
Comment faites-vous pour choisir vos jeux de société ? Ce que les neurosciences disent de nos choix
De nouvelles recherches en neuroscience identifient les neurones responsables de nos choix.
Vous venez d’entrer dans une boutique de jeux. Ou vous surfez sur une boutique en ligne. Vous tombez sur un jeu qui vous semble intéressant. Vous hésitez quelques instants, vous continuez peut-être de flâner, puis vous décidez quand même d’acheter le jeu que vous avez vu. Mais qu’est-ce qui nous motive à acheter un jeu plutôt qu’un autre ? Sommes-nous toujours conscients des mécanismes psychologiques qui nous poussent à acheter ou apprécier certains jeux ? Comment notre cerveau prend-il des décisions en une fraction de seconde ? La neuroscience peut nous aider à mieux comprendre ces processus.
Depuis une dizaine d’années, le marché du jeu de société est en pleine effervescence. Il n’y a jamais eu autant de jeux publiés. Années après années, le marché atteint de records de sorties, de ventes. Dans un tel flot, dans un tel flux de sorties, avec des étagères et des catalogues en ligne surchargés, comment faire pour trouver un jeu ? Quels sont les processus neuronaux qui nous poussent à choisir tel ou tel jeu ?
Fraction de seconde

Vous vous baladez devant un catalogue de jeux, en ligne, en vrai, à l’affût d’un titre à acheter. Vous jetez-vous sur un titre au hasard, celui que vous trouvez le plus beau, dans un délai bref, ou vous continuez à flâner, à prendre votre temps, à attendre de tomber sur un autre jeu, en espérant tomber sur « la révélation » ?
Des chercheurs de l’Université du Colorado Anschutz Medical Campus ont voulu déterminer en 2020 comment le cerveau prend ces décisions rapides. Trois ans auparavant, en 2017, des recherches antérieures sur ce même sujet sont discutées dans cet article de Medical News Today.
Alors que l’on pensait auparavant que le cervelet était responsable de ces décisions, cette étude d’août 2020 a découvert que cela ressemble plus à un «réseau complexe de connexions» à travers le cerveau, qui explique comment nous prenons une décision ou un choix rapide.

Le cervelet, du latin : cerebellum, « petit cerveau », est une structure de l’encéphale qui joue un rôle important dans le contrôle moteur et est également impliqué, dans une moindre mesure, dans certaines fonctions cognitives, telles que l’attention, le langage et la régulation des réactions de peur et de plaisir.
La recherche récente de 2020 a découvert que ces décisions rapides impliquent une coordination extrêmement rapide entre une zone du cortex prémoteur et deux zones du cortex préfrontal.
L’équipe de chercheurs a examiné les interneurones de la couche moléculaire du cervelet (MLI). Dans un processus pavlovien, les souris ont été récompensées avec de l’eau sucrée après avoir senti un « odorant récompensé ». Lorsqu’un « odorant non récompensé » était libéré dans l’air, on leur apprenait à éviter de lécher le bec. Après quelques tours, les souris ont appris le truc : se précipiter vers cette odeur une fois qu’ils la sentaient. Ensuite, les chercheurs ont perturbé le cerveau des souris en injectant des agents chimiogénétiques qui ont détruit leur sens olfactif. C’est grâce à ces recherches que les neuroscientifiques ont pu comprendre le rôle du cervelet dans nos prises de décision.
Il faut souligner que cette compréhension du rôle du cervelet dans la prise de décision est nouvelle. Parce que les souris sont devenues moins confiantes dans leurs choix après la libération de ces agents, il semble que le cervelet soit en partie responsable des réponses rapides à la prise de décision.
La recherche récente a pu découvrir que le cervelet est responsable de beaucoup d’apprentissages. C’est peut-être sans surprise, étant donné sa proximité avec la moelle épinière et son influence sur les schémas moteurs. Les décisions en une fraction de seconde sont une ancienne nécessité évolutive et auraient commencé à évoluer assez tôt.
Combien de temps faut-il pour prendre une décision ?
Les chercheurs de 2017 ont découvert que le timing est primordial lorsqu’il s’agit de ces décisions rapides.
Si la décision de prendre une décision, un choix, un jeu est prise dans les 100 millisecondes après avoir vu, reçu le choix, le changement d’avis réussira à modifier le plan d’action initial. Cependant, si cette prise de décision prend au moins, ou plus de 200 millisecondes, les chances d’être confiant du changement sont nettement moindres.
Cellules

