Jeux de plateau

Peut-on motiver sans récompenser? 4 pistes efficaces

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Vous souvenez-vous de notre article sur les récompenses et la gamification paru il y a quelques semaines? De nombreux commentaires y ont été apporté, et notamment cette question récurrente : si récompenser était une très mauvaise idée, comment faire alors pour motiver sans?

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Comme présenté dans le précédent article, des expériences comparatives ont été menées, et à chaque fois que l’on utilisait des récompenses pour une tâche créative et / ou intellectuelle, celle-ci était toujours moins bien effectuée que si aucune récompense n’était promise.

Les récompenses, argent, médaille, points, n’entraînent pas une motivation mais une stimulation qui ne parvient in fine pas à motiver la personne.

La stimulation vient de l’extérieur, alors que la motivation vient, elle, directement de l’individu.

Les 7 défauts de la carotte et du bâton :

  1. ils peuvent tuer la motivation intrinsèque
  2. ils peuvent réduire la performance
  3. ils peuvent empêcher la créativité
  4. ils peuvent décourager une bonne conduite
  5. ils peuvent inciter à tricher
  6. ils peuvent engendrer une accoutumance
  7. ils peuvent favoriser un raisonnement à court terme

Alors comment faire pour réellement motiver quelqu’un ? Et surtout éviter les travers d’un système extrinsèque ?

quotidien

Je vais commencer par vous raconter une petite histoire. Je suis enseignant au lycée à Genève. J’ai tous les jours affaire à une classe d’adolescents plus ou moins intéressés par le lycée en général. La plupart d’entre eux, de la première à la terminale, ne savent pas vraiment ce qu’ils font là, ils ont « choisi » le lycée par défaut, en pensant que cela leur permettrait d’avoir ensuite plus de « portes ouvertes ». Et surtout de gagner un peu de temps pour choisir une voie professionnelle.

Vous souvenez-vous à quel âge vous avez décidé de faire ce que vous êtes actuellement en train de faire comme job / études ? Et de manière encore plus importante, vous souvenez-vous des raisons ? Mes élèves ont entre 15 et 19 ans, il est tout à fait naturel que beaucoup n’aient pas encore jeté leur dévolu sur une profession. Avocat ? Médecin ? Réalisateur ? Cuisiner ? Comment choisir.

Tous les jours, je me trouve donc « confronté » -je n’aime pas ce terme belliqueux- à un « parterre » de 20-25 ados par forcément motivés qui ne savent pas vraiment ce qu’ils font là. Et je suis censé leur enseigner la géographie et l’anglais. D’où vient ce manque de motivation ? Et surtout, comment faire pour les motiver ?

Est-ce que leur promettre points ou bonne note ou toute autre forme de récompense parviendrait à les motiver ? Non ! Reconnaissant leur manque de motivation, j’essaie de trouver des solutions pour leur donner goût aux études.

Alors comment faire ?

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Pour éviter la stimulation extérieure et mettre en place une culture de la motivation, on peut essayer de mettre en place 4 piliers :

autonomie
maîtrise
fun
but

autonomie

Le grand problème du bâton et de la carotte c’est qu’il y a un être humain entre deux. Et qu’avec ce système, cet être humain n’a aucun contrôle sur sa vie: soit il ne se comporte pas bien et il en subit les conséquences, le bâton, soit il se comporte bien, i.e. exactement comme l’autorité le désire, et il reçoit une récompense, la carotte. Dans l’une ou l’autre situation aucun contrôle et choix ne lui est laissé. Fais ceci et tu auras cela. Et quand on ne confère aucune liberté et contrôle à un individu, il ne se sent pas motivé du tout car il sent que ses actions ne viennent pas de lui-même.

Pour reprendre le cas de mes élèves, j’ai la conviction profonde que nous ne leur laissons pas suffisamment d’autonomie. Pourquoi ? Par peur de perdre son autorité ? Est-ce que laisser les élèves travailler par eux-mêmes sur un problème ou un projet nous ferait perdre de notre autorité, ou importance ? N’y a-t-il d’ailleurs pas un peu de narcissisme à être écouté par 20-25 personnes, les yeux rivés sur vous et les oreilles tendues à vos paroles? Ou craint-on de ne pas réussir à couvrir le sacro-saint programme, garants que nous sommes de l’ordre établi et du système institutionnel?

