
La polémique autour du jeu Antifa
Sous la pression du RN, le jeu de société Antifa a été retiré de la vente à la Fnac. Pour être finalement remis en rayon.
Antifa, le jeu de société
Jamais un jeu de société n’aura fait autant parler de lui que Antifa. Depuis deux jours, les médias se sont emparés de la polémique. Si vous n’avez pas suivi toute l’affaire, voici ce qu’il s’est passé.
Pour aller à l’essentiel, Antifa, le jeu de plateau, édité par les éditions Libertalia depuis plus d’un an, vous propose d’incarner et de faire « vivre un groupe antifasciste local ».
Les protestations de l’extrême-droite ces derniers jours ont provoqué son retrait temporaire des magasins et des boutiques en ligne de la Fnac. Mais après deux jours et un examen approfondi du jeu, la Fnac a décidé de faire machine arrière et de ne pas céder aux pressions. Depuis hier, le jeu Antifa est de nouveau disponible à la vente, en ligne et en rayon.
Antiquoi ?
« Antifas » est le diminutif « d’antifasciste ». Un terme qui désigne un réseau, informel, de groupes d’extrême-gauche nés dans les années 1980 pour s’opposer à la montée de l’extrême-droite.
Opérant dans l’anonymat et sans structure formelle, cette mouvance se caractérise notamment par des manifestations et des actions parfois violentes. Son combat s’est peu à peu étendu à l’anticapitalisme, la lutte contre le racisme, l’homophobie ou les violences policières.
À ce sujet, écoutez le récent podcast du journal Le Monde paru ce lundi 28 novembre :
Mais il faut remonter plus loin que les années 1980 pour voir les origines du mot « antifascisme ». Il fait sa première apparition en 1922 pour qualifier les activités des opposants à Mussolini, en France comme en Italie. L’Internationale communiste en fait, la même année, une catégorie politique et un thème de propagande fortement marqué.
En France, les « journées républicaines » de février 1934, qui font suite à l’onde de choc des manifestations de ligues d’extrême droite le 6 février, marquent un tournant. Le mot va alors faire office de mythe mobilisateur, synonyme d’union des gauches, alliant défense républicaine et transformation sociale, dont le Front populaire serait l’aboutissement.
Après la fin des fascismes en Europe en 1945, le terme, encore employé par les communistes, cesse d’être une référence majeure de la mobilisation des gauches. Il se charge aussi d’autres contenus : l’antiracisme, qui en devient peu à peu la colonne vertébrale, et une référence croissante à la mémoire de la seconde guerre mondiale. Les années 1980-1990 ravivent la thématique, face à la montée du Front national, avec un semblant de dimension unitaire.
En Suisse aussi nous avons eu nos premiers « Antifa ». Dont nous avons célébré les 90 ans il y a quelques semaines, le 9 novembre. En 1932, de jeunes recrues de l’armée suisse doivent faire face à une manifestation contre le fascisme sur la Plaine de Plainpalais à Genève. Ils ouvrent le feu. Bilan : treize morts et 65 blessés.
Il y a d’abord le contexte historique. Les années 30 sont estampillées comme une période de grande agitation, en Europe comme en Suisse. Un cortège de rue de militants de gauche antifasciste défile dans les rues. Il sera arrêté par l’armée. Qui n’hésitera alors pas de tirer dans la foule, non-armée, pour disséminer les manifestants. Treize personnes sont tuées, 65 blessées. En douze secondes. Davantage des passants que des militants, par ailleurs.
Mais retour à nos Meeples
Sur son site, le collectif antifaciste La Horde parle de l’historique de ce jeu, « initialement utilisé comme outil de formation pendant plus de deux ans », puis édité en septembre 2021 par Libertalia. « On avait écoulé nos 4 000 exemplaires en l’espace de six semaines », assure Nicolas Norrito, cofondateur de la maison d’édition.
