Critique de jeu : Alba Longa
Présentation
Albla Longa (AL) est un jeu de plateau pour 2 à 5 joueurs sorti pour octobre à Essen 2011, créé par Graeme Jahns, le tout premier jeu de l’auteur, et édité par Quined Games (Chocolatl, Carson City).
D’une durée de 90’, Alba Longa est plutôt un jeu moyen-lourd.
Thème
Décidément, la plupart de mes récentes critiques soulèvent toutes le même souci, les thèmes dans la plupart des jeux sortis dernièrement à Essen sont fades, artificiels et un rien crétin.
Alba Longa souffre du même défaut. Certes, on développe la cité romaine antique d’Albe la Longue, l’une de plus anciennes, mais l’explication du but du jeu est vraiment très ténu.
Jugez par vous-même :
Encore une fois, on nous colle un pseudo-thème sur un jeu pour nous servir du rêve, du dépaysement, du sens narratif. Sauf qu’encore une fois, c’est niais.
Matériel
AL a un très bon matériel. Plateaux individuels très clairs et chatoyants, et bien évidemment, les quatre dés, originaux, des octaèdres (huit faces) longilignes. L’éditeur aurait pu fournir des dés à huit faces ordinaires, mais l’aspect des dés confère un aspect antique et cohérent avec le thème ( ?).
Les illustrations des cartes sont fines, et un rien… gay-friendly. En effet, les gladiateurs sont musclés, à demi dénudés ; ça surprend et fait sourire.
Mécanique
La mécanique principale d’AL est le tirage de dés qui permettent de placer ses ouvriers paysans. A son tour, le premier joueur lance les 4 dés, puis il en choisit un. Le nombre obtenu lui permet de placer un nombre correspondant d’habitants, ou moins, sur l’un des 4 emplacements de son plateau individuel, selon la couleur du dé choisi:
- Dé noir : caserne, pour l’attaque contre les autres joueurs
- Dé blanc : carrière, pour construire des temples
- Dé gris : marché, pour récupérer de l’argent
- Dé brun : temple, pour améliorer le travail des fermiers au moment de la récolte.
Une fois que le premier joueur a pris son dé, c’est au joueur suivant de choisir parmi les dés restants, en payant 1 sou au marché, un plateau commun. Quand tous les joueurs ont choisi un dé ou passé, c’est au joueur suivant de relancer les dés, et ainsi de suite.
Quand les dés doivent être à nouveau lancés par le premier joueur, le coût d’achat de base est augmenté de 1. Bref, cela va devenir de plus en plus cher.
Quand tous les joueurs ont passé, on résout alors les tâches selon un ordre précis.
Le jeu est joué en année séparée en deux phases, pour un maximum de 7, et si aucun joueur ne parvient à remporter la victoire avant la fin de la partie, tous ont alors perdu. Il s’agit par conséquent d’une course, contre la montre et contre les autres.
Lors de la deuxième phase, la récolte, on peut encore utiliser n’importe quel dé pour placer des fermiers sur ses champs pour fournir du blé, la ressource nécessaire pour nourrir ses habitants et en obtenir de nouveaux.
Si l’on n’a pas suffisamment de blé à la fin de l’année, les habitants en surplus meurent de faim et quittent le joueur. Si un joueur ne peut en nourrir aucun, il perd automatiquement la partie et est alors éliminé.
Le but du jeu : être le premier à avoir construit 10 temples et posséder 16 habitants en fin d’année.
Rajoutez à cela un système de combat très simple de carte jouée face cachée simultanément, et la différence en faveur de l’attaquant permet de saboter le jeu d’un adversaire, ainsi qu’une carte météo connue au début de l’année qui influera sur le rendement des fermiers au moment de la récolte. Selon la météo, sèche, modérée ou humide, la moisson sera plus ou moins importante.
Bref, le tout paraît assez complexe et riche, surtout à la lecture des 13 pages de règles denses, mais au final, après 1 année, toutes les mécaniques s’imbriquent parfaitement et sont très fluides.
Interaction
AL est un jeu de placement d’ouvriers, et dans la plupart des jeux idoines, Caylus, Agricola, Egizia, Drum Roll, l’interaction est souvent froide et consiste surtout à bloquer les autres. Dans AL, on place ses ouvriers sur son propre plateau, donc on ne bloque personne, mais on attaque.
En effet, si l’on a assigné ses habitants à sa caserne, on a alors la possibilité d’attaquer un joueur de son choix, en jouant d’abord une carte désignant un joueur particulier, puis en jouant une carte « combat », le même système que Dungeon Twister / Prison. Si l’attaquant remporte l’attaque, il peut alors saboter le jeu de l’autre, en renvoyant les habitants dans son village et en contrecarrant ainsi placement et plans.
L’interaction est donc forte, puisqu’on peut directement s’en prendre aux autres joueurs.
Conclusion
AL est un bon jeu. Il propose même plusieurs variantes, et pour les chanceux qui ont pu se rendre à Essen, il y en avait même une offerte à l’achat du jeu, une sentinelle par joueur pouvant protéger un lieu.
AL est un bon jeu, car les différentes mécaniques s’imbriquent bien : tirage des dés et paiement, placement d’ouvriers, paiement de nourriture à la Stefan Feld / Uwe Rosenberg. Les illustrations sont bonnes.
