Kelp : Un duel sous-marin entre stratégie, bluff et tension asymétrique
🐙 Entre bag-building et deck-building, Kelp propose un duel sans pitié entre un requin et un poulpe dans les profondeurs marines.
Kelp

⚠️ Avertissement : Dans un souci de transparence envers notre communauté, nous tenons à préciser que cet article reflète notre opinion personnelle sur le jeu. Nous n’avons reçu aucune contrepartie de la part de l’éditeur du jeu. Nous avons acquis et testé le jeu de façon indépendante, sans lien commercial avec son éditeur. Les avis présentés ici représentent notre analyse honnête et impartiale du jeu, basée sur notre propre expérience.
Vous pouvez écouter cet article sous forme de podcast ici, généré par IA. Et nous sommes également sur Apple Podcast & sur YouTube Podcast ici :
En bref :
- Un duel asymétrique : poulpe furtif contre requin traqueur dans une forêt sous-marine
- Deck-building, bag-building et gameplay original dans un environnement marin magnifique
- Un hasard trop présent et frustrant
Imaginez-vous caché dans les algues, le cœur battant, sachant qu’un prédateur de 200 kg vous traque sans relâche…
Avec son design original et sa promesse d’un duel tactique et asymétrique, Kelp a pas mal buzzé lors de dernier FIJ à Cannes. Trésor ludique ou ivresse des profondeurs ? Plongeons ensemble sous la surface pour le découvrir !

Dans les sombres forêts de Kelp
Rendu célèbre par le documentaire aux multiples prix « La sagesse de la pieuvre » (My Octopus Teacher – titre original), le requin pyjama est un squale appartenant à une espèce de requins-chats de petite taille (environ 1,1 m) qui parcourt inlassablement les bancs de varech (kelp en anglais) sur les zones côtières d’Afrique du Sud. Il est facilement reconnaissable grâce aux larges rayures sombres parallèles qui ornent son dos et ses flancs, et qui sont, bien sûr, à l’origine de son nom. Bien que son régime alimentaire soit assez diversifié, il chasse activement les poulpes. Sa méthode de prédation, inhabituelle, consiste à effectuer une attaque rotative pour, à la fois étourdir sa proie, l’arracher du fond et la démembrer.
Pauvre poulpe, me direz-vous ! Mais ce dernier, lui aussi féroce prédateur, notamment de crustacés, est un as de l’esquive. Les denses forêts d’algues facilitent grandement la manœuvre. En plus de profiter d’un environnement propice au camouflage, ce céphalopode est réputé pour son intelligence et son agilité qui lui permettent même parfois de sauver sa vie en s’accrochant au dos de son chasseur comme on le voit dans le documentaire.
Beauté cruelle des fonds marins
Édité chez Wonderbow Games, Kelp est le premier jeu de Carl Robinson. Joliment illustré par Weberson Santiago (jeux récents : Sail (2025), Flatiron (2024), La Famiglia (2023), avec, de surcroît, un magnifique « game design », Kelp nous plonge dans un univers sous-marin où la lumière se fait rare, les grandes algues dansent dans le courant, obstruant la vue, et la faune qui y habite tente de survivre en mangeant sans être mangée. Les illustrations des cartes des deux adversaires, contrastées et aux couleurs intenses, ainsi que le plateau de jeu représentant une forêt d’algues, participent bien à l’installation d’une belle ambiance sous-marine. Lors de la mise en place, on installe au hasard 9 blocs, élégants et agréables à manipuler, qui ressemblent à des pions de mah-jong, dont une seule des faces est marquée d’une icône. Le joueur qui incarne le poulpe est bien évidemment le seul à les voir. En effet, si la grande majorité des symboles figurent une coquille de palourde, l’un d’entre eux représente le poulpe. Ce sera donc tout l’objet de la quête du requin de le débusquer.
Une imposante figurine représentant le requin ne demande qu’à être peinte pour gagner en prestance tandis qu’elle glisse sur les lignes de courant qui séparent les zones de varech. Le poulpe, malheureusement, ne peut avoir une telle figurine puisqu’il doit rester caché au milieu des autres blocs (mais il y en avait une, avec un rôle principalement décoratif, dans l’édition deluxe Kickstarter).
