Des jeux en série
Voici un nouvel article fort intéressant de Geoffroy.
Des jeux en série.
Il y a quelque temps, j’ai pu participer à une discussion entre internautes sur la qualité de la série Breaking Bad au travers de ses différentes saisons (ça se passait sur Sens Critique). Il en ressortait notamment que les saisons 1 et 2 étaient moyennes mais que la saison 3 était au-dessus du lot et que les suivantes valaient plus que le coup. Voire qu’il était de bon ton de regarder la série jusqu’à la saison en cours pour l’apprécier pleinement.
Je ne suis pas féru de nouvelles séries (je me suis arrêté à Friends et Urgences). Des plus modernes, j’en ai regardé quelques-unes et aimé très peu. Aussi mon regard sur cet échange était-il un peu critique sur la consommation de ces séries. Je trouvais toutefois délirant que le Serial Spectateur puisse ingurgiter 2 saisons complètes, de qualité moyenne au motif que la 3e et les autres étaient géniales.
Ma première réflexion à ce constat fut qu’il est presque certain que dans l’univers des jeux de société (contrairement à celui des séries) une nouvelle sortie doit plaire tout de suite. Que, sans nécessairement faire le buzz, elle doit accrocher le joueur au plus vite au risque de prendre un peu la poussière voire de louper son marché.
Infinité d’arts
Sur la base de nos modes de consommation, je me suis ensuite interrogé d’un parallèle entre les séries et les autres médias de divertissement.
Selon la classification des arts, le cinéma, la télévision, la radio et la bande dessinée sont des arts modernes (la musique ou la danse le sont depuis longtemps). Dans cette hiérarchie ordonnée et au regard de notre rapport à l’art, se glisse une tendance toute moderne liée à notre société de consommation. Plutôt que prendre le temps de les observer, nous consumons nos biens culturels, parfois même dans le but de les rendre artistiques* : cartes illimitées pour le cinéma, programmes clonés de télé-réalité pour la musique ou la danse, podcasts ultraportables, suites interminables pour les franchises de jeux vidéo, formats courts à la pelle pour la télévision, préquelles et spin-off infinis pour les BD à succès, etc…
A l’ère du numérique, nous pouvons même stocker nos contenus en quantité quasi-infinie. Quitte même à ne pas y toucher ! Toutefois, ce stockage s’effectue sur des supports magnétiquement fragiles, finalement non-pérennes, rendant volatile notre acquisition. On les range même parfois dans des nuages, c’est dire…
Séries sur un plateau
Les séries, elles, se téléchargent ou se « stream » quasiment sans limite de bande passante. Gratuites, elles ne nous imposent pas leur rapport qualité-prix. Seule leur prodigalité nous limite.
Elles comblent nos soirées étudiantes ou de jeunes parents qui n’ont plus le temps de consacrer 2h à un film. Elles sont aussi rarement revues, seul l’inédit compte et ce qui est vu doit faire la place à ce qui n’est pas encore disponible. Elles sont la culture en renouvellement perpétuel de nos adulescences. A l’heure des débats sur l’obsolescence programmée de nos machines et outils de l’ère moderne, l’immatériel revêt également des critères de consommables.
Auparavant, les sorties cinés et les droits de diffusion auxiliaires dictaient les rythmes d’accessibilité au grand public. Téléchargeables au soir d’une diffusion inédite, immédiatement partagées au plus grand nombre, les séries sont maintenant accessibles en quelques clics, elles sont le fast-feeding numérique du 21e siècle. Plus besoin d’attendre ! La série est devenue le divertissement par défaut, qui n’engage à rien. Les réseaux sociaux tracent alors notre propension à coller à la mode, à être au fait de la dernière sortie mais également nos amours pour la saison d’avant et nos espoirs pour la saison d’après .
De grandes espérances
Quand nous dépensons une quinzaine d’euros dans une Bande Dessinée qui ne nous plaît finalement que peu, il nous paraîtrait risqué de dépenser autant pour les tomes suivants dans l’espoir qu’ils soient à la hauteur (sans même préjuger de la durée du cycle !).
