
L’étonnant retour en grâce des échecs
Avec l’excellente série Netflix The Queen’s Gambit, les échecs sont redevenus tendance !
Dire en début 2020 qu’on aimait jouer aux échecs, c’était un peu, soyons honnêtes, ringard. Dire en fin 2020 qu’on aime jouer aux échecs, c’est tendance !
Peut-être pour la toute première fois de leur histoire, les jeux d’échecs s’arrachent sur Internet. Il faut avouer que le succès critique et mérité de l’excellente série Netflix The Queen’s Gambit y est pour quelque chose. Tout le monde se passionne pour Elizabeth Harmon, héroïne glamour et sixties la minisérie qui fait un carton depuis sa mise en ligne, le 23 octobre dernier. The Queen’s Gambit est devenu le succès le plus rapide de Netflix avec plus de 70 millions de personnes qui ont vu la mini-série depuis sa sortie fin octobre.
Cassons tout de suite le mythe: Beth Harmon n’a jamais existé, si ce n’est dans un roman de l’Américain Walter Tevis sorti en 1983. Dommage, on aurait bien voulu croire à cette ascension improbable !
Mais l’aspect le plus inattendu de ce succès foudroyant tient peut-être au fait d’avoir captivé un large public par le biais du jeu d’échecs et de ses compétitions. Au-delà du suspense, d’un personnage fascinant et d’une reconstitution historique minutieuse, cette série a su capturer le plaisir, l’intérêt et la stratégie du jeu. Elle a su raviver l’intérêt pour cet ancien jeu de société traditionnel. La minisérie de Netflix a battu tous les records en donnant un nouveau coup de projecteur sur le jeu des échecs.
Même l’auteur de Game of Thrones George RR Martin s’est fendu d’un article il y a deux jours sur son blog pour partager sa ferveur pour les échecs et la série (certaines mauvaises langues diraient qu’il devrait plutôt finir son roman au lieu de mater Netflix, mais bon).
« Cela [la série] m’a également beaucoup interpellé. Je connais ce monde. Les échecs étaient une grande partie de ma vie au lycée, à l’université, et surtout dans les années après l’université, au début des années 70. The Queen’s Gambit m’a tout ramené de façon vivante. »
La série The Queen’s Gambit, avec une prodige féminine des échecs fictive, vénère mais charmante, raconte la success story fulgurante d’une jeune orpheline dans l’Amérique des années 60, qui se découvre un talent incroyable pour le jeu d’échecs.
Issue du roman « The Queens Gambit », signé en 1983 par Walter Tevis, l’histoire s’inspire du parcours de divers surdoués des échecs, dont un certain Bobby Fischer. Or, la protagoniste du livre, elle, est une femme ! D’ailleurs, hormis son intelligence et son audace, Beth Harmon subjugue également pour cette raison : car oui, le jeu d’échecs est considéré, encore aujourd’hui, comme un sport jeu sport masculin. Nous y reviendrons plus bas.
« Petit » historique des échecs
Quand est-ce que les échecs ont-ils été inventés ?
Les premières versions du jeu, qui sont devenues des échecs, sont apparues au 6ème siècle en Inde. Un jeu appelé chaturanga a été joué sur un échiquier de huit par huit. Les pièces représentaient différentes branches de l’armée impériale et chacune se déplaçait de manière différente comme dans les échecs modernes. Les visiteurs persans en Inde ont emporté leurs observations chez eux.
Reconnaissant la valeur militaire et stratégique du jeu, il est devenu un passe-temps de la noblesse sassanide. Les Sassanides était une dynastie perse ayant régné sur le monde iranien de 224 jusqu’à la Conquête arabo-musulmane, en 651.
Appelé chatrang, le jeu a continué à être joué après la chute de l’empire sassanide. Sous la domination arabe dans le nouvel Iran islamique, le jeu est devenu connu sous le nom de shatranj. Ce Shatranj apparaît dans les manuscrits historiques persans du 11ème siècle. De nombreuses pièces d’échecs d’Iran et du monde islamique médiéval ont survécu. Ces pièces ont été sculptées de manière plus abstraite que leurs prédécesseurs indiens, car l’Islam interdit la représentation de l’homme dans l’art.
Alors que les échecs s’étaient répandus vers l’ouest de l’Inde à la Perse, ils se sont également répandus vers l’est en Chine, au Japon et dans d’autres pays asiatiques. Des variations d’échecs telles que le xiangqi en Chine et le makruk en Thaïlande se sont développés avec leurs propres règles uniques, souvent fusionnant ou s’inspirant de jeux locaux existants.