Bref, visuellement, le jeu donne envie.

Camouflage vs carnage
Kelp est un jeu véritablement asymétrique entre deux entités radicalement différentes : un poulpe rusé et un requin impitoyable.
Le principe repose sur une opposition asymétrique à plusieurs niveaux : gameplay, rythme, stratégie, tactiques, et même émotions ressenties. L’asymétrie est une preuve d’originalité souvent mise en avant par les concepteurs de jeu afin de rassurer les futurs acheteurs sur la rejouabilité de leur jeu. Mais elle est parfois exagérée quand il s’agit simplement de petites différences : un bonus qui change selon les plateaux individuels des joueurs ou encore un petit pouvoir unique différent pour chaque joueur. Mais ce n’est souvent qu’une nuance de jeu. Pas dans Kelp. Le poulpe et le requin incarnent chacun un rôle aux mécaniques totalement distinctes, avec des objectifs et des moyens très spécifiques.
Le poulpe joue un jeu de développement basé sur le deck-building, la pose de pièges, la furtivité, et la planification. Il doit évoluer en améliorant son deck, et finir par épuiser le requin ou parvenir à prendre ses 4 repas avant que le requin ne fasse de lui le sien.
Le requin, en revanche, évolue dans un style plus direct, fondé sur le lancer de dés, la gestion des courants marins, la traque, et les attaques brutales. Son but est simple : trouver et éliminer le poulpe avant qu’il ne soit trop tard.
La tension dramatique du jeu repose sur cette dichotomie : le requin est une force de domination, le poulpe est une entité de survie. L’un cherche, l’autre esquive ; l’un fonce, l’autre se faufile.
Le poulpe, furtif et rusé
Le rôle du poulpe : furtivité, adaptabilité et gestion fine
Le poulpe fonctionne avec un système de deck-building. À chaque tour, le joueur peut effectuer deux actions parmi trois :
- Refaire sa main de 4 cartes (en piochant)
- Jouer une carte de sa main (en révélant 0 à 3 blocs)
- Défausser une carte pour cacher un bloc précédemment révélé
Les cartes que le poulpe peut jouer sont de 4 types :
- Déplacement : ces cartes lui permettent d’intervertir des blocs adjacents (cachés ou révélés) ou de les mélanger (seulement les blocs cachés) en les mettant puis en les piochant à l’aveugle dans le sac de la pieuvre.
- Cachette : ces cartes permettent de cacher un ou plusieurs blocs.
- Connaissance : ces cartes autorisent le poulpe à acquérir de nouvelles capacités qui peuvent être des cartes (d’un des 4 types) ou des blocs qui sont échangés avec ceux présents et révélés sur le plateau.
- Repas : au nombre de 4 (une langouste (miam), un crabe, un ormeau et un escargot de mer), ces cartes correspondent aux 4 repas que le poulpe doit obtenir pour réaliser une des deux conditions de victoire. L’acquisition de la carte permet de mettre en jeu le bloc correspondant qui vient remplacer un bloc révélé du plateau.
Se dévoiler pour mieux se cacher
Pour jouer une carte de sa main, le poulpe doit le plus souvent révéler 1 ou 2 blocs. Peu à peu il se dévoile, scruté avec avidité par le requin qui observe chacun de ses mouvements. Pour ne rien arranger, une fois que le poulpe a pu mettre en jeu un ou plusieurs blocs repas, il ne peut les consommer que si l’icône du poulpe est orthogonalement adjacente au bloc repas et que la carte repas correspondante, acquise avec une carte connaissance, est revenue dans sa main. Il joue la carte mais doit alors révéler la position du bloc repas (s’il ne l’est pas déjà) mais aussi dévoiler son poulpe (Damned !). Comme un poulpe qui devrait quitter sa cachette pour aller se nourrir mais en s’exposant au risque de devenir lui-même un déjeuner. Le bloc repas est immédiatement placé sur une des 4 cases dédiées et remplacé par une coquille. Si le poulpe parvient à poser son 4ème repas, il remporte immédiatement la partie.
