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Final girl : Il ne peut en rester qu’une

Incarnez une héroïne badass dans Final Girl ! Déjouez les pièges et combattez le mal. Prêt pour l’adrénaline ? 👧💪


Final girl

Final Girl est un jeu solo qui nous promet de nous faire revivre les frissons des films d’horreur, et plus particulièrement ceux mettant en scène une héroïne résiliente, surmontant tous les obstacles devant elle (patriarcat compris) pour venir à bout de l’Ennemi, que ce soit le méchant, le psychopathe, le monstre ou l’extraterrestre, contre toute attente.

Le jeu est présenté comme étant d’un genre nouveau, cependant, aucune de ses caractéristiques ne semble vraiment originale :

  • Le thème de l’horreur est un grand classique des jeux de plateau et de cartes, évoquant notamment l’univers Lovecraftien. Cependant, d’autres jeux comme Betrayal ou Mall of Horror viennent rapidement à l’esprit. De nombreux autres jeux ont tenté de reproduire ce thème, avec des résultats variés.
  • Le mécanisme de jeu est également assez courant, le système de construction de main et de jets de dés étant répandu dans les jeux solos. Il semble ici copié de Négociateur, un jeu solo du même auteur, paru dans la même maison d’édition, en 2018. Il comporte quelques ajouts, comme la carte et les déplacements, mais rien qui ne justifie l’étiquette de « nouveau ».
  • L’idée de séparer le jeu en boîte de base et scénarios additionnels à acheter peut être intéressante pour l’éditeur, mais ce n’est pas non plus un concept révolutionnaire.

La combinaison des trois points ci-dessus est peut-être unique (je n’ai pas cherché, j’avoue), mais cela ne la rend pas nécessairement nouvelle ou innovante.

Les scénarios

Pourquoi les tueurs en série sont-ils si captivants (dans les jeux de société) ?

Final Girl parle donc d’une femme, seule, qui doit survivre, réchapper d’une attaque. D’un tueur en série, par exemple. Podcast, séries, films, livres, et ici jeu de plateau. Comment expliquer notre fascination pour les tueurs en série ?

Beaucoup d’entre nous expriment leur répulsion envers les tueurs en série, mais se trouvent néanmoins absorbés par le dernier jeu ou série qui met en scène des scénarios de crimes réels. Que ce soit via des podcasts, des livres ou des séries télévisées, les histoires de criminels impitoyables sont souvent les plus populaires. Vous pourriez vous demander quelle est la psychologie sous-jacente à cette tendance curieuse.

Notre intérêt pour les tueurs en série fait partie d’une tendance plus générale de l’être humain à être attiré par le danger. On peut parler de phénomène appelé « curiosité morbide », qui se rapporte à notre désir d’en apprendre davantage sur les situations périlleuses.

Pour saisir notre obsession pour les tueurs en série, il est essentiel de comprendre notre lien évolutif avec les prédateurs. Toutes les créatures ont besoin d’être capables de fuir efficacement un prédateur. Les prédateurs, eux, ne cherchent pas constamment de la nourriture. En effet, chasser une proie sans avoir faim est inutile. La chasse exige beaucoup d’énergie, elle n’est pas toujours couronnée de succès et il est difficile de stocker la nourriture une fois attrapée.

On observe souvent les proies à proximité de leurs prédateurs. Puisque les prédateurs ne sont pas constamment en mode chasse, il est bénéfique pour la proie de savoir quand le prédateur a faim et quand il chasse. En surveillant le prédateur à distance, la proie peut apprendre à reconnaître son apparence, ses habitudes et son état actuel. Cette activité d’observation est courante dans la nature, surtout chez les jeunes.

Si un zèbre, une gazelle ou un gnou s’enfuyait chaque fois qu’il aperçoit un lion ou un guépard, il s’épuiserait rapidement. Cela les rendrait plus vulnérables aux attaques. Au lieu de cela, ces animaux restent très attentifs aux prédateurs et apprennent à les reconnaître et à comprendre leurs motivations. Observer un prédateur dans la nature est risqué, mais si c’est fait correctement, cela peut être bénéfique dans l’évolution.

