Jeux de plateau

Héroïnes, quand féminisme rime avec ringardise

Avec Héroïnes le jeu, découvrez des femmes illustres. Propos intelligent, posture archaïque, jeu raté.


Héroïnes

Héroïnes est le second jeu édité par A&G Editions.

Cette maison d’édition créée en 2017 par Anne Dhoquois, une journaliste indépendante, et Gaëlle Bidan, a pour vocation de proposer des jeux sur des thématiques de société.

Comme revendiqué sur leur site :

« Notre intuition : le jeu peut être une arme efficace contre les préjugés. C’est également un merveilleux outil pédagogique que de nombreuses structures peuvent mettre à profit pour faire passer des messages de tolérance, de solidarité, d’égalité.

De ce crédo, nous avons fait notre marque de fabrique sans jamais céder sur un aspect essentiel de notre démarche : les jeux doivent avant tout divertir. Pas question de réaliser des serious game ou des jeux à vocation uniquement pédagogique. De la convivialité et de l’expérience ludique peuvent émerger des prises de conscience, loin de tentations moralisatrices ou culpabilisantes. ».

A&G Editions.

L’utilisation du jeu de société pour promouvoir et attirer l’attention du public sur différentes thématiques et actions s’est largement développée ces dernières années : écologie, féminisme, sensibilisation à la migration, etc. C’est une démarche parfois plus efficace que les campagnes de sensibilisation classique. Découvrir, par le jeu. Parce que oui, le jeu, c’est (aussi) du sérieux.

Le jeu est en effet un admirable moyen permettant d’aborder des thèmes forts de société avec recul et légèreté. Et plaisir et enthousiasme.

Ces mises en situation, voire ces immersions proposées par le jeu en général sont de très bonnes stratégies permettant d’intégrer un regard neuf sur différents aspects. Elles offrent la possibilité de faire bouger les mentalités et d’ouvrir de nouvelles perspectives et solutions. Le tout sans générer des résistances accrues.

Plusieurs jeux dans la même veine qu’Héroïnes sont sortis ces dernières années, avec comme mission principale d’éduquer par le jeu, de prôner l’égalité des genres et/ou valoriser les parcours de femmes qui ont marqué l’histoire.

Ces jeux ont remporté plus ou moins d’intérêt et de reconnaissance. Ils étaient plus ou moins réussis, et parfois avec un parti pris goût discutable :

  • Bataille Féministe sorti chez Topla. Un jeu de carte de 52 cartes prônant l’égalité homme-femme.
  • Moi c’est Madame avec des cartes d’attaque et de riposte pour s’entrainer à se défendre en trouvant des répliques drôles ou décalées face au sexisme ordinaire.
  • Les foufounes, un jeu de memory ou il faut associer différentes images de… vagins.
  • Who’s she ? un « Qui est-ce ? », un jeu par ailleurs co-créé par une femme, avec des femmes célèbres et qui ont marqué le droit et la place des femmes. Les questions ne portent plus sur la couleur des cheveux ou des attributs mais sur leurs compétences, leur engagement et leur pays d’origine.

Ces jeux incitent à s’interroger sur ses propres stéréotypes. Ce qui est positif. Néanmoins, on peut regretter que d’un point de vue ludique, la quasi-totalité de ces sorties ne sont pas innovantes. Elles proposent plutôt des versions féministes de jeux déjà existants.

C’est dans cette vague que s’inscrit la sortie d’Héroïnes, après une campagne participative à peine réussie en juillet 2019 sur Kiss Kiss Bank Bank.

Par le biais du jeu Héroïnes, l’intention des autrices est de faire découvrir ou redécouvrir des femmes d’exception du monde entier et de différentes époques. Avec une volonté de mélanger le ludique et l’instructif. Mais ça coince. On en parlera plus bas.

Héroïnes, Comment on joue ?

Dans Héroïnes, il s’agit de remporter 5 cartes de la même famille : les révoltées, les effacées, les icônes, les puissantes, les guerrières, les féministes, les pionnières, en jouant avec les 6 défis proposés.