Quand nous passons 2h au cinéma, nous satisfaisons-nous d’un film tout juste bon sous couvert qu’en y retournant 1 an plus tard, la suite nous promettra plus ?
Ondes radios, tuner digital ultra-précis. TNT, Câble et Satellite, télécommande-zappette. Radio et télé sont des flux instantanés qui filent à nos yeux, nos oreilles et défient nos zones mémorielles. Savez-vous ce que vous avez écouté à la radio ce matin ? Que contenait le JT d’hier ?
Aux jeux vidéo, les démos nous donnent accès aux préliminaires. Et quand vient l’heure d’ouvrir le portefeuille, on sait déjà à quoi s’en tenir. Et même sans démo, quelle surprise entre Guerre du Devoir 4 et Guerre du Devoir 5 ? Quelle prise de risque entre Bataille pour la Paix et Bataille pour l’Honneur ?
Plus matériels, les jeux de plateau se collectionnent aussi. Mais d’achats neuf ou d’occasion en échanges et prêts, le joueur est conscient d’un choix. Il est bien sûr contraint par les limites sondables du porte-monnaie, mais aussi par la géométrie spatiale de son domicile. Puis par la nécessité d’ingurgiter une règle (quel média numérique impose la prise de connaissance d’un synopsis ?), de former un groupe de joueurs, de les initier, etc… bref, d’agréger du temps libre, des moyens physiques voire des compétences particulières (expression orale, animation d’un groupe…).
Notre ère moderne met aussi à disposition des joueurs une consommation de l’objet de différentes manières et en différentes étapes. Les pléthores de vidéos sur le net le prouvent. Une interview pour parler d’un making-off, un lien Youtube pour ouvrir une boîte ou montrer un contenu, un site internet dédié aux vidéos de règles, des blogueurs spécialisés dans les critiques et des articles décrivant même des TOP 100 pendant des heures.
Une fois déconnecté, le joueur se régale alors d’autres instantanés : dé-puncher, toucher, sentir, protéger, ranger, classer …
Dans cette société de consommation, nous acceptons bien sûr qu’un jeu soit édité plusieurs fois et qu’au fil des éditions, la qualité et le contenu évoluent (en bien ou en mal). Cela ne nous apparaît pas toujours comme du merchandising.
Nous acceptons même qu’un jeu prenne la poussière. Nous sommes parfois juste contents qu’il soit là (et promis un jour j’y rejouerai !). D’autres boîtes seront quant à elles transmises aux générations futures. Bords blancs, règles allemandes, traduction imprimée froissée, cartes cornées, pièces manquantes. Traçabilité totale !
Tiens, tiens, le tatouage numérique (ou Watermark) aussi permet la traçabilité.
Et vous, comment consommez-vous vos objets de divertissement ?
*ainsi une technologie des années 80 peut devenir un courant artistique (ex : le pixel art).
4 Comments
Didi
Perso je trouve que la saison 1 et 2 de breaking bad sont superbes, mise en scène, justesse du jeu d’acteur, photographie, dramaturgie, écritures des dialogues… Enfin géniale ! Ensuite ça devient plus « mainstream à l’américaine » à coup de surenchère de gros plan clipesque et d’étallonage criare. Et ça plait vachement plus au gros boeufs qui bouffent de la série H24…
Le soucis des divertissement modernes, c’est qu’ils s’adressent en majorité à un public qui veux du « facile à macher » ! En 2012 aucuns studios ne sortirais un film comme « Le parrain » par exemple, trop long, trop psycholique… Trop réussi en gros …
théo
Moi je regarde très peu les séries, tout juste certains mangas, et encore, au critère qu’ils se terminent vite.
Le truc c’est comme je suis exigeant sur la qualité globale du produit, j’ai pas envie de perdre 30 heures à voir une série pour me rendre compte qu’au final ça valait le coup surtout pour les 2 dernières heures… pire encore, si même la fin ne vaut pas le coup.
Même les films je me suis un peu calmé parce que je commence à connaitre ce qui va me plaire ou pas et du coup je regarde que ce que j’ai vraiment envie de voir, et selon l’humeur.
Par contre je dépense encore pas mal en BD et jeux, car c’est ce que je préfère.