Les premiers échecs de l’Inde se sont également étendus du nord à la Russie moderne, probablement par le biais des premiers commerçants médiévaux. Les échecs sont probablement arrivés au début de l’Europe médiévale grâce aux interactions avec les terres islamiques à l’est, ainsi qu’à l’influence de la conquête islamique omeyyade de l’Espagne et du Portugal.
La légende raconte que le roi Charlemagne a reçu un jeu d’échecs par le calife Harun al-Rashid, le calife abbasside du huitième siècle. Bien que cette histoire n’ait pas été entièrement prouvée, les échecs se sont répandus en Europe de manière assez rapide et ont été adoptés par les classes supérieures et savantes. Ces personnes pouvaient se permettre les somptueuses pièces d’ivoire sculptées et les échiquiers incrustés de divers pierres précieuses qui ont commencé à être produits par des artisans.
Certaines des premières pièces connues pour avoir été produites en Europe, plutôt qu’importées, sont les Lewis Chessmen. En 1831, un fermier de l’île écossaise de Lewis découvrit un jeu médiéval de 78 pièces d’échecs. Les experts pensent que ces pièces ont été fabriquées en Norvège, qui contrôlait à l’époque les îles du nord de l’Écosse.
En Europe, le jeu d’échecs est devenu alors populaire. Au 12ème siècle, les pièces avaient commencé à prendre leurs formes modernes standard. Ce qui était autrefois un ministre est devenu la reine, tandis que les éléphants de guerre avaient moins d’importance dans l’Europe médiévale qu’en Inde. Oui, déjà à l’époque, on en trouvait moins, d’éléphants. Au lieu de cela, les fous ont pris leur place.

Les règles évoluent également. Vers 1500, le rôle de la reine et des fous change et les rend plus puissants. Connu sous le nom d’alla rabiosa en italien (avec la folle, ou reine), ce nouveau style d’échecs a changé les stratégies pour gagner. C’est aujourd’hui considéré comme la naissance des échecs modernes.
Absente du jeu à ses origines, dernière venue sur l’échiquier, la reine n’y jouait au début qu’un rôle limité. Une atmosphère sociétale alors (encore aujourd’hui ?) défavorable aux femmes interdit longtemps de lui conférer une place importante sur les soixante-quatre cases. Avant d’être modernisées, les règles des échecs ne donnaient à la reine qu’un déplacement en diagonale. À la fin du XVe siècle, donc, son mouvement s’est amplifié puisqu’elle peut désormais franchir plusieurs cases à la fois, en lignes obliques ou orthogonales.
Cette modification débutant en Italie et en Espagne. Il est tentant d’y voir la marque d’Isabelle la Catholique, supposée bonne joueuse d’échecs. Isabelle Ire de Castille dite Isabelle la Catholique, née le 22 avril 1451 à Madrigal de las Altas Torres et morte le 26 novembre 1504 à Medina del Campo. Elle est la reine de Castille, d’Aragon, de Majorque, de Sardaigne, de Sicile, de Naples, de… Cette modification de la reine, la pièce aux échecs, pas la figure historique, s’explique par la volonté de « dynamiser » un jeu qui semblait frappé de longueur en raison d’une première phase lente et ennuyeuse.
Désormais, avec une reine mobile, donc omniprésente, les parties ne pouvaient que gagner en intensité. Cette nouvelle règle, que les Italiens qualifièrent d’ « alla rabiosa » et que les Français dénommèrent le « jeu de la dame enragée » (LOL), ne s’est pas imposée dans le royaume avant 1540. Le De ludo scacchorum de l’Italien Vida, poème dont les versions diverses furent composées entre 1507 et 1527, constitue la première œuvre littéraire à faire état du nouveau rôle imparti à la reine. À ces dates, la « dame enragée » n’est encore que très peu française.
Les échecs modernes ont continué à être affinés tout au long du début de la période moderne. Les manuels et études de stratégie abondent tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, d’autant plus que le jeu se standardise davantage. Au milieu du 19e siècle, certains des premiers tournois d’échecs qui pouvaient durer des plombes ont démontré les besoins de limiter le temps de jeu. Limites de temps qui ont été établies par la suite.
En 1886, les premiers championnats du monde d’échecs officiels ont eu lieu. Des prodiges comme Paul Morphy pourraient réussir à un jeune âge, tout comme l’héroïne, fictive, de la série The Queen’s Gambit.
Et au fait, pourquoi Queen’s Gambit ?
Dans « gambit », il y a gambettes. Le mot vient en effet de l’italien « gamba« , jambe, et gambetto signifiant « croc-en-jambe », ou croche-pied. Ce qui signifie : manière de faire tomber quelqu’un en accrochant sa jambe à l’aide du pied.