Il y a donc un jeu subtil à trouver pour le poulpe qui ne peut faire autrement que de se dévoiler pour jouer et se nourrir et qui doit donc choisir judicieusement quand abattre les cartes de sa main pour pouvoir rapidement se recacher et intervertir ou mélanger les blocs pour perturber la recherche du requin.
Quand j’ai découvert le jeu au FIJ de Cannes en février dernier, je jouais le poulpe. Un copain jouait le requin. Au début de la première partie, je me suis dit qu’il allait être très difficile de ne pas me faire croquer. Mais nous allons voir que la tâche du requin n’est pas aussi facile qu’il y paraît.

Le requin, traque et mouvement
Le rôle du requin : recherche, attaque et courants marins
Le requin fonctionne avec un système de bag-building. Il commence la partie avec 11 dés mélangés dans son sac. À chaque tour, le requin pioche puis lance 2 ou 3 dés. Ces dés sont des dés (bleus) de courants marins, des dés (jaunes) de recherche et des dés (rouges) d’attaque. Ces trois couleurs de dés sont au cœur des actions du requin. Voyons leur fonctionnement.
Le requin ne s’arrête jamais
Les dés (bleus) de courants marins : le requin les place sur des cases dédiées le long des courants marins qui parcourent le plateau de jeu. Ils permettent au squale de se déplacer plus vite. Il place le dé sur une case du plateau et l’utilise en passant au-dessus pour aller directement à la case suivante. L’idée ingénieuse du système de jeu fait que le requin peut se déplacer très rapidement en sautant plusieurs cases si les dés de courants ont été placés dans un ordre décroissant. Ainsi le requin avancera de 4 cases si un dé bleu de 5 est suivi d’un dé de 3 puis d’un dé de 1. Mais il ne pourra pas nager au-dessus d’un dé bleu de 4 suivi d’un dé de 6.
Les requins sont des animaux qui sont toujours en mouvement afin de pouvoir faire passer l’eau à travers leurs branchies. Sinon ils se noieraient. Afin de représenter cette caractéristique morphologique, le requin de Kelp doit se déplacer à chaque tour d’au moins une case et ne peut pas faire demi-tour.
Traquer sa proie
Les dés (jaunes) de recherche permettent au requin de révéler un bloc adjacent si son lancer est suffisant. En effet, selon la présence de végétation ou de rocailles, la zone est plus ou moins facile à fouiller et exige un lancer de dé plus ou moins élevé. Ainsi la zone centrale du plateau de base demande seulement un 2 ou plus tandis que les zones sombres des coins exigent un 5 ou un 6.
Les dés (rouges) d’attaque lancent l’attaque du requin et révèlent le bloc mais avec la même limitation que les dés (jaunes) de recherche en fonction de la densité des algues sur la zone où se trouve le bloc que le requin veut attaquer.
Au début de la partie, le requin n’a dans son sac, qu’un seul dé d’attaque, trois dés de recherche et sept dés de courants marins.
Aiguiser sa dentition
Il va donc devoir rapidement augmenter ses capacités. Pour cela, deux options s’offrent à lui :
- La croissance : les dés bleus et jaunes utilisés sont posés sur des tuiles de croissance. Chacune comporte trois emplacements. Une fois qu’ils sont remplis, la tuile est retournée et procure au requin une capacité permanente : relancer un dé, piocher un dé supplémentaire,…
- L’énergie : les dés bleus, jaunes ou rouges non utilisés sont placés dans la zone d’énergie stockée. Une fois par tour, le requin peut ensuite utiliser la somme des points présents sur les dés pour acheter des cartes aux noms évocateurs (hostile, réactif, affamé, agile,…) qui octroient des capacités à usage unique (augmenter la valeur d’un dé, choisir un dé supplémentaire dans le sac, se déplacer plus vite,…) mais qui permettent aussi, et surtout, d’ajouter des dés dans votre sac.
La natation, ça creuse !
Quand le requin achète une carte, il doit placer un des dés utilisés sur la piste de faim. Cette piste représente la fatigue croissante du requin dans sa traque impitoyable du poulpe. De même, à chaque fois qu’une attaque est lancée, le dé d’attaque finit sur cette piste de faim. Celle-ci comporte 7 emplacements. Dès qu’un dé est posé sur la dernière case, le requin est épuisé et perd immédiatement la partie.