Le jeu a été réédité très récemment, début novembre, sous une forme simplifiée, qui dure 30 minutes, et non plus 90, et vendue par la Fnac, Pensées au départ comme un simulateur tout à fait sérieux pour les mouvements libertaires, les mécaniques du jeu de société Antifa ont été simplifiées afin de devenir un jeu de société accessible au public.
Libertalia le présente comme « un jeu de simulation et de gestion dans lequel vous faites vivre un groupe antifasciste local » en mettant en place des « actions qui vont vous demander du temps, des moyens et un peu d’organisation ». Dans la nouvelle version, les cartes ont remplacé les jetons et les joueureuses font face à des situations telles que « des fachos déclenchent une bagarre dans un bar », « un couple gay agressé en pleine ville » ou « un collectif de soutien aux migrants a besoin d’aide ». Plusieurs scénarios sont proposés : « rencontre débat », « manifestation », « tractage » ou « action offensive ».
L’extrême-droite s’en mêle
Fin 2021, Nicolas Cresson, membre du conseil national du Rassemblement national (RN), parti d’extrême-droite en France, s’était déjà offusqué auprès de la Fnac de la vente de ce jeu.
Ce tweet n’a pas réussi à allumer les poudres. Il a fallu attendre celui du député RN ce dimanche 26 novembre pour que la Fnac réagisse.
Rappelons que Grégoire de Fournas, député d’extrême-droite siégeant à l’Assemblée nationale, l’organe législatif en France, a récemment été exclu 15 jours de l’Assemblée nationale pour ses propos racistes proférés lors d’une intervention de l’élu de gauche LFI, noir, Carlos Martens Bilongo.
Un autre député RN, Victor Catteau, a alors rajouté une couche contre le jeu Antifa.
Ce tweet a alors déclenché une vague de messages indignés, en interpellant lui aussi la Fnac. Et le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) s’en est mêlé à son tour, critiquant le distributeur pour « mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ».
Face à toute cette polémique, quelques heures après ce bad buzz, ou « shitstorm » comme on dit, face à la pression, la Fnac annonce alors le retrait du jeu de sa boutique.
Le collectif La Horde et l’éditeur du jeu Libertalia réagissent et s’insurgent aussitôt de cette décision de la Fnac de retirer le jeu
Mais
Mais.
Les allégations des députés RN sont mensongers. Ce qu’ils dénoncent n’existe tout simplement pas dans le jeu. Les cases évoquées par le député n’ont jamais existé. Et pour cause : il s’agit d’un… jeu de cartes.
Les éditions Libertalia dénoncent ainsi un retrait sur la base « d’allégations mensongères émanant de l’extrême droite, puis des forces de répression ».
Dans Antifa, il n’est pas question de « tabass(er) un militant de droite » ou de « lanc(er) un cocktail Molotov sur les CRS ». « La violence n’est pas totalement évacuée (…), mais le moyen le plus violent proposé, c’est le ‘cacatof’, une bouteille pleine de caca », explique au Monde son auteur, qui se fait appeler Hervé de la Horde. « On n’a pas de problème avec l’action offensive, mais à aucun moment le jeu ne glorifie l’atteinte aux personnes. Il peut y avoir de l’atteinte aux biens, mais jamais aux personnes. Ce n’est pas l’antifascisme qu’on défend », insiste-t-il.
Antifa. Fin de la polémique
Après examen, la Fnac décide de remettre en rayon le jeu de société Antifa ce mardi 29 novembre. Tout est bien qui finit bien. Tout est bien qui finit mieux, en vrai. Car comme « l’effet Streisand », la polémique n’a pas eu l’effet escompté par les détracteurs du jeu.
L’effet Streisand désigne un phénomène médiatique involontaire. Il se produit lorsqu’en voulant empêcher la divulgation d’une information que l’on aimerait cacher, on déclenche… le résultat inverse.