Et non, même si un épisode de la série l’affirme, il ne suffit pas de pousser la reine pour se retrouver dans l’ouverture dite du gambit de la reine. Un gambit suppose le sacrifice d’un pion lors des premiers coups d’une partie, en espérant décrocher un avantage stratégique au détriment des pièces.
Les femmes et les échecs compétitifs
Le 20e siècle a vu une normalisation et une popularisation du jeu, avec la création de la Fédération mondiale des échecs en 1924. Les femmes ont obtenu leur propre tournoi de championnat trois ans plus tard en 1927. Mais le monde des principaux tournois d’échecs était, est (?) en grande partie une scène masculine. La série Netflix est plutôt cohérente à ce sujet.
Alors que les hommes dominaient la scène des échecs dans le monde entier, après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques ont dominé les championnats du monde d’échecs. Leur série de victoires a été interrompue par l’Américain Bobby Fischer, dont le succès de la guerre froide contre l’URSS a déclenché aux États-Unis une véritable frénésie pour les échecs. Si ce jeu pouvait battre les soviets, alors banco ! (expression de 1987).
Dans la série, et dans la vraie vie, les femmes sont malmenées tout le temps aux échecs. L’héroïne Beth affronte à la fois le sexisme et la surprise d’être une joueuse d’échecs. Le premier titre de grand maître d’échecs attribué à une femme remonte à 1978, à la joueuse géorgienne et championne du monde d’échecs féminine Nona Gaprindashvili. En 1998, Judit Polgár est devenue grand maître à 15 ans. Elle a été la première femme à prendre la tête d’un US Open, à égalité pour la victoire. Le record de la plus jeune grand-maître féminine à ce jour est détenu par Hou Yifan, qui a remporté le titre à 14 ans. Le prodige chinois n’a aujourd’hui que 26 ans et elle est la joueuse la mieux classée au monde. Elle n’est que la troisième femme à être classée parmi les 100 meilleures joueuses du monde, reflétant un milieu plutôt… hostile, et c’est un euphémisme, aux femmes aux échecs.
Si le titre français de la série, « Le jeu de la dame », ne cite pas l’une des ouvertures du jeu parmi les plus complexes (le gambit de la dame), il revendique son personnage féminin, atypique dans le monde des échecs de haut niveau. Dépeindre l’accession d’une femme au sommet de la compétition dans les années 1960 ne va pas de soi. Même si la fictive Elizabeth Harmon a été précédée par des joueuses de premier plan, comme la Géorgienne Nona Gaprindashvili, née en 1941, ou plus anciennement encore Vera Menchik (1906-1944), première championne du monde féminine des échecs en 1927. La Hongroise Judit Polgar, née en 1976, battait en 1991 le record de précocité de Bobby Fischer en décrochant le titre de grand maître international à moins de 15 ans et 5 mois.
Il faut avouer que les champions du monde des échecs ont rarement été de grands… féministes. En 1963, Bobby Fisher, Champion des États-Unis à quatorze ans en janvier 1958, puis champion du monde en 1972, déclarait à la télévision canadienne : « [Les femmes] sont de très mauvaises joueuses, je pense qu’elles ne sont juste pas très intelligentes, elles ne devraient pas se mêler d’affaires intellectuelles et rester à la maison. » Merci Bobby, tu peux aller jouer maintenant.
En 1989, le champion du monde Garry Kasparov en rajoutait une couche: « Une femme est sans défense devant une opposition masculine. (…) Les femmes sont des combattantes plus faibles. » Le même Kasparov, consultant pour la série Netflix, en riait il y a un mois sur CNN.
Il fut le premier champion du monde à avoir été battu en compétition par une femme, Judit Polgar, lors d’un tournoi en 2002. Bim.
Les femmes sont-elles plus nulles aux échecs que les hommes ?
Peut-on vraiment croire que les femmes sont moins douées, moins fortes, moins capables de jouer aux échecs que les hommes ? Oui tout à fait Thierry. Les faits semblent incontestables ! Il n’y a jamais eu de championne du monde féminine. La meilleure joueuse a toujours été classée d’un rang moins élevée que le meilleur joueur masculin. Elle perdrait peut-être contre lui dans une partie. Et sur les 100 meilleurs joueurs mondiaux, une seule est une femme, le grand maître chinois Hou Yifan. Et bim. CQFD. Les femmes sont vraiment plus nulles aux échecs que les hommes. C’est prouvé.
Minute, papillon.
Le fait que les meilleurs joueurs masculins soient mieux classés de manière systématique que les meilleures joueuses féminines n’a peut-être rien à voir avec le talent, et tout à voir avec les statistiques et les facteurs externes.
