoute vraiment le piquant du jeu, un peu comme la nourriture à fournir aux ouvriers dans Agricola et Le Havre (le meilleur Rosenberg de tous les temps)

Mais mais mais, ça ne ressemblerait pas comme à Agricola, tout ça?

Oui

A la lecture de cette critique vous l’aurez certainement compris. La ressemblance avec Agricola est gênante, vraiment gênante: il y a des fermiers. Il y a un plateau perso qui ressemble à s’y méprendre à celui d’Agricola. Il y a des prés. Il y a des enclos. Il y a du moutmout

Un « pâle » copié-collé? Encore un énième clone d’un jeu d’Uwe Rosenberg, le papa des jeux de gestion ruraux (Terre d’Arles, Nusfjord, Loyang…)??? Mais que fait la police

En réalité, c’est Uwe lui-même qui a piloté, développé, aidé, épaulé le couple d’auteurs à créer leur jeu

Il est devenu tellement une icône du jeu de gestion qu’il possède désormais son propre sceau

Classe

Donc oui, ça ressemble à Agricola, et pour cause, mais le ressenti et le jeu est bien différent. C’est comme de dire que Paper Tales est comme 7 Wonders. Oui mais non

Et comment on gagne?

Quand toutes les manches sont jouées, indiquées par une échelle graduée pour représenter la hauteur et la menace de la mer, on termine sur une dernière phase de résolution de l’inondation. Oui/non, on est protégé ou pas?

Puis s’enchaîne un décompte final. Qui donne mal à la tête, en pur mode « salade de points de victoire », avec des points un peu partout qui permettent de ratisser large et de ne jamais se sentir largué·e·s pendant la partie:

PV pour sa thune

PV pour ses moutons

PV pour son avancée sur la piste des digues

PV pour ses bâtiments

PV pour ses cartes « ressource » encore en main (2 pour 1)

Cette salade de points de victoire finit par noyer le poisson (mer, poisson. OK je ressors). Il sera très difficile, voire impossible, de garder un œil sur les scores de tout un chacun. Qui est en tête? A la ramasse?

Comme dans certains jeux, l’absence d’échelle de score permet un flou artistique, un « brouillard de guerre » qui demande une réflexion aiguisée et des choix cruciaux. Faire au mieux

Il y a du hasard?

Oui, mais très peu

On ne sait pas quelle vague va déferler sur le jeu, mais on peut s’y préparer car sur le verso il y a toujours une fourchette indiquée

Les cartes « ressources » et les bâtiments défilent de la pioche en mode « Ticket to Ride », mais ça ne change rien puisque tout est visible

Donc au final, non, très peu de hasard, un minimum pour épicer la partie, pas suffisamment pour générer un chaos, de la tactique ou de l’opportunisme nauséabond

Interaction?

Moyenne-forte

Moyenne, parce qu’on ne peut pas s’en prendre à l’exploitation des autres en leur envoyant des attaques de requin dans les dents

Mais forte, parce que la piste des digues constitue une véritable course, ne pas être à la traîne pour ne pas morfler en cas de crue. Et également, avec la mini-mécanique d’aide lors de la construction des digues

Puisque les joueurs et joueuses jouent dans leur coin à poser leurs fermiers sur leur exploitation à faire leur petite cuisine, on pourrait presque penser que Les Basses Terres est un pur jeu « vaisselle », i.e. entre deux tours on peut très bien aller faire… la vaisselle. Mais ça serait une grossière erreur de quitter la table, on passerait à côté de précieuses informations: qui fait quoi, et pourquoi. Et qui prend quelle ressource, une info importante lors de l’aide des digues

Et l’aspect de construction presque coopératif de digues est très malin. On se croirait dans Kingsburg (voir plus dans les reco)

A combien y jouer?

A 2, le jeu est évidemment moins interactif puisqu’au lieu de demander à l’autre de l’aide pour construire une digue, on peut s’adresser au marché, avec un petit côté hasardeux puisqu’on tire des cartes « ressources » de la pioche. Bof bof. Sympa, sans plus

C’est vraiment à 3-4 que le ressenti du jeu est optimal. Constatation récurrente, les jeux 2-4 tournent moins bien à 2, voire même à 3. Le top est toujours à 4. Mais dans Les Basses Terres, étant donné qu’il n’y a pas de piste de score visible, et qu’on n’est jamais à l’abri d’une grosse surprise lors du scoring final, il paraît complexe et parfois erroné de faire du « tir au pigeon* », le gros travers de jouer à 3. Pas du tout le cas dans Les Basses Terres

