Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Obsession. Orgueil et Préjugés et Meeples

Obsession est un gros jeu de stratégie pour gamers sorti en 2018. La VF est en approche. Du pur Jane Austen sur plateau.


Obsession

Dans Obsession, le jeu de plateau, incarnez une famille britannique du XIXe et gérez relations, rumeurs et architecture d’intérieur. Tout un programme. Ce gros jeu est sorti en VO en 2018. La VF chez Super Meeple va être tout bientôt lancée en préco participative sur la plateforme Game On ce vendredi 2 décembre.

Nous avons pu jouer à la VO, et voici ce que nous en avons pensé.

“On ne réussit pas à m’influencer chaque fois que l’on me flatte. ”

L’époque victorienne était considérée comme la grande, mais comme la dernière gloire de l’Empire britannique. À cette époque, l’Empire britannique exploitait des richesses à l’extérieur du pays, pour que la vie, des aristocrates surtout, soit riche et colorée à l’intérieur du pays.

Les grandes familles de la classe supérieure organisaient souvent diverses fêtes, invitant les jeunes gens à danser, chanter, ou tchatcher dans des jardins luxuriants ou dans des salons guindés du manoir. Oui, parce qu’au XIXe, tout le monde avait, au minimum, un manoir.

Et justement, dans Obsession, toute l’action du jeu se déroule dans, autour de votre manoir. On le voit d’ailleurs en grand plan sur la boîte de jeu. Tout l’enjeu du jeu sera d’obtenir de nouvelles pièces, qui vont permettre d’obtenir de nouveaux effets et de nouvelles personnes pour venir remplir et habiter votre manoir.

S’il y a une mécanique qui devait définir Obsession, cela serait : engine-building. On commence la partie avec quelques pièces, quelques meeples incarnant différentes professions, différents personnages que l’on trouve dans manoir de l’époque. Et peu à peu, on va pouvoir obtenir de nouvelles salles pour agrandir, aménager son manoir, qui vont à leur tour donner de nouveaux effets, etc.

Si le début de la partie est plutôt lent, un rythme de croisière s’installe de plus en plus. À noter que le jeu démarre en mode asymétrique, avec chaque famille disposant d’un départ un poil différent. De quoi générer des parties différentes, et des envies d’essayer d’autres familles, d’autres stratégies.

Est-ce que certaines familles sont désavantagées par rapport à d’autres ? Non. Il y a un très, très léger déséquilibre, mais tout se vaut, tout se tient. Et comme on dit au poker, ce ne sont pas vos cartes en main qui font la victoire, mais ce que vous en faites (oui bon ok c’est quand même plus facile de gagner avec une paire d’as en main… Mais gagner combien, comment ? Là est toute la question. Si vous gérez mal, ou peu votre partie, c’est le drame. Un peu comme dans Obsession, somme toute. Mais je ferme la parenthèse).

“Le bonheur dans le mariage est uniquement une question de chance.”

Le jeu de base se déroule sur 16 tours. Et la version pour experts (comme si la version « normale » n’était pas déjà pour experts) s’étale sur 20 tours. Et on procède ensuite au décompte final, en mode salade de points.

À chaque manche, on organise une activité afin d’invité la famille mais aussi certains de nos relations afin d’augmenter notre prestige, notre argent ou développer notre réseau de connaissances. Parce que oui, dans Obsession, et comme dans la vraie vie, l’aspect « vie social » est essentiel.

Il y a 5 types d’activités à développer : l’équipement de notre Manoir, le développer, rajouter du personnel, pratiquer des activités sportives et travailler sur son prestige. Pour se la péter. Parce que, encore une fois, on incarne une famille riche du XIXe.

Je dois ici relever un aspect, rare, voire, sauf erreur de ma part, inexistant ailleurs. Je n’ai jamais, jamais, jamais vu un tel camembert. Je m’explique.

La plupart des jeux proposant une « salade de points », i.e. tout et n’importe quoi rapporte des points, ne se limitant qu’à lister les divers éléments à comptabiliser.

Le jeu Obsession, lui, affine ce décompte final en présentant, dès le début, un camembert de pourcentage présentant le découpage des points, des objectifs. Cet aspect-ci compte pour tant de pourcentage au moment du décompte de fin, celui-là autant.

Ce qui permet ainsi d’optimiser ses stratégies. Se concentrer sur les « grosses parts du camembert » pour espérer la victoire ? Ou se focaliser sur les plus petites, mais en accumuler plusieurs ? Une mini-mécanique subtile, savoureuse, innovante. À se demander pourquoi d’autres jeux ne font pas pareil.