Commençons par les statistiques. Une étude menée en 2008 par le psychologue Merim Bilalić souligne le défaut logique de citer les différences dans les meilleurs classements comme preuve de différences inhérentes. Si un groupe, les joueuses d’échecs ici, est beaucoup plus petit qu’un autre, les joueurs d’échecs masculins, alors juste par hasard, un s’attendrait à ce que le meilleur membre du plus grand groupe surclasse le meilleur membre du plus petit groupe.
Imaginez que vous rassemblez 12 personnes et donnez au hasard à 10 d’entre elles un chapeau bleu et deux un chapeau vert. Vous attribuez ensuite à chaque personne un nombre aléatoire entre 1 et 100. Vous déclarez que le score de l’équipe bleue est le plus grand nombre détenu par une personne avec un chapeau bleu et que le score de l’équipe verte est le plus grand nombre détenu par un personne avec un chapeau vert. Il s’avère que l’équipe bleue obtiendra, en moyenne, un score nettement plus élevé, de 91,4, que l’équipe verte, de 67,2.
Alors non, ce n’est pas à cause de différences inhérentes entre les membres de l’équipe Bleue et Verte, qui, rappelez-vous, ont reçu des chapeaux au hasard. L’équipe bleue, qui compte 10 membres, a simplement plus de pioche avec la possibilité d’un score élevé que l’équipe verte, qui n’en a que deux.
La même logique s’applique aux échecs. Par exemple, sur la liste de classement FIDE de la Fédération Internationale des Échecs, parmi les joueurs qui avaient joué en 2019, seuls 10,1% étaient des femmes. Aux États-Unis, ce nombre était de 8,2%. L’écart de participation masculin-féminin peut à lui seul expliquer la différence de classement entre le meilleur joueur masculin et le meilleur joueur féminin. Comme il y a plus d’hommes qui jouent aux échecs que de femmes, il y a aussi plus de probabilité qu’elles soient moins présentes en tête de liste. Cela n’a rien à avoir avec les capacités des femmes à jouer, et à exceller aux échecs.
Il est également probable que les meilleures joueuses d’échecs soient confrontées à un environnement hostile, ce qui les conduit à abandonner plus souvent. Les psychologues sociaux, dont Madeline Heilman, ont montré que les femmes qui réussissent dans des rôles plutôt dits masculins sont souvent… mal considérées et détestées.
Tous ces facteurs sont externes et n’ont rien à voir avec l’intelligence ou les compétences des femmes aux échecs. Pareil pour les maths, par ailleurs. On dit souvent, à tort, que les garçons ont plus la « bosse des maths » que les filles. C’est faux ! C’est à force de le croire et de le dire que les différences entre les sexes dans les performances et activités intellectuelles peuvent être véhiculées par des croyances sociétales.
Au final, ce paradigme bidon repose sur un cercle vicieux : les hommes croient que les femmes et les filles ne sont pas brillantes et donc mauvaises aux échecs. Les attitudes toxiques qui en résultent chassent les femmes de cette activité. ‘écart de participation augmente. L’écart au plus haut niveau augmente et les hommes aux prises avec des problèmes statistiques croient d’autant plus que les femmes sont mauvaises aux échecs. CQFD.
Ce cercle vicieux est difficile à briser. Et c’est peut-être cela qui explique, en partie, le succès indéniable de la série Netflix. Soudain, les femmes sont montrées comme pouvant elle aussi réussir dans une activité pourtant considérée, à tort, comme masculine. Empowerment.
Les échecs en 2020
Depuis que Beth Harmon, la fascinante héroïne de la série a pris d’assaut Netflix, et le reste du monde, les échecs connaissent un déferlement de nouveaux adeptes. Selon le journal britannique « The lndependent« , les recherches d’échiquiers ont augmenté de 273% sur le site eBay, soit une recherche toutes les six secondes, juste après la diffusion de la série.
Les plateformes d’échecs en ligne semblent avoir été les grandes gagnantes de l’engouement pour Elizabeth Harmon, même s’il n’est pas facile de distinguer entre l’effet Netflix et les 98 confinements (vivement le 99e). Si vous voulez vous frotter aux fameuses 64 cases par voie numérique, parce que c’est quand même plus agréable sans masque, nous pouvons vous conseiller les plateformes lichess.org et chess.com. Et cerise sur le gâteau numérique, la dernière vous propose même de jouer contre une Beth Harmon virtuelle en choisissant son âge, et donc sa force: 8, 15, 17 ou 20 ans.
Comment tout déchirer aux échecs
La première chose à dire sur les échecs, c’est que non, nous ne sommes pas des génies naturels comme Beth Harmon, la star de la série. Elle apprend le jeu à neuf ans et elle progresse à une vitesse démentielle. Faut pas pousser grand-mère en D4.
