Jeux de plateau

Clash entre créativité et commerce. L’affaire The Artemis Odyssey

🎲🔥 Le clash entre l’auteur de jeux Bruno Faidutti et l’éditeur Grrre Games sur « The Artemis Odyssey ».


Bruno Faidutti et Grrre Games

La sphère ludique, souvent perçue comme un univers, un milieu, une industrie sympatoches reposent sur des alliances… complexes. Le récent tumulte entre le célèbre auteur de jeux Bruno Faidutti et Grrre Games, l’éditeur grenoblois, éclaire les tréfonds parfois tumultueux des relations auteur-éditeur.

C’est sur le blog de l’auteur de jeux de société Bruno Faidutti (Citadelles) que l’on apprend que celui-ci s’est fâché avec l’éditeur de la version française de son prochain jeu, The Artemis Odyssey.

De quoi nous inviter à réfléchir sur la relation, parfois délicate, parfois troublée, parfois au beau fixe, entre l’auteur ou l’autrice d’un jeu et son éditeur.

Mais revenons d’abord sur la polémique entre l’auteur Bruno Faidutti et l’éditeur grenoblois Grrre Games (Rauha).

Quelques mots sur la version française de The Artemis Odyssey

Bruno Faidutti, auteur de jeux de société bien connu qui a sorti plus d’une centaine de titres, a donc récemment partagé ses pensées sur la version française de « The Artemis Odyssey » qui est annoncée par Grrre Games. Faidutti encourage les joueuses et les joueurs à attendre la version originale en anglais qui devrait être publiée aux États-Unis par The Great Gamers Guild, plus ou moins à la même date.

« The Artemis Odyssey » est une révision d’Ad Astra, un jeu de gestion et d’expansion que Faidutti a conçu il y a longtemps avec son ami Serge Laget, décédé il y a peu. Ils avaient signé un contrat pour cette nouvelle version avec un éditeur américain il y a cinq ou six ans. Tout s’est bien passé avec The Great Gamers Guild, qui a développé le jeu en étroite collaboration avec Faidutti et Laget.

Faidutti fut stupéfait de découvrir que Grrre Games, un éditeur qu’il avait bloqué sur les réseaux sociaux à cause de propos de mauvais goût, allait s’occuper de la localisation française du jeu. Malgré cela, Faidutti a traduit les règles en français comme il le fait habituellement. Cependant, il a été très surpris lorsque Florian Grenier, de Grrre Games, a annoncé qu’il ne souhaitait pas utiliser cette traduction et a envoyé la sienne, qui semblait avoir été faite à la hâte.

Faidutti a tenté de raisonner avec Grenier, mais sans succès. Il a même demandé que son nom soit retiré des règles françaises si sa traduction n’était pas utilisée, ce que Grenier a également refusé. Faidutti a fini par couper les ponts avec Grenier et a décidé de traiter l’édition française de « The Artemis Odyssey » avec le même mépris que Grenier traite les auteurs de jeux. Il ne répondra pas aux questions concernant les règles de cette version et invite les joueurs à se procurer plutôt l’édition américaine.

Pour présenter une version objective et équilibrée de l’affaire, nous avons contacté l’éditeur pour avoir sa version de faits, mais il n’a malheureusement pas daigné nous répondre.

Points de réflexion

Cette affaire entre l’auteur Bruno Faidutti et l’éditeur Grrre Games nous invite à réfléchir à trois points de discussion :

  1. L’importance de la collaboration entre les auteurs et les éditeurs : Cette situation souligne l’importance d’une bonne collaboration entre les auteurs et les éditeurs. Dans ce cas, l’absence de respect et de collaboration a conduit à une rupture de la relation professionnelle.
  2. Le respect des auteurs et de leur travail : Le refus de Grenier d’utiliser la traduction de Faidutti et de retirer son nom des règles françaises soulève des questions sur le respect des auteurs et de leur travail. Cela souligne l’importance du droit moral de l’auteur, qui est inaliénable selon le droit français.
  3. L’impact de la qualité de la traduction sur l’expérience de jeu : La qualité de la traduction peut avoir un impact significatif sur l’expérience de jeu. Une mauvaise traduction peut rendre les règles confuses et difficiles à comprendre, ce qui peut nuire à l’expérience globale du jeu.

Nous avons choisi de discuter du tout premier point.

Collaboration auteurs-éditeurs : Harmoniser créativité et édition

Ou « Les subtilités du développement de jeux de société ».

On ne peut pas le nier. Les jeux de société, avec leur riche héritage et leur popularité croissante, sont au cœur d’un univers, économique, médiatique, sociétal, en pleine effervescence. Dans cet environnement, les relations entre auteurs, autrices et éditeurs jouent un rôle capital dans la création de jeux (plus ou moins ?) captivants.

Récemment, l’un des auteurs éminents de ce domaine, Bruno Faidutti, a partagé ses pensées sur les ambiguïtés du « développement » d’un jeu. Ses insights, ses points de vue,, couplés à une analyse plus large de l’industrie, nous aident à mieux comprendre les enjeux de cette collaboration ludique.