La confrontation
Quand le requin trouve le poulpe et réussit son attaque, la phase de confrontation est déclenchée. Tout n’est pas perdu pour autant pour le céphalopode. Comme évoqué au début de l’article, cet animal fait preuve d’agilité et de capacités cognitives surprenantes. Ces aptitudes sont représentées dans Kelp par les cartes de confrontation. Le poulpe en possède trois (la fuite, la saisie et la feinte) et le requin possède les trois « contre ».
Chacun choisit secrètement une des trois cartes et les révèle simultanément. Si le « contre » correspond à la carte choisie par le poulpe, le requin le mange et gagne la partie. Sinon, l’esquive du poulpe réussit et il peut, selon la carte jouée, renvoyer le requin dans un de ses repaires (un de ses 4 emplacements de départ), modifier sa position ou se recacher. Les deux cartes jouées sont détruites, ce qui réduit les chances du poulpe de s’échapper à 50% lors d’une seconde attaque. La troisième lui sera forcément fatale.


Un duel fluide comme un courant marin
La partie de découverte a duré près de 2h30. Loin des 40 à 60 minutes annoncées. Mais cela n’a heureusement pas été le cas des parties suivantes même si l’on est en moyenne plus entre 60 et 90 minutes. Sauf si le poulpe n’a vraiment pas de chance ou que le requin en a beaucoup et qu’il parvient à le dévorer lors de la première attaque avec son seul dé rouge.
Une fois que les mécaniques sont acquises par les deux adversaires, les tours sont assez fluides. Il peut bien y avoir un peu de paralysie analytique de la part de l’un ou de l’autre : quel bloc révéler, quelle carte jouer, où placer mon dé de courant, quelle carte acheter,… mais les options ne sont pas si nombreuses. Quand on découvre le jeu, c’est peut-être le poulpe qui est le plus difficile à jouer car il y a plus de texte à lire sur les cartes d’action et le choix de l’ordre dans lequel jouer ses actions et quels blocs révéler peut parfois vous plonger dans des abysses de réflexion mais le requin, plus simple au premier abord doit rapidement faire des choix cornéliens à s’en mordre les ailerons et essayer de compenser le hasard des dés par des capacités améliorées.
Un équilibre aux petits oignons (poissons)
Comme je l’évoquais un peu plus tôt, le rôle du poulpe peut sembler ardu au premier coup d’œil sous la surface. On a l’impression qu’en dévoilant des blocs pour jouer ses actions, sa position va vite devenir inconfortable, voire mortelle. Dès les premiers tours, le poulpe peut vite se retrouver à devoir révéler tous les blocs sauf deux ou trois. Il est donc normal de penser qu’il va lui être compliqué d’échapper aux mâchoires de son adversaire. En réalité, pas tant que cela.
D’abord parce que révéler des blocs lui permet d’obtenir des cartes plus puissantes que celles de départ qui vont lui permettre de brouiller les pistes. Le poulpe malin va d’ailleurs en permanence chercher à recacher des blocs avant de les intervertir et/ou de les mélanger. Au requin de faire preuve de mémoire spatiale pour ne pas s’emmêler les nageoires.
Ensuite, parce que le requin n’a, du moins en début de partie, qu’un seul dé rouge dans son sac parmi 10 autres dés. Il ne pourra donc attaquer que s’il pioche ce dé au moment où il connaît la position du poulpe, s’il est bien placé pour le faire, et si son lancer est suffisant en fonction de l’emplacement du bloc (de 2+ à 5+). Ce qui fait beaucoup de si.
De plus, toute attaque ratée oblige le requin à mettre le dé d’attaque sur la piste de faim. Il ne peut donc plus l’utiliser et doit en acquérir de nouveaux en achetant des cartes. Il a donc intérêt à être patient et à renforcer ses capacités et son sac de dés avant de lancer ses attaques. Sans oublier que l’achat de cartes, ajoute des dés sur la piste de faim, ce qui le rapproche de la fin. Pendant ce temps, il doit bien sûr rester attentif aux actions du poulpe pour essayer de déduire où il se cache. Le meilleur indice est la position des blocs repas puisque le poulpe doit être adjacent à ceux-ci pour pouvoir les consommer.
