Jeux de plateau

Y a-t-il vraiment trop de jeux?

HGHS003

Cette semaine, c’est la rentrée littéraire. 607 nouveaux romans publiés, dont 404 français. 607 livres d’un coup, ça en fait un paquet. Qu’en est-il des jeux de société?

2 chiffres:

Essen 2013 : 863 nouveaux jeux présentés

GenCon 2014 : 296 nouveaux jeux présentés

Deux records historiques jamais atteints!

Déjà en 2011 nous relevions le fait qu’il y avait énormément de jeux produits. En 2011.

Qu’en en est-il aujourd’hui, trois ans après? Peut-on véritablement dire qu’il y a trop de jeux publiés?

chiffres

Pour savoir s’il y a véritablement surproduction ludique, le mieux est de commencer avec quelques chiffres pour 1. se la péter matheux 2. avoir une base solide de travail 3. se la péter matheux

Mais pas facile de connaître les chiffres exacts du nombre de jeux de société publiés par année, on se heurte à beaucoup d’obstacles: comment obtenir les chiffres? Que considère-t-on comme jeux publiés? Est-ce que les extensions ou autres goodies font partie du lot? Qu’en est-il des rééditions? Et que faire avec les traductions?

Nous avons fait au plus simple, mais pas forcément au plus juste. En faisant le décompte de toutes les entrées des dix dernières années de la base de données de TricTrac, qui recense tout et absolument tout: goodies, traductions, extensions, rééditions, jeux de rôle (mais de loin pas tous) voici les chiffres que l’on obtient, chiffres à prendre toutefois avec des pincettes. Ces inscriptions dans la base de données dépend de l’information communiquée à TT, certains jeux peuvent bien évidemment tout simplement ne pas y apparaître.

graph-jeux
Graphique réalisé en août 2014 par Gus&Co sur la base des fiches inscrites sur trictrac.net

Que constate-ton?

1. qu’on n’a vraiment rien d’autre de mieux à faire chez Gus&Co pendant les vacances que perdre du temps à réaliser un tel graphique.

2. qu’on est super forts en maths.

3. la moyenne des jeux publiés ces dix dernières années est de 873 jeux par année. 873. C’est beaucoup, certes, mais au final, les récentes années n’ont pas tellement « explosé » par rapport à la moyenne, on se situe toujours autour de 900 jeux de société par année.

4. à part pour 2013, la production a augmenté les premières années pour connaître ensuite une période de stabilité.

5. il y a une chute vertigineuse en 2013, alors que 863 jeux étaient paradoxalement présentés à Essen en octobre. Plusieurs pistes d’explication: 1. TT a oublié d’inscrire le tiers des jeux à la fin de l’année 2. les jeux présentés à Essen devaient soit être déjà des jeux sortis en 2012, mais j’en doute, soit ils ont été inscrits dans la base plus tard en 2014.

6. que la base de données et donc ce graphique sont tout sauf pertinents. Sans compter les innombrables jeux qui sortent sur les plateformes de financement participatif et dont très peu sont inscrits sur TT.

En conclusion, à la louche, pour avoir une estimation plus ou moins exacte, je pense qu’on peut aisément rajouter entre 30 et 50% de sorties de jeux par année.

J’ai essayé de passer par BGG pour comparer les chiffres, mais ils n’utilisent pas l’année de publication comme moteur de recherche, donc impossible d’obtenir des stats.

loupe

Vous connaissez l’effet loupe? C’est quand à force de ne parler que d’un seul phénomène on a l’impression qu’il est partout présent. Prenez les selfies par exemple, on pense que tout le monde en prend, qu’il n’y a plus que ça, alors que les chiffres réels démontent cette affirmation. Mais à force d’en entendre parler partout, on pense, à tort et sans preuves statistiques, que c’est la réalité réellement réelle.

Et pour les jeux de société? Il y a encore dix ans, les réseaux sociaux n’existaient pas. Facebook a été créé en 2004 et Twitter deux ans plus tard. Certes, les forums existaient, mais ils n’offraient pas autant de visibilité que les réseaux sociaux actuels. Les sites d’informations ludiques étaient également moins nombreux, et peut-être moins réactifs et actifs qu’aujourd’hui.

