Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Sarah’s Vision. Bienvenue dans le futur

Un jeu coopératif et narratif utilisant la tour Jenga comme acquisition des ressources pour effectuer des actions. Un jeu malin et stratégique mais aux règles bâclées

Sarah’s Vision, de quoi ça parle ?

Le pitch:

Europe, an 2163. Systèmes de transport automatisés, voitures volantes, énergie illimitée, circulation continue de l’information: l’humanité se dirige rapidement vers une révolution technologique massive qui démocratise la connaissance et les systèmes. Cela conduit à des changements sociaux qui dépassent l’imagination – le moment de la singularité. Mais un groupe résiste. Une petite élite veut revenir à l’âge sombre du début des années 2000, à l’époque où elle disposait de tout le pouvoir. Seule l’Agence se met en travers de son chemin. Vous assumez le rôle d’agents spéciaux de l’Agence, qui se consacrent à la protection d’une poignée d’individus à haut potentiel (High Potential Individuals – HPI) ayant les compétences nécessaires pour créer un réseau MindNet qui rapproche le monde de la singularité, mais qui deviennent également des cibles…

C’est de la SF, donc, on incarne des agent.e.s en proie à des événements et des magouilles politiques et technologiques

Le somptueux trailer

Et on y croit?

Hormis la mécanique principale utilisant une tour Jenga, qui diminue l’immersion, on y reviendra plus bas, les événements sont toujours riches et narratifs

Même si le jeu manque d’immersion, les trois scénarios dispo placent les joueurs et les joueuses dans un récit épique

Et comment on joue?

A son tour, on peut soit:

  • Intervertir deux événements visibles
  • Couvrir un événement avec un bloc de la tour
  • Retirer un événement
  • Révéler les prochains événements
  • Piocher une carte

Sachant que pour les quatre premières actions, on doit « payer » en ressources slash retirer un ou plusieurs blocs de couleurs spécifiques de la tour Jenga

Si la tour s’effondre, c’est le drame. La partie n’est pas perdue pour autant, mais on se met des bâtons dans les roues puisque les 5 cartes « événements » sont résolues les unes après les autres. Bim!

Une fois son action jouée, on résout le premier événement sur la ligne, le plus éloigné de la pioche

Ces cartes « événements » indiquent un nombre et les emplacements de cubes « danger » et/ou « inspiration » à placer sur le plateau

Ces cartes précisent également parfois le déplacement des figurines sur le plateau. Si celles-ci débarquent sur le même emplacement que des cubes, elles les ramènent alors dans leur case correspondante

Au final, les règles sont plutôt fluides et instinctives. On passe sa partie à gérer les événements et à jouer à Jenga, avec un twist, le jeu est coopératif

Les règles du jeu en vidéo:

Et comment on gagne ?

Comme c’est un jeu coopératif, on perd ensemble quand l’une des cases de l’un des trois personnages contient au moins 5 cubes « danger »

Comment les accumuler? Les cartes « événements » indiquent quand et où ces cubes vont apparaître, et quand et où les figurines vont se déplacer pour les récupérer sur leur case. On peut donc s’y préparer

On gagne la partie quand on aura réussi à finir le deck d’événements slash chapitres du scénario slash 20 cartes

Un jeu kleenex?

Sarah’s Vision propose trois scénarios différents à la difficulté croissante

Chaque partie dure environ 60 à 90 minutes

Et après? On jette le (gros) jeu?

Non

Certes, la découverte ne sera pas la même, mais on peut très bien jouer en essayant de s’améliorer

L’aspect narratif est cosmétique avant tout, on n’est pas dans un jeu au format Legacy, i.e. une fois fini = une fois fini

Interaction ?

Sur l’IGUS, l’échelle de mesure de l’interaction dans les jeux, atteint un 5/5.

Pourquoi 5 sur 5?

Parce qu’à moins d’y jouer seul.e, dans Sarah’s Vision il est nécessaire de planifier, discuter, argumenter. Quelle action effectuer, pourquoi, et quand

Une interaction forte, donc

A combien y jouer ?

