Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Tekhenu et The Artemis Project, 2 nouveaux jeux de société qui subliment les dés

Tekhenu et The Artemis Project. Des idées de dés.


Il y a encore 20-30 ans, les dés dans les jeux de société n’étaient utilisés que pour avancer ses pions sur un plateau. Depuis les années 2000 et l’essor tonitruant des jeux de société dits « modernes », les dés sont devenus de véritables moteurs espiègles. C’est le cas aujourd’hui avec Tekhenu et The Artemis Project.

Tekhenu et The Artemis Project sont deux nouveaux gros jeux de plateau, complexes, riches, sortis en septembre 2020. Les deux ont en commun une utilisation subtile des dés. Nous avons essayé ces deux jeux. Voici notre chronique.

Tekhenu

Il faut commencer par relever que Tekhenu a été créé par Dávid Turczi (Anachrony) et Daniele Tascini (Teotihuacan, Tzolk’in), deux auteurs de jeu confirmés, habitués des jeux profonds. Lles deux ont également collaboré l’année passée sur Trismegistus.

Friands de thèmes de civilisations antiques, les deux auteurs ont placé leur nouvelle galette dans l’Égypte Antique. Tekhenu signifie en réalité un obélisque, un terme lui-même issu du grec ancien : ὀβελίσκος obeliskos, diminutif de ὀβελός obelos, « cracher, clou, pilier pointu ».

Un obélisque est un grand monument effilé à quatre côtés et étroit qui se termine en forme de pyramide au sommet.

À l’origine, ils étaient appelés tekhenu par leurs constructeurs, les anciens Egyptiens. Les Grecs qui les ont vus ont utilisé le terme grec obeliskos pour les décrire, et ce mot est passé en latin et finalement en français.

Dans Tekhenu, donc, le jeu de plateau, un gros et long obélisque en plastique et en 3D trône sur un énorme plateau bourré de pictogrammes. Selon sa position sur le plateau, l’obélisque va faire de l’ombre, ce qui va alors modifier les caractéristiques des dés.

Chaque deux tours, le tekhenu projette une ombre sur les six sections différentes du plateau, laissant différentes parties ombragées, sombres et ensoleillées respectivement. Selon l’emplacement de l’obélisque, une partie du plateau sera plongé dans l’obscurité, la pénombre ou la lumière. On y place des dés que l’on lance au préalable et qu’on installe dans différentes sections en lien avec des actions spécifiques, en lien avec Horus, Ra, Hathor, Bastet, Thoth et Osiris, les divinités mythologiques égyptiennes.

Et selon la couleur des dés, et selon les conditions de luminosité en rapport avec le tekhenu, ceux-ci tombent dans l’une des trois catégories : pur (= le dé est positif), corrompu (=le dé est négatif) ou interdit (=on ne peut pas prendre le dé).

À son tour, on ne fait qu’une seule et unique chose, choisir l’un de ces dés placé dans l’une des différentes sections. Reste à choisir sa valeur, sa couleur, son action et surtout, sa catégorie, pur ou corrompu, selon la position de l’obélisque.

Il va falloir saisir le principe des dés et des différentes actions possibles en lien avec les différents dieux. Attendez-vous à ce que votre toute première partie soit… ingrate. Vous ne comprendrez pas forcément tous les pictos, toutes les mécaniques, toutes les actions possibles, et surtout, les deux décomptes, intermédiaire et final. Il va falloir faire preuve de persévérance pour se délecter à découvrir ce jeu exigeant, puissant mais ô combien passionnant une fois dompté.

Le seul petit hic : c’est que selon votre position dans l’ordre du tour, il ne vous restera plus beaucoup de dés à choisir, et donc d’actions à disposition. Vous ne devrez parfois que vous contenter de récolter des ressources plutôt que d’effectuer des actions. Ce qui est aussi, au final, nécessaire.

Dans Tekhenu, on n’est en effet jamais bloqué. Un dé convoité est pris par quelqu’un d’autre ? Pas grave. On peut, on doit faire preuve d’agilité et d’opportunisme tactique pour pivoter et tenter autre chose. Il faudra toujours avoir un plan B, C ou D de prêt au cas où le plan A échoue, faute de dé chouravé.

Au final, Tekhenu est un gros, gros jeu. Et un excellent jeu pour tous les fans de jeux profonds, complexes et intenses. Alors oui, il y a des dés, oui, il y a du hasard, mais comme tous les dés intégrés dans les jeux de société modernes, la valeur des dés peut être modifié en payant une ressource (les Scribes).

