
Comment Hasbro et le Monopoly ont conquis le monde
Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, en plus de 80 ans d’histoire, le Monopoly est devenu le jeu le plus connu et le plus vendu du marché. Et tout ceci grâce à la ruse de Hasbro.
C’est dans quelques jours, fin décembre 2020, que le jeu va souffler ses 85 bougies « officielles ». Le jeu du Monopoly représente aujourd’hui près d’un tiers de toutes les ventes mondiales de jeux de société. Il faut dire que son éditeur américain, Hasbro, a usé de stratégies rusées et efficaces pour réussir à placer ce jeu, pourtant venu de loin, comme le titre le plus vendu de l’histoire du jeu de société avec plus de 300 millions exemplaires.
Comment est-ce que ce jeu a réussi à se tailler la part du lion ? Comment est-ce que Hasbro, qui a racheté Parker Brothers en 1991, s’est assuré de catapulter le Monopoly au sommet des ventes ?
Mais peut-être faut-il commencer par le début.
Le Monopoly, un peu d’histoire
En 1903, une féministe de gauche appelée Lizzy Magie a breveté le jeu de société que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Monopoly. Mais elle n’en obtint jamais le crédit.
Dans la nuit de la fin de 1932, un homme d’affaires de Philadelphie nommé Charles Todd et sa femme, Olive, ont présenté à leurs amis Charles et Esther Darrow un jeu de société sur l’immobilier qu’ils avaient obtenu quelque temps auparavant. Alors que les deux couples étaient assis autour du plateau, lançant les dés avec enthousiasme, achetant des propriétés et déplaçant leurs jetons, les Todd étaient heureux de constater que les Darrows aimaient le jeu.
En fait, ils furent tellement captivés par le jeu que Charles Todd en a fait une version personnelle, avec quelques règles avancées. À l’époque, le jeu n’avait pas de nom officiel. Il n’était pas vendu dans une boîte, mais passait de personne en personne. Tout le monde l’appelait «le jeu du monopole».
Charles Darrow est un chauffagiste de Philadelphie. Il est au chômage et confronté à des soucis d’argent. Darrow demande à son ami Charles Todd une copie écrite des règles. En 1932, ces règles n’existaient pas. Elles n’existaient plus.
En réalité, les règles du jeu avaient été inventées à Washington DC en 1903 par une femme audacieuse et progressiste nommée Elizabeth Magie. Mais sa place dans l’histoire du jeu a été perdue pendant des décennies. C’est Charles Darrow qui a été mis sous les feux de la rampe. Aujourd’hui, la vérité a été rendue public. Toutefois, si une grande partie de l’histoire existe depuis 40 ans, le mythe de Charles Darrow persiste comme une parabole de l’innovation américaine, grâce en grande partie à l’éditeur du jeu et à l’homme lui-même.
Après avoir vendu une version du jeu à Parker Brothers, le jeu est devenu un succès phénoménal, rapportant des millions, et des millions à Charles Darrow, son « inventeur ».
Pour Elizabeth Magie, connue aussi sous le nom de Lizzie, les problèmes du nouveau siècle étaient si vastes, les inégalités de revenus si massives et les monopoles si puissants qu’il semblait impossible qu’une femme tout à fait inconnue travaillant comme sténographe ait une chance de résoudre quoi que ce soit aux US. Et encore moins avec quelque chose d’aussi trivial et abscons qu’un jeu de société. Elle essaya, toutefois.
Nuit après nuit, après son travail, Lizzie dessinait et redessinait des prototypes de son jeu. Nous sommes au début des années 1900. Les inégalités sont criantes. Lizzie désirait que son jeu reflète ses opinions politiques progressistes. À l’origine, aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, le Monopoly était un outil socio-politique.
Descendante d’immigrants écossais, Lizzie était célibataire, ce qui, pour l’époque, était plutôt inhabituelle pour une femme de son âge. Plus inhabituel encore, c’était le fait qu’elle fut à la tête de sa famille. Seule, indépendante, elle avait économisé et acheté sa maison, ainsi que plusieurs mètres carré de propriété.
Elle vivait dans le comté de Prince George, un quartier de Washington DC. Lizzie partageait sa maison avec un acteur qui payait un loyer et une servante noire. Lizzie était également très politisée, donnant des cours sur ses convictions politiques le soir après le travail. Mais, à son grand regret, Lizzie ne touchait pas assez de monde. Elle avait besoin d’un nouveau moyen, quelque chose de plus… interactif, créatif et moderne.