En voulant empêcher la vente du jeu, les députés RN ont réussi à faire tout le contraire, offrir au jeu une plus grande visibilité. Grâce à toute cette affaire, le jeu Antifa a connu un coup de projecteur. Il est, depuis, épuisé. Et l’éditeur a dû relancer une nouvelle édition, disponible en janvier.
Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


8 Comments
Paolo
Le mensonge, la désinformation et la calomnie sont les principales armes de l’extrême droite pour qui l’éthique est, au mieux, un attrape-nigaud – en cela elle n’a jamais déçu. Elle veut LE pouvoir et fera tout pour suivre cet agenda. Tous les moyens sont bons et comme on le trouve dans le Yi-King « c’est avec de petites choses que l’on fait des grandes choses. »
antifan
Si vous cherchez à acquérir le jeu, vous pouvez peut-être encore le trouver sur le site « place des libraires » https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782377292677-antifa-le-jeu-la-horde/ . Sinon tannez votre dealer ludique habituel pour qu’il commande des exemplaires de la prochaine éditions qui sortira en janvier. Ou bien directement auprès des éditions Libertalia https://www.librairielibertalia.com/web/antifa-le-jeu-2022.html
Ludiquement parlant, le jeu est très bien en formation mais aussi très correct pour juste jouer 🙂 . Il a été créé avec le soutien de joueurs et joueuses chevronnées. Notamment l’équipe qui avait fait le jeu de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : « zone à défendre ». https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/zone-a-defendre
Politiquement, les collectifs « antifa » décrits sont effectivement les plus connus. Mais chaque organisation « ouvrière » (partis, syndicats) digne de ce nom dispose de sa commission « antifasciste ». Le jeu est d’ailleurs utilisé lors de formations de l’association « Vigilances et Initiatives Syndicales Antifascistes » qui regroupe des syndicalistes. https://visa-isa.org/
Et n’oublions pas les tweets émanant du parti Reconquête de Eric Zemmour. Comme le confirme Médiapart : « C’est en effet le tweet de Jérôme Rivière, élu au Parlement européen, qui a ouvert le bal dès le 25 novembre ». Preuve s’il en est que les extrêmes-droites se rejoignent lorsqu’il s’agit de faire de l’anti-antifascisme 😉
Arkheos
Précision: Grégoire de Fournas n’a pas été sanctionné pour des propos racistes mais pour avoir créé de l’agitation à l’assemblée. L’histoire du racisme est une récupération un peu facile.
Entre (extrême) gauche et extrême droite, c’est un peu une bataille de bac à sable. L’émoi autour du jeu antifa est à prendre dans ce contexte de guéguerre mesquine.
melrindeau
L’art de traire une mouche avec des gants de boxe : le tumulte fut déclenché par une saillie raciste, et dans son réglement, l’Assemblée n’a rien qui se rapporte au racisme, juste au tumulte. Elle a fait avec ce qu’elle a.
quentin
Super article (comme d’habitude), mais il manque une grosse info ! … Le jeu est-il bien ?
Wooten
Pour savoir si ce jeu est acceptable ou non, je me suis imaginé un jeu similaire à base de constructions de frontières (murs, diront certains) et d’organisation autour d’expulsions de migrants à la pelle (ou de personnes pas assez blanches ou pas très intégrées). Même constat : ce jeu aurait été de la merde, comme Antifa.
Les diverses cartes que j’ai pu voir sont juste ignobles, et limite encensent des pratiques illégales.
Si ce « jeu » avait été d’extrême droite et non d’extrême gauche, même pas sûr qu’il aurait été édité d’ailleurs.
Quel que soit l’extrême en politique, il faut bien réaliser que ce sont juste des personnes aux idées utopiques/stupides ou nauséabondes (parfois les deux), rien de plus.