Mais je veux en venir où? Et bien, à force de suivre le fil d’information ludique de tous les côtés, on a clairement l’effet loupe qui s’instaure et qui nous pousse à penser qu’il n’y a jamais eu autant de jeux publiés, que c’est de la folie, que les nouveautés en chasse d’autres. Mais quid des chiffres? Car au final, quand on dit qu’il y a surproduction ludique, c’est une vision purement subjective puisque aucun chiffre réel et valide n’est articulé. A voir notre graphique (plus ou moins pertinent. Disons moins) ci-dessus, on constate que ces chiffres sont peu fiables. Oui bon certes, si on voulait comparer 1993-2003 à 2003-2013, on verrait une nette augmentation, mais au final, une moyenne de 873 + max 50% de rajout ne donnent « que » ~1’300 jeux par année, extensions, traductions, goodies et rééditions inclus.

surprod

Peut-on alors véritablement dire qu’il y a trop de jeux aujourd’hui? Et si c’est le cas, quel serait le bon chiffre pour qu’il y en n’ait pas trop justement: 10? 100? 300?

Alors oui certes, ~1’300 jeux par année, ça en fait un paquet quand même. Mais est-ce un mal? Car au final, qu’a-t-on à perdre qu’il y ait autant de jeux? Car qui dit quantité, dit également choix: plus de choix de thèmes, de mécaniques différentes, de style. C’est bien ça, non? Vous aimeriez vivre en 1985 quand il n’y avait que 10-20 jeux qui sortaient chaque année, sans grande possibilité de choix?

Et qui dit quantité, dit également concurrence. Pour plus et mieux vendre, les éditeurs, et auteurs, doivent savoir se montrer ingénieux et parvenir à se  hisser hors du lot: illustrations chatoyantes, gameplay surprenant, thème original. Avec un tel marché concurrentiel, un énième jeu « plat » et convenu ne réussira plus aujourd’hui à connaître une belle carrière. Attention, je ne dis pas qu’un jeu moyen / médiocre ne se vendra pas, juste qu’il parviendra difficilement à atteindre un second tirage après la première vague d’acheteurs curieux.

Alors oui, côté pro, auteurs, éditeurs, distributeurs, avec l’importante concurrence la situation s’est radicalement tendue, le nouveau modèle économique d’Asmodée prouve que le secteur doit se réinventer et développer de nouveaux fonctionnements pour faire face à cette concurrence, surtout avec le financement participatif qui vient aujourd’hui remuer le milieu.

Bien entendu, c’est le joueur / client qui profite de toute cette concurrence ardue, qui se voit alors proposer des jeux de plus en plus beaux, de plus en plus riches, de plus en plus mieux bien (à peu près). Après, je dis ça, mais pour être honnête, sur toutes les nouveautés qui sortent, il y a quand même quelques daubes, des jeux moches, des jeux déséquilibrés, des jeux vraiment peu originaux et copiés sur d’autres. Et on en connaît tous. Mais à part ces exceptions, le niveau est sacrément monté ces 10-20 dernières années.

Je suis tombé sur le tout dernier épisode d’Extra Credits (voir plus bas) qui avance la thèse que non, il n’y a pas trop de jeux. De jeux vidéo, précisons, puisque c’est leur sujet de prédilection. Selon eux, ce n’est pas tant le fait qu’il y ait beaucoup trop de jeux qui sortent, mais le moyen de les trouver. Comment faire pour trouver « jeu à son pied », vu la quantité de jeux publiés chaque année? Selon eux, il manque un véritable moteur de recherche efficient.

Et pour les #j2s (=jeux de société, comme sur Twitter)? Avec pas loin de 1’300 jeux par année ces dix dernières années, comment faire pour trouver ceux qui nous plairont? C’est peut-être là aussi le cœur du problème, vu la quantité de blogs et sites et informations ludiques éparses et variées. Rien que dans la sphère ludique francophone on doit facilement recenser 50 portails d’information, et quand je dis information, je pense news de sorties, critiques, comptes-rendu de parties, vidéos, podcast, tout le toutim (oui, cette expression remonte à 1934, mon année de naissance), sans compter que de plus en plus de sites ou de podcasts fleurissent régulièrement.