Il faut dire qu’au tournant du XXe siècle, les jeux de société devenaient de plus en plus courants dans les foyers de la classe moyenne. Et de plus en plus d’inventeurs découvraient que les jeux n’étaient pas seulement un passe-temps mais également un moyen efficace de communication. Et donc, Lizzie s’est mise au travail.
Elle a commencé à parler autour d’elle de son nouveau concept, qu’elle a appelé le jeu du propriétaire (Le Landlord’s Game). «C’est une démonstration pratique du système actuel d’accaparement des terres avec tous ses résultats et conséquences habituels», a-t-elle écrit dans un magazine politique. «Cela aurait bien pu être appelé le« jeu de la vie », car il contient tous les éléments du succès et de l’échec dans le monde réel, et l’objet est le même que la race humaine en général semble avoir, à savoir, l’accumulation de richesses. »
Le jeu de Lizzie comportait de l’argent fictif, des actes et des propriétés pouvant être achetés et vendus. Les joueurs et joueuses pouvaient emprunter de l’argent, soit à la banque, soit entre eux, et ils devaient payer des impôts. Et le jeu comportait une piste qui permettait de faire le tour du plateau, contrairement aux autres jeux de l’époque qui présentaient un début et une fin. Dans un coin se trouvaient la maison des personnes modestes et un parc public, et au milieu se trouvait la prison.
Un autre coin contenait une image du globe et un hommage au héros politique de Lizzie, l’économiste Henry George, dont les idées sur l’imposition sur les riches propriétaires terriens ont inspiré le jeu : «Le travail sur la Terre Mère produit des salaires.» Le tableau comprenait également trois mots qui ont duré plus d’un siècle après que Lizzie les a griffonnés : GO TO JAIL.
Depuis sa création, le « jeu du propriétaire » visait à saisir l’instinct de compétition. À noter que Lizzie a créé deux carnets de règles de jeu : un carnet avec des règles anti-monopole dans lequel tout le monde était récompensé lorsque la richesse était crée, une version coopérative et socialiste, et un carnet de règles capitaliste dans lequel l’objectif était de créer des monopoles et d’écraser les adversaires. Lizzie désirait présenter ce dualisme et cette contradiction, générant une tension opposée. Et devinez quel carnet de règles est resté dans l’histoire…
Après des années de bricolage, d’écriture et de réflexion sur sa nouvelle création, Lizzie est entrée au Bureau américain des brevets le 23 mars 1903 pour garantir sa patte légale sur son Landlord’s Game. Au moins deux ans plus tard, elle a publié une version du jeu par l’intermédiaire de l’Economic Game Company, une entreprise basée à New York qui comptait Lizzie comme copropriétaire. Le jeu est devenu populaire auprès des intellectuels de gauche et sur les campus universitaires. Cette popularité s’est répandue au cours des trois décennies suivantes. Le jeu a finalement rencontré une communauté de Quakers à Atlantic City, qui l’a personnalisé avec les noms des quartiers de la ville et qui existent encore aujourd’hui dans le jeu. Et de là, le jeu a trouvé son chemin vers Charles Darrow trois décennies plus tard.
Le jeu que Darrow à présenté à l’éditeur Parker Brothers s’est depuis vendu à des centaines de millions d’exemplaires dans le monde. Darrow, « l’inventeur » du jeu, a reçu des redevances tout au long de sa vie.
Lizzie fut également payée par Parker Brothers. Lorsque le jeu a commencé à décoller au milieu des années 1930, la société a racheté les droits d’autres de ses jeux pour préserver ses droits. Pour le brevet du jeu et deux autres idées de jeux, Lizzie aurait reçu 500 $. Et. Aucune. Redevance.
Au début, Lizzie ne se doutait pas des véritables motifs de l’achat de son jeu. Quand un prototype de la version Parker Brothers du Landlord’s Game est arrivé chez elle à Arlington, elle fut ravie.
Ce n’est qu’en 1936 que Lizzie commença à s’insurger et relater les faits dans la presse. Mais le mal était fait. Le jeu ne lui appartenait plus. Elle ne pouvait plus rien revendiquer.
En vain. À la grande consternation de Lizzie, les deux autres jeux qu’elle a inventés pour Parker Brothers, King’s Men et Bargain Day, sont tombés dans l’oubli. Lizzie Magie aussi. Elle mourut en 1948, veuve et sans enfant, et ni la nécrologie ni la pierre tombale firent mention de son invention du jeu qui allait devenir le titre le plus vendu de l’histoire du jeu de société.
