Jeux de société : la troisième voie

Le jeu de société moderne est actuellement tiraillé entre deux catégories : d’un côté nous avons les blockbusters, des valeurs « sûres » indémontables / indémodables vendues à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, tel que le Monopoly, les Aventuriers du Rail, Les Colons de Catane, Risk, Citadelles, Dixit, Carcassonne, Dobble, les Loups-Garous de Thiercelieux, 7 Wonders, Jungle Speed, Times’Up et quelques autres.
De l’autre, les jeux plus « indie » à tirages et chiffres de vente plus restreints. La liste est ici bien évidemment beaucoup, beaucoup plus longue.
Si les blockbusters veulent maintenir leur position tout en la renforçant, en proposant par exemple régulièrement quantité d’extensions plus ou moins farfelues / originales / nécessaires, les jeux « indie » essaient quant à eux de se tailler une part du lion pour devenir également de futurs blockbusters, au plus grand bonheur des auteurs et éditeurs.
A y regarder de plus près, on pourrait comparer le jeu de société au milieu du jeu vidéo, dans lequel les grosses franchises à la GTA, CoD, WoW côtoient des jeux peut-être quelques fois moins beaux mais au final tout aussi bons, voire meilleurs pour certains, tel que Papers, Please, Journey ou Minecraft (qui a commencé petit).
Y a-t-il une troisième voie pour le jeu de société?
Le but premier du jeu de société, comme celui du jeu vidéo par ailleurs, est de divertir. On joue pour s’amuser. Lapalissade certes, mais dans les excellents jeux vidéo The Walking Dead et The Last of Us qui proposent bien plus que ça, qui placent le joueur devant de réelles expériences émotionnelles et humaines, peut-être est-il temps que le jeu de société s’affranchisse un peu des mécaniques pour amuser ou faire réfléchir pour offrir des expériences ludiques transcendées. Et là je sens que j’ai déjà perdu la moitié de mon lectorat en sortant le terme « transcendées ».
Dans un précédent article nous avons présenté Train, un jeu de plateau sur… l’Holocauste, dans lequel il est question de bourrer des pions, jaunes, dans des trains pour les amener dans des camps de concentration. Si le thème est horrible, on réalise, grâce à Train, que le jeu peut lui aussi apporter une expérience, une vision, des émotions, et passer outre un divertissement premier.
Si les films, les livres, l’art en général, permettent de réfléchir au monde et à notre humanité, pourquoi est-ce que les jeux de société n’y parviendraient-ils pas également?
Si troisième voie il pourrait y avoir, pour se démarquer des blockbusters et des jeux indie, c’est peut-être cette voie là qui pourrait être explorée. Proposer le jeu de société comme un objet autre qu’uniquement de divertissement, l’élever au rang d’objet culturel, réflexif, pour présenter une vision du monde, de l’homme. Comme les autres arts, en fait.
Pas des jeux « chiants », je me comprends, pas des jeux élitistes ou pointus qui ne s’adresseraient qu’à un parterre d’intellectuels « blasés », mais bel et bien des jeux offrant une expérience passionnante, intense, et profonde, humaine. Oui, un peu comme les deux excellentissimes jeux vidéo précédemment cités.
Je n’y ai pas encore joué, tout simplement parce que le jeu n’est tout simplement pas encore sorti, mais je place beaucoup d’espoir en Dead of Winter, un jeu de zombies et de survivants. Ou plutôt, un jeu sur l’humanité entourée de zombies. Peut-être que ce jeu nous permettra de passer outre le divertissement pour proposer une réflexion sur nos réactions et humanité.
En plus des habituels et nombreux sites ludiques, le nôtre y compris, nous pourrions alors voir fleurir des sites qui proposeraient non plus seulement des informations sur les sorties ou festivals ou critiques, mais également une lecture des jeux comme objet d’art, de réflexion, presque comme un médium socio-philosophique.
Après une bonne dizaine d’années d’un marché ludique en pleine croissance et effervescence, peut-être est-il temps qu’auteurs et éditeurs ouvrent une troisième voie, plus mature, originale et courageuse, différente, tout en conservant le but premier du jeu, le divertissement.