Ce qui nous a moins plu ⛔️

Un thème qui ne convainc pas. Rien n’est cohérent, tout semble artificiel

❌ Un gros jeu touffu, bourré de picto et d’actions

❌ Des tours parfois punitifs, avec des dés convoités qui disparaissent

❌ Devoir y jouer au préalable une partie complète pour en saisir tous les tenants et aboutissants : dés, actions, décomptes

❌ Une mise en place fastidieuse

❌ Des règles pénibles et mal structurées qui demandent de faire des allers-retours constants (avec 2-3 coquilles de traduction)

❌ Une interaction plutôt polaire. Hormis prendre les dés ou des emplacements que d’autres auraient convoité, l’interaction est distante

❌ Devoir y jouer sur une table à la surface conséquente : le plateau est immense, le matériel s’étale

❌ Un jeu à ne pas mettre entre toutes les mains : exigeant, profond et intense

Ce qui nous a plu ❤️️

✅ Un jeu qui se mérite, et qui, une fois maîtrisé, s’apprécie à sa juste valeur

✅ La mécanique de draft de dés, et les différentes catégories en fonction de la position de l’obélisque. Extrêmement innovant et puissant

✅ Les multiples rotations de l’obélisque, ce qui confère un certain dynamise au jeu

✅ Une boîte lourde bourrée à craquer de matériel

✅ Les deux décomptes, intermédiaire et final, de quoi pouvoir se situer (un poil) dans la course aux points

✅ Un jeu aux multiples stratégies. Un jeu à l’impressionnante durée de vie. Aucune partie ne ressemblera à une autre

✅ Un jeu riche et roboratif qui satisfera les Core Gamers

✅ Une variante solo tout à fait convenable

Verdict :

Très, très bon !

Note : 4.5 sur 5.

Tekhenu, sorti en septembre 2020 chez Pixie Games pour la VF, créé par Dávid Turczi, Daniele Tascini, pour 1 à 4, idéal à 3, dès 14 ans, pour des parties de 90-120′. Prix constaté : 50 euros.

Vous pouvez trouver Tekhenu ici chez Philibert.

Et également chez Magic Bazar.


The Artemis Project

The Artemis Project est un autre jeu de dés, également sorti en VF en septembre 2020. Et comme Tekhenu, les dés sont utilisés pour effectuer diverses et nombreuses actions sur le plateau.

En revanche, si dans le précédent jeu il était question de dés communs à choisir, dans The Artemis Project on dispose de ses propres dés, qu’on lance au début de la manche et dont on pose l’un deux à son tour.

Votre objectif dans The Artemis Project est de survivre et de prospérer sur Europe, la lune de Jupiter. Officiellement appelée Jupiter II Europe, cette lune est l’un des 79 (!) satellites naturels de la planète géante gazeuse.

Avec un diamètre de plus de 3’000 kilomètres, Europe est le quatrième plus gros satellite de Jupiter et le sixième du système solaire. Sa surface est composée de glace. Et bien que sa température soit au maximum de −150 °C, on suppose qu’en dessous se trouve un océan liquide d’environ 90 kilomètres de profondeur. Ces éléments laissent à penser qu’Europe pourrait être habitable par certains organismes.

C’est tout le concept du jeu. Collectez des minéraux et de l’énergie, construisez des bâtiments au-dessus et sous la surface, recrutez et formez de nouveaux travailleurs et partez en expédition. Survivre et prospérer, donc. Et tout ceci activé grâce aux dés.

The Artemis Project est un pur jeu de placement d’ouvriers de dés. On en pose un sur un emplacement spécifique du plateau, ce qui s’apparente alors à de la programmation. Ceci ici pour activer cela après. Puis une fois tous les dés de tout le monde placés, on procède à la résolution : cet emplacement-ci rapporte cela en fonction des dés posés ici.

Dans The Artemis Project l’interaction est plus piquante, puisque selon les majorités, les valeurs, les combinaisons, les emplacements vont alors rapporter plus, ou moins. Avec, comme dans Tekhenu et tous les jeux récents de dés, la possibilité de « bidouiller » ses dés et ne pas (trop) subir les aléas de l’aléatoire.

The Artemis projest est également un gros jeu, touffu, riche et profond, bourré de possibilités d’actions et de combinaisons. Un jeu qui demande une concentration de tous les instants pour se dépatouiller dans cette jungle de mécaniques, d’actions et d’exceptions : ce dé-ci ici fait ceci, ce dé-là là-bas fait cela.

Ce jeu introduit une mécanique suave et subtile, la possibilité de placer des dés à plusieurs pour bénéficier aussi à plusieurs de récompenses, pour autant qu’une valeur minimum soit atteinte. Par ici l’opportunisme !

