Jeux de rôle

OGL 1.1. Le gros fumble ?

Depuis une semaine, une grosse polémique autour de l’OGL du jeu de rôle Donjons et Dragons enflamme la toile. Retour sur la polémique.


OGL. Cékoissa ?

Il y a déjà près d’une semaine que les milieux rôlistes s’affolent à la suite de la fuite d’un document de Wizard of the Coast (WotC – détenteurs de Donjons & Dragons). Ce document brûlant est la version 1.1 de l’Open Gaming License.

L’Open Gaming Licence (OGL) est un document publié en 2000 par WotC en version 1.0a afin de permettre aux fans et éditeurs tiers de créer, publier et vendre du contenu pour Donjons et Dragons (D&D). Les exigences de cette licence sont assez larges et ont permis la création de centaines de produits pour D&D. Cela va du jeu de rôle complet (Pathfinder) aux mondes (Midgard) en passant par des campagnes très étoffées ou même des adaptations d’œuvres existantes (Aventure en Terre du Milieu pour 5e édition).

Cette licence est sortie conjointement avec le System Reference Document (SRD) qui détaillait les règles de base de D&D que toute publication devait respecter dans le cadre de l’OGL (caractéristiques, sorts, classes, archétypes, etc.).

Cette OGL 1.0a véritablement reboosté l’attrait de D&D en offrant une immense diversité de contenus tout en gardant un socle de règles communes.

L’engouement pour la 5e édition de D&D n’a pas démenti cette profusion de produits tiers.

OGL 1.1. Passion & Pognon

Wizards of the Coast a envoyé en début d’année une version 1.1 de l’OGL censée remplacer la 1.0a. Cette version était un brouillon aux dires de WotC et a fuité assez rapidement.

Je vais mettre cette partie au passé, car WotC a publié une réponse officielle ce vendredi 13 janvier (bizarre comme choix de date).

Pour remettre les choses dans leur contexte, depuis 1999, WotC appartient à Hasbro. Dernièrement, le CEO d’Hasbro Chris Cocks et la CEO de Wizards of the Coast Cynthia Williams ont annoncé que D&D était «sous-monétisé». Ils pensaient pouvoir appliquer à D&D les mêmes règles que dans le jeu vidéo, vous proposant du contenu payant à tout-va, jusqu’à vous faire payer la couleur des dés virtuels que vous pourriez utiliser lors de vos parties en ligne !

Cette nouvelle version faisait près de 9 000 mots contre 900 pour la 1.0a. On sentait clairement l’influence du multi-classage Avocat-Directeur financier en vogue chez WotC.

Les points choquants étaient les suivants :

  • WotC pouvait récupérer vos créations et les vendre sans vous devoir quoi que ce soit.
  • La version 1.1 de l’OGL remplaçait la version 1.0a avec effet rétroactif.
  • Vous deviez verser 25 % de royalties à WotC dès 750 000 USD de revenu.
  • Même en-dessous de 750 000 USD, vous étiez tenus de déclarer vos revenus à WotC.
  • WotC pouvait supprimer votre gamme de produit avec 30 jours de préavis et même les vendre à votre place !

Inutile de dire que cette nouvelle a fait grand bruit et que WotC s’est attiré les foudres de quasiment toute la communauté du jeu de rôle. Il vous suffira de taper OGL 1.1 sur un moteur de recherche pour vous rendre compte de l’étendue de la vague d’indignation et de crainte que cette nouvelle a suscité.

Je pense que WotC n’avait pas mesuré le fait que le jeu de rôle est avant toute chose une affaire de passion et d’imagination plutôt qu’une simple source de revenus.

Que WotC veuille instaurer un système de royalties n’est pas choquant en soi. Encore peut-on se demander pourquoi après plus de 20ans ? Mais la façon dont cela est fait est abrupte et sans aucun respect pour la propriété intellectuelle. Sauf la leur.

C’est pourquoi les éditeurs les plus importants de contenu pour la 5e édition de D&D ont assez vite pris position avant même la publication de la version officielle de la nouvelle OGL.