Beth voit les schémas et les mouvements aux échecs. Elle peut visualiser le tout sans effort, elle peut mémoriser des mouvements de ouf, elle peut jouer sans plateau. Tout ça en faisant du kitesurf en même temps.
Oui bon, soit, c’est une prodige, on l’aura compris. En tout cas fictive, mais inspirée de personnalités historiques célèbres aux échecs, dont Bobby Fisher. Mais nous ne sommes pas toutes et tous comme elle et lui. Bien sûr, Beth a un « talent naturel » prodigieux. C’est le cas de le dire. Ce qui est gonflant avec ce genre de récit, c’est qu’on croit que le talent est inné. On l’a, ou on ne l’a pas. FAUX ! Les échecs, comme le macramé et le jonglage de tronçonneuses en flamme, demande de la pratique, de l’étude et du temps.
Dans The Queen’s GambitMais il y a de nombreuses scènes montrant Beth en train de lire des livres sur les échecs et de pratiquer le jeu pendant des heures chaque jour. Le succès ne se produit pas en toute simplicité. Le héros de chaque histoire doit avoir la discipline, la patience et les efforts pour se donner les moyens de réussir. Et tout ceci, seulement après avoir d’abord connu de nombreux… échecs. C’est le cas de le dire.
Voici quelques petits conseils pour commencer aux échecs. Quelques petits conseils pour (enfin) tout déchirer aux échecs.
Plaisir
Jouer est plus amusant que s’entraîner. Malheureusement, la pratique rend vraiment parfait. Pour autant que vous le fassiez de manière correcte. Si vous voulez surpasser les autres et vous dépasser, vous devez vous mettre au défi, noter vos erreurs et… les corriger.
C’est facile de jouer sans s’améliorer. Toutefois, le plaisir seul ne permet pas de prédire le succès. C’est valable dans des domaines aussi divers que l’orthographe, les échecs justement, la musique et le business.
Jouer nous rend-il meilleur ?
La recherche indique que seul le travail mais sans plaisir ne permet pas de progresser. Il faut une part de plaisir. Mais le plaisir seul ne permet pas d’atteindre un certain niveau, aux échecs ou ailleurs. On ne s’améliore pas en jouant, on s’améliore en travaillant.
Lorsque vous essayez quelque chose de nouveau, comme les échecs, vous êtes mis au défi. Quand on débute dans une activité, comme celle de peindre des figurines de jeux de société comme Henry Cavill ou commencer aux échecs, au début, cela semble fun et divertissant. Parce que c’est nouveau. Mais au bout d’un moment, cette nouveauté cède sa place à l’habitude, à l’ordinaire, au routinier. Et donc, le plaisir ressenti au début peut nous abandonner. C’est à ce moment-là qu’il faut redoubler d’effort. Pour progresser, il faut travailler, s’entraîner. Et c’est en se mettant au défi qu’on s’améliore, et qu’on finit par (re)tirer du plaisir de l’activité.
Pour être bon quelque part, mieux vaut avoir du plaisir. Même si vous perdez. Rien que le fait d’apprécier les échecs, sa beauté et profondeur stratégiques, vous permettra de faire de réels progrès. Même si vous perdez. En réalité, aux échecs, un… échec n’en est jamais un. Beth est peut-être un « génie naturel » des échecs, mais elle perd toujours ses parties contre Benny Watts et deux fois contre Vasily Borgov, le champion du monde. Ces échecs aux échecs la rendent humble. Elle utilise alors cette humilité pour travailler et étudier plus à fond la stratégie aux échecs. L’échec, aux échecs, ne doit pas vous arrêter. Cela doit vous nourrir. Comme disait Nelson Mandela « Dans la vie, je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ». Remplacez « la vie » par « les échecs », ça fonctionne aussi !
Défi
Nous pratiquons des activités pour différentes raisons. Les activités à motivation intrinsèque se font parce qu’elles atteignent un objectif. Les activités à motivation intrinsèque sont faites parce qu’il y a quelque chose de gratifiant en soi à les faire. C’est le plaisir de les faire.
La étude en psychologie a examiné des parties d’échecs motivée par l’intrinsèque. La plupart des joueurs d’échecs jouent au jeu parce qu’ils l’apprécient. Les chercheurs ont suivi 87 joueurs d’échecs masculins en utilisant un site Web d’échecs sur une période de 2 semaines. En moyenne, les joueurs ont joué environ 16 parties au cours de cette période. Après chaque partie, les joueurs ont évalué leur appréciation du jeu.
