Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

FOMO et jeux de société. Ou le truc complètement has-been en 2018. Vive le JOMO

1’400 nouveautés

C’est le chiffre-record de jeux présentés cette année à Essen qui vient juste d’avoir lieu la semaine passée

1’400 nouveautés en 2018

Il n’y a jamais eu autant de jeux à Essen. Il n’y a jamais eu autant de jeux sur le marché

En 2017, plus de 3’000 jeux furent publiés, toutes extensions et rééditions confondues

Avec les 1’400 nouveautés présentées à Essen, on peut s’attendre à encore un autre record annuel

Il faut dire que le marché est en pleine effervescence. Il n’y a jamais eu autant d’éditeurs. Il n’y a jamais eu autant d’auteurs

Et les plateformes de financement participatif / précommande participative viennent mettre leur grain de sel dans ce marché déjà foisonnant / saturé

Essen, c’était mieux avant #VieuxCon

Quand était votre tout premier Essen? Vous vous en souvenez?

Le mien, c’était il y a sept ans, en octobre 2011. Et depuis, nous y retournons chaque année

En fouillant dans nos archives, je suis tombé sur cet article de 2013. Un article bourré de chiffres. Voici ce que nous disions à l’époque:

La foire du jeu à Essen ouvre à peine dans quelques jours. Voici quelques chiffres (hallucinants):

863

863 nouveautés. C’est le tout dernier chiffre (samedi 19.10 à 9h du matin) officiel annoncé. 863. Clairement un record historique !

283 

283 éditeurs présents. Pareil que plus haut. Un record.

37

37 nations présentes par les exposants.

47’000 

47’000 mètres carrés de surface. Soit l’équivalent de 6,7 terrains de foot, 241 terrains de tennis et 37,6 bassins olympiques. Également un record.

35 

35 heures d’ouverture (au public).

6’041

Si vous deviez passer uniquement 7 minutes par nouveauté, juste pour écouter la présentation rapide mais sans y jouer, il vous faudrait 6’041 minutes. Donc 100 heures, i.e. 2.85 fois plus que les heures d’ouverture

1,6

L’année passée, ce ne sont pas moins de 150’000 visiteurs qui se sont baladés dans les allées. Si cette année la fréquentation est pareille, cela voudra dire que chaque jour, en moyenne, il y aura 37’500 visiteurs, donc la densité sera de 0.8 personne par mètre carré

Mais sachant que sur toute la surface une bonne moitié est déjà physiquement occupée par les stands, tables, déco, etc, donc indisponibles, on doit donc plutôt compter sur une densité moyenne quotidienne de 1,6 personnes par mètre carré pendant 35 heures. Essayez, juste pour rire, de tenir à 1-2 sur un mètre carré

14h

Si l’on compte donc une surface de 23’500 mètres carrés utilisables (cf ci-dessus), et que la vitesse moyenne humaine est de 4 km/h, il faudra donc à peu près 7 heures de marche non-stop pour tout voir

Sachant que la densité est approximativement de 1,6 personnes par mètre carré, on devrait plutôt ralentir la cadence de moitié, ce qui signifie qu’il faudra donc environ 14h de marche non-stop pour tout voir

Mais LOL 

Comparons ces chiffres avec ceux de 2018

Que constate-ton? Tout a augmenté (ou presque, pas les heures d’ouverture)

En 2013, ce furent 863 jeux présentés, contre 1’400 cette année. Un peu moins que le double

Et 283 éditeurs contre… 1’150. Soit cinq fois plus. 5x plus!!! 5 fois plus en juste 5 ans. Une conjonction entre plus de structures qui se sont montées et également plus d’éditeurs de jeux qui font le déplacement jusqu’à Essen. Il faut dire que depuis la Corée ou le Brésil, ça fait un sacré voyage

Essen, c’était mieux avant. Ou presque. Avec moins de 900 jeux, c’était encore possible de trier le grain de l’ivraie, de trouver les pépites, d’établir une pré-liste et de tenter de repérer les cartons

Mais aujourd’hui, avec plus de 1’400 jeux, on peut juste oublier

Comment est-il possible de sortir une liste pertinente des jeux coups de cœur, des jeux à ne pas rater avant, et des jeux à ne pas rater après le salon?

Avec un tel chiffre, soyons honnêtes, il devient juste IMPOSSIBLE d’essayer tous les jeux

Le FOMO, c’était tellement mieux avant

Le FOMO, avec l’émergence des réseaux sociaux dans les années 2010, tout le monde connaît

C’est le Fear of Missing Out. La « peur » de rater un truc. Nous sommes aujourd’hui tellement submergés d’informations que nous avons développé un sentiment d’anxiété face à la « crainte » de rater un trucUne info, un événement

Le terme de « peur » est peut-être exagéré. Disons anxiété ou curiosité, c’est selon

Le FOMO est venu avec notre usage des réseaux sociaux. Notre mur Facebook, les stories Insta, le flux Twitter, les épingles Pinterest, nos abonnements YouTube…

Si on a le malheur de ne pas consulter nos flux 2-3-6’000 par jour, on risquerait bien de rater un élément tellement crucial, vital. Life-changing, comme on dit dans la langue du Donald

Et le FOMO existe aussi dans le monde du jeu de société

Quand vient Essen, la toile s’enflamme avant: ne pas rater ce jeu sur le salon, et après: ne pas rater ce jeu tellement il déchire. C’est LA pépite du salon / de l’année / du siècle

Souvenez-vous, en 1997, il y a plus de 20 ans, il n’y avait que 200 jeux qui avaient été édités DANS L’ANNEE. Près de 20x aujourd’hui

Alors comment gérer son FOMO aujourd’hui?