On peut y jouer de 1 à 4

La version solo est passable, mais on perd tout l’aspect discussion et coopération

De 2 à 4, Sarah’s Vision est vraiment bien. Surtout à 3-4, avec plus d’interaction

Alors, Sarah’s Vision, c’est bien ?

C’est vraiment, vraiment bien

Et les illustrations du jeu sont superbes, elles apportent une réelle plus-value au jeu et place le récit

Certes, c’est un jeu coop dans lequel on place des cubes, déplace des figurines et retire des blocs d’une tour Jenga, mais le jeu propose un véritable contexte cohérent

Dommage que la tour Jenga extraie les joueurs et joueuses de la couche narrative, mais sinon, tout le reste fonctionne vraiment bien

Et surtout, le jeu offre une dimension stratégique certaine, une surprise de taille pour un jeu coopératif dans lesquels on passe souvent sa partie à jouer les pompier.ère.s tactiques

Dans Sarah’s Vision, les 5 prochains événements sont connus, et on peut même pousser le vice en effectuant l’action pour en découvrir encore plus et ainsi obtenir une (Sarah’s) vision encore plus large

Mais

Oui, parce qu’il y a un gros, sérieux MAIS

Les règles de jeu ont été écrites à la truelle. En tout cas en français

Peu claires, mal formulées, avec des contradictions entre les règles et le matériel, elles mélangent des termes anglais et français rendant la lecture aussi indigeste que pénible

Et ça commence dès la page 4:

« piocher au hasard des Blocs Ressource dans le sac ». Sauf que. Il y a deux petits sacs et non pas un dans la boîte, et ces sacs sont tellement petits qu’ils ne permettent pas d’y placer tous les blocs, encore moins de les tirer au hasard. Un détail, mais qui commence déjà à ralentir la lecture et à faire froncer un sourcil

Puis, on voit le mélange des termes anglo-français maladroits

Et en point 4, le matériel ne correspond pas du tout à la règle ni à l’image présentée. On finit par improviser avec ce que l’on a

« Résolver », vraiment?

La mise en place, également, aurait mérité d’être plus explicite, didactique, avec des chiffres ramenant à la règle, comme ça se fait partout ailleurs

Bref

Il manque un sérieux professionnalisme dans la rédaction des règles. Et c’est bien dommage, car le jeu est juste superbe et tout à fait crédible. Et pas seulement pour une… assurance, qui se lance ici dans une opération de séduction avec une prod de ouf: énorme boîte, matos et illustrations classieuses, scénarios riches, trailers à en faire pâlir FFG

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’une assurance (suisse) se lance dans une telle aventure

Ce fut déjà le cas avec Assura, qui a engagé Gameworks de Sébastien Pauchon pour leur développer Animalia en 2006 (pour faire la promotion de leur assurance animale) et Jamaica en 2007 (pour fêter leurs X années) avec Bruno Cathala et Malcolm Braff

Non, il n’est décidément pas facile de rédiger de bonnes règles de jeu. Mais là, les règles de Sarah’s Vision sont un summum des choses à ne pas faire. Sortez l’aspirine, vous en aurez bien besoin pour vous lancer dans le jeu

Score :

Anticipation : 5/5

Un jeu de SF avec une tour Jenga? Et des illustrations de ouf? Un jeu sorti de nulle part produit par une… assurance, et créé par un auteur inconnu? Ma curiosité est piquée à vif

À la lecture des règles: 0/5

Peu claires, bourrées de fautes (en français), de contradictions entre matos et règles, il va falloir sérieusement s’accrocher pour en venir à bout

Pendant la partie : 4/5

Tension, discussion, une mécanique d’événements originale, prise de risque et stratégie. Du tout bon. Dommage que l’on sorte de la narration avec la tour Jenga

Après la partie : 5/5

On y rejoue? Mais oui, pourquoi pas. Pour découvrir les prochains scénarios

Score final : 4/5

Le jeu serait juste excellent s’il n’y avait pas eu tous ces soucis de règles. Une V2, à l’occasion?