“Faut-il rejeter toutes les probabilités parce qu’elles ne sont pas des certitudes ?”

Mais revenons à nos moutons majordomes.

Les mécanismes du jeu sont une combinaison de placement d’ouvriers employés de maison et d’habitants du manoir et de deck-building.

Cette mécanique se reflète principalement dans les cartes d’invités. En organisant des fêtes, on obtient de nouvelles cartes d’invités, et des plus balaises. Et comme la plupart des jeux de deck-building, on peut optimiser sa stratégie et supprimer peu à peu les cartes d’invités à faible rendement pour rationaliser son deck et espérer atteinte un certain équilibre d’efficacité.

Toutes ces cartes sont disponibles dans un marché. Qui fluctue, évolue, tournicote. Je dois vous faire un aveu : je ne suis pas un grand fan des marchés dans les jeux ! Cette mécanique, ultra-présente sur le marché (c’est le cas de le dire) des jeux de société, fait qu’on ne sait jamais ce qui sera disponible, quand, par et pour qui.

Cette mécanique rajoute du fun, de l’aléatoire, de la tactique, de l’opportunisme, du mouvement. Mais si vous êtes, comme moi, allergiques aux marchés, cet aspect risque quelque peu de vous refroidir.

Mais.

Dans Obsession, le marché ne constitue qu’une part minimale du jeu. Réduire Obsession à cette mécanique de marché serait comme dire que la Suisse n’a que la fondue comme plat traditionnel. Alors que c’est faux. On sait bien qu’on a aussi la raclette. Donc non, dans Obsession, cette mécanique de marché n’est pas rédhibitoire selon moi.

“Ne songez au passé que lorsque vos souvenirs sont agréables.”

Dans Obsession, on commence la partie avec certains objectifs, secrets. 5, pour être précis. Puis, au fil de la partie, on en pioche de nouveaux. Mais on en défausse également. On finira la partie avec 3 objectifs. Cette mécanique de draft d’objectifs épice le jeu d’une manière spectaculaire. Laquelle conserver, pour marquer plus de points.

Cette mécanique d’objectifs « évolutifs » me rappelle quelque peu un « vieux » jeu tchèque de 2009, excellent, intitulé Shipyard. On commençait avec plusieurs objectifs, pour peu à peu n’en garder que certains. Et tant pis pour les autres. Une mécanique qui a le mérite de ne pas figer son jeu, ses stratégies. On peut courir deux lièvres à la fois.

“Pourquoi sommes-nous au monde, sinon pour amuser nos voisins et rire d’eux à notre tour ?”

Sans être polaire, l’interaction dans Obsession est toutefois froide. On peut chouraver des cartes au marché. Mais ce n’est pas tout. On peut également « ragoter » pour faire baisser le prestige des autres. Oui, vous avez bien lu, on peut lancer des (vilaines) rumeurs contre les autres pour leur mettre des bâtons dans les dents (je crois que c’est comme ça qu’on dit).

Quelques petite bricoles interactives. Mais il ne faut pas chercher dans Obsession un jeu où l’on va pouvoir acquérir un lance-flammes et aller brûler le manoir des autres. Quoique. Peut-être dans une extension ?

“Je déclare qu’après tout, il n’y a pas de plaisir qui vaille la lecture !”

La VO d’Obsession propose trois extensions. De nouvelles cartes, de nouveaux événements, de nouveaux trucs et bidules. De quoi pouvoir jouer à Obsession tout le restant de l’éternité, voire plus.

Aux dernières nouvelles, Super Meeple travaille également, en même temps, sur la localisation de ces extensions.

“Rien n’est plus trompeur qu’une apparence d’humilité.”

Si le jeu peut paraître froid, au premier abord, par son esthétique (on y reviendra plus bas), pas son livret de règles, sobre et dru, il faut reconnaître qu’Obsession est plutôt… cohérent. Son thème, original pour un jeu de plateau, nous place vraiment dans cet univers aristo du XIXe britannique. On se croirait dans Downtown Abbey, Jane Austen et Emily Brontë. Les titres de chapitre de cette chronique sont d’ailleurs toutes des citations de Jane Austen.

Ce n’est peut-être pas votre kiff suprême d’incarner et de gérér une famille de nantis britannique du XIXe, en mode Sims chez les riches. Mais pour une fois qu’on ne gambade pas dans un donjon sombre et obscure à chercher des trésors, c’est bon à prendre.

Mais attention, Obsession n’est pas dans un jeu narratif pour autant. On se prend toutefois vraiment au jeu (c’est le cas de le dire), en gérant invités, personnel et manoir. Et on n’a qu’une seule envie, boire du thé en y jouant, l’auriculaire levé.