Même si le ou la joueuse en avance sur la piste des digues représente « l’ennemi à abattre », en tout cas à dépasser, cette avance ne correspond pas avec certitude d’un garant de victoire. On peut très bien avec une avance de ouf sur la piste et être à la ramasse avec les moutmout. Et tout dépend de l’échelle graduée de décompte final

(*le tir au pigeon, c’est quand on « tape » ou qu’on s’en prend directement et fréquemment à un ou une joueuse en tête pour ne pas lui laisser de l’avance)

Alors, Les Basses Terres, c’est bien? Critique

Oui, vraiment

Un thème pas forcément sexy, on est dans du pur Rosenberg (mais pas créé par Rosenberg) rural et pastoral

Des visuels plats et peu inspirants. Surtout les cartes « ressources », entre clipart et proto miteux

Des parties qui peuvent parfois devenir répétitives: je chope des ressources, je construis des enclos et des bâtiments. Voilà

Des règles touffues et bourrées de petites subtilités

Mais malgré tous ces points plutôt négatifs, Les Basses Terres parvient à surprendre, à passionner, même. La crue qui avance, inexorablement, avec la course, ou pas, c’est selon, de construire des digues, vite, pour protéger ses pâturages

Plus on construit de bâtiments et plus les possibilités s’élargissent et se « combottent ». Sachant que ces bâtiments vont peu à peu orienter sa stratégie. Plutôt moutmout? Plutôt digues? Plutôt versatile?

Point extrêmement positif, selon la config de l’avancement de la mer, aucune partie des Basses Terres ne se ressemblera

On pourrait avoir l’impression que le jeu est répétitif, morne, ressources, construction, mais tout dépend de l’avancée inexorable de la mer et sa réaction plus ou moins marquée

Alors, Les Basses Terres, c’est mieux que tous les jeux d’Uwe Rosenberg (Agricola, Le Havre, Nusfjord, Ora et Labora)?

Comme dans la très, très grosse majorité des jeux de Rosenberg, on a également affaire ici à du placement d’ouvriers de fermiers en milieu rural

C’est mieux que? Moins bien que?

C’est exactement pareil tout en étant suffisamment différent

Réponse facile qui ne se mouille pas trop me direz-vous, et pourtant, c’est clairement le cas

Pour peu qu’on soit un·e grand·e connaisseur·se des jeux du talentueux (mais un brin répétitif) Rosenberg, on se retrouvera dans le gameplay à la recette efficace qui marche, classique, avec toutefois des subtilités et des enjeux qui parviennent à détonner et passionner

Score:

Anticipation: 2/5: Encore un autre jeu « rosenbergien »? Avec des moutons, des enclos, des ouvriers à placer? On ne commencerait pas à en avoir fait le tour?

Pendant la partie: 5/5. Fluide, tendu, riche, stratégique. Tumultueux et vibrant

Après la partie: 5/5. On en refait une? Oui! A fond. Pour essayer d’autres stratégies, et pour voir comment la partie se profilera

Score: 4.5/5. OK, c’est un peu facile de mettre un 4.5 sur 5. Le jeu mériterait un 5/5 pour sa fluidité, pour ses mécaniques, pour sa tension, pour son interaction. Mais. Mais selon les parties et la configuration des inondations, la partie peut paraître répétitive. Et l’esthétique du jeu est… comment dire… moche. Mais releverons la barre. Disons 5/5, et on reste ami

Des reco?

Le TOP 3 des jeux « ruraux » de Rosenberg:

Le Havre. Un must (et son portage numérique sur iOS est juste parfaite!)

Et qui mériterait amplement une réédition VF

Agricola, bien sûr, encore et toujours, indécrottable

Terres d’Arle, à deux uniquement. Puissant. Mais comme Le Havre, épuisé en français. Parce que RIP Filo. Sic. Merci Asmodée… 😡

Kingsburg. Un jeu qui n’a strictement rien à voir. Voir si, complètement

Comme dans Les Basses Terres, il y a aussi une menace qui plane et dont il va falloir plus ou moins se prémunir

Et encore une dernière chose

Vous pouvez consulter les règles des Basses Terres ici, en anglais

Vous pouvez trouver Les Basses Terres chez Philibert ici

Chez Jeu du Bazar

Et si vous habitez en Suisse, chez Helvétia Games Shop

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