Être autonome permet de s’exprimer, donc s’affirmer, et également grandir. En effet, c’est en faisant des choix que l’on est obligé de prendre parti, donc de devoir choisir, donc de prendre des initiatives. Donc de mûrir.

Pour qu’une personne se sente véritablement motivée il est important de lui laisser de l’espace pour s’exprimer, pour réfléchir, pour essayer, pour être. Les personnes qui usent (et abusent) des récompenses sont ironiquement souvent les premières à rejeter tout système similaire appliqué sur elle-même. Peut-être en comprennent-elles les travers, notamment la perte d’autonomie.

Quand une personne gagne en indépendance, elle se sent investie, engagée, impliquée, puisqu’elle s’approprie l’activité exercée.

Je vais vous raconter une autre histoire. Il y a quelques années, en voyage à Boston, j’y ai découvert pour la toute première fois un supermarché avec un système de caisses autonomes, i.e. sans caissière, il vous suffisait de scanner vos propres articles et de payer directement, tout était robotisé et automatisé. Quelle ne fut alors ma surprise! Je dois avouer que j’ai alors préféré utiliser ces caisses-là.

Ce système s’est depuis largement répandu en Europe et même dans la plupart des grands aéroports, les voyageurs ont la possibilité de faire leur propre check-in. J’ai même découvert dans un grand centre commercial à Genève que l’on pouvait à présent directement scanner ses achats avec son iphone et une appli tout en faisant ses achats. Une fois à la caisse il ne reste plus qu’à directement payer.

Gain de temps, car on n’a pas besoin de faire la queue? Pas si sûr, car il vous faut quand même scanner tout vous-même. Économie pour les entreprises, moins de caissières évidemment, mais surtout un « bien-être » accru et ressenti pour les consommateurs. Pourquoi? Car c’est vous qui notez vos articles, vous voyez le montant affiché et automatiquement additionné, vous gérez le temps que vous prenez, et vous avez sérieusement l’impression d’en gagner, alors que ce n’est clairement pas le cas puisque vous n’êtes pas vraiment ni formé ni habitué à être aussi rapide et efficace qu’une caissière (je dis caissière, ça peut aussi être UN caissier bien sûr). Mais au moins dans ce cas précis vous vous sentez beaucoup plus indépendant. Donc peut-être plus motivé.

Laissez les gens gagner en autonomie dans leur travail / étude / projet, ils seront toujours plus motivés que si vous les « enfermez » dans un carcan de contrôle. Savoir lâcher prise.

maitrise

Autre petite anecdote: j’apprécie beaucoup le poker. Pas pour les sommes que je peux y gagner, ni uniquement pour les victoires, mais également pour l’apprentissage du jeu. Il existe une littérature faramineuse sur le jeu : de nombreux joueurs professionnels, mathématiciens, psychologues, ont écrit sur le sujet. Lire et s’entraîner, tout cela dans le but unique de gagner en maîtrise, c’est ce qui me motive.

Un autre pilier de la motivation c’est justement l’envie effective que l’on ressent de parfaire sa maîtrise, d’améliorer ses compétences, d’aiguiser son savoir-faire. Essayer, travailler, s’entraîner pour s’améliorer, voilà l’un des fondements de la motivation.

Certes, il va de soi qu’on ne parvient JAMAIS à complètement maîtriser un outil ou une compétence, on peut TOUJOURS faire mieux, et c’est justement ce qui est motivant. Pas (forcément) pour se sentir mieux que les autres, mais surtout pour ressentir le plaisir intrinsèque d’avoir progressé.

fun

En Suède il y a quelques années, une marque de voiture a organisé un concours pour proposer des projets fun. L’un d’eux, certainement aujourd’hui mondialement connu, était de transformer en piano géant des escaliers de métro placés juste à côté d’un escalator, avec touches et sons. L’expérience était parlante car la grande majorité de gens n’ont plus emprunté les escalators pour préférer passer sur les escaliers et ainsi faire de la musique avec leurs pieds.

C’est ce qu’on appelle la théorie du fun, quand quelque chose devient plus amusant, intéressant, passionnant.

Les psychologues, dont Mihaly Csikszentmihalyi, ont parlé du flow, un état mental dans lequel l’individu se sent entièrement immergé, concentré, engagé, et pendant lequel le temps ne semble avoir aucun impact. Quand une activité est fun, intéressante, différente, les gens deviennent motivés. C’est tout le principe du bénévolat.