Qu’en pensez-vous? Seriez-vous prêts à jouer à des jeux plus mûrs, plus immersifs?
7 Comments
rimoan
Merci à toute l’équipe de Gus & Co pour la réalisation d’un blog avec des articles aussi intéressant que celui-ci!
Tout à fait d’accord avec l’idée qu’une 3ème voie serait nécessaire, moi aussi j’attends avec impatience Dead of Winter!
Cependant, ne peut on pas dire que le jeu de société commence à rechercher ses lettres de noblesse, sa profondeur, quand on voit des exemples comme Endeavor ou Archipelago qui l’un comme l’autre intègrent dans leur mécanique une réflexion sur l’esclavage? Car pour moi il s’agit bien d’une idée similaire à celle du jeu de trains de l’holocauste quand on vous propose de suivre la voie de la facilité par l’exploitation d’autres êtres humains tout en vous laissant le choix de ne pas utiliser ce système ou en vous attribuant secrètement le rôle d’un indépendantiste!
Je suis sûr qu’il y a d’autres exemples, mais je n’ai que ces 2 là qui me viennent à l’esprit pour l’instant.
Luis
Les jeux de rôles ne représentent-ils pas cette 3eme voie …d’une certaine manière ?
Sthorm
Je suis assez d’accord et je pense depuis longtemps que le jeu de société peut être aussi un support de reflexion au même titre que les bouquins, BD, film et autre jeux video. Il y a quelques (rares) exemple de jeux qui emprunte en partie cette « 3ème voie » de façon plus ou moins assumée. Je pense à « Kimaloé » sur les droits des enfants mais aussi à « Trollland » qui aborde avec beaucoup d’humour l’expulsion des étrangers. L’esclavage dans « Endeavor » est aussi un bon exemple.
Auré
Oui, Kimaloé est très chouette!
zeol
Moi de mon côté c’est sans conteste TIME STORIES des Space Cowboys dans lequel j’en attend beaucoup. J’ai l’impression d’un hybride qui va peut être ouvrir un sentier …
A suivre
Gus
Pareil, mais pas sûr que le jeu porte autre chose qu’un facteur divertissant.
Les Chiens de l'Enfer
Bonjour, je vais parler pour les autres membres de l’association les chiens de l’enfer(et me faire taper sur les pattes pour mon haurtograf déplorable, mais tant pis..).
Donc pour nous il va de soit qu’imaginer une 3e voie pour le jeu de société inévitable, et plutot souhaitable si on veut pouvoir faire reconnaître le jeu de société comme porteur d’une expression singulière, d’une réflexion mature, en bref réussir a gagner ce fameux statut de « bien culturel » a part entière.
En premier lieu je crois qu’il faut considérer l’image générale que le grand publique ce fait du prototype « du joueur », et travers cette image l’idée que l’on peut avoir des contenu de jeux de sociétés ou quel peuvent être les réticences du grand publique envers la culture ludique.
L’exemple que représente la bande dessinée est assez éclairant, et comme les ponts avec le jeux de société sont assez nombreux prenons le trajet de la Bande dessinée.
Il fut un temps où l’on considérai le fan de BD un peut de la même façon que le joueur aujourd’hui (ado, geek, dragon, poilu, etc…), désormais on veut bien considérer l’existence de « roman graphique » et d’objets éditoriaux singuliers, bref l’on regarde l’objet BD avec la même attention (ou presque) que l’on peut le faire pour les autres « Arts ».
La culture SF a subit un peut la même mutation/mode (de l’auteur de sous culture littéraire réuni en convention jusqu’au « futurologues » qui fait de la « prospection » ), le jeu vidéo également(le cœur de cible de la première Playstation aura selon moi décloisonné le jeu vidéo, et ouvert un nouveau profil de joueurs en proposant des contenus matures);
A chaque fois il n’a pas fallut allez vers un publique profane avec un contenu identique en lui expliquant a quel point c’est bien, mais il a bien fallut développer un contenu marginal et particulier en espérant qu’il touche d’autres personnes que le publique traditionnel.