Hasbro, la société dont Parker Brothers est désormais une filiale, minimise toujours le statut de Magie. Pour l’éditeur américain, il continue d’attribuer le jeu à Charles Darrow.
Et même en 2015, sur le site Web de Hasbro, une chronologie de l’histoire du jeu commence en 1935. Les explications ne mentionnent jamais Lizzie Magie et les origines grand-guignolesques du jeu.
La chaîne ARTE s’est fendue récemment d’une excellente vidéo sur le Monopoly et son aspect… anticapitaliste. Bref, pour tout savoir sur le jeu et son histoire.
Ensin, et surtout, l’affaire du Monopoly ouvre la débat de savoir qui devrait obtenir le crédit d’une invention, et comment. La plupart des gens connaissent les frères Wright. Ils ont par ailleurs déposé leur brevet le même jour que Lizzie Magie. Personne ne se souvient pourtant des autres aviateurs qui ont également cherché à voler. L’adage selon lequel le succès a beaucoup de pères, mais nous ne nous en souvenons que d’un seul, sonne juste. Sans parler des… mères du succès, dans le cas précis du Monopoly avec une autrice, une inventeuse.
Aujourd’hui, en 2013, Euromonitor, la société d’études de marché basée à Londres, a établi les revenus annuels du Monopoly à environ 400 millions de dollars.

Selon une estimation, cela représente environ 30% de toutes les ventes de jeux de société sur le marché et dans le monde. Pour. Un. Seul. Jeu.
La pandémie de 2020 a créé un autre boom : les ventes de jeux pour Hasbro, l’éditeur du Monopoly, ont atteint un niveau record au troisième trimestre de 2020. Il faut dire que rester confinés chez soi en famille donne envie de faire autre chose que passer son temps devant un écran. Le jeu de société devient alors une activité intelligente.
Mais il y a un autre facteur « en jeu » : Hasbro a créé un réel monopole qui a permis au Monopoly de prospérer.
Comment Hasbro a-t-il accaparé le marché des jeux de société ? Et une nouvelle vague de jeux de société pourrait-elle menacer sa domination mondiale ?
Des débuts à la consolidation
Les jeux de société « modernes » tels que nous les connaissons ont vu le jour vers le milieu du XIXe siècle. Beaucoup étaient inspirés par la religion et conçus pour donner aux enfants des valeurs d’honnêteté, de gratitude et de fair-play.
À la suite de la guerre civile, de l’industrialisation et de l’émergence de la poursuite de la prospérité, le thème primordial des jeux de société est passé de la morale au capitalisme débridé. Et encore aujourd’hui, près de deux siècles plus tard, ce modèle perdure. Dans la plupart des jeux de société dits modernes, ceux « nés » au XXIe siècle, dans la plupart il est question d’accumuler des points, de la richesse pour en finir avec le plus possible et ainsi remporter la partie. Une belle leçon de morale…
Et aucun autre jeu n’a capturé l’esprit d’un capitalisme vorace comme le Monopoly.
En 1936, Parker Brothers a vendu 1,8 million d’exemplaires à 2 $ chacun. Aujourd’hui, le jeu coûte environ 40 $ dollars. Et depuis les années 30, la société a réalisé en moyenne environ 1 million de ventes annuelles.
Avant l’arrivée du Monopoly, la société Parker Brothers avait flirté avec la faillite. Cet afflux de ventes a maintenu à lui seul la société à flot et prête à lutter contre la concurrence avec des rivaux comme Milton Bradley (MB) et Transogram, qui a commencé ses activités en 1915 pour faire faillite, au grand plaisir de Parker Brothers, en 1971.
Enfin, une société de jouets appelée Hasbro pointa le bout de son nez.
Fondé par les frères Hassenfeld en 1923, Hasbro est devenu un acteur du jeu de société au début des années 1980 avec l’acquisition de Milton Bradley (MB). La société a ensuite acheté d’autres éditeurs de jeux de société comme Avalon Hill (Betrayal), Wizards of the Coast (Magic, Dungeons and Dragons) et Coleco, une entreprise fondée en 1932 par Maurice Greenberg sous le nom de « Connecticut Leather Company ». Elle devint l’une des plus célèbres entreprises de jouets dans les années 1980 et fut l’un des premiers fabricants de consoles. Elle fut rachetée par Hasbro en 1989, soit deux avant celui de Parker Brothers.