L’observation des prédateurs est aussi importante pour l’être humain que pour les autres animaux, et cela a été particulièrement vrai tout au long de notre évolution. Bien que nous ne soyons pas aussi susceptibles d’être attaqués par des lions ou des guépards de nos jours, le risque de violence humaine reste. Notre cerveau traite les personnes dangereuses de la même manière que les autres prédateurs : nous cherchons à en apprendre davantage sur elles lorsque c’est possible, afin de pouvoir les éviter plus efficacement.

Les humains ont une capacité unique à imaginer et à expérimenter des situations grâce à des simulations mentales. En imaginant des scénarios effrayants, nous sommes capables de créer des situations où l’apprentissage est très bénéfique, mais les risques sont faibles. Ces approches peu coûteuses pour observer des événements effrayants attisent notre curiosité et agissent comme des catalyseurs pour nos pensées anxieuses.

Ce changement de la balance coût-bénéfice lors de l’apprentissage de situations risquées est à l’origine de notre curiosité morbide, de notre appétit pour les drames violents et de notre obsession pour les tueurs en série. Nous sommes assoiffés d’informations sur le tueur. Pourquoi agit-il de la sorte ? Comment interagit-il avec les autres lorsqu’il ne commet pas de meurtre ? Qu’est-ce qui le pousse à choisir ses victimes ? Et surtout, quels sont les signes avant-coureurs d’un tueur en série ?

De telles questions piquent notre intérêt car elles touchent un aspect fondamental de notre nature : le besoin d’échapper à la prédation. Nos investigations ne sont pas très différentes de celles du zèbre ; nous avons simplement des moyens plus créatifs de les mener grâce à notre imagination puissante.

En comprenant les motivations et les habitudes des tueurs en série, dans les jeux de société et ailleurs, nous serons (peut-être, mais alors vraiment peut-être) mieux préparés pour les identifier et les éviter. Dans les jeux et/ou dans la vraie vie.

Nous sommes attirés par les thrillers, les jeux d’horreur et les histoires basées sur des faits réels parce qu’ils nous offrent un environnement sûr où nous pouvons apprendre à connaître le danger. Dans un jeu basé sur des crimes réels, il est peu probable que nous soyons la proie du tueur en série, mais nous pouvons apprendre quelque chose à son sujet. Plus important encore, nous pouvons apprendre à reconnaître et à comprendre d’autres individus dangereux comme lui – ceux que nous pourrions rencontrer dans une future partie de Final Girl.

Références :

👉 Scrivner, C. (2021). La psychologie de la curiosité morbide : Development and initial validation of the morbid curiosity scale. Personality and Individual Differences, 183, 111139. https://doi.org/10.1016/j.paid.2021.111139

👉 Vicary, A. M. et Fraley, R. C. (2010). Captured by true crime : Pourquoi les femmes sont-elles attirées par les récits de viols, de meurtres et de tueurs en série ? Social Psychological and Personality Science, 1(1), 81-86. https://doi.org/10.1177%2F1948550609355486

👉 FitzGibbon, C. D. (1994). The costs and benefits of predator inspection behaviour in Thomson’s gazelles. Behavioral Ecology and Sociobiology, 34(2), 139-148. https://doi.org/10.1007/BF00164184

Matériel

Mais revenons à nos moutons notre survivante.

Les illustrations de Final Girl sont, de manière objective, peu attrayantes. C’est probablement un choix délibéré lié au thème (ou peut-être aux goûts de l’auteur, l’esthétique de Négociateur n’étant pas non plus son point fort). Malgré que je comprenne ce choix, l’exécution laisse beaucoup à désirer, rendant le jeu peu attrayant visuellement.

Les boîtes sont bien conçues, offrant des espaces de rangement adaptés et évolutifs. Des couvercles (en plastique, certes) permettent de maintenir le matériel en place. Les boites ont un format livre et des aimants permettent de les fermer de manière sécuritaire. Toutefois, la boîte de scénario ne se ferme pas aussi bien en raison de sa conception.