La BD se consomme vite (cf ce qui est dit plus haut) mais on a aussi un retour-qualité très rapide, et on est content de la prêter quand on l’a finie.
Enfin le jeu profite de la rejouabilité que les autres produits n’ont pas (allez mater 3 fois le même film… ça a intérêt à être un chef-d’oeuvre).
Par contre je demande souvent des avis d’autres personnes avant d’acheter un jeu pour ne pas payer un truc auquel je vais ne jouer qu’une fois. Et puis j’achète les jeux à un rythme très faible, ben oui faut bien se donner le temps d’y rejouer, sinon on perd l’intérêt du jeu par rapport aux autres produits culturels.
zenigata
« Ma première réflexion à ce constat fut qu’il est presque certain que dans l’univers des jeux de société (contrairement à celui des séries) une nouvelle sortie doit plaire tout de suite. »
Conclusion triviale du fait qu’une série, par définition, se commercialise en saisons donc possède plusieurs chances de plaire bien qu’on en ait déjà vu s’arrêter à une première saison par manque d’audience (le « contrairement à celui des séries » n’est pas si automatique) ; d’où la comparaison inadaptée avec l’univers des jeux de société. Pourtant on a aussi vu des jeux sortir dans l’indifférence générale et connaître un succès sur le tard ou lors d’une seconde jeunesse. Alors qu’une série morte au lancement est terminée et enterrée.
Pour revenir au sujet, je pense que le rapport [temps passé/qualité] des séries est le moins intéressant parmi les arts culturels cités. Comme tu le dis si bien, entre épisodes vus, enchaînés en streaming, si vite jetés, plus ou moins bons, j’ai l’impression de perdre mon temps. Une première saison « pas terrible » pour une « bonne » deuxième saison est inacceptable. Heureusement de nos jours la série télévisée a trouvé ses lettres de noblesse avec une qualité grandement rehaussée et un genre bien à part (si l’on compare aux séries d’il y a dix, vingt ans…).
« quel média numérique impose la prise de connaissance d’un synopsis ? »
Tous les jeux en général, voire toutes les applications, voire toute activité, numérique ou pas, qui implique un groupe de personnes. Je pense plutôt qu’une comparaison autour de la passivité du consommateur aurait été plus judicieuse : contrairement au cinéma, à la télévision, ou même à l’univers du jeu vidéo, c’est dans le jeu de société que le consommateur est le plus actif, le plus créatif à même de partager une expérience unique avec d’autres consommateurs.
Article intéressant mais qui manque de structure, par exemple je ne vois où tu veux en venir dans la dernière partie. La « consommation de l’objet de différentes manières » peut aussi s’appliquer aux jeux vidéo ou aux arts créatifs : photographie, bricolage, pliage… Et quant au merchandising, les consommateurs sont aussi contents d’acheter la nouvelle édition Blu-Ray de tel film ou série, contenant des bonus inédits, ou de léguer ses vinyles aux générations futures.
Geoffroy
-Conclusion triviale du fait qu’une série, par définition[…]Alors qu’une série morte au lancement est terminée et enterrée.-
Justement pas : la saisonnalité n’est pas propre à toutes les séries. C’est un système très utilisé aux Etats-Unis, mais ce n’est pas un constituant de la série. Bon, certes, les séries modernes viennent principalement des US. La comparaison est un peu rapide, je l’avoue; je n’ai pas un historique énorme sur les jeux.
-Tous les jeux en général[…]expérience unique avec d’autres consommateurs-
Étonnamment, il existe de nombreux jeux de société auxquels on joue seul. Et il faut autant se palucher les règles que si l’on jouait à plusieurs.
Maintenant, je comprends ce que tu veux dire sur la passivité. Mais j’entends bien plus souvent des gens être freinés par le besoin de lecture d’une règle que par les attributions de commande sur un jeu vidéo ^^
-Article intéressant mais qui manque de structure[…], ou de léguer ses vinyles aux générations futures-
L’article a des travers, je le reconnais. Il est principalement inspiré des thématiques du site Sens Critique qui propose ses catégories culturelles. J’aurais pu étendre.
Merci de tes retours en tout cas.
Geoffroy