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Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Le déclin du jeu et son impact sur la santé mentale des enfants

🤸‍♀️️ Une recherche expose le déclin du jeu libre et de l’autonomie des enfants sur 50 ans et leur impact sur leur bien-être mental. 📉


Jeu et santé mentale

Une recherche récente menée par le Dr Peter Gray et son équipe apporte un nouvel éclairage sur le lien entre le déclin du jeu libre et la santé mentale des enfants. Cette étude, à paraître dans le numéro 260 en septembre prochain dans la revue Academic Pediatrics, examine en profondeur les données des 50 dernières années.

Les chercheurs décortiquent des études portant sur plusieurs décennies, sur des cultures, des quartiers, des contextes scolaires et extrascolaires, des styles parentaux et des conditions immédiates de contrôle et de liberté.

Au cours des dernières décennies, la liberté et les possibilités pour les enfants de s’engager dans des activités indépendantes, en particulier le jeu libre, diminue de manière régulière. Cette diminution constante du temps de jeu autonome et de l’autonomie coïncide avec une détérioration significative de la santé mentale des jeunes.

Depuis les années 1970, chaque génération a eu moins de liberté pour jouer, explorer et vagabonder sans la surveillance d’un adulte que la précédente. Alors que les enfants se rendaient autrefois à l’école à pied, seuls ou avec des amis, dès l’âge de 5 ou 6 ans, qu’ils se promenaient librement dans leur quartier et qu’ils avaient des emplois à temps partiel, comme le baby-sitting, à l’âge de 11 ou 12 ans, les jeunes d’aujourd’hui ont beaucoup moins d’autonomie en dehors des activités supervisées par les adultes.

Cet article examine les recherches récentes établissant un lien entre ce déclin du jeu libre et la dégradation de la santé mentale des enfants.

L’augmentation des troubles mentaux chez les jeunes

Comme nous l’avons vu précédemment, les dernières décennies ont été marquées par une diminution constante des possibilités pour les enfants de s’adonner à des activités autonomes, notamment le jeu libre. Or, cette réduction des opportunités d’indépendance chez les jeunes a coïncidé avec une hausse alarmante des troubles psychologiques dans cette population.

Les taux de dépression, d’anxiété et de suicide chez les enfants et adolescents ont en effet explosé au cours de la même période. Selon les recherches du Dr Peter Gray et de ses collègues, les diagnostics de dépression et d’anxiété ont été multipliés par cinq à huit depuis les années 1950. Les taux de suicide chez les moins de 15 ans ont triplé entre les années 1950 et 2005, et ont de nouveau doublé depuis 2005. Aujourd’hui, le suicide est devenu la deuxième cause de mortalité chez les 10-15 ans.

L’importance du jeu et de l’autonomie pour la santé mentale des enfants

Comme nous venons de le voir, le déclin des activités autonomes chez les enfants au cours des dernières décennies s’est accompagné d’une augmentation considérable des troubles psychologiques dans cette tranche d’âge. De nombreuses recherches se sont penchées sur les raisons profondes de ce phénomène alarmant.

Ces études montrent que le manque d’opportunités de jeu libre et d’activités indépendantes nuit gravement à la santé mentale des enfants, à la fois sur le court terme et dans leur développement futur. Le jeu autonome est non seulement une source directe de bien-être et de satisfaction, mais permet aussi d’acquérir des compétences psychologiques essentielles.

Les données indiquent que plus les enfants ont la possibilité de diriger leurs propres jeux et activités, plus leur santé mentale est renforcée. À l’inverse, les priver d’autonomie et de jeu spontané peut engendrer anxiété, dépression et difficultés relationnelles.

Conséquences de la limitation de l’autonomie

Les activités indépendantes contribuent à développer des compétences telles que les fonctions exécutives, la résilience, la confiance en soi et les compétences sociales. Elles répondent également à des besoins psychologiques importants tels que l’autonomie, la compétence et le sentiment d’appartenance.

Des études rétrospectives montrent que les adultes qui se souviennent d’avoir joué plus souvent pendant leur enfance font état d’une plus grande réussite et d’une plus grande satisfaction dans leur vie. S’ils n’ont pas la possibilité de résoudre des problèmes de manière autonome, les enfants sont privés des expériences de croissance dont ils ont besoin pour faire face à l’adversité à l’avenir.