Mes amis du podcast ludique proxijeux passent je ne sais combien d’heures à enregistrer leurs émissions périodiques et fréquentes sans gagner aucun sou (j’imagine), juste pour le fun, alors qu’ils ont un « vrai » travail à côté. Ils le font parce qu’ils aiment ça, parce que cela leur permet certainement de vivre quelque chose de fort, de différent, de fun. On pourrait également parler du cas des fixies, ces vélos à pignon fixe, le symbole-même des coursiers new yorkais, vélos qui se sont depuis répandus un peu partout en Europe. Et souvent sans freins. Rouler sur un vélo sans freins ni vitesses ? Pourquoi ? La théorie du fun, encore une fois.

Et qui dit fun dit différent, donc surprenant.

Assis dans un restaurant, quand une personne entre dans l’établissement vous la regardez automatiquement, mécaniquement. C’est alors un réflexe atavique de survie (cerveau reptilien), rester à l’affût pour prévenir tout danger.

Quel est le rapport avec le fun? Toute surprise fait réagir et suscite un fort intérêt. Apprendre à surprendre pour motiver, pour rendre une activité fun, différente, passionnante, intéressante.

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Le dernier pilier de la motivation, c’est le but, l’objectif, le désir de finir, d’arriver au bout de quelque chose. Dans ce cas, il est surtout important de savoir pourquoi on pratique une activité.

J’aimerais vous raconter l’histoire de mon collègue, professeur de philosophie au lycée, qui donnait ses cours en présentant aux élèves les biographies et oeuvres des philosophes antiques. Trouvant que ses élèves n’étaient pas intéressés, motivés, il a retravaillé ses cours pour proposer une optique différente. Plutôt que de parler des philosophes classiques, il organise maintenant avec eux des débats sur des sujets aussi divers que philosophiques. Il m’en a présenté certains : la violence dans la société, les sentiments, le respect, la peur, etc. Cela lui arrive même de citer l’un ou l’autre philosophe antique pour présenter leurs conceptions du sujet. Depuis qu’il a changé ses cours et que ses étudiants comprennent que la philosophie pouvait leur apporter une certaine compréhension du monde ainsi que des compétences en argumentation, ils se sentent beaucoup plus impliqués et motivés.

A force d’être empêtré dans un quotidien routinier, on a souvent tendance à omettre une question toute bête : pourquoi ? Dans quel but faisons-nous ceci ou cela ? On finit par faire les choses mécaniquement, par habitude. Une fois les objectifs clarifiés, on saura exactement où l’on va, et surtout, pourquoi. Ça donne envie, non?

conclusion

Alors, est-il possible de motiver sans agiter de récompenses ? Oui, à condition de développer une culture de la motivation intrinsèque, d’offrir à l’autre son indépendance, de lui permettre d’évoluer, d’avoir du plaisir et de chercher à atteindre un objectif.

Une telle culture de la motivation peut autant être appliquée au bureau que dans le sport, dans le monde de l’éducation ou à la maison en famille.

Les récompenses extrinsèques représentent un leurre. Au demeurant elles semblent fonctionner, mais elles agissent comme un vernis pour cacher un mal plus profond. Il est facile de les brandir pour supprimer ou encourager un certain comportement, mais on agit en surface tout en manipulant l’autre. Si l’on désire motiver, il faut que cela se développe d’abord chez l’autre, c’est le concept du Bottom-up VS Top-Down.

Pour relire l’article sur les récompenses et les punitions, c’est ici.

Pour explorer plus à fond le sujet, je conseille deux lectures sur lesquelles j’ai basé mon article :

La vérité sur ce qui nous motive, Dan PINK, 2011

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Motivation, le déclic, Nathalie DUCROT, 2012

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Et une conférence TED sur la motivation, donnée par Dan Pink

La même, mais en animée et plus condensée

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3 Comments

    • Tim

      Bonjour,
      Merci pour l’article intéressant. Je suis enseignant au collège donc je sais que les 4 piliers ne sont pas toujours faciles à mettre en place pour tout le monde mais je ne me laisse pas décourager.
      Par rapport au système de vote, il y a maintenant l’application « plickers » qui donne le même résultat mais avec moins de besoin matériel.
      Cordialement,
      Tim

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