Ce qui nous a plu 👍

✅ L’aspect stratégique du jeu. On peut prévoir ces cinq prochains tours, voire plus, beaucoup plus. Ce qui est plutôt rare pour un jeu coop

✅ On peut intervertir, éliminer et réduire les risques. Un pur jeu pour… assureurs. Pas du tout l’impression de subir le jeu. Ce qui est plutôt rare pour un jeu coop

✅ Un matos et une prod de ouf digne des plus grands éditeurs sur le marché du jeu de société. La Bâloise Assurance a vraiment mis les petits plats dans les grands: les blocs, les illustrations, tout est superbe

✅ La couche narrative du jeu. Toutes les cartes « événements » sont cohérentes avec le récit

✅ Être agréablement surpris par un jeu venu de nulle part, par un auteur et un « éditeur » inconnus et pas distribué en boutique. Un bol d’air frais. Ça me rappelle Jamaica quand il n’était d’abord sorti que pour les assuré.e.s d’Assura en 2007. Leurs client.e.s (comme moi) servaient alors de « mules » pour distribuer le jeu à gauche à droite. Je me souviens avoir débarqué dans les bureaux d’Assura pour leur acheter… 12 boîtes du jeu pour les envoyer ensuite partout en France. LOL. Quelques mois plus tard, le jeu allait être distribué en boutique et quitter le « giron » de l’assurance. Est-ce que Sarah’s Vision connaîtra pareille aventure??? Il le mériterait. Si les règles étaient réécrites

✅ Un jeu coop à la difficulté équilibrée à la fin épique et aux scénarios croissants

✅ Un jeu produit par une assurance, avec quelques symboles placés par-ci par-là, mais au final, la pub est subtile et peu martelée

Ce qui nous a moins plu 👎

❌ Les. Règles. Calamiteuses. Mais vraiment. Mal écrites, bourrées d’erreurs, biscornues, elles mériteraient d’être réécrites, surtout pour un jeu d’une telle ampleur à la prod aussi somptueuse. Le gros point noir du jeu

❌ Jouer à Jenga et s’extraire de l’histoire

Et encore une chose

C’est sorti il y a quelques semaines. Le MIT a programmé un robot pour jouer à… Jenga

Vous pouvez consulter les règles de Sarah’s Vision en français ici

Et vous pouvez commander Sarah’s Vision ici. Pour l’instant, le jeu n’est pas encore distribué en France, il faut passer par la Suisse pour le commander

  • Date de sortie : Février 2019
  • Langue : Française
  • Auteur : Anthony Howgego
  • Illustrateur : Marco Luna Villela
  • Editeur : Bâloise Assurance
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1 à 4 (optimum: 3-4)
  • Age conseillé : Dès 14 ans
  • Durée : 60-90 minutes par scénario
  • Thème : Science-fiction
  • Mécaniques principales : Dextérité, coopération, narration, stop-ou-encore (pour la tour)
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6 Comments

  • Garibaldi31

    Bonsoir Gus,

    J’ai envie de te dire un GRAND MERCI pour avoir souligné à quel point les règles écrites et/ou traduites avec les pieds, C’EST LE MAL! 😉
    C’est à croire que les personnes en charge de cela ne se sont jamais trouvées à une table de jeu avec la responsabilité de lire, comprendre, et retranscrire une règle de jeu.

    Ton article fait mouche, et d’une certaine manière me touche, car j’ai pledgé l’an dernier le jeu Batman de Monolith qui doit nous être livré sous peu. Or, depuis le Kickstarter j’essaie tant bien que mal de leur expliquer que leur traduction est problématique du fait d’un franglais, par ailleurs complètement assumé (31 pg de règles, et autant pour les scénarios). J’ai donc acheté en connaissance de cause, mais avec l’espoir de les faire revenir à la raison d’ici la livraison, malheureusement en vain.