Alors comment faire? Pas facile, non. Evidemment, chacun a sa routine, ses portails, ses journalistes préférés en qui on a parfaite confiance pour s’y retrouver. Et pour autant que les éditeurs maîtrisent bien l’art du buzz ludique 2.0, certains jeux seront plus propulsés au devant de la scène que d’autres.

conclusion

 Mais à part ce souci de trouver jeu à son pied, le fait qu’il y ait autant de jeux ne nuit pas aux joueurs, bien au contraire en fait. Le seul souci, c’est que si la production ludique gonfle, années après années (encore que, cf. graphique), ce n’est pas le cas du porte-monnaie, peut-être même bien au contraire vu la conjoncture économique actuelle. Comme il est évidemment matériellement impossible pour un joueur de tout acheter, comme le prouvent les dépenses mensuelles en jeux, relativement modiques, il devra donc être à l’affût des perles. Et être à l’affût peut être épuisant au bout d’un moment. C’est sympa de scruter les moindres annonces de sorties, de lire les critiques, d’écouter les podcast, de regarder les vidéos ludiques, mais tout ça prend un temps fou, un temps pris sur d’autres activités (lire, aimer, se faire tatouer. Et jouer, bien sûr).

Au final, AMHA, le seul souci de cette (sur)production ludique actuelle, c’est le temps nécessaire qui a augmenté pour trouver le « bon » jeu, car personne n’a envie de tomber sur une daube décevante. Pour reprendre les chiffres d’ouverture, 296, 863, peut-on dire que trop de jeux tuent les jeux? Après tout ce qui a été dit dans cet article, je ne pense pas, peut-être même bien au contraire, surtout quand on observe la qualité qui a une furieuse tendance à s’améliorer et non pas à baisser (ex Abyss, Black Fleet, Zombies 15, etc). Tant mieux pour nous, joueurs. Vivement qu’il y aient encore plus de jeux à l’avenir!

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8 Comments

  • limp

    Je ne pense pas en effet que les jeux listés sur TT soient représentatifs. Ou alors déjà plus si on s’en tient à la France. Et encore : tous les jeux de grandes surfaces n’y sont pas (bcp de manquants… qui ne nous manquent pas…).

    De plus, tu termines en disant que la qualité va croissant et tu cites trois jeux … sont deux ne sont même pas encore sortis. Et moi, de ce que j’en pense, c’est que tant que nous aurons cet esprit volage, d’oublier un jeu deux mois après sa sortie (et parfois même avant celle-ci quand il est annoncé trop tôt), tant qu’on entendra qu’un jeu paru il y a un an ou deux est un vieux jeu, on n’encouragera pas les éditeurs à ralentir la cadence. Dans les grandes surfaces, c’est tjs les mêmes titres, tandis que dans une boutique spé il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une nouveauté. Couper la poire en deux serai mieux pour tout le monde, je pense et essayer de poser durablement un jeu plutôt que d’en sortir des brouettes pourrait bien être tout aussi rentable pour un éditeur….

  • Rimsk

    Le truc c’est que toutes les nouvelles entrées dans la base TT ne sont pas forcément des nouveautés mais peuvent être des jeux sortis des années auparavant dont personne n’avait encore fait la fiche…

  • Sébastien Douche (@sdouche)

    Mouais. Tout d’abord, pour répondre correctement à la question, il faut une donnée supplémentaire : le volume du gâteau. Autrement le volume de CA du monde du jeu de société. En augmentation ou en stagnation, le constat est bien différent. Le 1er cas est bien moins grave que le second. Il serait donc intéressant de récupérer ses informations (mais comme il ne semble pas avoir de syndicat Français des jeux de société, cela peut être dur). Mais dans les 2 cas, il existe des effets pervers que l’on ressent :

    a. La fenêtre de tir pour un jeu (autrement dit, le temps nécessaire pour que le jeu trouve son public) se raccourci : de plusieurs années, on est passé à plusieurs mois puis maintenant quelques semaines.

