Quand ton hobby devient ton job, interviews, chapitre 3

Voici la suite des interviews des professionnels du monde du jeu : auteurs, éditeurs, vendeurs.
Pour accéder au chapitre 1, chapitre 2.
Nous voulions savoir ce qui se passait quand on transformait son hobby, ici les jeux de société, pour en faire son job.
Après Bruno Faidutti, Sébastien Pauchon, Emmanuel Beltrando, Maxence Dumontet, Michael de Philibert, Thomast Provoost, Christian Lemay et Mathilde Spriet.
Voici Raphaël Donzel, éditeur aux éditions la Donzelle (Sporz)
1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?
Je joue à des jeux de société depuis que je suis gamin. J’ai découvert les jeux dit « modernes » (dans ma définition : qui sont apparus après ma naissance) au collège avec tempête sur l’échiquier (de B.Faidutti), qui a été un bon moyen pour moi de toucher du doigt qu’on peut ajouter des choses à un classique qui semble immuable, puis plus tard au Lycée avec les « Loups-Garous » qui peut se jouer sans matériel, ce qui m’a paru complètement fou à ce moment. Enfin, j’ai touché aux « gros » jeux pour hard-core gamer quelques années après le bac au club jeu de mon école.
2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?
Ce qui m’a décidé de me lancer en tant qu’auteur auto-éditeur c’est de voir des inconnus jouer à un de mes jeux régulièrement. Un jour j’ai réalisé qu’il y avait deux clubs – un à Paris, l’autre à Lyon – qui se réunissaient presque toutes les semaines et que ce n’était plus « juste des amis » mes bien des « amis d’amis d’amis… ». Je me suis dit que si je ne me lançais pas maintenant, je le regretterais toute ma vie.
3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?
L’un des gros avantages d’être pro c’est de se faire interviewer par Gus ^^ ! Plus sérieusement, c’est de pouvoir rencontrer beaucoup de gens du milieu, voir l’envers du décors, et aussi d’apprécier encore mieux le travail des autres quand on sait le boulot que ça demande.
4. Quels sont les désavantages ?
Niveau désavantages, il y a… le boulot que ça demande. Et le stress financier aussi. On est jamais à l’abri des taxes et des coups durs. Même si je n’ai pas pour objectif d’en vivre, je ne tiens pas non plus à jeter toutes mes économies par la fenêtre. Il y a la fatigue sur les festivals aussi. Au début j’étais à fond sur mon projet et je me suis rendu compte au fur et à mesure que je ne profitais pas des événements sur le plan personnel : je ne jouais pas aux autres jeux, je ne faisais que présenter le mien encore et encore, et c’était usant. Maintenant j’ai levé le pied, et je profite un peu plus.
5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?
Oui, et heureusement ! Que ce soit avec les collègues à la pause midi, avec des amis en vacances, sur les festivals, ou chez moi le soir avec ma femme et mes colocataires. Depuis que j’ai jeté ma télé, j’ai beaucoup plus de temps à consacrer au jeu, et c’est tant mieux !
Merci Raph pour tes réponses?
Voici les réponses de Corentin Lebrat, auteur de jeux (Diavolo, Ali)
1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?
Oui je jouais évidemment aux jeux de société avant de songer à en imaginer moi-même. Et je me mouillerai même en disant que 90% (pour ne pas dire plus) des auteurs de jeux étaient et sont des joueurs. Selon moi c’est un des devoirs d’un auteur de jeu : la veille ludique : Se tenir au courant et jouer à un maximum de jeux.
2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?
Si devenir pro coïncide avec l’édition de son premier jeu, je dirais que c’est un concours de circonstance. En effet l’édition du Petit Poucet et celle d’Ali (les jeux sont sortis à peu près en même temps) ont été le fruit de rencontres aussi imprévues qu’intéressantes (Antoine, Gilles Régis, Paul et Benoit pour ne citer qu’eux). Si par contre, passer pro coïncide avec le moment où j’ai décidé de concevoir des jeux, alors ce qui m’a fait franchir le pas, c’est l’envie de voir mes idées prendre vie et permettre à d’autres, par le biais de ma création, de passer de bon moments.
Tout ça pour dire aussi que je ne suis pas encore vraiment à l’aise avec le qualificatif « pro ». Je reste pour le moment un amateur éclairé 🙂
3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?
Indubitablement la drogue et les Ukrainiennes. Après ça et du haut de ma toute petite expérience, ce qui me plait le plus dans ce milieu ce sont les personnalités. Les acteurs du monde du jeu ont tous une personnalité forte, attachante, parfois irritante, mais toujours intrigante. C’est pour cela que c’est toujours un plaisir de retrouver tout ce petit monde au détour des salons et autres manifestations.