Mais dans l’intervalle, le poulpe va pouvoir acquérir de nouvelles cartes, des blocs repas ainsi que des blocs pièges. Ces derniers sont des blocs qui punissent le requin, s’il les révèle, en le renvoyant dans un de ses repaires, ou en supprimant des dés de courants marins. La faible puissance des pièges les rend presque inutiles mais la façon dont le poulpe joue un piège peut là encore être un indice sur la position du poulpe. Ou pas. S’il bluffe.
Kelp est donc, une fois que les adversaires commencent à maîtriser les mécaniques, remarquablement équilibré que l’on joue le chasseur ou la proie.
Faire des ronds dans l’eau
Malheureusement, l’eau de Kelp n’est pas aussi limpide que celle d’un lagon polynésien et un défaut majeur se cache dans ses forêts d’algues.
Que ce soit du côté du poulpe ou de celui du requin, le hasard de la pioche et des lancers de dés peut parfois être très frustrant.
La main du poulpe n’est constituée que de 4 ou 5 cartes, et reconstituer sa main utilise une des deux actions du tour. Le hasard de la pioche fait alors que parfois le poulpe se retrouve avec des cartes identiques ou similaires et peu d’actions intéressantes à jouer ou qui ne correspondent pas à ce dont il aurait besoin. Il va alors jouer une carte pour intervertir deux blocs, puis refaire sa main en espérant piocher une carte plus intéressante. Il a alors l’impression d’avoir fait un tour pour rien.
De plus, comme les cartes acquises pour améliorer le deck vont d’abord dans la défausse avant de revenir dans la nouvelle pioche une fois que celle-ci a été vidée, il peut se passer quelques tours avant qu’elles n’arrivent dans la main.
Du côté du requin, le manque de réussite soit sur la pioche des dés, soit sur les lancers de dés peut créer des situations particulièrement frustrantes :
- incapacité à rechercher un bloc ou à attaquer la pieuvre, alors que l’on connaît son emplacement, car le résultat n’est pas assez élevé
- obligation de se déplacer et de refaire un tour du bloc en espérant piocher un dé d’attaque
- obligation de devoir avancer sans effectuer de recherche car les dés jaunes ne sortent pas du sac
Bien sûr, la mécanique du bag-building est indissociable de cette part de hasard mais, dans Kelp, celui-ci peut s’avérer ici particulièrement frustrant et bloquant surtout si le manque de chance perdure un peu.
En général, la situation s’améliore quand on active les tuiles de croissance (ce qui permet notamment un lancer ou une pioche de dés supplémentaire) et que l’on a acheté une ou deux cartes pour améliorer son sac de dés. Mais dans le même temps, en achetant des cartes, le requin remplit sa piste de faim, ce qui le rapproche de sa fin (oui, je sais je l’ai déjà faite, mais cela reste vrai). Le hasard est donc un peu trop présent dans le jeu du requin. Cela peut tout à fait l’amener à ne jamais être en mesure d’attaquer le poulpe alors qu’il sait pertinemment où il se cache. Il arrive aussi que le requin réussisse à dévorer le poulpe, souvent in extremis mais sans que le joueur ait eu l’impression d’être réellement acteur de cette réussite. Et si l’attaque est possible, le « chifoumi » de la confrontation peut ruiner, encore par hasard, les efforts déployés.
Kelp, verdict final
Kelp s’impose comme une véritable perle des abysses en matière de game design asymétrique. Les sensations de jeu sont radicalement différentes selon le rôle joué, et chacun offre une belle profondeur tactique. Pour le plaisir des yeux et des mains, le matériel est d’excellente facture, avec une direction artistique forte et immersive.
Côté poulpe, on évolue dans une danse furtive, faite de planification minutieuse, de bluff glissant et de gestion de main. Le joueur se sent traqué, vulnérable, mais ingénieux.
Le requin, lui, incarne une force prédatrice plus directe, brutale dans sa résolution mais méthodique dans sa chasse. Sous sa carapace de puissance se cache une créature qui doit sentir les courants, flairer les proies, et frapper au bon moment, sous peine de brasser de l’eau.