Une seule réponse possible: impossible

Le nouveau Bruno Cathala est juste incroyable il ne faut pas le rater?

Le nouveau Stefan Feld déchire sa race?

Antoine Bauza sort une galette de ouf?

Le nouveau Uwe Rosenberg est une tuerie?

Et. Alors.

Il y a d’autres jeux. Et ces auteurs en ressortiront d’autres encore après

Aujourd’hui, il n’y a pas trop de jeux, il y a juste le même temps et le même budget qu’avant mais juste de plus en plus sollicités. Par les annonces, par les vidéos de jeu, par les critiques, par les sorties… Du coup, comment s’en sortir?

Le FOMO, c’était tellement mieux avant. Quand c’était encore possible. Aujourd’hui, avec un tel déluge de nouveautés, de jeux, le FOMO est « un luxe » dont on ne peut plus se permettre…

Le FOMO est mort. Vive le JOMO

Le JOMO, c’est quoi?

C’est la réaction au FOMO

La joie de rater un truc

Si le FOMO est l’angoisse de rater un truc, une info, un jeu, le JOMO, c’est le Joy of Missing Out

On est passé à côté du tout dernier jeu de Cathala / Rosenberg / Bauza / Feld / Warsch / Pauchon? Et. Alors.

La terre ne vas pas s’arrêter de tourner. On y jouera peut-être, peut-être pas. On aura raté un jeu, un de plus. Et. Alors. Il y en a d’autres. Il y en aura d’autres.

Et d’ailleurs, « rater » veut dire quoi, en somme »? Devons-nous toujours tout essayer? Tout acheter?Il y a de plus en plus de bars à jeux, d’associations, de conventions qui proposent des jeux plus ou moins gratuits. Ces lieux permettent de jouer aux jeux sans avoir à les acheter. Top moumoute

Rater un jeu, why not

Rater un grand jeu, encore mieux.

Et vous, ça vous fait quoi de rater un (grand) jeu? Quel est le dernier (grand) jeu que vous avez raté?

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13 Comments

  • patate des Ténèbres

    Ahah, c’est vraiment un truc de ludophage! Je ne connaissais pas le terme. Pour ma part, je ne remarque pas d’accroissement du nombre de jeux qui m’intéressent, une dizaine par ans, et la moitié sont des kickstarters (les Lacerda par exemple). L’exigence vient avec le temps j’imagine, et la recherche d’un mode de vie moins ancré dans le surconsummérisme fait que la collectionnite est guérie depuis longtemps.

  • Snake135

    C’est vraiment top cette surproduction dans tous les domaines culturel. Dans tous les secteurs il y a un nombre phénoménal de nouveautés et tant mieux. On a le choix et c’est très important.

  • Mathilde

    Manquer? Mais oui. Ne pas le reconnaitre serait une utopie de plus. Ben oui, personne n’en meurt. Merci j’aime ton article ou je pourrais changer le theme allegrement et en garder le sens completement.
    Vives les ludotheques, la fouille sur internet, les vide-greniers, les rencontres avec les gens avec qui on partage en direct live et le petit bonheur la chance! En tant que particulier, ca me suffit. Evidemment, si je devais faire mon beurre du monde ludique, la, la question serait plus delicate a gerer.
    Mais, dans le fond, on parle bien d’un regard sur la vie en general, non?
    😀

  • Soissons

    j’avoue je suis en plein dedans le JOMO j’ai maintenant suffisamment de jeux et trop peu de temps de jeu pour me lasser et je me fais du slow gaming en ressortant de vieux jeux. Hier j’ai retrouvé chez mes parents les Zoons de mon adolescence et cet été on ressortira le Heroquest. Un peu de Gus &co pour se tenir de temps à autres informer avec de la réflexion de qualité et les 3 coeurs de jeuxsoc.fr pour m’aiguiller sur de nouvelles choses.

  • Marion H.

    Merci Gus pour cet article quasi scientifique !
    Effectivement, en rentrant d’Essen, je me suis dit que je suis forcément passée à côté de jeux superbes et que les coups de coeur évoqués ne sont qu’un échantillon de coups de coeur possibles.
    Essen est une mine dont nous n’avons pas fini d’explorer les galeries. Et la créativité du milieu ludique ne va pas nous faciliter la tâche en creusant toujours plus loin….
    Il faut savoir profiter de l’instant, et de ce que nous avons déjà. Les prochains jours me feront découvrir d’autres merveilles.

