Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Une mauvaise pioche ? Un mauvais jet de dé ? Comment avoir plus de chance dans les jeux (sans tricher)

Qui ne s’est jamais plaint de piocher la mauvaise carte, la mauvaise tuile, de tirer le mauvais nombre au dé, de n’avoir vraiment pas de chance au jeu ? C’est souvent ce qui m’arrive, ce que je me dis, surtout quand je me compare à Coco mon épouse, qui, j’ai l’impression, a beaucoup plus de chance que moi (dans les jeux. Parce que dans la vie, c’est le contraire, la preuve, je suis avec elle. Et elle avec moi…)

Nous en avons d’ailleurs déjà débattu. Quand on perd à un jeu, on a tendance à dire que le hasard est trop présent dans le jeu, qu’on ne contrôle rien (et que donc, le jeu est moisi), c’est pour cette raison qu’on a perdu. Quand on a de la chance, on dit plutôt que c’est grâce à sa stratégie, à ses capacités cognitives. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que la chance, la malchance existe ? Et si c’est possible, comment faire pour avoir plus de… chance ?

La chance, autopsiée

En 1995, Anat Ben-Tov, une femme de 35 ans blessée, a accordé une interview depuis sa chambre d’hôpital à Tel Aviv. Elle venait de survivre à son deuxième attentat à la bombe en moins d’un an. « Je n’ai pas de chance, ou j’ai toute la chance », a-t-elle déclaré aux journalistes. « Je ne suis pas sûr de savoir lequel c’est. »

Ce reportage a attiré l’attention du psychologue norvégien Karl Halvor Teigen, aujourd’hui professeur émérite à l’Université d’Oslo. Il feuilletait les journaux pour recueillir des idées sur ce que les gens considèrent la chance et la malchance

Au cours des années suivantes, avec l’aide d’autres psychologues, d’économistes et de statisticiens, il a compris que si les gens considèrent souvent la chance comme un hasard ou une quelconque force surnaturelle, elle est mieux décrite comme une interprétation subjective

On pourrait se demander si vous vous considérez chanceux parce que de bonnes choses vous arrivent ou si vous vous considérez chanceux, tout simplement

« La chance croit que vous avez de la chance. » 
—Tennessee Williams, un tramway nommé Désir

Des études de psychologie ont montré que quel que soit votre sort dans la vie, que vous vous identifiiez chanceux ou malchanceux en disait long sur votre vision du monde et sur votre bien-être. Croire que vous êtes chanceux et chanceuse est une sorte de « pensée magique ». Une croyance en la chance peut d’ailleurs conduire à un cercle vertueux de pensées et d’actions. Croire à la chance va souvent de pair avec des sentiments de contrôle, d’optimisme et d’anxiété faible. Si vous pensez avoir de la chance et que vous vous présentez à un rendez-vous (galant ou professionnel) confiant et confiante, détendue et positive, vous vous rendrez plus attrayant, appréciable pour votre interlocuteur et interlocutrice

Se sentir chanceux peut souvent vous amener à travailler plus dur et à mieux planifier. Cela peut vous rendre plus attentif à l’inattendu, vous permettant de capitaliser sur et optimiser les opportunités qui se présentent

Comparaison n’est pas raison

Dans une étude comparant des personnes qui se considèrent chanceuses ou malchanceuses, le psychologue Richard Wiseman de l’Université de Hertfordshire, auteur du livre de 2003 The Luck Factor, a demandé aux sujets de compter les images dans un journal. Mais il y avait un petit twist : la solution se trouvait sur la deuxième page du journal. «Les malchanceux avaient tendance à la rater, les chanceux à la repérer», écrit-il

Se sentir malchanceux et malchanceuse pourrait créer un cercle vicieux susceptible de générer des résultats… malheureux. Le psychologue John Maltby de l’Université de Leicester a émis l’hypothèse que la croyance d’être malchanceux est associée à un fonctionnement exécutif inférieur, à savoir la capacité de planifier et d’organiser

Le psychologue propose un exemple simple de manque d’encre au beau milieu d’un travail d’impression. «La personne chanceuse aura une cartouche de rechange au cas où, elle l’aurait planifié. Quand la cartouche sera épuisée, elle dira: « Oh, j’ai de la chance, j’en ai acheté une plus tôt, cool ». Cependant, selon le psychologue britannique, la personne malchanceuse (qui se considère comme tel, attention) n’aura pas planifié son travail, ni ses processus cognitifs. Ainsi, lorsque la cartouche d’imprimante est épuisée et qu’il lui reste quelque chose à imprimer, elle va dire : « Oh, pas de bol. »