Deux facteurs principaux ont influencé le plaisir des joueurs des parties auxquels ils participaient. Les parties qui, selon eux, étaient stimulants, motivants et passionnants étaient plus appréciés que les parties faciles. Les parties dans lesquels un joueur estimait qu’il jouait bien étaient plus appréciés que les jeux dans lesquels un joueur estimait qu’il ne jouait pas bien.
Cette étude suggère que les gens trouvent les activités particulièrement gratifiantes lorsqu’ils sont stimulés et se sentent engagés dans l’activité.
Une deuxième étude a ensuite été lancée. Plus d’un millier de personnes ont été suivies pendant une semaine à la fois. Les participants portaient une montre qui émettait un bip à des moments aléatoires de la journée. Lorsqu’elle émettait un bip, les participants étaient censés remplir un sondage sur ce qu’ils faisaient, pourquoi ils le faisaient, à quel point ils l’appréciaient. Et ils devaient répondre enfin à des questions pour savoir si l’activité était stimulante et si elles fonctionnaient bien.
Il y a deux aspects intéressants à cette méthode. Tout d’abord, les chercheurs ont pu échantillonner un grand nombre d’activités. Deuxièmement, certaines de ces activités étaient faites pour des raisons extrinsèques, le participant devait les faire, et d’autres étaient faites pour des raisons intrinsèques, le participant voulait les faire.
Un schéma intéressant a émergé de ces recherchent. Les gens appréciaient généralement les activités motivées de manière intrinsèques plus que les activités extrinsèques. Pour toutes les activités, les participants les appréciaient davantage lorsqu’ils pensaient les faire bien, plutôt que lorsqu’ils pensaient les faire mal. Cependant, les résultats des tâches difficiles à accomplir dépendaient de la raison pour laquelle elles étaient effectuées. Pour les tâches intrinsèquement motivées, comme jouer aux échecs ou faire un sport, l’activité était plus amusante quand elle était difficile que quand elle ne l’était pas. Pour les tâches à motivation extrinsèque, comme les tâches ménagères ou un examen, l’activité était plus amusante lorsqu’elle était facile que lorsqu’elle était difficile.
Que peut-on en tirer ?
Tout d’abord, essayez de vous concentrer sur les activités que vous faites, parce qu’elles vous plaisent (les jeux de société, les tronçonneuses en flamme). Même lorsqu’il y a des choses que vous « devez » faire, comme aller à l’école ou au boulot. Mais même là, essayez de trouver des éléments qui sont intrinsèquement agréables.
Deuxièmement, trouvez des moyens de vous mettre au défi. Plus vous vous sentez engagé dans votre activité, dans votre monde, et plus vous l’apprécierez. Non seulement vous réussirez plus, mais vous passerez un meilleur moment à le faire.
Enfin, en ce qui concerne le jeu d’échecs, jouez contre des gens qui ont un meilleur niveau que le vôtre. Vous allez prendre cher, au début, mais c’est un excellent moyen pour progresser. Mettez-vous au défi.
Piano
Si vous n’avez jamais joué aux échecs, pas besoin d’apprendre les mouvements de toutes les 6 différentes pièces. Commencez petit. Commencez par les pions. Apprenez à les gérer, ce n’est pas évident (ouverture à 2 cases possibles, puis 1, mouvement droit mais attaque en diagonale. Mais WTF). Une fois que vous les maîtrisez bien, tapez dans une autre pièce, puis une autre, puis une autre. Qui va piano, va sano.
Online
Passez du temps en ligne sur des plateformes pour enchaîner les parties et prendre ainsi du galon. Ces plateformes vous permettent également de prendre des cours et de développer vos compétences.
Encore une fois, nous pouvons vous conseiller les plateformes lichess.org et chess.com.
Club
Rejoignez un club. Ou inscrivez vos enfants dans un club. Enfant, j’en faisais partie. J’y allais une fois par semaine. J’y ai beaucoup progressé. OK, en pleine pandémie, ce n’est peut-être pas le meilleur conseil. Mais avec le vaccin et les puces 5G injectées dans notre gros colon par Bill Gates et Rihanna, on devrait bientôt pouvoir s’en sortir.
Et les clubs d’échecs présentent un atout majeur : ils sont sociaux. Ils permettent de rencontrer de nouvelles personnes, de se sentir entouré, accompagné, guidé. C’est motivant !
Jouez
Souvent. Très souvent. Instant nostalgie, quand les restos étaient encore ouverts, il m’arrivait d’y aller avec un échiquier sous le coude pour jouer avec mon fils en attendant le repas. Certains parcs et jardins publics proposent même souvent des échiquiers géants. Ces lieux réunissent des habitués qui accepteront de jouer avec vous. Ils pourraient même vous prodiguer quelques conseils pour améliorer votre jeu. Bref, jouez, le plus souvent possible ! C’est le meilleur moyen pour progresser. Cela vous permettra d’affiner votre stratégie, d’anticiper, de reconnaître des ouvertures, des schémas, des parties.