Ce qui nous a moins plu ⛔️

Un thème SF qui ne convainc pas (non plus)

❌ Un gros jeu touffu, bourré de picto et d’actions. Comptez 2-3-4-5 tours pour commencer à apprivoiser la bête

❌ Comme tout jeu de placement, des emplacements qui se remplissent par d’autres avant et qui viennent contrecarrer tous ses plans

❌ Les différents meeples qui peuvent venir modifier l’un ou l’autre des ses dés, l’une ou l’autre action, selon leur couleur respective. Une mécanique accessoire qui alourdit et approfondit le jeu

❌ Beaucoup de possibilités, d’ouvertures, de stratégies, pour un décompte de points multiples (comprenez, salade de points de victoire). En résumé, on peut tout faire, tout le temps, partout, pour tout essayer et croiser les doigts pour remporter plus de points que les autres en fin de partie. Une expérience au final assez peu intense ou palpitante

❌ L’aléatoire (tout relatif) de ses lancers de dés. On peut certes les bidouiller, mais encore faut-il disposer des ressources nécessaires

Ce qui nous a plu ❤️️

✅ Comme Tekhenu, un jeu qui se mérite, et qui, une fois apprivoisé, s’apprécie à sa juste valeur

✅ Une interaction piquante et opportuniste. Peu belliqueuse, juste taquine

✅ Les emplacements, les cartes qui peuvent s’obtenir à plusieurs en mode coopératif (ou presque)

✅ Le… Shakeship, qui peut faire office de sac à pioche (de meeples). Aussi inutile qu’indispensable

✅ Des règles claires, détaillées et didactiques

✅ Encore un jeu qui sublime l’utilisation des dés

Verdict :

Pas mal du tout !

Note : 3.5 sur 5.

The Artemis Project, sorti en septembre 2020 chez Super Meeple pour la VF, créé par Daniel Rocchi et Daryl Chow, pour 1 à 5, idéal à 3-4, dès 12 ans, mais comptez plutôt 14, pour des parties de 60-75′. Prix constaté : 45 euros.

Vous pouvez trouver The Artemis Project ici chez Philibert.

Et également chez Magic Bazar.

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3 Comments

  • tapimoket

    « L’aléatoire (tout relatif) de ses lancers de dés. On peut certes les bidouiller, mais encore faut-il disposer des ressources nécessaires » Bizarre cette conclusion. Si on n’a pas besoin de ressources nécessaires pour les « bidouiller », ce serait sans intérêt ! Justement, c’est plutôt positif, je trouve

  • Charles Amir PERRET

    Merci pour l’article Gus ! 🙂 Je ne comprends vraiment pas certains points négatifs que tu mentionnes pour The Artemis Project, qui sont d’ailleurs parfois retrouvés il me me semble dans les points positifs, ce que je comprends encore moins.

    « Comme tout jeu de placement, des emplacements qui se remplissent par d’autres avant et qui viennent contrecarrer tous ses plans »
    mais heureusement ! c’est le coeur du jeu, c’est un jeu de dés avec de l’interaction. Ce n’est pas un jeu avec une stratégie à long terme avec un autre joueur qui vient en un coup tout foutre en l’air. C’est plutôt comment optimiser avec ses dés et surtout en fonction de ceux des autres le tour en cours. Sinon faut jouer à un jeu en solo avec des dés ou un jeu de pure optimisation comme Dice Hospital.

    « Beaucoup de possibilités, d’ouvertures, de stratégies, pour un décompte de points multiples (comprenez, salade de points de victoire). En résumé, on peut tout faire, tout le temps, partout, pour tout essayer et croiser les doigts pour remporter plus de points que les autres en fin de partie. Une expérience au final assez peu intense ou palpitante »
    Les différentes possibilités font la richesse du jeu et l’interaction avec les autres apportent une tension permanente pendant la partie justement. On peut mettre des dés partout oui, techniquement, mais c’est justement l’intérêt, de ne pas être bloqué avec un nombre de places limitées comme dans certaines jeux. C’est un jeu d’optimisation, donc le but c’est d’utiliser au mieux ses dés. Prendre des risques ou pas, regarder ce qu’ont les autres.

    Et le dernier point, je plussoie à fond ce que dit Tapimoket.
    Il y a certes une part d’aléatoire (que tu notes justement comme « toute relative ») car c’est un jeu de dés mais :
    1. Tous les dés sont intéressants dans le jeu
    2. On peut justement les « bidouiller » pour éventuellement dans certains cas précis avoir ce qu’on veut.
    Sinon faut pas jouer à des jeux avec des dés 🙂

  • Olivier Sanguy

    Hello, à propos de votre remarque « Un thème SF qui ne convainc pas ». Je me permets de vous suggérer cet article que j’ai publié sur Tric Trac, car la thématique est en fait assez présente avec certes de la SF, mais moins découplée de nos connaissances et du futur de l’exploration spatiale que ce qu’on pourrait croire au premier coup… de dé ! 😉
    https://www.trictrac.net/actus/the-artemis-project-ce-nest-pas-que-de-la-sf

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