Critique de jeu : Between Two Cities. Between deux chaises, plutôt
Ce jeu nous a été envoyé par l’éditeur français Morning Players pour test et critique sur notre site.
Between Two Cities (B2C) est sorti en novembre 2015, créé par Ben Rosset (auteur extrêmement sympathique que j’ai eu la chance de rencontrer à Essen 2015) et Matthew O’Malley (que je n’ai pas rencontré) et édité en VF par Morning Players (Euphoria), dès 8 ans, pour 3 à 7 joueurs (avec une variante à 1-2) et d’une durée de 20 minutes. Voilà j’ai tout dit.
Dans B2C les joueurs incarnent des urbanistes qui vont déployer toutes les forces et compétences pour construire la ville la plus grandiose et efficiente. Sauf qu’ils travailleront en même temps sur deux villes et en collaboration avec leur voisin de droite et de gauche.
B2C est un jeu de tuiles, on les pose pour former sa ville. Le thème est bien exploité, pour scorer il faut placer des parcs l’un contre l’autre, nourrir les employés en plaçant des restos à côté et éviter que les résidences jouxtent les usines.
Comme le thème est plutôt ordinaire, il ne faut toutefois pas non plus s’attendre à être transporté. On est loin d’un univers riche et littéraire à la Euphoria, justement.
Le matériel est fonctionnel, des tuiles des tuiles des tuiles, des illustrations tout à fait correctes, et le tout servi par quelques marqueurs en bois de la plus belle facture représentant des structures urbaines connues (Tour Eiffel, etc.).
Le matériel remplit sa fonction et le tout est plutôt agréable à regarder, d’autant que les pictogrammes, l’ergonomie et les règles sont très clairs.
B2C se joue en trois manches, puis scoring final.
Dans la première manche on procède à un draft pour choisir 3×2 tuiles, tuiles qu’on placera à gauche et à droite puisqu’on construit deux villes en même temps. On peut évidemment négocier avec son voisin pour le placement, ce qui rend le jeu très interactif. Dans la troisième il est également question d’un draft, mais d’une seule grosse tuile cette fois, enfin deux, une pour sa ville de droite et une pour celle de gauche. Rebelote avec la négociation. Troisième et dernière phase, comme la première, mais cette fois on change de sens.
La ville formera finalement une matrice de 4×4 qu’on scorera à la fin. Certaines tuiles rapportent plus si elles sont adjacentes (commerces), d’autres si on possède la majorité à la table (usines).
Voilà, c’est tout.
Ou pas.
Et alors, quel est son score final? L’addition de ses deux villes?
Non. C’est la ville qui rapporte le moins de points qui correspond à son score final. Oui, comme dans le cultissime Tigre et Euphrate. Autrement dit, si on ne fait que se concentrer sur une seule ville en négligeant l’autre, les points finaux seront minables. Une mécanique subtile et délicieuse qui pousse à optimiser chaque décision, chaque placement, et à être capable de gérer ses deux villes en même temps. Très fort.
L’interaction dans B2C est très forte car comme dit plus haut on construit deux villes en même temps avec ses deux voisins proches. Et chaque pose de tuile nécessitera par conséquent une discussion au préalable pour déterminer le meilleur emplacement.
Mais autant l’interaction est forte avec ses deux voisins qu’elle est extrêmement faible avec le reste de la table, on ne voit pas du tout ce qui s’y passe, car 1. les tuiles sont trop petites pour suivre leur jeu, le souci similaire d’Imperial Settlers chez Portal, le jeu largement overrated de 2014, et 2. on est déjà tellement occupé à gérer ses deux propres villes qu’on peine à tout contrôler. Voir tout en-bas dans le chapitre « Mais Encore » pour une petite astuce que l’on vous propose.
C’est le gros gros souci du jeu. Je ne vois pas trop à qui est destiné le jeu. Un scoring beaucoup trop touffu pour les familles, un jeu beaucoup trop léger, court et chaotique pour les Gamers. Du coup, qui pourrait bien y jouer?
Between Two Cities souffre du syndrome CEDC (cul entre deux chaises) qui frappe nombreux jeux contemporains qui veulent manger à tous les râteliers. Une tendance forte actuelle du jeu de société pour s’assurer du plus de ventes possibles pour ne pas se fermer à un type de public. Car j’ai entendu dire que le Gamer avait une famille, des grand-parents, parfois même, mais c’est une rumeur, des enfants. Et vice versa. Un jeu multi-public s’adresse à tout type de public, au plus grand nombre, donc. Mais soyons honnêtes, les jeux qui parviennent à faire le grand écart ne sont pas légion. Beaucoup se cassent les dents, c’est le cas malheureux de B2C. Il laissera les Gamers sur leur faim et paralysera les Casu. A vouloir trop embrasser, il étreint mal.
Si vous avez bien lu le chapitre mécanique vous aurez bien compris que B2C est un doux et savant mélange entre 7 Wonders et Suburbia, mâtiné de Tigre et Euphrate pour le subtil scoring. Trois jeux cultes, trois excellents jeux. Si 7Wonders et Suburbia donnent envie de s’appliquer et de rejouer pour affiner ou essayer d’autres stratégies, B2C tombe à plat et reste plutôt creux. En fait, c’est surtout le format draft qui veut ça. Comme dans 7Wonders, à chaque tour on joue hyper tactique hyper opportuniste, avec toutefois très peu de possibilités de construire son jeu.