Mais qu’entend-on exactement par « jeu libre » ?

Puisque l’étude se concentre sur le « jeu libre », peut-être est-ce nécessaire de s’y intéresser.

Le « jeu libre » est une forme de jeu non structurée qui permet aux participants de s’engager dans des activités ludiques sans règles prédéfinies, structures rigides ou objectifs spécifiques. Il s’agit d’un concept souvent associé à l’enfance, favorisant la créativité, l’exploration et l’apprentissage par le jeu. Le jeu libre peut prendre de nombreuses formes, comme l’imagination de scénarios, la construction de structures avec des blocs ou le dessin, pour n’en nommer que quelques-uns. L’idée principale est que l’enfant ou le participant décide lui-même de ce qu’il veut faire, comment il veut le faire, et qu’il puisse changer d’avis à tout moment.

La principale différence entre le jeu libre et les jeux vidéo réside dans la structure et les objectifs. Les jeux vidéo sont généralement très structurés, avec des règles spécifiques à suivre, des objectifs à atteindre et des résultats définis à accomplir. Bien que de nombreux jeux vidéo encouragent également la créativité et l’exploration, ils le font dans un cadre plus délimité. Les jeux vidéo offrent une forme de divertissement plus passive, où les participants interagissent avec un monde et une histoire préfabriqués.

Les jeux de société, quant à eux, sont également structurés et ont des règles claires qui guident le gameplay. Les joueurs et joueuses doivent souvent suivre une stratégie ou un plan pour gagner, ce qui peut nécessiter de la réflexion et de la planification. Bien que les jeux de société favorisent l’interaction sociale, ils offrent moins de place à l’imagination libre et à la créativité que le jeu libre. De plus, alors que les jeux de société et les jeux vidéo ont généralement un objectif de victoire, le jeu libre est davantage axé sur le processus de jeu lui-même, et non sur un objectif d’arrivée spécifique.

Le jeu libre se distingue par son caractère ouvert, flexible et centré sur le processus, qui encourage la créativité et l’auto-direction.

👉 À lire également : À Genève, l’école joue le jeu.

Défis de la société moderne

La société moderne a placé les enfants dans un cercle vicieux, limitant leur autonomie dans le monde réel tout en les exposant à des contenus et des expériences inappropriés en ligne. Les enfants ont besoin de plus (et non de moins) d’occasions de diriger leurs propres jeux et activités dans des limites raisonnables. Leur santé mentale en dépend.

La société moderne impose de nombreuses contraintes qui limitent l’autonomie des enfants et restreignent leurs opportunités de jeu libre.

Tout d’abord, l’urbanisation croissante et la diminution des espaces verts entraînent un manque d’endroits où les enfants peuvent jouer librement à l’extérieur et interagir entre eux.

De plus, la peur obsessive des dangers (enlèvements, accidents, etc.) pousse les parents à exercer une surveillance constante sur leurs enfants plutôt que de leur laisser une autonomie raisonnable.

Par ailleurs, les enfants passent beaucoup plus de temps à l’école qu’auparavant, avec des journées et des devoirs chargés, ce qui réduit le temps disponible pour des activités récréatives librement choisies.

En outre, les activités extrascolaires sont de plus en plus structurées et encadrées par des adultes, laissant peu de place à l’improvisation et à l’apprentissage autonome.

Les enfants d’intérieur : Un remède pour les parents anxieux

Ce phénomène des « enfants d’intérieur » qui passent le plus clair de leur temps dans des activités sédentaires est une autre manifestation des changements sociaux qui limitent le jeu libre.

De plus en plus de parents, obsédés par des dangers potentiels extérieurs souvent exagérés, préfèrent garder leurs enfants à l’intérieur. Combinez cela avec l’attrait des nouvelles technologies, et les enfants jouent et interagissent davantage en ligne qu’en personne.

Or, divers spécialistes soulignent les risques de cette tendance : manque d’exercice physique, de lien avec la nature, d’interactions sociales réelles. Surtout, elle réduit les opportunités d’apprentissage actif par le jeu libre et autonome.