En 1991, Hasbro rachète donc Parker Brothers, et récupère ainsi le Monopoly.
La timeline de toute cette salade de rachats est la suivante :
En 1935, Parker Brothers obtient les droits du Monopoly, et ceci jusqu’au 1968. En 1968, c’est la société General Mills, une entreprise américaine spécialisée dans le domaine agroalimentaire, qui rachète Parker Brothers. En 1985, Parker Brothers change de nom et devient Kenner Parker. Deux ans plus tard, la société Tonka rachète Kenner Parker. Tonka est alors une société américaine de jouets notamment connue pour ses reproductions miniatures de camions et d’engins de chantier. Puis enfin, le 1er février 1991, Hasbro annonce acheter Tonka pour près de 500 millions de dollars. Tonka était en difficulté financière depuis l’achat de Kenner Products en 1987 pour 555 millions de dollars qui lui avait apporté les marques de Parker Brothers, dont le Monopoly qui nous intéresse aujourd’hui.
Bien que cette acquisition ait soulevé en 1991 des préoccupations antitrust, la FTC n’a jamais pris de mesures. La FTC, ou Federal Trade Commission (FTC) (Commission fédérale du commerce) est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis et créée en 1914. Sa mission principale est l’application du droit de la consommation et le contrôle des pratiques commerciales anticoncurrentielles telles que les monopoles déloyaux.
La création de la FTC fut l’une des principales actions du président Woodrow Wilson contre les trusts. Un trust étant une grande entreprise qui possède des positions fortes, voire dominantes, sur plusieurs marchés proches, au sein d’un secteur industriel. Le droit de la concurrence vise à lutter contre les trusts qui peuvent se rendre coupables d’abus de position dominante. Le cas de Hasbro (et celui de Asmodee ?) depuis les années 80.
Et ainsi, une industrie autrefois ouverte à la concurrence se fermait en grande partie à la concurrence.
À la fin des années 90, Hasbro avait accaparé 85% du marché des jeux de société et verrouillait ainsi sa position dominante. Jusqu’au début des années 2000. Nous y reviendrons plus tard.
Aujourd’hui, de nombreux jeux et licences appartiennent à Hasbro. Ce qui ressemble fort à un vrai… monopole.
Des « nouveaux » jeux ?
Après avoir « vaincu » la concurrence, en la rachetant ou en la coulant, Hasbro a agi comme le géant de l’industrie qu’il était devenu :
Hasbro s’est livré à la fixation des prix avec les distributeurs : en 2002, la société s’est vu infliger une amende alors record de 4,9 millions de livres (~ 8 millions de dollars) par l’Office britannique du commerce.
Hasbro a réduit les emplois au sein de l’entreprise, pour diminuer ses coûts et ainsi rester concurrentielle : malgré l’expansion de Hasbro, l’emploi est passé de 13k en 1995 à 10k en 1998. En 2020, l’entreprise ne compte désormais plus que 5’800 employés.
Mais surtout, Hasbro a arrêté de développer de nouveaux jeux. Depuis des dizaines d’années, Hasbro se contente de ressortir des variantes de ses licences déjà existantes. Et ça semble fonctionner et suffire.
C’est un calcul facile. Sortir des variantes, des extensions coûte moins, en temps, en ressources humaines, en communication, que de développer un nouveau jeu, un pari plus risqué. Sur le long terme, une politique vouée à l’échec ? Aujourd’hui, plusieurs éditeurs de jeux de société font pareil, en ressortant des rééditions, des variantes, des extensions de leurs jeux préexistants.
De 1995 à 2005, quelque 230 versions officielles de Monopoly ont été produites. En 1997, Hasbro a sorti un Monopoly Star Wars sous licence de LucasArts, une formule qui a ensuite été reproduite avec Marvel, Disney et d’autres industries du divertissement.
En grande partie grâce au Monopoly, la société a connu une croissance à deux chiffres. Au quatrième trimestre de 2018, une année pourtant en baisse chez Hasbro, 2 jeux, le Monopoly et Magic: The Gathering, ont engrangé un total de ~ 267 millions de dollars pour l’éditeur. Aujourd’hui, après 85 ans d’histoire, le nombre de Monopoly vendus avoisine ou dépasse les 300 millions. Aucun autre jeu ne peut se targuer de s’être écoulé avec de tels chiffres.