Le cerveau est complexe. Bien que certaines régions soient responsables d’actions particulières, il s’agit d’un réseau plutôt que d’une série de segments autonomes qui se coordonnent. Ce 8 octobre 2020, les chercheurs de l’hôpital universitaire de Bonn viennent tout juste d’ajouter une autre pièce au puzzle cognitif de la prise de décision : un réseau de 830 cellules nerveuses dans le lobe temporal médial.
Leur étude, publiée dans la revue Current Biology, a examiné les niveaux de confiance au moment de décider entre différents choix (de jeux). Au cours d’une journée normale, il y a certaines décisions pour lesquelles nous sommes très confiants, parfois au point où cela semble être le seul plan d’action possibles. D’autres décisions ne sont pas si claires.
L’équipe souhaitait identifier les régions neurales responsables de cet intervalle de confiance. Ils ont montré à un groupe d’une douzaine d’hommes et de femmes des photos de différentes collations, comme des chips et une barre de chocolat. Ils ont demandé à chaque volontaire d’indiquer quelle collation il préfère manger. La confiance était mesurée par la distance à laquelle ils déplaçaient le curseur sur leur collation choisie.
Cette étude n’impliquait pas seulement deux collations. Au total, chaque participant a examiné 190 paires de possibilités. Alors qu’ils étaient occupés à choisir et déplacer le curseur, les chercheurs ont enregistré une activité dans le lobe temporal. Le lobe temporal est une région du cerveau située derrière l’os temporal, l’os situé derrière les tempes, dans la partie latérale et inférieure du cerveau.

Chez l’être humain, c’est une zone importante pour de nombreuses fonctions cognitives, dont l’audition, le langage, la mémoire et la vision des formes complexes.
Les chercheurs de Bonn ont découvert que la fréquence des impulsions électriques dans certains neurones, en d’autres termes leur « taux de déclenchement », changeait avec une plus grande confiance dans la décision. Par exemple, plus les personnes testées choisissaient fréquemment, plus elle était confiante dans sa décision. Autrement dit, plus on choisit souvent, et plus on est convaincu d’avoir fait le bon choix. Encore faut-il définir le terme de « bon choix » dans le cadre d’un jeu de société.
Ces neurones jouent également un rôle dans la formation et la rétention de la mémoire. La recherche émet l’hypothèse que ces processus sont liés : à la suite du choix et de la confiance ressentie d’avoir fait le bon choix, cette confiance se consolide dans la mémoire. Ce qui influence alors les décisions futures similaires.
Plus on choisit souvent, et plus on est convaincu d’avoir fait le bon choix.
Alors que l’étude de neurones individuels chez des humains vivants est souvent considérée comme… éthiquement douteuse, des recherches similaires ont déjà été menées sur des primates. Les 12 participants à cette étude allemande souffraient tous d’épilepsie sévère. Étant donné que cette maladie provient de la même région cérébrale que la prise de décision, l’équipe a pu localiser en toute sécurité l’emplacement exact du lobe temporal médial.
Dans l’étude d’août 2020 vue plus haut, il a été relevé que le cervelet est proche du tronc cérébral, où des décisions rapides peuvent faire la différence entre… la vie et la mort. Cette recherche à Bonn s’est concentrée sur l’amygdale, le mécanisme de détection des menaces du cerveau, et les hippocampes, le siège de la consolidation de la mémoire. Toutes ces études parviennent à nous donner un aperçu plus clair sur nos processus décisionnels et sur l’apport des souvenirs dans cette action de décision. Je décide ceci maintenant, parce que j’ai décidé cela avant.
Émotion VS Raison
Les décisions sont en grande partie émotionnelles, pas logiques.
Vous voyez une boîte de jeu dans une boutique. Vous désirez l’acheter. Vous avez pris votre décision (voir plus haut). Vous pensez que votre décision est réfléchie, raisonnée, cohérent, logique. Peut-être pas autant que vous l’imaginez, l’espérez.
Et c’est là qu’intervient, à nouveau, la recherche en neurosciences. Selon les dernières découvertes, la prise de décision n’est pas logique, mais émotionnelle.
Il y a quelques années, le neuroscientifique Antonio Damasio a fait une découverte révolutionnaire. Il a étudié les personnes atteintes de lésions dans la partie du cerveau où les émotions sont générées. Le scientifique a constaté qu’ils semblaient « normaux », à l’exception près qu’ils n’étaient pas capables de ressentir des émotions. Ils avaient toutefois tous quelque chose de particulier en commun : ils ne pouvaient pas prendre de décisions.
Ils pouvaient décrire ce qu’ils devraient faire en termes logiques, mais ils trouvaient très difficile de prendre des décisions, même simples, comme quoi manger. De nombreuses décisions ont des avantages et des inconvénients des deux côtés. Dois-je prendre le poulet / tofu ou la dinde / tempeh ? Lors des tests, en l’absence de moyen rationnel de prise de décision, ces sujets d’analyse n’ont pas été en mesure de prendre une décision.
« La prise de décision n’est pas logique, mais émotionnelle. »
Ainsi, au moment de la décision, les émotions sont très importantes pour le choix. En fait, même avec ce que nous croyons être des décisions logiques, l’aspect crucial lié au choix est sans doute toujours basé sur l’émotion.
Après tout, Blaise Pascal, le philosophe et théologien du 17e siècle le savait déjà : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point« . Il parlait de la foi. Mais avec les recherches de Damasio, c’est également valide avec la prise de décision.
Cette constatation implique alors d’énormes conséquences. On a beau vouloir s’appuyer sur mille raisons, mille faits crédibles et scientifiques, à un moment donné, la prise de décision finale repose sur les émotions.
Comment faire alors pour inciter l’achat d’un jeu ? Donner envie. Vous n’allez jamais convaincre quelqu’un que ce jeu est bien, parce que. L’idée est de les aider à découvrir par eux-mêmes ce qui leur semble juste, meilleur et plus avantageux. Leur décision finale est basée sur l’intérêt personnel. C’est en lien avec une ou plusieurs émotions. Je veux ce jeu. Il sera parfait pour moi et mon groupe de joueurs et de joueuses.
Voici quelques fondamentaux sur lesquels les jeux peuvent s’appuyer pour mener à l’acte d’achat :
- Des graphismes qui suscitent une certaine appétence : clairs, fins, colorés
- Un nom connu d’auteur ou d’autrice (exemple : Mariposa d’Elizabeth Hargrave de Wingspan, ou Uwe Rosenberg)
- Une couverture qui donne envie : invitation à l’aventure, du mystère
- Une arrière de boîte qui présente le jeu et son matériel. Voir ses règles, pourquoi pas, ce qui permet aux gens de mieux voir, mieux savoir de quoi il s’agit. Comme dans les tous récents Imagine Famille ou Pantone.
Et vous, comment faites-vous pour choisir un jeu ?