Il est donc essentiel de trouver un juste équilibre, en permettant aux enfants de profiter des avantages du monde numérique tout en maintenant des plages de jeu créatif en plein air. Les parents doivent veiller à ce que leurs craintes ne privent pas totalement leurs enfants des joies de l’autonomie.

Enfin, les technologies comme internet et les smartphones, tout en donnant l’illusion de liberté, encadrent en réalité de façon insidieuse les centres d’intérêt et les interactions sociales des enfants.

Ces différents aspects de notre société moderne, qui évolue rapidement, contraignent l’autonomie des enfants et impactent négativement leur développement psychologique et émotionnel.

S’attaquer à cette crise de la privation de jeu nécessite un changement de mentalité de la part de la société. Les parents, les éducateurs et les décideurs politiques doivent trouver des moyens créatifs de faire renaître les joies et les bienfaits du jeu à l’ancienne sur le plan du développement.

Conclusion : Jouer, librement

Comme nous l’avons vu, de nombreuses études convergent pour démontrer que les possibilités d’activités autonomes pour les enfants, notamment de jeu libre, ont considérablement diminué au cours des dernières décennies. En parallèle, on observe une détérioration de la santé mentale des jeunes générations, avec une hausse continuelle des diagnostics d’anxiété, de dépression et des taux de suicide depuis 50 ans.

Les recherches examinées montrent que le jeu libre et l’autonomie sont cruciaux pour le bien-être immédiat et le développement à long terme des enfants. A contrario, le manque d’indépendance et d’opportunités de jeu spontané nuit à leur équilibre psychologique.

Au vu de ces différents constats, il apparaît clairement que la raréfaction des possibilités d’activités autonomes, dont le jeu libre, porte préjudice au bien-être des enfants. Le phénomène croissant des « enfants d’intérieur », captivés par les écrans, est une manifestation supplémentaire de cette tendance.

Pour le développement sain des nouvelles générations, il est crucial de leur redonner les opportunités d’apprendre et d’interagir par un jeu libre et spontané. Cela nécessite un changement de mentalité à tous les niveaux de la société.

Les parents gagneraient à réévaluer certaines de leurs craintes exagérées concernant les dangers encourus par leurs enfants, et à leur laisser davantage de liberté pour jouer seuls ou avec des amis, explorer leur voisinage et résoudre des problèmes par eux-mêmes.

Les éducateurs, tels les parents, pourraient réduire la surcharge des enfants d’activités structurées et leur ménager des plages de temps libre pour qu’ils puissent jouer spontanément et donner libre cours à leur créativité.

Les décideurs politiques doivent prendre conscience des effets désastreux d’une société qui infantilise les… enfants (oui, phrase étrange, je vous l’accorde). Ils doivent agir pour créer dans nos villes et quartiers des espaces publics sûrs et des infrastructures favorisant le jeu autonome et les interactions sociales des enfants.

Chaque jour qui passe prive nos enfants des expériences cruciales dont ils ont besoin urgemment. Agissons dès maintenant pour leur redonner leur liberté de… jouer !

La recherche au complet est disponible ici :

Questions et pistes de réflexions supplémentaires

📱 Le rôle des médias numériques : Si Haidt et Gray s’accordent sur l’importance du jeu libre, ils ne sont pas d’accord sur le rôle des smartphones et des médias sociaux dans la crise de santé mentale des adolescents. Comment ces plateformes numériques peuvent-elles contribuer au problème et que peut-on faire pour atténuer leur impact ?

🛡️ L’équilibre entre liberté et sécurité : Dans nos efforts pour assurer la sécurité des enfants, sommes-nous allés trop loin dans la restriction de leur liberté ? Comment trouver un équilibre entre la protection des enfants et l’autonomie dont ils ont besoin pour se développer sainement ?

👨‍👩‍👦 Changement politique et sociétal : Quels changements peuvent être apportés au niveau politique et sociétal pour réintroduire le jeu libre et l’indépendance dans la vie des enfants ? Comment les écoles, les parents et les communautés peuvent-ils travailler ensemble pour résoudre ce problème ?