Mais. Ce n’est pas aussi simple.
Tout n’est pas qu’une question de pratique. 10’000 heures peuvent ne pas suffire. On dit souvent que 10’000 heures de pratique délibérée sont nécessaires pour obtenir des niveaux de performance d’élite dans des activités allant du golf aux échecs, en passant par la musique et le jonglage avec des tronçonneuses en flamme (si vous n’avez pas fini aux urgences avant. Avec le jonglage).
Développée par le psychologue Anders Ericsson et rendue célèbre par Malcolm Gladwell dans son livre Outliers, la règle des 10’000 heures reflète l’idée que devenir un ou une athlète ou une ou un joueur d’échecs de classe mondiale repose sur une longue période de travail acharné, plutôt que sur une « capacité innée » ou un talent. Vous n’avez pas besoin d’être né avec les « bons » gènes ou la « bonne étoile » pour être une superstar. Il vous suffit de pratiquer de la « bonne » manière.
Faut-il « juste » s’entraîner pour atteindre des niveaux de performance exceptionnels ? C’est tout le débat de l’inné et l’acquis, un débat qui remonte déjà à la Grèce Antique entre Platon et Aristote. Platon était team-inné, qui soutenait que nous venons dans ce monde avec des capacités et des compétences données, et que nos plus hauts niveaux de réussite sont prédéterminés. Aristote, pourtant étudiant de Platon, était, lui, team-acquis. Aristote croyait que le succès passait par l’apprentissage et la formation. Plusieurs chercheurs modernes comme Anders Ericsson prennent le parti d’Aristote, mais tout le monde ne le fait pas. Les travaux du psychologue américain Zach Hambrick par exemple, fournissent des preuves assez convaincantes que seule la pratique ne suffit pas pour atteindre un certain niveau de compétence, de maîtrise. Il y a autre chose.
Hambrick et ses collègues ont tenté de répondre à une question simple. Une pratique délibérée, c’est-à-dire une pratique conçue pour améliorer ses compétences, est-elle tout ce qu’il faut pour devenir expert en la matière ? Pour répondre à la question, l’équipe de recherche a réanalysé les données d’études sur l’expertise musicale et échiquéenne (qui vient des échecs). Par exemple, aux échecs, l’équipe de recherche a examiné comment les rapports de pratique délibérée tout au long de la vie. allant de l’apprentissage individuel à l’étude du jeu seul, étaient liés aux évaluations de la Fédération mondiale d’échecs. Et, en musique, les chercheurs ont analysé la façon dont les totaux de pratique rapportés se rapportent aux évaluations des interprétations au piano. Pour résumer, est-ce que le nombre d’heures de pratique est significatif.
Et qu’ont-ils trouvé ? Un travail acharné aide à expliquer qui atteindra les plus hauts niveaux de performance en musique et aux échecs. Mais ce n’est pas tout ! En fait, dans les deux domaines, la pratique délibérée ne constitue même pas la moitié, ais plutôt environ 1/3. Certaines personnes nécessitent beaucoup moins de pratique que d’autres pour atteindre des niveaux de performance d’élite. En d’autres termes, il semble que des facteurs autres que la pratique soient importants pour déterminer qui est susceptible d’acquérir le plus haut niveau de compétence.
Alors oui, la règle quelque peu simpliste des 10’000 heures est plutôt séduisante. Cela implique que presque n’importe qui peut devenir un expert si il ou elle travaille assez dur. Jouez aux échecs souvent, et vous deviendrez la prochaine Beth. Mais non, ce n’est pas aussi simple. Comme le dit le psychologue Hambrick, la pratique délibérée est attractive et populaire parce qu’elle offre un « attrait méritocratique ». Autrement dit, on mérite son succès. Les données analysées par Hambrick et ses collègues, cependant, racontent une histoire quelque peu différente. Oui, le travail acharné est extrêmement important, mais ce n’est pas tout.
Qu’il s’agisse de gènes, de motivation, de capacité à gérer l’échec, aux échecs, de tout ce qui précède ou de tout autre chose, nous devons accepter que des facteurs autres que seule la pratique contribuent à atteindre une certaine grandeur. Il nous reste encore à identifier les domaines dans lesquels nous sommes les plus susceptibles d’exceller. Pour avoir ensuite les meilleures chances de devenir Beth.
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Et encore une dernière chose. Enfin, trois
Voici un superbe documentaire dans le dernier grand magasin d’échecs de New York. Touchant.