    b. Conséquence malheureuse, les éditeurs et auteurs essayent de buzzer bien avant la sortie du jeu. On se retrouve donc avec le même défaut du monde du jeu vidéo : on parle sans cesse de jeux non sorties et à peine de ceux qui sortent. Au bout de 3 jours, on l’oublie.

    c. C’est la roulette russe pour les éditeurs qui voient leurs jeux ne par marcher si un autre évènement sort au même moment. C’est la course à l’échalote entre eux. Les effets pervers sont nombreux (faux buzz dans les forums, faut profil pour noter les jeux, faux commentaires, achat de personnalité pour parler de leur jeu… Il suffit de voir certaines notes sur TricTrac : un compte nouvellement créé qui met 10 à un jeu).

    d. Autres conséquences, cela va mettre pas mal de boites sur le carreaux qui auront ratés leur fenêtre de tir.

    e. Pire, sachant que leur chance de réussite diminue (plus d’offre, moins de visibilité), les éditeurs risquent d’investir beaucoup moins et / ou de prendre beaucoup moins de risque. Les jeux du type Pepperoni Party vont augmenter.

    f. Personne n’est maintenant capable d’avoir une vision globale du jeu. Il faudrait dépenser 2k€ par an et surtout jouer toute l’année pour au moins tester chaque jeu une fois. Cette profusion est néfaste pour la qualité des conseils qui est la base de la vitalité du marché Français (conseil en boutique, dans les ludothèques…).

    g. Le nombre de mauvais jeux à mathématiquement exploser (perso, je ne comprends pas l’intérêt de 90% des jeux que je vois autour de moi). Cela donne une mauvaise image du jeu, les chances de tomber sur bon jeu devient bien plus dur car il faut l’avoir testé (point f.) ou au moins en avoir entendu parlé.

    h. Et enfin, on peut ressentir une autre conséquence fâcheuse dans la qualité des médias j2s qui est assez médiocre. Cela se résume bien souvent à des commentaires de fanboys un poil attardés et au Français approximatif. Aucune analyse, aucun recul, cela se résume à des séries d’annonces de sorties et d’explications bâclées de jeu.

    4h30 du mat, j’espère être clair.

    • Sébastien Douche (@sdouche)

      Je rebondis sur mon commentaire pour donner une petite réflexion : on se moque à raison des jeux dans les grandes boutiques. Uno, Monopoly et autres vieilleries sans nom (bon j’espère qu’il existe aussi quelques jeux plus récents). Mais cette stabilité à un avantage : le jeu est connue, au moins de nom, car les gens ont eu le temps d’en entendre parler. Tout le monde peut expliquer. Le client se sent en terrain conquis.

      Maintenant, passons au magasin spécialisé. Il suffit de voir la tête hallucinée de couples qui entre pour la première fois et se retrouve devant 30 jeux à 2, 20 jeux de bluff, 40 de stratégie… La plupart de ceux que j’ai croisée (je passe un peu de temps dans les boutiques) repartent sans acheter en disant « on va y réfléchir ».

      Parce que je grand public ne va pas sur TricTrac, encore moins sur les autres, et ne prendra surement pas le temps de lire les fiches ni les comptes rendus. C’est un microcosme ludique de quelques milliers de personnes (90% des gens que je conseille en boutique ne connaisse pas TT, et la plupart des gens que je croise en ludothèque n’y va pas). C’est à mon sens une illusion de croire que la profusion de média va résoudre quoi que ce soit.

  • Thigr

    BGG utilise l’année publié comme filtre dans la fonction recherche avancée. Lorsqu’on l’utilise, on a une constante augmentation d’année en année :
    2000: 1208
    2001: 1313
    2002: 1555
    2003: 1660
    2004: 1960
    2005: 2360
    2006: 2306
    2007: 2425
    2008: 2406
    2009: 2675
    2010: 2660
    2011: 2725
    2012: 2735
    2013: 2770
    2014: 3090

    Oui, moi aussi j’ai rien à faire :p

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