Pour gagner, en plus de réussir les défis, des pouvoirs sont inscrits sur chaque carte : rejouer quand cela est stratégique, voir le jeu d’une autre personne et lui prendre une carte, répondre à sa place à une question, etc.

Les défis :

  • Bio & cie : Deviner une ou des héroïnes grâce à leur biographie, une citation, une anecdote…
  • Tempo : Déterminer des époques auxquelles ont vécu des héroïnes ou les classer par ordre chronologique
  • Dico : Inventer une biographie d’une héroïne méconnue et deviner quelle est la vraie
  • 3 mots : Deviner une héroïne grâce à des mots-indices
  • Mimo : Mimer une ou des héroïnes
  • Visio : Deviner une ou des héroïnes grâce à un dessin

Vous l’aurez compris, Héroïnes est en fait un jeu de type « Trivial Poursuit » ou pour remporter les défis vous utiliserez un fourre-tout de mécaniques de jeux très moisis classiques.

Soyons honnêtes, Héroïnes est un jeu tout droit débarqué d’une capsule temporelle venues des « années 80/90 ». Cela sent le Pictionnary, les jeux de mimes de camp de ski, le Timeline ou le jeu du dictionnaire de mamy.

Rien. De. Révolutionnaire.

Héroïnes, c’est bien ?

Si le descriptif ci-dessus ne vous a pas déjà donné la réponse : clairement non !

Héroïnes est long et ennuyeux. Autour de la table nous avons été plusieurs à vivre une réminiscence des longues soirées familiales de Trivial Poursuit ou seul Tonton, avec sa culture « à l’esbroufe » s’éclatait à étaler son savoir sur des questions dont lui seul avait la réponse. Et, soyons clairs, dont tout le monde se moquait !!

Je suis plutôt adepte des jeux de mimes ou de dessins. Mais lorsqu’il s’agit, par ce biais, de faire découvrir à mes partenaires Karen Blixen, Arya Stark ou Rosa Parks, franchement l’envie d’aller faire un tour est forte !

Je vous laisse aller vérifier qui sont ces femmes, exceptionnelles à n’en pas douter. Mais parfois inconnues pour la plupart d’entre nous. Vous me direz que c’est justement le but de ce jeu. Nous faire découvrir des femmes qui ont marqué l’histoire ! Très volontiers. Mais j’opte alors pour un livre d’histoire féministe ou pour une partie de « Who’s she ? » cité plus haut.

Lors d’une bonne soirée entre potes, est-ce vraiment ludique de devoir écrire la biographie d’une femme, inconnue de surcroit, afin de la faire découvrir aux autres ? Oui, comme de se jeter du sable dans les yeux !

Autant je salue la volonté portée par les autrices, autant Héroïnes est le parfait exemple d’une très mauvaise intégration de la découverte par le jeu. Car justement, celui-ci nous coupe toute envie. Sauf celle de fuir.

Cela étant dit, il en faut pour tous les goûts. Et celui-ci n’est pas du mien, vous l’aurez compris. Et je l’assume. Même en tant que femme.

Pire que pas bien

Or, Héroïnes aurait pu tout simplement être à mes yeux une tentative louable mais ratée ! Mais malheureusement, il est encore plus que cela. Le plus dérangeant dans ce jeu, est le grand malaise qu’il m’a laissé par ce qu’il suggère.

En tant que femme, née de parents soixante-huitards, un peu bobo-écolos, j’ai été élevée à côté de mon frère ainé, avec une forte vision du respect de l’égalité homme/femme. J’ai été sensibilisée très tôt aux défenses des inégalités, particulièrement celles subies par les femmes dans de nombreux domaines.

Je me définis toujours aujourd’hui comme féministe. Et je fais partie, entre autres, du comité de défense des inégalités sur mon lieu de travail. Je suis par ailleurs toujours à la recherche de nouveau matériel pédagogique pour illustrer ce thème, délicat. C’est donc tout naturellement que la découverte de ce nouveau jeu m’a fortement intéressée.

Nonobstant, à la lecture du slogan de la boite de jeu, on tombe de sa chaise : Héroïnes : « jeu 100 % féminin… où les hommes sont tolérés ».