Cassos Belli
Et si le débat était ailleurs ? Qu’en pensez-vous ? https://www.lacellule.net/2022/11/antifa-un-echec-collectif-pour-le-monde.html
lecentreparle
Les antifa sont dans la même catégorie que les groupes d’extrême droite, ils sont rejetés du centre gauche à la droite, car beaucoup trop souvent violents, la gauche dite républicaine qui sont le PS et la partie non illibérale de EELV ne les supporte pas non plus. D’ailleurs lors des dernières élections les antifa s’en sont pris aux infrastructures publiques et aux biens privés à Lyon, parce qu’ils n’ont pas aimé que Mélenchon ne soit pas élu et je vous rappelle que grégory doucet est pas à droite.
Mes grand oncles qui dans les années 30 étaient élus radicaux, qui étaient l’équivalent LFI, ne les supportaient pas non plus.
Les crs ont été créé aussi bien pour contenir les ligues d’extrême droite, que celles d’extrême gauche, car ceux-ci sont ultras violent avec un gout marqué pour le putsch.
Les antifa sont également connu pour plusieurs faits d’ultra violence et d’actes terroristes, mais c’est pas grave non plus.
Les antifa sont juste des fans de violence, avec une incapacité à communiquer sans insulter les gens, ce qui a été un fort problème pour eux pendant l’occupation, car on connait au moins un cas où l’un des chef de la résistance à Lyon qui était aussi juge, a préféré abandonné un mec qui était taré alors qu’il cherchait à le faire libérer… De plus ils sont pas tellement antifa, ont a déjà vu sur le twitter des antifa de Lyon où ils se sont pris en photos avec des mecs du gud en train de boire des bières.
Puis il y’a aussi les feux d’artifice qu’ils ont tiré pendant 2 ans en pleine ville entre les barres d’immeubles pour effrayer les gens, c’est un miracle que Lyon ne soit pas passée du côté du RN avec des militants de « gauche » comme ça. Surtout qu’ils ont fait aussi des vidéos sur twitter où ils se vantaient de tirer avec des délinquants de quartier… Ce qui constitue déjà 2 faits avec celui en plus où ils s’amusent à jeter des vélos et trottinettes en libre service dans le rhone, ce qui fait que les arabes de mon quartier les détestent aussi (car ce sont eux qui les rechargent).
Maintenant parlons du twitter des antifas de lyon, où ceux-ci font des menaces de mort aux entreprises et aux salariés, contre les entreprises qu’ils jugent eux nuisibles, pas la justice, pas les représentants élus, mais eux. C’est une pratique normale de la démocratie ? Les mecs sont contre monsanto et total, ok, ils font des manifs ok, les mecs veulent faire des manifs en promettant de tuer les gens c’est ok ?
Le conseil d’état a jugé cette affaire, maintenant il y’a une jurisprudence qui dit qu’on peut menacer et harceler les gens en réunion tant qu’il y’a pas de concrétisation. Super.
Ils se disent également persécutés par la police, quand la police demande le retrait de menace de mort sur twitter, ils ne font pas supprimer les tweet, d’après un tweet des antifa de lyon, la police fait une demande à l’amiable à twitter et twitter fait un mp en demandant s’ils pourraient bien supprimer leur tweet de menace. De plus malgré toutes les preuves de délinquance qu’ils produisent sur tweeter, ceux-ci ne sont pas arrêté en flagrant délit, donc niveau persécution on est plutôt dans le laxisme. Ce qui est aussi un problème car la constitution est assez claire, si l’état ne protège pas les libertés constitutionnelles, alors y’a plus de constitution et c’est le chacun pour soit, et y’a une jurisprudence pour dire que c’est possible…
Que ce soit le gud ou les antifa, ces gens sont la même menace démocratique pour moi, par contre on notera que le RN ne se vante pas officiellement d’être attaché au gud, alors que la gauche se dit avoir des liens avec les antifa même quand ceux-ci les attaque, la gauche est pas prête de me voir voter pour autre chose que le centre et la droite.
Puis faudrait aussi arrêter de parler d’antifa, ils sont plus dans l’anarchisme…