I. Comprendre le processus de développement

Pour commencer, faisons un petit rappel des métiers des uns et des autres dans l’industrie du jeu de société.

A. Le rôle des auteurs et des autrices

Les auteurs et autrices de jeux de société sont les catalyseurs de la créativité, initiant concepts, mécaniques et thèmes. Ils sont souvent guidés par leur passion, leur connaissance des tendances et parfois par les retours des joueuses et des joueurs.

B. Le rôle des éditeurs:

Les éditeurs se concentrent sur la production, la distribution, et la promotion des jeux. Ils collaborent avec les auteurs et autrices pour optimiser les concepts et apportent leur expertise en matière de design, de marketing et de logistique.

Lors de l’édition d’un jeu, Bruno Faidutti évoque la phase de développement comme étant souvent mentalement épuisante pour l’auteur et autrice. Cela s’explique en partie par le fait que les éditeurs, parfois eux-mêmes auteurs de jeux frustrés, toujours selon Bruno Faidutti, modifient le jeu, créant ainsi des tensions.

II. L’évolution des relations auteurs-éditeurs à travers les décennies

A. Années 1960-1970 : Les fondations

Durant cette période, le secteur des jeux de société était encore en développement. Les auteurs travaillaient souvent en étroite collaboration avec les éditeurs locaux. Le manque de communication globale et de chaînes de distribution limitait les collaborations internationales.

B. Années 1980 : L’ère de la modernisation

Avec l’essor des technologies de communication, les éditeurs ont commencé à chercher des talents au-delà de leurs frontières. Les auteurs, quant à eux, ont eu accès à un marché plus vaste. Cette période a également vu l’essor des conventions de jeux, comme le célèbre Spiel à Essen, qui est devenu un lieu de rencontre important pour les auteurs et les éditeurs.

C. Années 1990 : La mondialisation

La mondialisation a ouvert la voie à une internationalisation croissante de l’industrie. Les auteurs ont commencé à négocier des contrats à l’échelle mondiale. Des jeux tels que Catane (dont l’auteur est décédé tout récemment, aussi) sont devenus des phénomènes mondiaux, prouvant que le marché international pouvait être lucratif.

D. Années 2000 : La révolution numérique

L’avènement d’Internet a considérablement changé la dynamique entre auteurs et éditeurs. La communication est devenue plus rapide et plus efficace. Les auteurs ont pu présenter leurs prototypes en ligne et les éditeurs ont pu atteindre un public mondial par le biais de campagnes de marketing en ligne.

E. Années 2010 : L’âge du crowdfunding

Le crowdfunding, notamment via des plateformes comme Kickstarter, a permis aux auteurs de contourner les éditeurs traditionnels et de publier leurs jeux directement. Cette tendance a également obligé les éditeurs à repenser leur rôle et à offrir des services plus attractifs et personnalisés aux auteurs.

F. Années 2020 et au-delà : L’ère de la collaboration et de l’innovation

À l’ère actuelle, les relations entre auteurs et éditeurs sont plus collaboratives. Dans l’idéal. Voir le tout début de l’article…

Grâce aux outils numériques, les auteurs et autrices sont plus impliquées dans le processus d’édition. Les éditeurs, de leur côté, sont devenus des partenaires qui aident à affiner et à commercialiser les jeux.

III. Les défis de la relation auteur-éditeur

A. Négociation des contrats

Faidutti, notamment, souligne que les contrats se concentrent généralement sur les aspects financiers, mais rarement sur les détails du développement. Il est essentiel que les auteurs et autrices protègent leurs droits et que les éditeurs couvrent leurs coûts, mais un équilibre doit être trouvé.

Lire à ce propos dans le scandale lié au tant attendu jeu de cartes Disney Lorcana.

Communication et vision commune

Faidutti et de nombreux experts de l’industrie insistent sur l’importance de la communication.

Les auteurs, autrices et les éditeurs doivent partager une vision commune du jeu tout en étant ouverts aux compromis. Selon Faidutti, il est impératif de discuter de la nature et de l’ampleur des modifications à l’avance.

IV. Tendances émergentes et réflexions

A. Crowdfunding et autopublication:

De plus en plus d’auteurs et d’autrices optent pour l’autopublication via des plateformes de crowdfunding. Cela leur permet un contrôle plus direct sur le développement et une connexion plus étroite avec les joueuses et les joueurs. C’est le cas notamment de Gloomhaven et Frosthaven, créés et auto-édités sur KS par Isaac Childres, auteur et éditeur.

B. Respecter et adapter la vision de l’auteur

Faidutti suggère que les éditeurs doivent respecter la vision de l’auteur et de l’autrice tout en collaborant pour des améliorations. Les éditeurs doivent être conscients de l’impact de leurs modifications et s’efforcer d’atteindre un équilibre entre amélioration et préservation de la vision initiale.

Une conclusion pour conclure

Au cœur de l’effervescence du monde des jeux de société se trouve une… danse, subtile, dynamique, entre auteurs/autrices et éditeurs. Telle une partie d’échecs (c’est le cas de le dire) avec ses stratégies complexes, cette relation commande un respect mutuel, une écoute attentive et un engagement partagé. Les auteurs et autrices insufflent la vie initiale aux jeux avec leur imagination débordante, tandis que les éditeurs façonnent et guident cette création jusqu’à sa concrétisation. Lorsque cette alliance est à son apogée, elle donne naissance à des trésors ludiques de ouf. Dans l’idéal.

