Analyses & psychologie du jeu

Le Mythe de l’Auteur de Jeu

Quand vous voyez le nom de Bruno Cathala, Antoine Bauza ou Eric Lang sur une boîte de jeu, est-ce vraiment bien eux qui l’ont créé? Ou ont-ils délégué? Ont-ils été assistés? Alors pourquoi mettre leur nom sur la boîte?

Le mythe de l’auteur

L’excellente chaîne YouTube de gamedesign Extra Credits vient tout juste de sortir un épisode qui se penche sur le mythe de l’auteur. En avançant la théorie que non, un auteur n’est jamais seul à créer son jeu.

Comme souvent, l’épisode s’intéresse d’abord au marché du jeu vidéo, pas si éloigné que ça du jeu de plateau et du jeu rôle. Même si les ventes n’ont rien à voir, car un jeu de plateau ne se vendra jamais aussi bien qu’un GTA V par exemple. Un jeu qui a atteint en 2013 à sa sortie des chiffres étourdissants, avec un milliard de dollars atteint en trois jours et près d’une centaine de millions de copies vendues depuis sa sortie.

Comme dans le jeu vidéo, le nom d’un auteur sur la boîte est avant tout une représentation. Car non, non, l’auteur n’a pas été tout seul à créer son jeu. Il lui aura fallu traverser plusieurs étapes, rencontrer plusieurs personnes qui auront toutes plus ou moins influencé le jeu.

Au point de se poser la question suivante: « mais au fond, pourquoi alors mettre le nom de l’auteur sur la boîte? »

Inspi

Tout commence par une inspiration. Non, on n’invente rien. Quand un auteur a une idée de jeu, il ne l’a jamais comme ça, pouf, d’un coup tout seul de rien. Il s’est inspiré de beaucoup de choses. De films. De livres. Et de beaucoup d’autres jeux, bien sûr.

Tout est remix. Prenez un jeu récent, n’importe lequel, et trouvez-lui une originalité. Défi difficile. Peut-on encore aujourd’hui créer un jeu original? Tous seront plus ou moins inspirés d’autres jeux précédents. Une mécanique par-ci, un thème par-là.

Il est impossible de créer ex nihilo. Mais l’originalité n’est pas là où on l’attend. Un auteur doit s’inspirer, puiser dans d’autres œuvres. Il copie, transforme, combine. Et l’originalité est là. Dans ce processus de transformation, d’assimilation.

Comme l’épisode d’Extra Credits le clame, on peut alors se demander si c’est vraiment l’auteur qui a créé son jeu, ou toutes les autres sources d’inspiration.

L’auteur est-il tout seul derrière son jeu?

Tout seul? Non. Il s’inspire de tout ce qu’il voit, de tout ce qu’il essaie. Mais c’est lui qui prend les décisions finales de garder, de modifier ou de rejeter.

Auteur: 1 point

Car au final, c’est l’auteur qui participe à toutes ces démarches créatives. C’est lui qui sait puiser dans différentes sources, et qui parvient à combiner le tout pour aboutir à une nouvelle oeuvre.

Metropolys, de Sébastien Pauchon, sorti chez Ystari en 2008, dans lequel l’auteur livre son inspiration principale. Une bête erreur de… lecture, qui a fait germé la graine du jeu.

Proto

Un jeu se doit d’être testé, et retesté, et re-re-testé. Il est impossible qu’un auteur ait une idée, construit son proto, le présente tout de suite sans le tester à un éditeur, jeu qui va ensuite être édité. Plus il est testé, et plus le jeu est affiné. Raffiné.

En passant par de nombreuses phases de test, l’auteur voit ce qui marche, et surtout, ce qui ne marche pas. Entre l’idée de départ et le jeu « final » (on y reviendra plus tard), le chemin parcouru est plus ou moins long et fastidieux. Disons plutôt « long » que « moins ».

Le travail de l’auteur ne s’arrête pas à la création, à l’idée de départ, à son proto. Il doit encore accompagner son jeu pendant plusieurs mois, plusieurs années pour le faire évoluer, l’améliorer. Il aura ainsi fallu par exemple huit ans à Inis pour sortir chez Matagot, Son auteur, Christian Martinez, avait besoin d’affiner et d’équilibrer toutes les mécaniques de son jeu. Huit ans.

Mais qui dit tests, dit public. Bêta-testeurs. Amis. Famille. Assoc. Festivals. Un jeu ne peut pas se tester tout seul. Un jeu sur une étagère d’une boutique, avec le nom de son auteur dessus, c’est plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes qui y ont joué avant, qui ont participé à sa création. Sans testeurs, un jeu ne peut pas exister.