Certains ont purement et simplement annoncé la fin de leur gamme de produits pour D&D. D’autres, la fronde, ralliés sous la bannière de Kobold Edition, dont Paizo de Path/StarFinder ou Chaosium de Cthulhu, annoncent vouloir partager un nouveau système de jeu baptisé ORC, pour Open RPG Creative License.

« The ORC will not be owned by Paizo, nor will it be owned by any company who makes money publishing RPGs »

« L’ORC n’appartiendra pas à Paizo, ni à aucune entreprise qui gagne de l’argent en publiant des JDR »

Paizo

Rétropédalage de WotC

WotC a finalement dû se résoudre à répondre officiellement face à la vague énorme de protestation et ses effets concrets (pétitions en ligne avec plus de 500 000 signatures, annulation de comptes en masse sur DnDbeyond, la plateforme d’outils en ligne pour D&D).

👉 Voici un lien vers leur réponse officielle (via la plateforme dndbeyond) :

Pour résumer, c’est une espèce de… mea culpa en demi-teinte. Les deux principales raisons de cette nouvelle version de l’OGL était de prévenir la publication de contenu haineux ou discriminatoire, mais aussi de se protéger contre l’utilisation de D&D dans le web3, les blockchain games ou les NFTs.

C’est un peu un écran de fumée, sachant que la publication de contenu discriminatoire se limite à quelques cas qui aussitôt subissent les foudres de la communauté rôliste. Concernant les utilisations dans des blockchain games ou du NFT, je n’en ai encore jamais entendu parler.

Quand bien même, cela n’explique pas l’abandon total des droits au profit de WotC sur n’importe quel contenu couvert par l’OGL 1.1.

Ils admettent quand même avoir fait une erreur «However, it’s clear from the reaction that we rolled a 1». « Au vu des réactions, on a lancé un 1 » (=> un échec critique, un fumble, dans Donjons et Dragons).

Mais ils ne lâchent pas l’affaire et affirme quand même vouloir publier une version 2.0 de l’OGL. Ils abandonnent toutefois la notion de rétroactivité de la nouvelle version.

Dans le prochain épisode

Je pense que malgré cette réponse, le dégât d’image est énorme et que la fronde qui est née de cette révolution n’est pas près de se calmer.

C’est dommage qu’une activité de pure création et stimulant l’imagination se retrouve affectée par une histoire de… gros sous. Non pas que je sois contre le fait que WotC veuille garder le contrôle de D&D. Après tout, ils en sont propriétaires.

En revanche, ils auraient plutôt dû engager davantage de créateurs que… d’avocats et de financiers. En effet, s’il n’avait fallu compter que sur la production de contenu D&D de WotC, je ne suis pas persuadé que le succès de la 5e édition aurait perduré. Une leçon à retenir pour Wizard of the «Coast».

L’aspect positif est de constater que beaucoup de producteurs de contenu de jeu de rôle sont encore dirigé par des passionnés. La création d’un nouveau système de jeu libre va peut-être apporter du sang neuf, qui sait ?

Pour le vieux rôliste que je suis, qui ai débuté sa carrière avec la boîte de base de D&D, c’est quand même un peu dur de constater que même un jeu d’imagination peut se faire rattraper par notre triste réalité, commerciale.

Les prochaines semaines risquent d’être riches en rebondissement. J’espère que cela ne signe pas la fin de D&D car honnêtement, la version 5 du grand ancien m’a fait retomber en enfance, et il n’y rien de mieux pour la santé et l’imagination.


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Article écrit par Linus le virus. Rôliste acharné depuis 40 ans (il a commencé avec la boîte rouge de D&D mais aussi Tunnels & Trolls. Ses autres passions sont : les jeux de plateau, la lecture et la cuisine.)


Avez-vous suivi toute cette polémique qui a enflammé la toile cette semaine ? Vous en avez pensé quoi ? Et de sa « résolution » ?

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7 Comments

  • Barbe Rouille

    merci pour ces explications. Je n’avais pas tout a fait compris ce qui se passait. J’ai vu passer sur Twitter un message de Critical Role qui n’avait pas l’air content de la situation.