Si ce genre de cercle vicieux s’installe, cela peut faire une grande différence. Les économistes Victoria Prowse et David Gill, de l’Université Purdue, pensent que les solutions au problème de la malchance pourraient même expliquer en partie l’écart entre les sexes sur le marché du travail

Écoute Bernard… J’crois que toi et moi, on a un peu le même problème ; c’est qu’on peut pas vraiment tout miser sur notre physique, surtout toi. Alors si je peux me permettre de te donner un conseil, c’est oublies qu’t’as aucune chance, vas-y, fonce ! On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher…

Les Bronzés font du ski

Parking

Dans une expérience de laboratoire utilisant un jeu compétitif mêlant habileté et chance, les deux chercheurs ont découvert que les femmes étaient plus découragées par la malchance que les hommes. Après avoir eu de la malchance, les femmes avaient davantage tendance à réduire leurs efforts lors du tour suivant de la compétition, même lorsque les enjeux du jeu étaient faibles

La chance joue souvent un rôle dans les carrières, souligne Victoria Prowse. Que vous obteniez un emploi ou non dépend du temps qu’un et une responsable RH a pour consulter ses CV, ou de son goût pour la couleur des vêtements que vous portez à l’entretien…

Tandis que la personnalité et le genre semblent jouer un certain rôle, des événements aléatoires peuvent également déclencher un cercle chanceux vertueux ou un cercle vicieux malchanceux. L’économiste Alan Kirman de l’École des hautes études en sciences sociales à Paris s’est rendu compte que cela était le cas lorsqu’il travaillait dans un bureau avec relativement peu de places de stationnement à proximité. Un membre de son équipe semblait toujours avoir de la chance avec des places de parking, tandis qu’un autre devait toujours se garer loin et marcher. Pour comprendre pourquoi, l’équipe a créé un modèle simple basé sur la théorie des jeux pour simuler la situation. Elle a révélé que si les éventuels « parqueurs » trouvaient très tôt des endroits proches du travail, ils continuaient à chercher dans un rayon serré les jours suivants. S’ils ne trouvaient pas rapidement des endroits proches du travail, ils commençaient à chercher dans un rayon plus large. Et devinez qui a eu de la chance quand il s’est agi de trouver des endroits proches de leur travail? 😉

Si un mec voit passer la chance et qu’il ne l’attrape pas, c’est vraiment un imbécile.

Coluche

Au moins dans la simulation, les « parqueurs » se sont rapidement classés en groupes chanceux et malchanceux, sans aucune référence à leur personnalité ou à leur sexe, selon l’économiste. En d’autres termes, cela signifie qu’un cycle de chance ou de malchance peut intervenir à n’importe qui sans qu’on en n’ait conscience. Cela signifie également que, d’une certaine manière… wait for it… notre cycle de la malchance pourrait faciliter le cycle de la chance de quelqu’un d’autre. Dans le cas de la recherche sur le parking, au final, les employés malchanceux apprennent à choisir les endroits les plus reculés et laissent d’autres places à ceux qui ont (pensent avoir, plutôt) de la « chance »

Mauvaise pioche

Croire en sa propre chance n’est pas toujours une bonne chose. Dans le jeu, par exemple, les coups de chance ne sont jamais ce qu’ils semblent être. Prenons le cas des paris sportifs en ligne. Juemin Xu, étudiante de troisième cycle à l’University College London, et son conseiller, le psychologue expérimental Nigel Harvey, ont analysé une base de données de 2010 de 565’915 paris sportifs réalisés par 776 joueurs en ligne. Dans tous ces paris, ils ont trouvé un élément apparemment en contradiction avec les lois de la probabilité: les parieurs étaient plus susceptibles de gagner après avoir déjà gagné

Les coups chanceux n’étaient pas… surnaturels, selon Xu; ils ont été générés par «l’erreur du joueur», la notion répandue mais erronée que votre chance doit finalement tourner. Pensant qu’une défaite était imminente après une série de victoires, les parieurs feraient des paris de plus en plus, pour limiter les risques, générant une série de victoires encore plus longue et marquée. Malheureusement, les parieurs n’ont pas tiré beaucoup d’argent de ces suites de coups de chance. Avec le temps, ils avaient toujours tendance à perdre. La meilleure stratégie dans le jeu est encore de contrôler la perte, les échecs

Heureux au jeu, malchanceux en amour

Dans de nombreuses activités, la chance est le contraire de la sécurité. Dans une étude du psychologue norvégien Teigen, il a été constaté que les personnes qui ont des histoires chanceuses sont souvent celles qui ont pris beaucoup de risques graves, parfois même négligents. Par exemple, un parapentiste inexpérimenté lui a dit avoir évité un crash. En fin de compte, cette approche de « courtiser » la chance pourrait se retourner contre nous. Il vaut peut-être mieux être en sécurité qu’en chance…

La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés.