Tolérés ? Pour un jeu prônant les valeurs d’inclusivité, cela part déjà mal. OK, c’est de l’humour. Pas très fin et plutôt provocateur. Soit, pourquoi pas.

Toutefois, à la lecture des règles, cette volonté d’inclusion d’exclusion s’intensifie et le malaise se confirme.

Comme expliqué plus haut dans les règles de jeu, afin de pimenter un peu la partie, des cartes Pouvoir sont intégrées. Elles vont permettre de rejouer, de piocher une autre carte défi, de regarder le jeu d’une autre personne, etc.

Sur certaines des cartes, à défaut de Pouvoir, une silhouette d’homme est dessinée. La règle dans ce cas est l’obligation de passer son tour. Sérieusement ? Oui, sérieusement !

Ce qui peut, sans poser trop de problème, passer de prime abord pour un private joke laisse un sentiment d’incompréhension à la vision de cette carte et de sa règle spécifique. Cela nous a fait abandonner notre première partie.

La face obscure du féminisme

À quel moment passe-t-on de la misandrie ironique à un rejet des hommes assumé comme revanche à ce qu’ils font subir aux femmes ? Héroïnes a clairement glissé du côté obscur du droit à l’égalité ! Les autrices revendiquent le fait de lutter contre les préjugés ? En voilà un de taille !

Un autre paradoxe ? Sur la boite de jeu on peut lire qu’il est prévu pour « 3 – 6 joueurs ». Avec la mission assumée de ce jeu, il aurait été plus pertinent d’indiquer « joueuses ».

On peut, enfin, se poser la question de la finalité de ce jeu : féministe, ou provocatrice-revancharde ? Une chose est sure, Héroïnes n’a rien de fun.

Héroïnes, verdict

Héroïnes ne propose aucune innovation. Il se contente, paresseux, de faire un gros gloubi-boulga de mécaniques « fun » vues dans d’autres jeux. Il est ennuyeux et par-dessus tout, prône une vision clivante et archaïque des inégalités vécues par les femmes.

Ce jeu est tout simplement à renvoyer d’où il vient : dans le passé !

Pas bon

Note : 0.5 sur 5.
  • Autrices : Gaëlle Bidan et Anne Dhoquois
  • Illustrateur : Robin Gasser
  • Éditeur : A & G Editions
  • Nombre de joueurs et joueuses : 3 à 6 (tourne « bien » à toutes les configurations)
  • Âge conseillé : Dès 12 ans (bonne estimation)
  • Durée : Entre 30 et 45 minutes (bonne estimation)
  • Thème : Féminisme
  • Mécaniques principales : Cartes, quiz, mime, dessin

Pour vous offrir une expérience de lecture plus agréable, nous vous proposons un site sans aucune publicité. Nous entretenons des relations d’affiliation avec Philibert et Play-in. Ainsi, lorsque vous achetez un jeu en cliquant sur les liens menant aux boutiques, vous nous soutenez. Grâce à vous, nous pouvons obtenir une petite part des revenus. Ceci nous permet alors d’acheter d’autres jeux et de continuer à pouvoir vous proposer de nouveaux articles.


Et encore

Si vous poursuivre cette réflexion sur les questions de genre, et de jeu, voici deux références qui pourraient vous intéresser.

Podcast

Ce samedi 15 janvier, France Inter vient tout juste de publier une émission spéciale sur la question du féminisme. Comment aider nos enfants à grandir en s’affranchissant des stéréotypes sexistes ? Et comment sensibiliser les enfants à cette question. À écouter ici.

Article

En décembre 2020, juste avant les fêtes, nous avons publié cet article : Les jeux et les jouets ont-ils un genre ? À lire ou relire.


Article écrit par Aline. Elle travaille dans le domaine social. Elle est tombée toute petite dans la marmite du jeu sous toutes ses formes (plateau, jeux vidéo, escape room, murder). Écrire sur le blog lui permet de découvrir de nouveaux jeux et partager de vrais coups de cœur.

Votre réaction sur l'article ?
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
%d blogueurs aiment cette page :