En 1984, ABBA a composé la musique pour une comédie musicale sur le thème de la guerre froide et les… échecs. LOL.
Et enfin, dans la série WTF, il y a deux semaines, deux hommes ont joué aux échecs dans un… lac gelé au Canada dans une vidéo en accéléré. 5 minutes à -20 degrés. Parce que pourquoi pas.
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Et vous, est-ce que vous jouez aux échecs ? Et qu’avez-vous pensé de la série Netflix ?


8 Comments
patrikcarpentier
Ce qui m’amuse beaucoup dans ce jeu, c’est qu’une simple et légère modification des règles pourrait mettre à bas tout le petit monde des Echecs… On verrait alors émerger les adaptatifs et non les mémoriseurs de bibliothèques…
Erdrokan
ça existe sous le nom de « échecs aléatoires Fischer » (tiens encore lui) avec 960 départs différents. Autant dire que cela favorise les personnes qui s’adaptent. Je ne suis pas joueur mais sur le papier, cela me paraît plus intéressant
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89checs_al%C3%A9atoires_Fischer
Sinon en littérature, je recommande « Le Joueur d’échecs » de Stefan Zweig
patrikcarpentier
Il existe aussi bien des variantes d’Echecs féériques… Sans parler des autres jeux de la même famille. Je faisais plutôt allusion à l’ajout d’une règle dans les échecs occidentaux qui pourrait fausser bien des automatismes, comme par exemple la prise en tenailles entre 2 pions, ou jouer 2 coups en même temps (vrs Marseillaise).
Dans ma jeunesse hélas lointaine, j’ai été longtemps joueur d’Echecs avant de me tourner vers d’autres horizons. J’ai bcp adoré les Echecs japonais, qui ont souvent plein de retournements de situation !
Gus
Et Tempête sur l’Échiquier, bien sûr. Fun et chaotique. Et bordélique, aussi, surtout. On y a joué des heures durant dans les années 90.
toto l'asticot
la série définit effectivement mal l’ouverture queen s gambit. Ceci dit nul besoin de gambit accepté pour être dans cette ouverture mais simplement de le proposer.
1. d4 d5 2. c5 suffit pour être dans cette ouverture. Ce que vous suggerez dans votre article (par ailleurs très bien) est un « gambit dame accepté » avec par exemple 2…. dxc4 (on pourrait accepter le gambit plus tard) mais les suites ne proposant pas la prise en c4 sont des gambits dame refusés (et ont parfois/souvent leurs propres noms)
Dark Guil
Waouuu !
Quel bel article encore une fois : une véritable mine d’or d’informations notamment sur l’historique des échecs, le coup de la reine et la place de la femme. Remarquable Grand maître Gus.
Un bémol par contre sur la série Netflix justement. Je suis content du succès qui permet aux gens de revenir aux échecs et à vous d’écrire ce bel article. Cependant, c’est quand même très gentillet et certains passages (notamment vers la fin) font très conte de fées avec des rebondissements plus qu’exagérés. C’est donc parfaitement (trop certainement) calibré pour un très grand public et ça fonctionne : tout le monde en parle. Mais à cause de ce défaut non négligeable, cette série sera juste sympa et c’est tout. La simplicité et le réalisme du début quand elle est en pensionnat me touche beaucoup plus.
Je suis fier de mon jeu d’échecs (le trophée du geek ultime) entièrement sur le thème de… Batman !
https://www.variantes.com/pieces-jeu-echecs-figurines-fantaisie/49401-jeu-echecs-batman-dc-pieces-echiquier.html
Échec et Bat !
TIMCCN
Oui bon, c’est une série pas un « docu-fiction ». Et puis la série va plus loin que les échecs et queen Gambit’s détermine le parcours de la jeune fille par rapport à sa mère son gambit. Les relations entre les hommes et Beth vont jalonner tout son parcours jusqu’à sa « libération ». La scène finale et son rapport à sa transformation « chrysalide » illustre ce chemin qu’on suit avec passion.
Bouillot
J’ai créé le jeu Enigmat pour les enfants que j’initie au jeu d’échecs.C’était au siècle dernier.Il y a 3 ans je l’ai auto-édité.Il s’agit d’un jeu purement visuel à la façon de petits puzzles de 4 pièces ( des échiquiers) oû il faut trouver le bon agencement pour que les Noirs soient Échec et mat.
Jeu et surtout outil-pédagogique pour développer la vision de l’échiquier d’une façon très ludique.
Il se joue seul mais j’ai écrit des règles pour jouer à plusieurs pour me rapprocher d’un jeu de société.
Bons jeux…
Serge