5 Comments
Benjamin
Comment je fais ? Bah je lis vos articles 🙂
Gus
😅
Spawnie33
Waouuuuuuuuu… j’ai mal au crâne à lire votre article mais je reconnais le sacré défi que vous avez réalisé. mettre du scientifique dans un choix de jeu. Quelle émotion !
Pour répondre à votre question, je rejoins Benjamin : votre avis et le plaisir de goûter vos mots m’influence c’est certain.
Mais avec l’âge, j’ai aussi appris à à repérer mon style de jeu et à éviter ceux qui ne sont pas mon style.
Passionné de BDs et d’univers divers, il y a aussi le thème du jeu et l’illustration de l’ensemble. J’attache beaucoup d’importance au visuel même si c’est parfois trompeur malheureusement.
Il y a aussi le hasard de la découverte comme une rencontre amoureuse ou amicale (et c’est certainement la plus belle des façons de choisir). Celle qui fait qu’on joue avec des gens qui nous font découvrir un jeu qu’on trouve génial et qu’on n’avait pas repéré justement à cause de la pré sélection décrite ci-dessus.
Mais en réalité, comme le dit si bien votre article, mon choix serait-il vraiment si libre et si raisonné ?
JJF
Il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en compte…
– le budget du moment (et depuis quand date le dernier achat) ;
– le prix du jeu (que je compare au contenu de la boîte) ;
– de jolies illustrations, autant la boîte, que le plateau, les accessoires (si je n’adhère pas à l’univers, c’est mort) ;
– sa rareté (il y a des jeux en nombre restreint d’exemplaires, ou que je cherche depuis x semaines… je ne craquerai jamais pour une boîte que je peux voir à chaque fois que je vais en grande surface) ;
– l’eco-score (quand ça vient de Chine, je risque de perdre mon engouement) ;
– les bonnes critiques, ou la « hype » (le côté expert du bon goût et collectionneur) ;
– une forte interaction (les interactions froides ne m’enchantent guère) ;
– une mécanique originale ET compréhensible (démo, règles faciles à expliquer) ;
– un thème qui donne envie à mes amis d’y jouer (c’est important) ;
Ange
En fait, c’est un cumul de choses : je note les jeux qui me semblent bien d’après des critiques lues ici et ailleurs, les jeux conseillés par des amis et, lorsque je me rends dans un magasin de jeux, je commence par regarder ceux-ci, et les compare (même si ils n’ont aucun lien entre eux) et finalement en prend un ou deux (couv attrayante, commentaire du vendeur si il a joué à ces jeux, descriptif du contenu,…. Et quasi à chaque fois j’en prends un dernier dont je n’ai jamais entendu parlé auparavant , mais dont la boite ou le thème m’étonne, m’attire… Mais mes achats sont espacés dans le temps (souvent plusieurs mois) et de passer par ces listes permet de rationaliser ces choix et tant pis si le dernier achat plus « impulsionnel » s’avère une erreur (cela arrive mais tant que cela)