Dans 7Wonders on peut « contre-picker », une expression tirée du milieu des joueurs de Magic, autrement dit prendre une carte pour empêcher que le joueur suivant le fasse. Le cas fréquent dans 7Wonders avec les cartes vertes / scientifiques. Dans B2C, comme on ne voit absolument pas les villes des autres joueurs, et puisqu’on collabore avec son voisin immédiat, il n’y a aucun intérêt à le faire. Ni à ne pas le faire, d’ailleurs. Bref, on se contente de sélectionner les deux meilleures tuiles possibles à ce moment précis, au petit bonheur la chance, sans savoir ce que son voisin voudra poser et en devant ensuite négocier chaque coup. C’est aussi chaotique que léger. On pose sa tuile, et voilà.
B2C est un bon jeu, servi par un bon matériel et une bonne édition, mais il peine à nous prendre par les tripes et à nous donner envie de rejouer. B2C fait un peu l’effet d’un plat de pâtes tiède et sans sauce. Ça nourrit, certes, mais on ne va pas se relever la nuit pour se resservir. Après 2-3 parties on en aura fait le tour puisqu’il n’offre aucune courbe d’apprentissage. Et alors, me direz-vous? Pas tous les jeux fun n’offrent de courbe d’apprentissage? Mais le jeu n’est même pas fun.
Dans le déluge et la frénésie actuels des sorties de jeux, Between Two Cities n’est pas, selon moi, le jeu qui mérite qu’on s’y attarde. D’autres jeux bien plus passionnants réclament notre attention.
B2C est emblématique de cette obsolescence programmée ludique. Les éditeurs sont parfois obligés de sortir des jeux pour faire du chiffre, au risque parfois de proposer des titres moins flamboyants.
Un bon matériel, de bonnes illustrations, une bonne ergonomie.
Des règles courtes et claires.
Pouvoir y jouer à 3 ou à 7 sans aucun « downtime » / ralentissement.
La (pseudo) collaboration avec ses deux voisins proches pour construire une ville à deux. La négociation.
La deuxième manche avec sa double tuile qui vient contrecarrer tous ses plans.
Le scoring final de la ville la moins forte.
Un jeu qui a le cul entre deux chaises: trop léger et trop touffu en même temps. Ni fun ni profond. A cheval entre le simple fun: je drafte je pose, et le hard fun: scoring complexe.
La variante à deux inintéressante. Mais pire que tout, la variante solo qui parvient à détrôner German Railroads dans l’indigestion. A fuir comme la peste. Autant sortir un bon bouquin ou aller se balader plutôt que d’y jouer tout seul.
Un jeu sympathique, sans plus, qui ne parvient pas à passionner et tombe à plat. Opportuniste, creux, il manque de souffle et d’effet Wahou. Un jeu qui tombera vite dans l’oubli en 2016…
Vous pouvez trouver Between Two Cities chez Philibert,
Chez Ludibay,
Chez Ludikbazar,
Et si vous habitez en Suisse, chez Helvétia Games Shop.
Petite astuce pour bien gérer les usines à la table. Puisqu’on score plus de points par usine en cas de majorité, il est crucial de connaître le total de ses voisins, et pas ceux qui sont directs. Surtout évidemment si on joue à plus de 3 joueurs.
L’astuce consiste à placer son marqueur ville sur la piste de score pour indiquer le nombre d’usines possédées, nombre qui sera remis à jour à chaque tour. Cela dénature quelque peu le jeu, le rend plus simple. Vous allez me dire qu’il suffit de compter IRL, et tant pis pour ceux qui ne le font pas. Mais vu la taille minuscule des tuiles et les couleurs qui se mélangent à distance, il vaut mieux proposer un tel palliatif.
4 Comments
el grillo
Hello. Pas franchement d’accord avec ce point de vue cul entre deux chaises, malgré le fait il est vrai que ce syndrôme « affecte » quantité d’autres jeux. Au contraire, je classe ce jeu « à effet passerelle ». Je trouve le scoring, même s’il est un peu chiant car long, plutôt simple. Simple comme visualiser quoi faire pendant que l’on joue: quand tu recherches une tuile rouge, c’est facile de savoir laquelle, le décompte des usines ou aligner des bâtiments jaunes c’est très facile, jouxter des parcs aussi, etc…bref je ne crois pas du tout que ce soit un obstacle aux « familles » si tant est que les familles jouent (je parlerai plutôt moi de joueurs occasionnels.) Pour les gamers, même si le jeu est simple et présente une stratégie c’est vrai limitée, j’y vois un jeu jouable à 7, sur 20 minutes et aux règles expliquées en 5, bref du vraiment positif pour le coup!
Dom
Salut,
Perso je ne suis pas du tout d’accord avec toi : a chaque fois que j’ai proposé un B2C à des amis « Casual » ils ont très vite accroché et demandé à rejouer à la fin.
Et puis je trouve qu’avec les couleurs on lit bien les villes des autres et que l’on peut donc vite penser sa stratégie plus loin.
Gus
Merci Dom. Étrange, parce que j’ai souvent fait tourner B2C auprès de mes lycéens et de mes clients du Bar à Jeux, les deux plutôt Casual, et les ressentis / opinions étaient souvent pareils. Un clivage Suisse-France? 😉
Quiri
Bonjour,
Je cherchais des infos sur les escape game « de plateau » et suis tombée sur votre site. Bon depuis, je me perds en lecture de critiques alors que je ne suis pas une grande joueuse !
J’ai eu l’occasion de jouer à Between 2 cities. Je l’ai trouvé sympa mais effectivement je n’y jouerais pas tous les week-ends. J’ai apprécié le fait que la partie soit courte, c’est un aspect non négligeable quand on a de jeunes enfants et peu de temps pour jouer (au calme !).