En somme pour revenir au jeu, prendre le risque de sortir des thèmes attendus ou des grosse franchise pour proposer des jeux avec des thèmes plus sérieux, incongrues, voire intime.
Bon là évidement il y a également a prendre en compte la « famille » des jeux que l’on qualifie de “serious game” (souvent développés par des asso ou des institutions par ailleurs, mais de moins en moins) et qui s’appliquent a justement “transcendée” l’expérience ludique en lui donnant une couleur sérieuse et pédagogique en replaçant le joueur dans un rôle réaliste.
A rapprocher de ça, les projets d’artistes ou d’éditeurs qui récupèrent a leur compte certains aspects ou valeurs du jeu pour servir leur propos singulier sur le monde.(là liste est longue, mais on peut citer en vrac les Romero, Volumique , Marwanny, etc.. )
Parfois malheureusement ces projets souffrent en effet d’une mauvaise image auprès des joueurs qui vois là un contenu trop conceptuel ou élitiste pour avoir un vrai desir de s’y attarder. Les jeux peuvent sembler péniblement ludique pour les joueurs confirmés a la recherche d’une mécanique, et pénible car ludique pour ceux venues chercher un contenu, mais ils on en commun qu’ils traduisent une manière de faire ou une réalité partageable a travers une certaine expérience du jeu.
En bref se servir de la réalité, pour la traduire en jeu, pour parler de la réalité.
Cette manière de faire a d’ailleurs son ombre du mordor qui peut s’appeler la gamification d’entreprise, et qui se sert elle des mécaniques de jeu pour, non pas pour reflété la realité, mais pour imposer ou justifier la sienne; je ne vais pas m’attarder ici sur cette petite tumeur de la culture ludique(avis tout personnel…d’autant que l’on peut aussi taxer les jeux a vocation pédagogique ou militant d’être egalement une forme de propagande, mais fermons le sujet..)
Il n’en reste pas moins que cette mini fracture entre jeux sérieux(basé sur une réalité tangible mise en jeu) et jeu tout court (basé bien souvent sur une appréciation de mécanique mise en fiction) laisse un interstice apparaître entre les deux, et que c’est ici peut être qu’il faut continuer a chercher et a creuser. Enfin tout ça pour dire qu’il est donc nécessaire de mettre en avant et d’éplucher les initiatives d’ouverture, parfois peut visible a coté des gros, mais pas inexistante.
Bon et pour finir ce commentaire qui devais être court, il est selon moi important de considéré les ouvertures possible du jeu vers d’autre format de diffusion. Les initiatives nouvelles de financement(crowdfunding en tout genre) et de reproduction/diffusion( print on demand, print and play, microédition, impression 3D) et de création( ouverture du format par licence libre) peuvent en un sens permettre a des projets marginaux et casse gueule d’être réalisé envers et contre tout; ce qui peut me permettre de conclure en faisant une boucle en revenant a l’exemple de la bande dessinnée qui s’est avant tout renouvelé sur des petit formats de galerien avant de toucher les éditeurs traditionnels.
Ensuite et pour finir cette fois, autour de la visibilité de ces projets elle est malheureusement toute relative; les microéditions sont souvent estampillés « produit régionaux » n’ayant pas ou peut accès a un marché plus large, les expériences d’artistes sont parfois confidentielles, et les formats numériques difficiles a repéré dans l’immensité du oueb. Donc là il appartient surtout aux événements publique, journaliste, blogueurs et associations de défendre et de soutenir les projets marginaux.
Bref ya du boulot… mais affaire a suivre!
PS: Luis, j’ai eviter le sujet du jeux de roles(livre/dé/papier) qui sont souvent en effet des petits bijoux editoriaux, où l’on soigne aussi bien la qualité des textes que l’illustration ou le format du livre, et qui peuvent proposer des modeles de diffusion en reseau(par exemple thomas munier), et sont porteur d’une mise en situation directe du joeur avec un univers de fiction souvent tres particulier, et laissant des sensations que l’on peut rapprocher des arts vivants…mais ce type de jeu est souvent perçu comme pas tres accessible pour un publique profane, et evoluent souvent dans un reseau tres confidentiel…