Louis Pasteur

Le truc, alors, serait de trouver les domaines de la vie où l’on peut être à la fois en sécurité et chanceux. Au début des années 2000, Wiseman a terminé sa longue étude sur les chanceux avec la création de ce qu’il a appelé une «école de la chance», dans laquelle il donnait aux malchanceux des exercices qui leur apprenaient à cerner les opportunités, à écouter leur courage et à adopter un point de vue optimiste, ne pas trop s’attarder sur les erreurs, autrement dit, faire ce que les gens chanceux font. Le psychologue a rapporté qu’un mois plus tard, 80% des malchanceux de son école se disaient plus heureux et plus chanceux

Un des moyens les plus faciles que vous pouvez prendre pour améliorer votre chance au jeu, dans la vie, est de faire bouger les choses. Pensez au cas de la recherche d’un parking. Si vous choisissez toujours les zones avec des emplacements plus ou moins tolérables, vous ne trouverez jamais un très bon emplacement. Des types de routines similaires peuvent s’installer dans un jeu, au travail ou dans la vie sociale

L’effet Caliméro

Le plus difficile, peut-être, est d’apprendre à ne pas s’attarder sur le « mauvais sort ». Des études ont montré que les personnes victimes d’agressions et d’accidents ont tendance à ruminer sur des questions telles que «Pourquoi moi?» ou «Qu’est-ce que j’ai mal fait?»

Cependant, certains types d’événements malheureux, même très graves, semblent avoir l’effet opposé. Teigen et ses collègues ont lu des interviews de 85 touristes norvégiens qui avaient pris des vacances en famille en Asie du Sud-Est à l’hiver 2004. Lorsque le séisme et le tsunami ont dévasté leur vie et celle de leurs enfants. Malchanceux, non? Eh bien, pas de leur point de vue. Deux ans plus tard, 95% d’entre eux ont déclaré avoir eu la chance de survivre, pas malchanceux d’avoir choisi ce moment pour y aller. Tandis que les 5% restants ont déclaré qu’ils avaient été une combinaison de chance et de malchance

La clé pour décider si un événement est chanceux ou malchanceux est la comparaison que vous faites entre l’événement réel et l’alternative que vous imaginez. Les personnes qui se demandent «Pourquoi moi?» font une comparaison vers le haut avec d’autres personnes qui n’ont pas été agressées ou qui ont évité un accident. Les personnes qui se sentent chanceuses d’avoir survécu se comparent également vers le bas à celles qui ont connu un sort pire. Les deux sont des interprétations valables, mais la comparaison vers le bas vous aide à conserver votre optimisme, à susciter l’émotion de gratitude qui fait du bien, et à tisser un récit plus large dans lequel vous êtes le protagoniste chanceux de votre histoire

Alea jacta est

La prochaine fois que vous devez piocher une carte, une tuile, lancer un dé, avant de le faire, pensez à votre réaction selon l’une ou l’autre éventualité qui pourrait se produire. Si c’est la mauvaise pioche, est-ce que c’est parce que vous n’y étiez pas assez préparé (ex. la recherche sur l’encre) ?

Et est-ce qu’à force de vous considérer malchanceux, clairement mon cas lorsque je joue aux jeux de société avec mon épouse, est-ce que vous n’auriez justement pas tendance à… sous-jouer, à conserver un esprit de perdant, parce que vous savez que de toute façon, vous allez avoir de la malchance et finir par… perdre ?