Et il faut reconnaître que les versions du Monopoly reprenant des licences fonctionnent à merveille ! Elles permettent à Hasbro de consolider son succès.
En fouillant le site de Hasbro, on constate qu’il propose 240 jeux de société, dont la grande majorité ont été inventés il y a des décennies. Dans cette liste, 45 de ces jeux sont des variantes du Monopoly.
Et si on s’amuse à gratter sur Amazon, la catégorie «Monopoly Games & Accessories» le catalogue de Tonton Jeff renvoie plus de 676 résultats, de la version classique du jeu à des titres plutôt… insolites.
Monopoly, vers l’infini et au-delà
Nous sommes à la fin des années 90. Le marché du jeu de plateau connaît un premier frémissement avec l’apparition de nouveaux titres dits modernes, avec les Colons de Catane comme titre-phare. Hasbro et son Monopoly, même s’ils se taillent encore aujourd’hui la part du lion, voient leur position dominante commencer à vaciller.
À titre d’exemple, entre 1995 et 2010, il s’est vendu 15 millions d’exemplaires de Catan.
Il va falloir attendre le gros boom et l’effervescence actuelle du jeu de société, qui a démarré en trombe depuis les années 2000 et 2010, pour que Hasbro et le Monopoly passent peu à peu en arrière-plan.
En Allemagne, berceau du jeu de plateau moderne, l’industrie a connu une croissance de plus de 40% au cours des cinq dernières années.
Il faut dire que l’essor actuel du jeu de société repose sur quatre éléments principaux, qui font que les jeux de société sont tout aussi bien appréciés par les familles que par un public plus expert et exigeant.
Premièrement, les jeux de société sont sociaux. Ils sont joués avec d’autres personnes. Ensemble, les on sélectionne un jeu, on apprend les règles ensemble et y joue à plusieurs. Même un jeu médiocre peut être amusant et mémorable, pour autant qu’on y joue avec le bon groupe de personnes.
Deuxièmement, les jeux de société constituent un défi intellectuel ou une opportunité de réflexion stratégique. Comprendre les règles, trouver un placement optimal pour une pièce, faire un geste qui surprend votre adversaire, tout cela est extrêmement satisfaisant. Dans de nombreux jeux de société modernes, la chance devient quelque chose que vous diminuez plutôt que quelque chose qui détermine arbitrairement un gagnant. Et d’ailleurs, pour ainsi dire, la chance n’existe pas.
Troisièmement, les jeux de société sont matériels. Ils sont faits d’objets. Ils ont du poids, de la substance et même de la… beauté.
Quatrièmement, et cela aide à expliquer l’énorme volume de nouvelles sorties chaque année, les jeux de société offrent de la variété. Au-delà du « culte de la nouveauté » se cache un désir d’avoir le bon jeu pour la bonne situation, quelle que soit la combinaison de personnes à table et la profondeur stratégique nécessitée.
Et surtout, les auteurs, autrices et éditeurs de jeux de société contemporains font preuve d’ingéniosité pour proposer des créations innovantes et passionnantes. Loin d’un Monopoly figé.
Pour faire court et simple, en une dizaine d’années, le Monopoly a vu ses chiffres baisser, peu à peu érodés par d’autres jeux plus sophistiqués, plus contemporains, aussi.
Dans l’histoire du jeu de société, jamais les sorties et les ventes n’ont été aussi importantes. Même en période de pandémie. Encore plus en période de pandémie !
Selon des premiers chiffres, en 2020, les ventes de jeux de société en France pourraient ainsi avoisiner les 360 millions d’euros, contre 328 millions un an plus tôt. Non seulement la pandémie n’a pas refroidi les ardeurs du public, mais elle les a au contraire augmentées.
Vers une fin du monopole / Monopoly ?
Même si aujourd’hui le Monopoly reste le jeu le plus connu, le plus cité par les médias et par le grand public, les clichés ont la dent dure. Il n’en reste que des acteurs majeurs commencent peu à peu à s’en prendre à la position dominante de Hasbro.
C’est le cas depuis une petite dizaine d’années avec Asmodee, qui, rachats après rachats, d’éditeurs de jeux (coucou Libellud et Dixit, Repos Prod et 7 Wonders, Time’s Up), de distributeurs, de médias (coucou Tric Trac), de boutiques (coucou Philibert), gonfle au point de représenter une sérieuse concurrence à la position dominante de Hasbro. Est-ce que l’un rachètera l’autre pour maintenir et renforcer sa position ?

