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Convoi express, pour sortir du train-train quotidien

Convoi express. Un jeu, comme un train, à ne pas rater.


Convoi Express

L’auteur David Thompson, en créant Convoi Express, a voulu faire plaisir à ses parents Warren et Carol Thompson, grands adeptes de trains, à qui il dédie ce jeu. Très bonne idée, car il nous offre ici un jeu très réussi ! Et figurant sur la liste des jeux recommandés par le Spiel des Jahres en 2021.

Il vous faudra être rapide et efficace pour espérer mener à bien votre mission : ramener au port toutes les marchandises avant la fin de la partie.

Convoi express est un jeu coopératif de 2 à 4 sur le thème ferroviaire en mode Pick-up and Deliver. Littéralement « je ramasse et je livre ». Une sorte de Deliveroo mais version train. Sans devoir faire une réclamation pour les frites 🍟 arrivées froides.

Le pick-up and deliver, mais qu’est-ce que c’est ?

Cette mécanique demande de ramasser des trucs, des bidules sur le plateau à un point A, pour les transporter à un point B. Objets, ressources, marchandises, gens, l’idée est d’acheminer ces différents éléments.

Le placement initial peut être prédéterminé lors de la mise en place ou pendant le jeu ou aléatoire. La livraison du bien confère en général de l’argent pour faire plus d’actions ou pour gagner des points de victoire, et ainsi remporter la partie. Dans la plupart des cas, il existe une règle de jeu ou un autre mécanisme qui détermine comment et où déplacer les éléments à transporter.

Aux origines du Pick-up and Deliver et de Convoi Express

Si l’on doit remonter aux origines de cette mécanique, peut-être pourrait-on les trouver dans le backgammon. Réussir à déplacer ses jetons d’un côté du plateau à l’autre.

Antiquité et après

Avant le backgammon, comme nous l’apprend Wikipedia, il y a eu le ludus duodecim scriptorum, le jeu des douze lignes, pratiqué dans la Rome antique. Mais les règles ne nous sont pas parvenues, et le plateau, appelé alors « tablier », comportait trois rangées de 12 cases au lieu de deux. Le descendant du Backgammon, et donc de cette mécanique moderne qu’est le Pick-up and Deliver que l’on retrouve ici dans Convoi Express, aussi romain, appelé tabula, utilisait un matériel totalement identique à celui qui caractérise les jeux de plateau.

L’expression « jeu de plateau » est issue par ailleurs issu du mot tabula. « planche », « table » en latin, qui désigne le… tablier.

Déjà largement diffusé dans l’Empire romain, le futur backgammon s’est popularisé dans le reste de l’Europe et le Moyen-Orient, à la suite des échanges commerciaux et des diverses invasions principalement chrétiennes puis musulmanes.

En Espagne, le Libro de los juegos, manuscrit réalisé à la demande du roi Alphonse X de Castille et achevé en 1283, contient les règles illustrées de quatorze jeux de plateau, de tables, parmi lesquels le todas tablas qui présente les principales caractéristiques du backgammon actuel, dont la position des pions au départ et les règles de base.

Et plus récemment

Au XVIe siècle, une variante proche du todas tablas, nommée irish, est le jeu de tables favori en Angleterre avec le trictrac. Elle y sera supplantée dans la première moitié du XVIIe siècle par une version plus rapide, appelée… backgammon.

Mais c’est en France que la règle la plus proche du backgammon moderne, sous le nom de « toute-table », est publiée pour la première fois en 1699 à la suite du traité Le Jeu du trictrac, chez Charpentier, à Paris.

En 1743, Edmond Hoyle publie A Short Treatise on the Game of Back-Gammon. Plus qu’un livre de règles du jeu, il s’agit d’un traité présentant des stratégies, tactiques, ouvertures et probabilités. À ce traité sont ajoutées cinq lois codifiant l’utilisation des pions, par exemple, « dame levée, dame jouée ».

Pour devenir moderne, le backgammon a ajouté en premier lieu la possibilité de gagner une partie triple, puis surtout le dé doubleur à partir de 1920 et les règles concernant ses modes d’utilisation.

Les progrès de l’industrie ont aussi rendu possible la fabrication de dés parfaitement identiques, permettant l’utilisation d’une paire de dés par personne au lieu de la même pour les deux auparavant ; ce qui a amené à simplifier la réglementation concernant la détermination du début et de la fin du tour d’un joueur.

Et si on veut remonter encore plus loin aux origines du Pick-Up and Deliver, et à ceux du backgammon, peut-être devrait-on également s’intéresser au Senet, l’un des tous premiers jeux de société de l’histoire.

Retour très loin en arrière

Senet Met

Le Senet est peut-être l’un des tous premiers jeux de société connus. Des preuves archéologiques suggèrent qu’il a été joué dès 3 100 avant JC, en pleine dynastie des pharaons dans l’Égypte Antique. Toutankhamon et Néfertiti y auraient joué.

Les planches Senet étaient longues et souples, composées de 30 carrés disposés en trois rangées parallèles de dix. On recevait un certain nombre égal de jetons, généralement entre cinq et sept, et le but était de placer toutes ses pièces au bout du plateau.