Tout auteur peut compter sur son cercle d’amis, de testeurs habituels et également d’événements publics pour faire évoluer son jeu. D’autant que lors des tests, les bêta-testeurs proposent souvent des idées. Ils sont eux aussi quelque part co-auteurs du jeu. Pour autant que l’auteur utilise ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu lors des tests.

Au final, c’est l’auteur qui choisit de garder, ou non, ces propositions. De les exploiter, de les modifier, de les brasser, de les rejeter. Sans l’auteur et sa vision, son travail, le jeu ne peut pas s’améliorer. Peut-être même pire, avec toutes les propositions, parfois farfelues, le jeu peut devenir un vrai foutoir.

L’auteur est-il tout seul derrière son jeu?

Tout seul, non. Mais c’est lui qui prendra les décisions finales.

Auteur: 1 point

Le blockbuster Outlive, à sortir en mai 2017 chez La Boîte de Jeu, créé par Grégory Oliver. Beaucoup de gens ont participé à son élaboration

Dév

Et enfin, le développement. L’auteur a élaboré un proto qui tient la route puisqu’il l’aura souvent testé. Son jeu est prêt.

Prêt… à quoi?

A trouver un éditeur. Celui-ci, peut-être intéressé, va le signer. Va-t-il alors tout de suite lancer la production pour le sortir en boutique?

Non.

L’éditeur va se saisir du jeu et le triturer. Le jeu va encore passer par toute une phase de développement auprès de l’éditeur. Développeur, c’est un véritable métier.

Prenez l’exemple de Cédric Lefebvre chez les Ludonaute, ou d’Arnaud Charpentier chez Matagot. Tous deux travaillent au sein d’une maison d’édition, et tous deux participent au développement des jeux signés. Quand un éditeur décide de signer, de prendre le jeu d’un auteur, il doit alors le soumettre à toute une batterie de nouveaux tests: équilibrage, affinage, ergonomie du matos, des illustrations, intérêt du public. Il peut même arriver que l’éditeur lâche un jeu signé. Ou, comme c’est plutôt souvent le cas, l’éditeur prend le proto d’un auteur, le soumet à des tests, à du développement en interne, pour finalement décider qu’il ne le signera pas.

Et quand on dit « éditeur », on pense aussi à « agent ». En effet, quelques agences, dont Origames par exemple, ou Forgenext, proposent de servir d’intermédiaires entre l’auteur et l’éditeur, pour s’occuper de ce processus de développement. En prenant une comm au passage si le jeu va aboutir.

Alors, l’auteur est-il tout seul derrière son jeu?

Non. L’éditeur porte une part importante de responsabilité dans le produit. Encore faut-il relever que pas tous les éditeurs ne s’investissent de la même manière. Et tout dépend de l’aboutissement du jeu, bien sûr. Certains éditeurs accompagnent le jeu de manière très rapprochée, tandis que d’autres préfèrent déléguer cette tâche à l’auteur et ne signent le jeu qu’une fois fini. L’auteur lance son jeu, c’est l’éditeur qui va le « sublimer » pour lui apporter sa touche graphique, artistique, ergonomique et physique.

Auteur: 0.5 points

Conclusion

Alors, est-ce que l’épisode d’Extra Credits a vu juste? Y a-t-il vraiment un mythe autour de l’auteur? Est-ce véritablement l’auteur tout seul qui est derrière toute la création? Création, tests, développement, non. Il est toujours accompagné par toute une batterie d’anonymes ou cités dans les règles. Mais au final, à part quand le jeu finit chez l’éditeur, et encore, l’auteur a parfois plus ou moins de pouvoir, de suivi auprès de l’éditeur, le travail de l’auteur, ses choix, sa vision, jouent un rôle prépondérant.

Non, Bruno Cathala n’était pas seul à créer Five Tribes. Il aura été inspiré par l’Awalé (et de son précédent jeu Longhorn, très proche). Il l’aura testé à de nombreuses reprises les vendredis soirs dans son cercle habituel de testeurs les vendredis soirs à Annecy, testeurs qui lui auront soumis des propositions plus ou moins pertinentes. Et enfin, son éditeur, Days of Wonder-Asmodée, aura apporté sa touche finale. Non, Bruno Cathala n’était pas seul. Mais alors pourquoi mettre son nom sur la boîte? Pour mieux le vendre? Certainement, oui, mais pas que. Car c’est l’auteur qui a accompagné son jeu tout au long du processus. C’est lui qui a pris les décisions, qui a retenu ce qui lui paraissait nécessaire pour enfin créer le jeu qui correspondait à ses envies, sa vision.

Le mythe de l’auteur, en tout cas dans le jeu de plateau et de rôle, n’est peut-être pas aussi pertinent que dans le jeu vidéo.

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