    Etant novice dans le JDR, je regarde pas mal GoR afin de m’y familiariser.

    Bonne journée

  • SgtPerry

    Un très bon résumé. Cette affaire a donné un sacré coup de pied dans la fourmilière du monde du JdR partout dans le monde. Suivre cette affaire via les différents live qui ont eu lieu était assez intense.

    Je me suis retrouvé un peu sonné sur le coup. Depuis que j’ai repris le #JdR assidument en 2015, grâce à #DnD5, j’ai joué également du D6 (ZCorps), du CO (Contemporain / Bitume), MYZ (ALIEN), du BASIC (AdC), du FU amélioré (Wastburg), du CyberpunkRed, du ONE% (Vietnam), du Shadowrun, du ARIA et j’ai étudié Medium Aevum, Lex Occultum, etc.
    Je n’étais donc pas en manque de systèmes et quand certaines personnes (qui n’aiment probablement n’aiment pas D&D) disaient que cette nouvelle #OGL allait booster la création, moi dans le même temps je tirais un peu la tronche…
    En effet aujourd’hui ma pratique du #JdR est à 95% en distanciel avec des #vttrpg qui dépendent eux, pour leur fréquentation et leur viabilité financière (soyons clairs) aux 2/3 de D&D (et de systèmes liés à l’OGL1.0a).
    Si cette nouvelle #OGL leur enlevait les revenus liés à D&D (et assimilés), ils risquaient tout simplement de disparaître. Ma pratique de tous les autres systèmes que je pratique actuellement allait s’évaporer et celle des probables nouveaux systèmes émergents était fortement compromise.
    Quand à D&D Beyond, le côté « virtuel », micro transactions and Co, donne au dinosaure que je suis des sueurs froides, ces MegaCorpo ne veulent pas le bonheur des rôlistes juste leur argent et pendant longtemps. Il est loin le temps d’une boite, de dés bizarres, de papiers et de crayons. C’est l’avenir? Non, il est dans vos têtes l’avenir.

    The Future is Unwritten (JS)

  • SgtPerry

    Petit complément sur la question de l’article ! « Encore peut-on se demander pourquoi après plus de 20ans ? »
    Avec l’arrivée d’une nouvelle CEO chez Hasbro en février 2022 (venant de Microsoft), il semblerait que la société a réalisé que c’était les Sorcières de la Côte qui réalisaient le plus gros chiffre d’affaires. Ils ont commencé par s’attaquer à Magic The Gathering (avec un succès mitigé), la suite logique c’était D&D.
    Quand on lit l’inquiétude des joueurs/joueuses de Magic sur les changements annoncés pour le mois de mars, on peut que s’imaginer le pire à l’avenir.

  • Cyril

    Comme d’autres l’ont dit, c’est un excellent résumé de la situation. Cela dit, il faut aussi tenir compte de la toile de fond que constitue « One D&D », à savoir la prochaine édition du jeu, dont le playtest public a commencé. Cette édition se profile nettement plus numérique que ses prédécesseurs, et fait la part belle au jeu en ligne, via logiciels Vitual TableTop (VTT), comme Roll20, Foundry, etc., dont l’avènement a été couronné par l’ère COVID, centrée sur le jeu à distance. L’édition actuelle de D&D fait déjà passablement appel au numérique, avec D&D Beyond, dont une petite partie est gratuite (le contenu SRD5, à savoir le Guide du Joueur), et une partie importante cloisonnée derrière une souscription, payante donc. Ce dont on se rend compte, c’est que si nous jouons à nouveau en présentiel, la part des parties numériques a explosé. C’est ce marché-là qui fait saliver les exécutifs de WotC/Hasbro.

    Mais ça ne s’arrête pas là. Une fuite plus récente (16 janvier – https://www.thegamer.com/d-d-beyond-hasbr-wotc-price-hike-leak/) indique que WotC considérerait non seulement une souscription à $30 par mois au niveau le plus haut (contre 6 dollars actuellement pour les Dungeon Masters), mais aussi une exclusion du matériel homebrew, ainsi que des DM virtuels gérés par une Intelligence Artificielle. Bienvenue dans le XXIème siècle, où le consommateur fait office de vache à lait.