Plutôt que de lancer des dés pour déterminer le nombre de cases, on jetait des bâtons (comme dans Nagaraja sorti en 2019) ou des… os, avec une forte interaction puisque on pouvait bloquer l’autre voire dégager ses pions.

Musée Senet Brooklyn

Le Senet portait une certaine signification symbolique, spirituelle et mystique, puisque le bout du « plateau » représentait Re-Horakhty, le dieu du soleil levant, le moment où des âmes dignes rejoindraient Ra, le dieu du soleil, pour l’éternité. On jouait donc au Senet pour sublimer l’expérience humaine.

Le nom lui-même, Senet, signifie « passer ». Ou transférer, amener, acheminer, comme dans… Convoi Express ?

👉 À lire également : Les jeux de société de l’Antiquité.

Chaque plateau de Senet est constitué de trois rangées de dix cases gravées. On commence le jeu avec cinq pièces.

Le but ? On doit réussir à placer en premier toutes ses pièces sur la première rangée de dix cases. En alternant les couleurs le long de la rangée. Pour ceci, on utilise des bâtons de lancer double face pour déterminer si ses pièces peuvent se déplacer et jusqu’où. Les bâtons de lancer sont généralement codés par couleur, un côté étant plus clair que l’autre. Il y a des symboles sur le plateau marquant un début et une fin pour les cases. Oui, vous l’aurez remarqué. Le tout ressemble beaucoup au backgammon.

À tour de rôle, on lance les bâtonnets, quatre, pour être précis, pour voir quel pièce déplacer. Le mouvement est alors déterminé ainsi :

  • Si tous les côtés des bâtons de lancer sont sombres, vous déplacerez votre pièce de cinq cases et recevrez un lancer supplémentaire.
  • S’il y a trois bâtons de lancer sombres et un bâton de lancer clair, vous vous déplacerez d’un point et recevrez un lancer supplémentaire.
  • Si une personne possède la moitié de ses bâtons de jet sombres et l’autre moitié clairs, elle déplace ses pions de deux cases.
  • Si une personne lance trois bâtonnets du côté lumineux, elle déplace ses pions de trois cases.
  • Si les quatre bâtonnets à lancer sont du côté clair, les pièces se déplacent de quatre cases et cadeau, on obtient un lancer supplémentaire.

À noter qu’aucun emplacement sur le plateau ne peut être partagé avec une autre pièce. Si une pièce de jeu atterrit sur une case, aucune autre pièce de jeu ne peut s’y trouver.

Si un jeton atterrit sur la pièce de son adversaire, la personne peut alors revendiquer cette case comme la sienne. L’adversaire devra changer de place avec l’attaquant.

Il existe également d’autres symboles sur le plateau de Senet. Une s’appelle… la Maison du Bonheur. Vous ne pouvez pas passer devant la case de la Maison du Bonheur sans y avoir fait un petit arrêt au préalable. Parce que le bonheur, c’est important.

Une autre case, connue sous le nom de Maison de l’Eau, est une zone dangereuse. Si une pièce de jeu atterrit dessus, cette pièce doit retourner au tout début du parcours.

Les pièces ne peuvent être retirées du plateau qu’en lançant les numéros indiqués sur les trois dernières cases. La première personne à avoir amené toutes ses pièces de l’autre côté remporte la victoire.

Le premier Pick-up and Deliver en jeu de plateau moderne ?

L’un des premiers jeux qui intègre cette mécanique de Pick-up and Deliver que l’on retrouve dans Convoi Express est sans doute Empire Builder. Sorti aux US en 1982.

Empire Builder est un jeu classique de Pick-up and Deliver qui est encore populaire aujourd’hui. Dans ce jeu, vous construisez des voies ferrées entre les villes et déplacez des trains sur la voie. Vous détenez des contrats spécifiant quelles villes exigent quels types de biens.

Pour remplir un contrat, vous devez aller récupérer la marchandise spécifique disponible dans une ville pour la livrer à la ville de destination. Du pur Pick-up and Deliver. Empire Builder, aux origines de Convoi Express, plus de quarante ans plus tard !

Convoi Express, but du jeu

Vous et votre équipe êtes chargés de gérer, ensemble, la circulation des trains en Europe centrale ou en Amérique du Nord, avec deux plateaux à choix.

Votre mission est de récupérer des marchandises dans 4 villes différentes afin de les livrer au port de destination. Marseille pour le plateau Europe, et San Francisco et New York pour l’Amérique du Nord.

Pour cela, vous allez devoir utiliser trois sortes de trains, roulants chacun à des vitesses différentes. Des vitesses symbolisées par la valeur des dés correspondants que vous devez lancer.

Vous devez planifier ensemble au mieux vos actions, afin d’allumer les feux de signalisation, actionner les aiguillages, déplacer les bons trains et ainsi espérer garantir toutes les livraisons.