Mais AL n’est ni un excellent jeu, ni un jeu essentiel. Pourquoi ? Car au final, on est tributaire de ses tirages de dés, et si on peut placer ses ouvriers sur 4 emplacements différents, on se rend après quelques tours compte certains emplacements ne sont pas si vitaux que cela.
La caserne, par exemple.
En effet, l’attaque ne sert qu’à freiner les autres, on ne gagne rien dans une attaque réussie, si ce n’est le ralentissement des adversaires. Et si le défenseur remporte le combat, il ne reçoit aucune compensation non plus.
Donc au final, la caserne et les soldats sont plutôt des ouvriers « perdus », et pour peu que la plupart des joueurs ne pratiquent pas cette stratégie « agressive », on peut jouer dans son coin. Après tout, à quoi bon utiliser ses ouvriers contre un joueur et négliger son propre développement ?
Le marché, par exemple.
Jouer des habitants dans son marché permet de recevoir un certain nombre de sous présents sur l’étalage commun, mais on place souvent beaucoup d’ouvriers pour en récupérer peu. L’argent ne sert qu’à payer des dés supplémentaires.
Le temple, par exemple.
Le temps ne s’avère intéressant uniquement dans la deuxième phase du jeu, la récolte, puisque on peut alors améliorer le rendement de ses fermiers et obtenir un avantage unique en le payant en dévotion.
Donc au final, les deux seuls emplacements importants sont la carrière qui permet de construire ses temples, il en faut 10 pour gagner, et le temple, surtout en 2e phase, à moins de vouloir prendre de l’avance.
L’un des soucis majeurs d’AL, qui ne le rend pas essentiel, c’est le facteur de « tir au pigeon ».
Le « tir au pigeon », pour ceux qui ne connaissent pas l’expression, c’est quand tous les joueurs s’en prennent au joueur qui s’approche le plus de la victoire. Il y a alors alliance explicite des joueurs à la traîne pour en ralentir / empêcher un autre. C’est d’ailleurs ce que j’ai souvent reproché à Small World, mais à SW, les points de victoire sont cachés, donc on n’est jamais certain d’avoir un joueur en tête. Dans AL, tout est visible, le nombre de temples et le nombre d’habitants, ce qui peut aisément entraîner un tel fonctionnement.
Le gros risque du « tir au pigeon », hormis le côté désagréable de se liguer tous un contre joueur, c’est qu’il y en a souvent un autre qui exploitera la situation en se développement « dans l’ombre » et remporter la victoire, sans avoir été gêné par les autres qui avaient « un autre chat à fouetter ».
Les derniers tours deviennent répétitifs, et une fois que l’on est parvenu à s’approcher des objectifs, à part s’en prendre aux autres, on n’a pas grand-chose à faire.
Les égalités sont fréquentes, puisque la plupart des joueurs finissent en même temps, et le départage se fait d’abord au nombre de ses habitants et ensuite au nombre de son blé & argent.
Avec AL, on sent que Troyes est passé par-là, puisqu’on retrouve les mêmes mécaniques, tirage et exploitation de dés. Mais dans Troyes, on pouvait modifier ses dés, et les possibilités offertes étaient bien plus riches, tendues et intéressantes.
De plus, avec un jeu d’une telle ampleur, mécaniques, règles, temps de jeu, on aurait pu s’attendre à un jeu de gestion, d’optimisation, alors qu’au final, il s’agit surtout d’un jeu tactique d’opportunisme, on ne peut pas prévoir ses prochains tours, puisque les dés sont à chaque fois différents. Et c’est un grand reproche que l’on pourrait faire au jeu, 90’ pour de l’opportunisme, c’est long.
Pas sûr que le jeu ne jouisse d’une grande durée de vie. Pas que les parties se ressemblent, mais au final, on ne se sent pas vibrer, ni envie de rejouer pour essayer de nouvelles tactiques et stratégies, puisqu’on finit toujours par faire les mêmes choses. Après 1 ou 2 parties, on en aura vite fait le tour. Ce qui donne en effet envie de rejouer à un jeu, c’est l’envie d’essayer de nouvelles stratégies, comme dans 7W par exemple, ou Trajan, tellement les possibilités sont grandes. Dans AL, on finit toujours par faire les mêmes choses.
En conclusion, AL n’est pas un mauvais jeu, mais de loin pas un jeu indispensable. Un jeu sympathique, pas un « Gus&Co d’or » (je reprends les catégories de mon collègue webludique amical et flamboyant Ludigaume). Et au vu de la surproduction ludique actuelle (ça y est, je l’ai encore dit !), AL est presque… superflu.
Ce que j’ai beaucoup apprécié
Les illustrations. Pas forcément celles des cartes. Non, je ne suis pas homophobe
Les dés, originaux
Les différentes mécaniques, complexes et riches, mais qui s’imbriquent bien
La course contre le jeu, contre les autres et pour la nourriture
L’interaction directe, rare dans les jeux de placement d’ouvriers
Ce que je n’ai pas beaucoup apprécié
Un thème futile
Le tir au pigeon
Le hasard des tirages de dés
L’aspect opportuniste, surtout pour un tel format long et complexe
Les derniers tours répétitifs
Pas vraiment envie d’y rejouer et rejouer et rejouer. Donc un jeu cher pour 1-2 parties.
Le lien Wikipedia sur l’histoire d’Alba Longa