  • Nicolas

    En fait, dans « peur de rater » c’est le mot rater qui est intéressant. J’ai été un très gros joueur de jeux vidéo, et dans ce domaine la problématique est intéressante (il y a une analogie, j’y viens ensuite) : pourquoi se ruer sur l’information des sorties les plus récentes, surtout lorsque l’on a, posé sur ses étagères -virtuelles ou pas- de nombreux jeux pas joués, ou pas finis..? En forçant le trait, j’en viens à deux raisons (qui n’ont elles aussi que peu de sens) :

    – la peur du remplacement : « si je rate un jeu aujourd’hui, un meilleur sortira et ce sera trop tard »
    => oui bon, on jouera au meilleur des deux, c’est plutôt mieux en fait, une sorte d’optimisation…

    – la peur… de la mort. Oui-oui! « si je rate un jeu aujourd’hui, peut-être que je n’aurais jamais l’occasion d’y jouer ».
    => là ça devient métaphysique, on ne va pas s’appesantir ^^

    L’univers du jeu de société est très proche. Le seul danger supplémentaire, c’est qu’un jeu finisse par devenir introuvable. Mais c’est rare, et en général ce sont des jeux assez vieux dont les mécaniques ont été améliorées par d’autres depuis.

    Lorsqu’on est un joueur renseigné et « agile », qu’on surfe sur les meilleurs sites (« Gus & Co » par exemple, je vous le conseille), on peut « rater » un jeu à sa sortie. Mais pas sur le long terme. Il viendra un jour où, au détour d’une liste, d’un « top 10 » ou d’un article, la pépite sera enfin révélée.

    Et là, quel plaisir ! On se sent comme Indiana Jones manipulant soigneusement la petite statuette au cœur du temple piégé….

  • Nin

    Alors, juste pour rire (même si c’est vrai): même dans mon petit village de 656 habitants, il y a notre petite association de jeux de société!
    Sinon, plus en lien avec le sujet de l’article (en passant: super, comme d’hab’!) je dirais qu’au même titre que « l’impôt tue l’impôt » il y a le « fomo tue le fomo ».
    Un peu marre au fil du temps de la course au dernier jeu, des visites régulières chez le suédois pour rajouter des étagères (d’ailleurs maintenant il nous faudrait des murs!), pour des jeux que finalement on ne jouera que quelques fois en des années.
    Bon, il ne s’agit pas ici de faire ma rabat joie, un tel marché florissant est aussi signe de dynamisme et de créativité, deux piliers qui se doivent de faire tourner le monde, SIC.
    Et puis finalement, cette avalanche de nouveautés et cette course effrénée m’aura au final appris le lâcher-prise (non, je ne peux pas tout essayé et tout avoir, et c’est ok), ce recul m’aura permis de jolis sourires en voyant cette foule courir à l’ouverture des portes, et finalement définitivement rabattue chez mon petit fournisseur, qui saura toujours, toujours me parler des jeux comme aucun autre, me conseiller, me laisser essayer et me permettre d’œuvrer, par mon soutien, à la diversité des boutiques dans les rues piétonnes de cette ville voisine à mon petit village, le tout dans un environnement à taille humaine et tout aussi passionné et éclairé que les bels gens rencontrés sur ce genre de salon.
    Mon cœur ayant parlé, ma tête reprend le dessus (enfin, autant que faire se peut!), ce sentiment de « rater » un jeu s’est trouvé à son paroxysme lors de l’envolée du marché asiatique, il y a quelques années. Quelles frustrations de voir ces jeux minimalistes et à priori à bon potentiel sur les quelques photos partagées sur le net du tokyo game market! Je me rappelle avoir sérieusement bavé devant mon ordi (je sais , ce n’est pas très distingué, je me suis ressaisie depuis), cependant, en écoutant et lisant les débriefes de cette année, il semblerait que même ces « petits » jeux soient désormais pistés, repérés et finalement édité dans nos francophones contrées.
    Alors que demande le peuple? Il suffit de faire preuve de patience. En attendant, on a encore certainement une dizaine de jeux dans nos placards, joués une fois ou deux, qui nécessiteraient d’être ré-ouvert, non? D’ailleurs, c’est bien la patience qui fera de nous le plus heureux des joueurs, car la véritable valeur d’un jeu, ne se révèle qu’au bout de quelques temps (je vous laisse libre de choisir la durée), lorsqu’on en parle encore, non?
    Pour finir, rejoignant l’avis de Nicolas, je dirais que de nos jours, et malgré la foultitude de jeux, on ne peut pas, sur le plus ou moins long terme, « rater » un jeu, car, il y aura toujours quelqu’un pour nous en faire part. Le joueur étant par essence dans le partage et la transmission d’informations, voire parfois un peut trop bavard(e), alors je vous laisse là, je m’en vais surfer sur le net, je ne voudrais pas rater la dernière nouveauté, ahahahahah (rire mi hystérique mi machiavélique!)

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