    Le focus que tu viens de faire est donc doublement louable, car il me conforte qu’un jeu surproduit se doit d’avoir une littérature la plus professionnelle possible, et il envoie un message fort à l’industrie.

    Puisses-tu être lu et entendu.

    Ludiquement,

    Garibaldi31

      • Garibaldi31

        Bien sûr que oui, c’était excellent en effet! 😉 Et très instructif…
        De toute façon à part quelques rares critiques de jeux où je sens vite que ça ne me plaira pas, je ne rate pas grand chose de tes publications. C’est toujours un régal à lire, concision, humour et parti pris, j’adore!
        Merci Gus pour ton engagement dans ce loisir. et pour y apporter cette vision si rafraichissante.

        • Gus

          It takes two to tango

          J’adore cette expression anglaise. Que nous répétons souvent lors de nos multiples événements (200K en printemps 2019 😳)

          Si les gens ont du plaisir dans / avec ce que nous proposons, ce n’est pas que de notre « faute ». C’est aussi parce que les gens s’investissent, y mettent du sien, du temps, de l’énergie et de la curiosité

          Si tu trouves du plaisir à lire et revenir sur Gus&Co, c’est toi qui fait 50% du taf ☺️

          Donc merci à toi aussi 🙏🏼

          As-tu lu l’article du jour sur les enfants et les laisser gagner / perdre? Qu’en as-tu pensé?

          • Garibaldi31

            Oui, bien sûr je n’ai pas raté l’article sur comment jouer avec ses enfants. 😉

            En fait, j’apprécie beaucoup ton blog justement pour le focus sur les jeux destinés aux plus jeunes. Je suis élu du CE dans ma boîte, et je me suis justement lancé pour pouvoir lancer une animation de jeux le midi. Mon principal public est donc adulte, mais beaucoup ont des enfants, et je commence de toute façon à en avoir en âge de jouer dans mon entourage. Par ailleurs tes listes des meilleurs jeux dans cette catégorie me permettent d’être moins largué quand j’organise ma commande groupée de fin d’année.

            Enfin, l’article est très intéressant, car j’ai l’impression de faire de même avec des adultes qui se mettent au jeu de société, pas tant dans le fait de leur laisser gagner leurs premières parties, que le fait de prendre le temps qu’ils assimilent chaque couche de gameplay, en étant bienveillant quand ils oublient une règle, jusqu’à leur permettre de rejouer.

          • Garibaldi31

            Quand à l’expression sur le Tango, je suis d’accord, c’est une métaphore tout à fait juste. Et c’est tout à fait applicable à mes animations du midi que j’organise à mon travail : pas de joueurs et je suis bon pour retourner bosser… ;D

            Mais je trouves quand même qu’il est plus aisé d’être dans ma position que dans la tienne. Pour retenter la comparaison avec mes animations, cela me demande un investissement presque quotidien (en veille d’actus, lecture de règles, présentation des jeux avec toujours un joueur – rarement leur équivalent féminin – ou deux pour chambrer sur la qualité de mes explications… ce qui certains jours peut être stressant). Même si une bonne part de cette énergie est mutualisée pour mes soirées dans mon entourage, je joues au final plus au boulot qu’avec mes amis. J’imagine que cela te demande à peu près la même activité avec la rédaction des articles en plus, et je crois bien que j’aurais bien du mal à faire ce que tu fais. Il me serait par exemple très difficile d’être aussi synthétique dans ma prose. 😉

            Pareil pour ma commande groupée : j’ai besoin de participants pour atteindre l’objectif fixé par mon magasin-partenaire et ainsi valider les prix négociés. Pour mes collègues ce sera un investissement minimum, et pour moi beaucoup d’heures pour préparer et organiser cela. Même si je prends mon rôle de Père Noël avec beaucoup de plaisir, je dois reconnaître qu’après la livraison j’atteins les fêtes un peu lessivé. C’est pourquoi j’ai d’autant plus d’estime pour ce que tu fait de ton blog et ta passion, que je lui trouve une singularité très rafraichissante. 😉

À vous de jouer ! Participez à la discussion

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