Pour y parvenir, vous ne disposez que d’un temps limité. Sinon le jeu ne s’appellerait pas Convoi Express

Rouler des mécaniques

En début de partie, tout le monde reçoit des cartes Action avec 3 actions possibles :

  • Passer un feu au vert
  • Actionner un aiguillage
  • Déplacer un train

À votre tour de jeu, vous avez trois actions à réaliser :

  1. Révéler la fiche instruction du dessus de la pioche et réaliser les actions demandées : mettre un ou plusieurs trains en jeu ou/et déplacer un ou plusieurs trains
  2. Jouer les cartes actions de votre main afin de contribuer à l’avancement des objectifs
  3. Piocher 5 nouvelles cartes Action tout en veillant à ne pas en avoir plus de 10 dans votre main

Veillez également à gérer au mieux vos jetons temps, placés sur l’horloge de la gare. Ceux-ci vont être décomptés selon les règles suivantes :

  • 1 jeton temps à chaque point de mouvement du train que vous ne pouvez pas réaliser
  • 2 jetons temps lorsqu’un train ne peut pas sortir du dépôt car sa case départ est déjà prise
  • 2 jetons temps à chaque arrivée sur un case départ

Lorsque les 7 jetons temps ont tous été défaussés, le jeu se fige. Le temps de retirer, sans la regarder, la prochaine carte Fiche d’Instruction. En clair, vous perdez un tour de jeu et donc un temps précieux pour mener à bien votre mission.

Les jetons temps sont alors remis en jeu, pour les prochaines déductions.

Pour finir, 3 agents ferroviaires sont là pour vous aider dans votre mission. Chacun a un pouvoir unique que vous pouvez utiliser à votre convenance lors de la partie.

La partie est gagnée si vous arrivez à décharger au port la 8ème et dernière marchandise, au plus tard lors du tour où est révélée la dernière Fiche d’instruction.

« Le train-train quotidien va bientôt dérailler, qui veut rester dedans n’a qu’à bien s’accrocher »
Robert de Houx

N’est pas livreur express qui veut !

Au premier abord, les règles de Convoi Express sont simples et logiques. Et les déplacements sur le plateau peuvent paraitre presque enfantins. Hop hop ! Quelques livraisons Express en Europe dans la journée, le tour est joué, on rentre tous peinards se mettre au chaud ! Mais en fait, pas du tout.

Toute la difficulté de ce jeu réside dans le fait de trouver le meilleur chemin à emprunter avec le bon train, et d’activer en temps voulu les aiguillages et feux verts. Sous peine de perdre beaucoup de temps et perdre la mission.

Plus les tours s’enchainent plus la tension monte. La pression du temps qui défile et les parcours qui se complexifient combinés au tirage aléatoire d’actions pas toujours intéressantes comme nous le souhaiterions, rendent la victoire rare et complexe.

Il va falloir non seulement générer nos parcours, mais également anticiper les futures Fiches d’Instruction qui pourront nous faire perdre du temps en faisant arriver un train sur le plateau dans un mauvais minutage. Ou déplacer un convoi que l’on aurait préféré statique pour ce tour.

Il nous aura fallu 6 parties de suite. Oui, 6, pour enfin sabrer le champagne victorieux déguster la bouillabaisse victorieuse au port de Marseille ! Pas une sinécure, mais quelle joie de vaincre ce jeu en équipe !

La configuration du jeu tourne aussi bien à 2, 3 ou 4. À condition d’arriver à se mettre d’accord sur la meilleure stratégie à adopter.

Convoi Express, verdict

Convoi Express est un très bon jeu coopératif avec des règles simples. Mais un jeu qui offre toutefois un défi et une tension importante qui monte crescendo au cours de la partie.

L’envie d’enfin réussir à livrer dans les temps nous fait y retourner, malgré les parties foirées qui s’enchaînent.

Le défi de faire oublier Les Aventuriers du Rail est tout à fait réussi !

Le matériel, fonctionnel, facilite le jeu et permet une bonne immersion. Pour exemple, les cubes marchandises qui s’insèrent parfaitement dans les figurines trains. Le graphisme clair et d’époque nous y aide également.

Les déplacements plus ou moins rapides des trains, selon leurs couleurs avec les dés correspondants, sont malins. Quant aux déplacements d’aiguillages et des feux verts, ils poussent à réfléchir consciencieusement.

Envie d’un petit voyage à plusieurs ? Pas d’hésitation ! Faites vos bagages et sautez dans le prochain train de Convoi Express, vous ne le regretterez pas !

Grandiose !

Note : 5 sur 5.

  • Auteur : David Thompson
  • Illustrateur & illustratrice : Claus et Antje Stephan
  • Éditeur : Iello
  • Nombre de joueurs et joueuses : 2-4 joueurs (tourne bien à toutes les configurations)
  • Âge conseillé : Dès 10 ans (bonne estimation)
  • Durée : 45 min (voire 30 min, avec la pression)
  • Thème : Trains, aiguillages, marchandises
  • Mécaniques principales : Coopératif, pick-up and deliver

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Article écrit par Aline. Elle travaille dans le domaine social. Elle est tombée toute petite dans la marmite du jeu sous toutes ses formes (plateau, jeux vidéo, escape room, murder). Écrire sur le blog lui permet de découvrir de nouveaux jeux et partager de vrais coups de cœur.

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