Et si vous, comme moi, vous avez des enfants, comment leur parlez-vous de la chance ? Est-ce que vous leur dites qu’ils en ont quand quelque chose de bien leur arrive, ou le contraire ? Et si au lieu de ramener une quelconque explication à des phénomènes extérieurs, la chance, la malchance, on essayait de réfléchir avec eux sur des facteurs inhérents au succès ou à l’échec (encore que, il faudrait éviter de parler d’échec mais plutôt de tentative). Il s’est produit ceci ainsi, et pourquoi ? Tout ramener à la chance, à la malchance pourrait les habituer à se considérer l’un ou l’autre, et donc à s’enfermer dans l’un ou l’autre cercle vertueux ou vicieux qui pourrait leur jouer (c’est le cas de le dire) des mauvais tours, de mauvaises surprises

Le problème avec la chance, c’est qu’on a tendance à l’externaliser. Tu as eu de la chance, de la malchance, ce n’est pas de ta faute. Evidemment, de bons ou de mauvais événements peuvent se produire sans qu’on n’ait aucun contrôle dessus. Ça s’appelle… la vie. Tout est question de réaction. Il sera souvent plus facile de faire preuve de résilience si on évite de considérer la chance et la malchance comme des facteurs externes prégnants

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La chance n’existe pas. Ce n’est pas une force surnaturelle. La chance, et la malchance, sont des conceptions, des vues de l’esprit, des réactions, des jugements, des comportements. Pensez au chiffre 13, aux chats noirs qui traversent la rue de gauche à droite, aux trèfles à quatre feuilles et à tout ce genre d’artifices et artefacts qui sont censés invoquer la chance ou la malchance, et qui, au fond, ne sont que des constructions sociales et culturelles

En fin de compte, la chance, et la malchance s’expliquent par des probabilités, des événements tout à fait fortuits et la façon de s’y être plus ou moins bien préparé. Une mauvaise rencontre au poker ? Une mauvaise main dans un deck-building ? Un mauvais tirage d’événement ou de dé dans un jeu coopératif ? Ce n’est pas un coup de chance ou de malchance mais au fond, de planification et d’attitude

Vous voulez avoir plus de chance au jeu ? Commencez peut-être par arrêter de vous dire que vous êtes malchanceux et malchanceuse, et essayez ensuite d’autres stratégies. Gus&Co prend 5% de vos gains à la loterie, merci. Signez ici

Et tiens, au passage, peut-être connaissez-vous cette série ?

Et vous, vous considérez-vous comme chanceux.se ou malchanceux.se, et pourquoi ?

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6 Comments

  • Jem

    Encore un article passionnant, comme toujours. Merci Gus.

    Par contre, s’il est tout a fait censé de relativiser le concept de chance, je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à le nier. La chance, ce sont en effet des probas, et les probas s’équilibrent sur un nombre de tirages souvent plus importants que le nombre de tentatives effectuées lors d’un jeu.
    Exemple : Dans un cas ou il y a 50% de chances de faire une réussite et 50% de chance de faire un échec en lançant un dé (proba vérifiée sur 1 million de lancés), il y a ceux qui font du 60% de réussite sur 10 lancés et ceux qui font du 40% de réussite sur 10 lancés.

    Ca c’est de la chance, et les personnes chanceuses existent 🙂

  • GeekMate

    un exemple que je rencontre souvent en jouant à Hearthstone avec des amis :
    Si je fais un bon top deck qui me fait gagner (la carte dont j’avais besoin pour finir la game), mon adversaire aura tendance a me dire « oui mais tu tires la bonne carte au bon moment, t’as de la chance »

    Il va prendre en compte le fait que j’avais 1 chance sur 7 par exemple parce que j’avais 2 fois la carte dans les 14 dernières de mon deck.

    Sauf qu’en réalité, on est aux alentours du tour 13, donc j’ai pioché 13 fois depuis le début de la partie et que chacune de ses pioches étaient une chance de tirer la carte dont j’avais besoin pour le tour 13.
    Mes chances d’avoir cette carte à ce moment là de la partie sont très bonnes si on prend en compte l’ensemble des parties ou je pioche cette carte avant le tour 14.

    Et de croire que j’ai eu de la chance (peu de chance d’avoir la carte à ce moment là de la game) alors qu’en fait, pas spécialement…

    Dans le cas d’un jeu comme le Poker ou Hearthstone, connaître ses chances de tirer une carte sont un bon moyen de mitiger le hasard.

  • Chrys M

    Merci pour cet article.

    J’ai constater dans des soirées jeux de rôles que « la chance tournait » : il y a des soirs où mes jets sont moyens, des soirs où je vais faire 5 échecs critiques sur 7 jets et des soirs où j’ai des jets bien meilleurs, mais sans pour autant basculer dans la réussite.
    Je vais tenter, si j’y pense, en tout cas, de me dire « j’ai de la chance » avant de jouer la prochaine fois, juste pour voir si ça change quelque chose aux dés ou au piochage de cartes.

    Je crois fort qu’il s’agit d’une disposition : si on part vaincu, en se disant « je n’ai pas de chance » etc, c’est sûr, la partie ne commence pas sous les meilleurs auspices !

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