Jeux de plateau

Vous hésitez sur votre prochain jeu à acheter ? Vous êtes peut-être en proie au FOBO

Est-ce que ça vous arrive de prendre des heures pour choisir un jeu de société à acheter ? C’est certainement dû au FOBO

Récemment, un vendeur dans une boutique spécialisée en jeux de société m’a raconté une histoire un peu farfelue. Un client est entré dans l’échoppe, et a commencé à poser quelques questions sur un jeu, puis une autre, puis une autre, puis une autre. Le vendeur m’a expliqué qu’au début, il prenait du plaisir à tout expliquer, à répondre à toutes ces questions. Après tout, si c’est bien quelque chose qui change d’un « bête » achat de jeu sur internet, c’est le contact avec un vendeur, la possibilité de lui poser plein de questions et de trouver, enfin, chaussure jeu à son pied sa table. Il vaut mieux un client (pénible) que pas de client du tout !

Sauf que. Le vendeur a continué son récit en m’expliquant que ce client est resté en tout et pour tout plus de trente minutes dans la boutique à poser une question après l’autre sur un jeu après l’autre. Du genre : est-ce que ce jeu-ci se comprend facilement ? Est-ce qu’il est rapide ? Est-ce qu’il a une bonne durée de vie ? Et la question cruciale et létale : « et celui-là juste à côté, en quoi est-il différent de celui-ci ? »

Est-ce que ce client a fini par acheter un jeu ? Vous imaginez le chute. Non. Rien. Après avoir mitraillé le vendeur de milliers de questions sur des milliers de jeux, le client est ressorti, bredouille. Ce client a été la victime du FOBO. Et ne faites pas les malins ! Parce que je suis persuadé que ça vous arrive parfois aussi à vous

Le QUOI ?

L’indécision quand la décision est simple, ou quand les options sont toutes acceptables, est la caractéristique qui définit le « Fear of Better Options », ou Fobo. Vous connaissez évidemment le FOMO, ou la peur de rater un truc. Très en vogue depuis les années 2010 avec l’avènement des réseaux sociaux et les fils et flux qui se chargent. Peur de rater un truc, une info vitale, cruciale, croustillante

Le Fobo est un poil différent. Il peut se produire partout, avec des décisions mineures, que regarder sur Netflix ce soir, que manger à midi, et où. Mais le Fobo peut également affecter des décisions plus vitales, comme quel emploi choisir, quel appart louer ou maison à acheter. Une personne atteinte de Fobo peut se retrouver dépassée par les possibilités de ce qui pourrait être, autrement. Dans le milieu du jeu de société, on appelle ça l’analysis-paralysis. J’analyse tellement de possibilités, d’actions, qu’au final, je ne fais rien, je suis comme figé. Au grand dam des autres à la table qui se tournent les pouces et qui perdent patience (« faut que ça poppe ! », comme diraient certains…)

Par exemple, un exemple

Un exemple courant peut être de savoir quel prochain jeu acheter, justement. Vous avez lu l’une de nos critiques sur un jeu que nous avons bien apprécié, puis en poursuivant votre surf sur notre blog, vous en avez découvert un autre. Le premier jeu semble convenir à vous et à votre équipe habituelle, ça vous tente de l’acheter. Sauf que. Le second a l’air pas mal non plus. Et si d’autres jeux, d’autres articles vous parlaient d’un autre jeu, LE JEU, encore mieux que les deux premières options ? Au final, quel jeu se révélera être le plus fun ? Le premier, le deuxième ou l’hypothétique troisième dont vous n’avez pas encore lu la critique ? Quel jeu acheter ? Il est probable que le Fobo vous fige et retienne votre achat. Au point de faire comme le client de la boutique spé vu plus haut, RIEN DU TOUT

J’analyse tellement de possibilités, d’actions, qu’au final, je ne fais rien, je suis comme figé.

Avec les années et de plus en plus de sorties qui inondent le marché, le Fobo n’est pas prêt de se calmer. Alors comment l’expliquer ? Non, le Fobo n’est pas nouveau. Le dicton le dit bien : abondance de biens, nuit. Ou autrement dit, trop de choix tue le choix

Mais voilà. L’introduction massive des technologies et d’Internet a accéléré le Fobo, et le Fomo avec. Nous n’avons jamais eu autant de choix, et autant de facilité à y accéder.

Allez sur Philibert pour acheter un jeu de draft, et vous avez 438 jeux qui apparaissent dans leur base de données. 438… Comment faire pour choisir ? Alors qu’il y a vingt, trente ans, avec 100, max 200 jeux qui sortaient dans l’année, si vous trouviez trois ou quatre jeux à acheter DANS L’ANNÉE c’était déjà énorme (pour vous en convaincre, faites un petit tour cocasse sur les meilleurs jeux sortis il y a 23 ans, en 1997, une « grande » année ludique. LOL)

Avec les années et de plus en plus de sorties qui inondent le marché, le Fobo n’est pas prêt de se calmer.