Les plateaux de lieu et d’ennemis sont intégrés dans la boîte de scénario, ce qui est astucieux. Cependant, ils présentent un inconvénient : ils ne peuvent pas être posés à plat, et c’est justement là que les cartes « objet » sont censées être placées.

Les règles sont un peu indigestes. Elles sont verbeuses et difficiles à lire. Le texte contient de nombreux pictogrammes différents et des séquences parfois confuses. Le manuel manque de schémas et d’explications « in game », en plus de présenter des choix typographiques et de mise en page peu conventionnels, ce qui renforce le côté indigeste.

De plus, un échec notable se trouve dans le livret de règles. Final Girl est un jeu où les joueuses et les joueurs incarnent une héroïne, mais les règles sont écrites au masculin, alors qu’il aurait tout à fait été possible de les écrire au féminin. Un exemple : « Vous n’êtes pas tenu de les sauver ». C’est une erreur qui ajoute une couche à un ensemble déjà compliqué.

Final girl, verdict

Pour nuancer mon propos, alors oui, je peux tout à fait imaginer que Final Girl puisse plaire : Final Girl est un jeu thématique qui suinte le thème comme le sang qui coule d’une machette tranchante. Les fans de films d’horreur apprécieront les nombreux clins d’œil au genre, et il est préférable de l’apprécier en tant qu’aventure narrative.

Mais. Mais le jeu est difficile et le hasard des dés et des tirages de cartes peut être… brutal, comme dans un… film d’horreur.

Le jeu est déséquilibré, ce qui est typique pour ce type de thème, mais ici, le déséquilibre est trop prononcé. L’ennemi a deux fois plus de santé que l’héroïne, ses actions et attaques sont toutes automatiques, et il se renforce au fur et à mesure de la partie. De plus, le jeu est très punitif. Un jet raté peut avoir des conséquences souvent disproportionnées par rapport au gain d’un jet réussi.

La plupart des objets sont à la limite de l’utile, les armes en particulier ne causant que peu de dégâts supplémentaires. De plus, les événements sont presque tous négatifs, augmentant la difficulté déjà élevée. Les ajouts au mécanisme de Négociateur me semblent par ailleurs péjorer la qualité du jeu, par exemple avec les déplacements qui ne sont jamais automatiques.

Il faut prendre Final Girl pour ce qu’il est, un jeu à considérer comme un défi, un casse tête. Les dés et les cartes introduisent un élément aléatoire dans le jeu, ce qui peut conduire à des événements et des résultats inattendus. Et parfois, souvent, relou. Comme dit plus haut, le niveau élevé de hasard impliqué peut être frustrant, bien que, il faut l’avouer, il ajoute également au frisson et au suspense du jeu,

Pour ma part, l’élément le plus décevant de Final Girl est le manque d’immersion dans le thème. Le jeu est mécanique et manque de tension, contrairement à ce que l’on pouvait ressentir en jouant à Négociateur.

Pour toutes ces raisons, perso, je n’ai pas du tout, mais alors pas du tout kiffé Final Girl ! Pour moi, Final Girl est un jeu sans intérêt, sans immersion et excessivement punitif et déséquilibré.

Note : 1 sur 5.

Et encore une chose

Si vous aimez, si vous cherchez des jeux de société à pratiquer en solo, nous vous en proposons tout une sélection à découvrir ici :


  • Création : A.J. Porfirio, E. Derrick
  • Illustrations : T. Johnson, V. Ladkova, T. Mere, R. McDonald
  • Édition : Ryder Games/Don’t Panic Games
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1 uniquement
  • Âge conseillé : dès 14 ans et + (jamais moins !)
  • Durée : 20 à 60 minutes
  • Thème : Film d’horreur
  • Mécaniques principales : Construction de main, jets de dés. Pour en savoir plus sur les différentes mécaniques de jeux, c’est ici.

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Article écrit par Clément. Adepte des jeux rapides, son pire ennemi est le paralyseur. Spécialiste des jeux de plis, des casse-têtes et des ours. Il a deux chats, trop de plantes et une mémoire défaillante. Devise : « Faut que ça poppe ! »

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