Annexe : Aperçu des études examinées

Voici quelques-unes des études examinées dans la recherche :

  1. Des études d’observation en milieu naturel documentant l’effet inhibiteur de la présence d’un adulte sur le jeu des enfants.
  2. Une étude comparant la santé mentale des élèves pendant l’année scolaire à celle des élèves pendant les vacances d’été.
  3. Une revue systématique des études qui ont examiné la relation entre un style parental contrôlant et surprotecteur et les mesures de l’anxiété et de la dépression chez les enfants.
  4. Une étude montrant que les déplacements actifs vers l’école (marche, vélo ou trottinette) étaient positivement corrélés avec une mesure du bien-être psychologique chez les enfants de l’école primaire.
  5. Recherche sur le concept de locus de contrôle interne ou externe (LOC).

Épilogue : Points clés de la recherche

Voici les points clés de la recherche :

  1. Les possibilités d’activités indépendantes offertes aux enfants, y compris les jeux, les déplacements et les activités sans la supervision directe d’un adulte, ont considérablement diminué au cours des dernières décennies.
  2. Ce déclin de l’activité indépendante s’est accompagné d’un déclin du bien-être mental des enfants, avec une augmentation constante des taux d’anxiété, de dépression et de suicide chez les jeunes au cours des cinq ou six dernières décennies.
  3. L’activité autonome, en particulier le jeu, a un impact direct sur le bien-être mental des enfants et est une source directe de satisfaction et de bonheur.
  4. L’activité autonome contribue également à l’acquisition de compétences mentales et d’attitudes qui favorisent le bien-être futur, comme le concept de locus de contrôle interne par rapport au locus de contrôle externe (LOC).
  5. Les données disponibles suggèrent que l’augmentation des possibilités d’activité indépendante pour les enfants pourrait être un moyen important d’améliorer leur santé mentale et leur résilience.

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Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


En tant que parent, quelles mesures prenez-vous ou pourriez-vous prendre pour redonner plus de liberté et d’espace de jeu autonome à vos enfants ?

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2 Comments

  • Association des Ludothèques Françaises

    Bonjour,
    Merci beaucoup pour cet article !
    Petite précision concernant la notion de « jeu libre » : l’expression « free play » ne désigne pas tout à fait la même chose dans les pays anglo-saxons que ce qui est entendu en France et Europe du sud par « jeu libre » (même si pour nous c’est un pléonasme et qu’il faudrait au contraire s’interroger sur la nature réelle des activités non-libres présentées comme des jeux).
    La définition que vous donnez, qui correspond au « free play », se rapporte en effet à la pratique de jeux peu structurés en autonomie, alors que ce que « notre » jeu libre met plus l’accent sur le fait que jouer relève de la décision et de l’initiative du joueur (et il peut très bien s’agir d’un jeu très structuré). Cette vision se rapproche plutôt de la notion anglo-saxonne de « child-driven activity » (sauf que nous ne nous adressons pas qu’aux enfants !)

    • Gus

      Cher(e) lecteur(trice),

      Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier chaleureusement pour votre lecture attentive et vos remarques éclairées. Nous apprécions grandement l’expertise et la précision que vous apportez à notre discussion sur la notion de « jeu libre ».

      La distinction que vous établissez entre le « free play » anglo-saxon et le « jeu libre » tel qu’il est entendu en France et en Europe du Sud est tout à fait pertinente et enrichit notre compréhension de ce sujet complexe. Il est vrai que ces nuances linguistiques et culturelles peuvent parfois prêter à confusion et votre clarification est donc très bienvenue.

      Nous comprenons désormais que le « jeu libre » que nous évoquons est plus proche de la notion anglo-saxonne de « child-driven activity », mettant l’accent sur la décision et l’initiative du joueur, et nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait part de cette précision.

      Nous tenons à nous assurer que notre contenu est précis et adapté au contexte culturel de nos lectrices et lecteurs, et des commentaires comme le vôtre nous aident grandement dans cette démarche. Nous prendrons en compte votre remarque dans nos futurs articles et travaillerons à affiner notre usage de ces termes.

      Encore une fois, un grand merci pour votre contribution précieuse à notre communauté. Nous avons hâte de lire d’autres réflexions de votre part sur nos futurs articles.

      Et en passant, je vous invite à lire cet article sur les ludothèques qui pourra certainement vous intéresser 😉 https://gusandco.net/2021/08/31/ludotheques-jeux-decouverte/

      Cordialement,

      Gus&Co

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