“Quand on a le cœur pris, je sais combien on est peu sensible à l’attention des gens.”

Dans Obsession, il y a à boire (du thé) et à manger. Lourde, dense, la boîte est bourrée à craquer de matériel : des tuiles, des cartes. Et des meeples, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Rarement un jeu aura offert un tel déluge de trucs, de bidules ! C’est époustouflant.

Mais.

Il faut quand même l’admettre, la plupart du matériel est sobre. Pour ne pas dire… terne. Les tuiles représentant les salles sont incarnent le parangon d’une esthétique plate. Alors oui, la beauté est dans celui qui la regarde. Mais dans Obsession, ça pique !

Et toujours pour parler du matériel, si nous n’avons pas encore vu les règles de la VF de Super Meeple, il faut espérer que l’éditeur parisien en propose une refonte totale. Car en l’état, les règles du jeu d’origine sont… comme dire… indigestes. Denses, très denses, elles n’invitent pas à la lecture. Ni à une compréhension fluide et limpide du jeu.

Obsession, verdict

Marché, engine-building, placement d’ouvriers, objectifs secrets, deck-building, tant de mécaniques qui subliment un jeu profond, ample, riche et subtil pour public en recherche d’expériences ludiques intenses et profondes.

Un formidable jeu qui réussit le croisement audacieux entre la chronique familiale aristocratique britannique du XIXe et un jeu hautement stratégique. Jamais on n’aura éprouvé autant de plaisir à servir le thé.

Très bon !

Note : 4 sur 5.

Rendez-vous ce demain vendredi 2.12 pour la campagne de financement de Super Meeple pour lancer la VF.


  • Création : Dan Hallagan
  • Illustration : Dan Hallagan
  • Édition : Kayenta Games pour la VO. Super Meeple pour la VF
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1-4 (tourne mieux à 2)
  • Âge conseillé : Dès 14 ans (voire 12)
  • Durée : 60-90′
  • Thème : Aristocratie britannique au XIXe
  • Mécaniques principales : Marché, engine-building, placement d’ouvriers, objectifs secrets, deck-building. Pour en savoir plus sur les différentes mécaniques de jeux, c’est ici.

Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


Et encore une dernière chose

Si cet univers d’aristo du XIXe vous branche, et que vous aimez aussi les zombies, il y a ce film, sorti en 2016. Bientôt une extension pour Obsession avec des… zombies aussi ?

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7 Comments

  • maZeTois

    Merci beaucoup (encore) pour cet article très complet (encore). Un thème rare qui a l’air bien exploité, du matos de qualité, des choix artistiques qui m’intriguent : je prends !

    • Gus

      Avec plaisir !

      Et oui, vous avez bien vu, le thème est rare et original. Même si bon, servir du thé à de riches britanniques du XIXe n’est pas la tasse de thé (vous apprécierez l’expression) de tout le monde. Mais ça change. C’est frais.

      Et encore une fois, lors de toute nos parties, on avait franchement envie de lever le petit doigt chaque fois qu’on posait un meeple sur une tuile pour l’activer 😜

    • Gus

      Bonjour Bertrand.

      Pour avoir essayé 2 extensions sur les 3, je peux vous assurer que le jeu de base se suffit déjà bien à lui-même. Il fait le job, comme vous dites. Les extensions rajoutent des variantes, des possibilités. Mais le jeu de base est déjà super riche en soi !

    • Rascarlo

      Merci Gus pour ce coup de projecteur sur ce jeu façonné « à l’ancienne », par un artisan du jeu, passionné, un peu à la manière d’un Feudum ou d’un Wingspan (sauf que là, la locomotive Stonemaier lui a donné un bon coup de booster immédiatement). Ces jeux quasi artisanaux ont des défauts (la règle indigeste/maladroite, des choix esthétiques et ergonomiques qui fleurent bon « les moyens du bord »), mais ça les rend presque touchant ou du moins on les excuse allègrement tant on sent la démarche et les effort pour façonner un bon jeu tout à fait sincères. Ça fait la 3ème fois que ça m’arrive : ne croyant plus à une VF à court ou moyen terme, je craque pour la VO et bim, une paire de semaines plus tard, super Super Meeple annonce sa campagne (j’ai eu le même coup pour Viticulture et Everdell). Mais là, vu le thème, je nele regrette finalement pas ; elle renforce l’immersion. J’espère que cette localisation élargira l’audience de ce jeu et de cet auteur/artisan ludique qui le méritent amplement !

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