Fobo, un problème de riche

On ne va pas se le cacher, le Fobo est un problème de riche. Pour être frappé de Fobo, vous devez avoir des options disponibles, beaucoup d’options. En effet, plus vous êtes riche, et plus vous avez d’options. C’est à ce moment que vous commencez à ressentir le Fobo. Parce que votre budget vous permet de vous acheter plus de jeux, d’avoir accès à un plus large éventail

La prise de décision est une procédure mentale complexe qui implique plusieurs fonctions exécutives du cerveau, i.e. les processus cognitifs-clés que notre cerveau utilise pour contrôler notre comportement, de la planification à la gestion des émotions et impulsions. En réalité, le Fobo est une peur du lâcher-prise. Pour choisir quelque chose, il va falloir en abandonner une autre. Et c’est justement la peur d’avoir à regretter ensuite l’autre choix, la… route non prise. Par conséquent, nous préférons donc ne pas décider du tout et garder toutes nos options ouvertes. C’est plus facile. Ne pas décider pour ne pas… décider. Alors qu’en réalité, au final, ne pas décider est aussi décider (de ne pas décider)

Y’a le mauvais chasseur : y voit un truc qui bouge : y tire. Le bon chasseur : Y voit un truc : y tire…

Le Fobo repose évidemment sur un fondement psychologique. Certains psychologues ont découvert qu’en matière de prise de décision, les personnes peuvent être divisées en deux groupes : les «maximiseurs» ou les «optimisateurs». Les maximiseurs sont des personnes qui font un choix basé sur un bénéfice maximum par la suite. Le plus, le mieux, point barre. Tandis que les optimisateurs ou .trices, effectuent des choix basés sur des critères modestes. Le plus possible, mais avec le moins possible, et ça suffit

Les maximiseurs, par exemple, peuvent préférer acheter un gros jeu, plus cher, en se disant que comme ça, ils en auront pour leur argent, et que le jeu « tiendra » des mois, des années, qu’il sera joué et ressorti plus souvent (hello Gloomhaven). Alors qu’un optimisateur est plutôt susceptible de choisir un jeu moyen qui correspond au temps à dispo maintenant. Les maximiseurs se fixent des normes et des attentes élevées et prennent le risque d’être déçus lorsqu’ils ne parviennent pas à les atteindre. Ils regrettent ce qu’ils ont perdu plutôt que ce qu’ils ont obtenu. J’aurais plutôt dû acheter cet autre jeu. Tandis qu’un ou une optimisatrice aura tout fait pour se contenter du « ceci, maintenant »

Guide de survie pour lutter contre le Fobo

Vous hésitez encore sur le prochain jeu à acheter ? Avec tellement de bons, de beaux jeux sur le marché, comment pouvons-nous endiguer ces spirales de maximisation sans fin qui nous empêchent de prendre des décisions ? Un acronyme anglophone tout simple, le MFD : le Mostly Fine Decision

Le MFD est le résultat minimum que vous êtes prêt à accepter pour une décision. C’est le résultat avec lequel vous seriez d’accord, même si ce n’est pas la meilleure possibilité absolue. Je le sais, tu le sais, nous le savons, vous le savez, ils le sachent (comme dirait Sammy Silver). Mais vous êtes prêt à l’accepter. Et c’est toute la nuance

Aujourd’hui, avec autant de jeux sur le marché, tellement de sorties, entre Fomo, Jomo et Fobo, le MFD et peut-être le seul et unique moyen s’en sortir pour survivre contre le Fobo. OK, ce jeu n’est certainement pas LE jeu de l’année. OK, Gus&Co ne lui a pas mis un 6 sur 5 (parce que Gus&Co ne sait pas toujours compter), so what ? Ce jeu me convient, maintenant

Et vous, vous sentez-vous parfois aux prises avec le Fobo ? Au rayon beurre de votre supermarché ou devant les étagères bien remplies de votre boutique de jeux préféré ? Et comment faites-vous pour vous en sortir ?

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7 Comments

  • Cesium

    Super article, merci Gus.
    ben moi du coup je suis un peu trop MFD, j achète dès fois même si les critères sont loin d’être au vert (ex: achat passion collection alors que je sais qu il sortira peu ou pas) 🙂

  • Thx1139

    Certains psychologues ont découvert qu’en matière de prise de décision, les personnes peuvent être divisées en deux groupes : les «maximiseurs» ou les «optimisateurs».

    J’ai bien l’impression qu’il y a aussi un biais culturel très fort qui dépasse la psycho. Les deux exemples opposés sont la France (et sûrement une bonne partie de l’Europe) et les US. D’un côté un entreprenariat optimiseur, des capitaux réduits, des marges importantes sur de plus petits volumes, des investissements employés sur une optimisation des risques, un emploi intensif des ressources à disposition… de l’autre un entreprenariat maximiseur avec des profits réalisés sur des marges faibles mais des ventes massives, des capitaux extensivement accessibles et investis agressivement…

    En fait, derrière il y a une profonde culture historique qui a marqué des siècles de paysannerie. D’un côté des grands espaces, des ressources naturelles presque illimitées et une culture extensive en openfield. De l’autre des micro-parcelles surexploitées et des ressources naturelles limitées.

    Et au final, quand on y réfléchit, ça se retrouve pas mal dans les différents jeux des deux bords de l’Atlantique.

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