4. Quels sont les désavantages ?
Pas vraiment de désavantages si ce n’est quelques petites frustrations : le syndrome de la page blanche est assez énervant (rester bloquer sur un proto sans trouver le petit plus qui lui manque). Mais celui du manque de temps pour poser ses idées et courir les salons (paternité oblige) l’est encore plus.
5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?
Oh oui, et bien plus que de raison, délaissant même parfois le test de proto… Actuellement je m’amuse beaucoup avec King of Tokyo, Risk Legacy, Santiago de Cuba, Chaos dans le vieux monde et je viens de découvrir Eclipse qui promet de bien belles parties ! Toutefois le regard du joueur change parfois pour analyser et décortiquer la partie. Déformation professionnelle oblige 😉
Merci Corentin pour tes réponses!
Voici les réponses d’Antoine Bauza (Hanabi, 7 Wonders)
1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?
Pas vraiment, pas à des jeux de plateaux en tout cas. En fait, je faisais bcp de jdr et de jv et j’ai commencé à concevoir mes premiers en parallèle de ma découverte du jds moderne (aux alentours de 2003). Ceci dit mon jeu édité date de 2007 et je ne suis devenu « pro » (au sens de « à temps plein) qu’en 2010… Donc ma réponse ressemblerai à « Oui et Non ».
2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?
D’abord,l’envie de tenter ma chance, parce faire du jeu mon métier est une vnie qui remonte à mon adolescence. Puis, la réception encourageante de certains de mes premiers jeux édités. C’est le succès de 7W qui m’a permis (et me permet encore en 2013) de le rester. Sans un best-seller, il reste très difficile de vivre du jds, à moins d’être très très productif.
3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?
Je dirai que le principal avantage, c’est d’avoir l’esprit libre pour concevoir, débarrassé du poids d’un autre métier. Cela me laisse du temps pour voyager dans des salons internationaux et rencontrer des gens passionnants. J’ai du mal à voir les autres avantages, en fait mais cela valent de l’or à mon avis…
4. Quels sont les désavantages ?
C’est mon gagne-pain donc si mes jeux ne se vendent pas, et bien je ne mange pas 🙂 C’est parfois une entrave à la créativité. Le fait d’aborder le game design comme un hobby, sans objectif financier, laisse l’esprit plus libre d’amener des idées fraîches…
5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?
Oui (heureusement).
Selon moi, si l’on a pas le temps de jouer, on n’a pas le temps de concevoir des jeux ! (et là, je déforme une citation célèbre de Stephen King à propos de la lecture et de l’écriture).
Merci Antoine pour tes réponses!
Voici les réponses de Monsieur Phal, le patron du site ludique professionnel TricTrac
1. Jouais-tu aux jeux de société avant de devenir professionnel-le (auteur ou éditeur) ?
Oui, justement et en fait. C’est le fait d’être joueur qui a tout déclenché. Finalement.
2. Qu’est-ce qui t’a fait passer pro ?
Arrivé à 35 ans, je me suis dit qu’il fallait peut-être travailler un jour pour nourrir des enfants qui grandissaient aussi vite que notre frigo se vidait. Je cherchais un truc à faire chez moi, qui serait cool et serait aussi un peu cool. Le jeu s’est imposé.
3. Hormis un salaire exorbitant que même Bill Gates envie, quels sont les avantages d’être devenu pro ?
Le sexe, c’est fou le nombre de rapports sexuels que je peux avoir depuis que je travaille dans le monde du jeu.
4. Quels sont les désavantages ?
Le truc le plus dur c’est de passer son temps au milieu de gens qui ne sont pas matures, qui ne pensent qu’à jouer. Aucun moment de sérieux, impossible d’avoir une conversation autre que sur le jeu. De vrais enfants. Oui. Ça c’est pénible.
5. T’arrive-t-il encore de jouer juste pour le plaisir ?
Le problème, c’est que dès que je joue j’ai le sentiment d’être au travail, et qui aiment être au travail en dehors des heures de bureau ? Personne. Et bien comme je suis quelqu’un de simple et de normal, je n’aime pas avoir l’impression d’être au travail. Donc, du coup, aucun plaisir. Ce qui explique que je me suis mis à faire du sport, là j’ai l’impression d’être libre. Oui. C’est le seul moment où je prends finalement du plaisir. J’ai failli passer du côté obscur en me disant que travailler dans le sport c’était cool, et puis j’ai pensé au fait que j’avais cassé le plaisir du jeu, je ne voulais pas reproduire la même chose avec le sport. Donc j’ai décidé de garder le sport comme loisir, plaisir…
Merci Monsieur Phal pour tes réponses!
La suite au prochain (et dernier) chapitre, avec les réponses d’Adrien Martinot de Days of Wonder, Pierre-Yves Franzetti d’Helvetia Games et d’autres.