L’équilibre entre les espèces est admirable, même s’il demande quelques plongées pour être pleinement apprivoisé. Chaque rôle se révèle couche après couche, à la manière d’un écosystème marin complexe.
Hélas, certains remous viennent troubler ces eaux cristallines. Le hasard, trop présent dans plusieurs aspects – pioche du poulpe, dés du requin, confrontation aléatoire – peut générer des tourbillons de frustration, avec des tours à vide où l’on dérive sans impact et bien que tactique, l’omniprésence de ce hasard empêche de déployer une véritable stratégie. Le jeu est exclusivement à deux joueurs, ce qui restreint son public, mais renforce la tension. On pourra néanmoins regretter l’absence d’un mode solo, qui aurait permis de prolonger l’immersion en solitaire, comme un explorateur sous-marin face à l’inconnu.
On a plongé pour :
- L’asymétrie abyssale parfaitement pensée et intégrée au thème
- L’immersion totale dans le thème, de la direction artistique aux mécaniques de jeu
- Le duel tendu comme câble de chalutier
- L’équilibre aussi fin qu’un fil de pêche
- Les tours fluides comme un courant marin
On a bu la tasse sur :
- Un courant d’aléas un peu trop fort. Le hasard peut faire des vagues et faire chavirer le poulpe vers des tours ennuyeux.
- Un baptême de plongée pas facile. La première immersion peut être un peu complexe.
- Un tourbillon de malchance. Si le hasard s’acharne, le requin peut tourner autour de sa proie sans jamais l’atteindre. Rageant… surtout quand le poulpe lui fait de l’encre.
C’est pour vous si…
- Vous aimez les duels tendus comme un filet de pêche, où chaque décision peut vous faire prendre le large… ou couler à pic.
- Vous appréciez les jeux asymétriques profonds comme la fosse des Mariannes
- Vous cherchez un jeu intelligent, tactique, et immersif comme un documentaire de Cousteau en version ludique.
- Vous êtes sensibles aux matériels raffinés et à l’esthétique marine, avec un goût pour l’originalité visuelle et mécanique.
Ce n’est pas pour vous si…
- Vous préférez les jeux nerveux et immédiats : ici, il faut un peu de temps pour apprivoiser les courants.
- Le hasard vous donne le mal de mer
- Vous n’aimez pas les fruits de mer
- Vous cherchez un jeu à plusieurs nageoires : Kelp est exclusivement un tête-à-tête sous-marin.
Kelp est une pépite ludique qui brille par son asymétrie poussée, son immersion réussie et la tension constante qu’il installe. Chaque partie est un duel intense entre bluff, stratégie et adaptation, magnifié par un superbe matériel. Mais une part de hasard parfois envahissante peut venir troubler les eaux de ce face-à-face captivant.
Kelp, on nage dans le bonheur mais on tourne parfois en rond. Un jeu qui vous prend aux tripes comme un tentacule de poulpe géant, mais attention à ne pas vous laisser happer par les courants contraires du hasard !

Très bon !
- Date de sortie : Mars 2025
- Langue : Française
- Assemblé en : Chine
- ITHEM : 5 sur 5. Pour en savoir plus sur l’ITHEM dans les jeux de société, c’est ici.
- IGUS : 5 sur 5. Pour en savoir plus sur l’IGUS dans les jeux de société, c’est ici.
- EcoScore : E. Si vous voulez en savoir plus sur l’EcoScore dans les jeux de société, c’est ici

- Label Dé Vert : Non. Pour en savoir plus sur le label Dé Vert, c’est ici.
- Création : Carl Robinson
- Illustrations : Weberson Santiago
- Édition : Wonderbow Games
- Nombre de joueurs et joueuses : 2
- Âge conseillé : 10+
- Durée : 60-90 minutes
- Thème : Poulpe vs Requin
- Mécaniques principales :Bag-building, Deck-building, Programmation, Gestion de main, Bluff, Déduction, Mémoire. Pour en savoir plus sur les différentes mécaniques de jeux, c’est ici.
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