    Vous me direz peut-être, « on s’en fiche, on a les bouquins et on joue autour d’une table ensemble, pas besoin du numérique ». C’est peut-être vrai pour la 5e édition, qui j’en suis sûr a encore quelques belles années devant elles, mais si on regarde l’évolution de D&D et des diverses éditions qui se sont succédées, nous constatons que nous autres joueurs sommes constamment à la recherche de nouveauté, du « précieux » juste sorti des presses, même si les anciennes éditions fonctionnaient très bien pour nous. Et ce n’est pas le monde du jeu de plateau qui va me contredire. Chercher la nouveauté à expérimenter, c’est humain, mais c’est aussi lié à notre comportement de consommateurs. Donc le jour où aucun nouveau contenu ne sortira pour D&D 5E, nous irons tout naturellement chercher la suite… ou chercher ailleurs.

    Le vrai problème pour moi se situe au niveau de l’impact sur les acteurs satellitaires de D&D. Ceux-ci étaient venus à faire des choix de vie importants, impliquant eux-mêmes et leurs familles, soutenu par la belle promesse d’une sécurité liée à leur liberté créative. En effet, l’OGL 1.0a de 2000 promettait une licence perpétuelle, mondiale, libre de royalties, et non-exclusive. (https://opengamingfoundation.org/ogl.html, article 4). Fi de cela, WotC souhaite la révoquer et mettre ainsi en péril le gagne-pain de nombreux écrivains, producteurs de contenu, et autres acteurs satellites de D&D, qui se sont largement investi pour faire vivre ce jeu et sa magnifique diversité. A titre d’exemple, les producteurs de contenu Dungeon Dudes ont produit deux suppléments en financement participatif, ayant généré respectivement $1,279,240 et $1,025,330, fonds qui serviront très largement à financer la production de ces ouvrages. Si le premier Kickstarter a été livré, le second est maintenu dans l’incertitude, les auteurs ne sachant pas s’ils pourront le sortir, et ce que WotC va leur réclamer en royalties. Et ce n’est pas un cas isolé. On évoquera encore le cas du YouTubeur Treantmonk, qui a lâché son métier pour vivre de ses vidéos à la popularité croissante sur D&D5, choix viable à l’origine en raison du volume de spectateurs liés à D&D5. Au jour d’aujourd’hui, les actions de WotC/Hasbro et leurs conséquences (le départ de nombreux joueurs pour d’autres systèmes comme Pathfinder 2e) mettent en danger son activité. Même s’il venait à créer des vidéos sur d’autres systèmes, cela ne lui permettrait pas d’en vivre. Dur.

    En revanche, ce retour de flamme gigantesque esquisse un futur du JdR plus diversifié, en raison du très grand nombre de fans se tournant vers les diverses alternatives que propose le jeu de rôle aujourd’hui. Et cela, on peut s’en réjouir.

  • phil

    Un effet rétroactif d’une update de licence ?
    Une fois le produit sous licence acquis, c’est sous cette version de la licence, à moins que la licence ne stipule explicitement l’update à postériori.
    C’est trop facile, je vais aller de ce pas faire l’update avec effet rétroactif de l’acte de vente de ma maison, vendue il y a 5 ans… 😂

    Ils nous refont le coup de SCO face à Novell, dites donc…

  • Lame

    Une licence à effet rétroactif qui oblige à céder ses droits d’auteur et payer une redevance. Il y a réellement un Etat où ce genre de pratique est légale. Quoi qu’il en soit, le comportement de Wizard vis à vis de l’héritage de D&D 3.5. fait de plus en plus penser au comportement de Disney vis-à-vis de l’univers de Star Wars. C’est d’autant plus navrant qu’il y avait de belles promesses derrière OneD&D, notamment au niveau de la gestion des clades. Ceci dit, il ne suffira pas de créer une nouvelle licence et un nouveau système de jeu pour remplacer D&D.

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