L’affaire entre Bruno Faidutti et Grrre Games nous offre un miroir dans lequel se reflètent les triomphes et/ou les tensions qui jalonnent ce périple, épique, créatif.

En regardant au-delà de cette affaire spécifique, nous sommes amenés à nous demander : comment cette relation cruciale peut-elle être cultivée pour mieux servir les/nos jeux de société ? Comment peuvent-ils, ensemble, naviguer dans les eaux parfois tumultueuses de la créativité, de l’innovation et des attentes du marché ? Une question épineuse, délicate.

Alors que vous « refermez » cet article, je vous invite à porter votre regard sur votre étagère de jeux. Derrière chaque boîte, il y a une histoire, un cheminement de pensées et d’efforts, le fruit d’une collaboration. Quelles seraient les pépites que nous aurions pu perdre si les auteurs, autrices et les éditeurs n’avaient pas réussi à trouver un terrain d’entente ? Et inversement, quels trésors insoupçonnés restent encore à découvrir lorsque les talents s’unissent dans une… symphonie harmonieuse ?

Dans un monde où les jeux de société continuent de gagner en popularité et en diversité, la danse entre auteurs et éditeurs n’est pas seulement nécessaire, elle est vitale. Espérons que ce clash entre l’auteur Bruno Faidutti et l’éditeur Grrre Games ne gâche pas le plaisir de jouer à The Artemis Odyssey qui sort dans quelques jours.


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Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


Quelle est votre opinion sur la situation entre Bruno Faidutti et Grrre Games concernant « The Artemis Odyssey » ? Pensez-vous que l’un ou l’autre ait agi de manière inappropriée ?

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4 Comments

  • Sf W

    Je pense que l’article serait considérablement enrichi en tenant compte de la réponse de Grrre Games (et non pas Grrrre), parce qu’ils avancent des arguments intéressants (quoi qu’on en pense), notamment qu’ils sont en relation contractuelle avec Great Gamers Guild pour la localisation, de sorte qu’ils en reçoivent les fichiers VO et en font la traduction. Le processus proposé par Faidutti de les traduire lui-même est tout à fait inhabituel, et si j’ai bien compris, le temps que Faidutti revienne vers Grrre avec sa traduction, Grrre avait déjà bien avancé la leur (y compris en engageant des frais j’imagine). Par ailleurs, on sait trop bien à quel point la méfiance est de mise avec les aut.rice.eur.s pensant que sous prétexte qu’ils ont conçu le jeu iels savent rédiger un livret de règles, pourtant un exercice à part entière. Je ne dis pas que Faidutti ne sait pas écrire de règles, juste que je conçois qu’un éditeur préfère avoir le contrôle total sur la traduction (sur laquelle il s’est professionnellement engagé) plutôt que d’en céder une partie de la responsabilité à l’auteur original, au risque de négociations et de complications, a fortiori quand cela remet en cause une partie du travail qu’il a déjà effectué. Mais encore une fois, j’essaye simplement d’apporter d’autres éléments à la réflexion pour aider à mieux comprendre les deux versions, à mon avis toutes deux légitimes – et il va de soi que dans un monde idéal Grrre Games et Faidutti seraient copains comme cochons et travailleraient de concert pour éviter la situation un peu clownesque (surtout d’un point de vue extérieur) d’un auteur français rédigeant les règles de son jeu en anglais mais pas du tout impliqué dans leur version française 🙂

      • Tibo

        Merci Gus pour ce petit billet ludique qui sort des traditionnelles lectures des médias ludiques sur les nouveautés et ce que le rédacteur en pense. Cela donne à réfléchir et j’aime venir sur Gus & co pour ça 🙂

        Après lecture, j’ai le sentiment que le sujet auteur/éditeur est sensible, et qu’il mérite d’être traité avec soin et profondeur pour éviter les quiproquos et les raccourcis malheureux. En l’occurrence, je remercie le commentaire de SF W qui permet d’avoir un peu plus d’éléments concrets qui manquent un peu dans le billet du Gus. Dans l’espoir que cela éclaire les lecteurs et évite de tomber dans le mauvais cliché traditionnel du gentil auteur et du vilain éditeur.

        • Gus

          Cher Tibo

          Merci infiniment pour votre commentaire chaleureux et réfléchi. Nous sommes ravis d’apprendre que vous appréciez la nature réfléchie de nos articles et qu’ils offrent une perspective différente qui vous convient.

          Nous partageons votre sentiment sur la sensibilité de la relation auteur/éditeur. C’est un sujet complexe qui mérite une attention particulière pour éviter tout malentendu.

          Votre commentaire nous encourage à continuer à explorer ces sujets avec soin. Tibo, nous tenons à vous remercier pour vos aimables paroles et votre soutien continu à notre travail. Au plaisir de vous fournir davantage d’articles à réflexion. Merci encore !

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