Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

J’m’en fous, j’aime ce jeu. Nos plaisirs coupables

Vous arrive-t-il d’avoir un soupçon de culpabilité en jouant à un jeu ? Avez-vous des plaisirs coupables en matière de jeu ?


Plaisir coupables

Est-ce qu’il vous arrive encore de jouer à la marelle ? À Puissance 4 ? À la Bataille Navale ? À la Bonne Paye ? Et d’aimer ça ? Est-ce que vous vous sentez… coupables ? Un peu de… honte, peut-être ? C’est ce qu’on appelle les plaisirs coupables.

Les plaisirs coupables, dans les jeux, dans la vie, on connaît toutes et tous ça. « Emprunter » les mini-savons et shampoings des hôtels… sans intention de les rendre. Travailler depuis votre lit. Ou, pire, faire votre visio depuis votre lit. Prendre 600 000 selfies pour en réussir un, qui fait authentique et… spontané. Manger de la nourriture directement dans le bocal ou boire une boisson depuis la bouteille, le carton. Manger un dessert, mais avant le repas. Et, j’ai gardé le meilleur pour la fin, faire la grasse mat’. Tous ces plaisirs, coupables, de la vie. Et je suis sûr que vous en connaissez, que vous en pratiquez d’autres.

Mais au fond, c’est quoi, des plaisirs coupables ? Commençons par…

Une définition

Pour commencer cash avec la définition, un plaisir coupable est une faute de goût.

En vrai, le plaisir coupable renvoie au fait qu’il y a bien un goût qui pourrait être défini. Et notre goût, tout à coup, s’en est éloigné. On se sent alors évidemment coupables. Dans un sens social plutôt.

Nous pouvons ainsi dire qu’il y a certaine forme de culpabilité. Parce que parfois, il s’agit d’un plaisir qui nous fait régresser, en quelque sorte.

En rentrant dans le monde adulte et au fil des années, on essaie de raffiner, de cultiver notre goût. Et tout d’un coup, paf ! On se retrouve à aimer des choses comme… avant. Des choses peut-être en lien avec l’enfance. Et qui ne sont pas tout à fait du niveau de ce qu’on « doit » aimer et de ce qu’on « doit » goûter, pratiquer, apprécier.

Les plaisirs coupables entraînent une régression. Mais qui provoque du plaisir. Et là, c’est le drame. L’idée du plaisir est du domaine du vécu, du ressenti. Le plaisir ne se laisse pas normer ou réguler.

Quand on parle de plaisirs coupables, on pense souvent au mauvais goût. Mais alors, mais alors, qui va décider ce qui est de bon ou de mauvais goût ? Y a-t-il une… police du goût ? Il est vrai qu’il y a une énorme partie de ce goût qui peut résulter du fruit d’une culture, d’une société.

Cela étant, nous essayons de nous définir à travers toutes les expériences sensorielles. De nous construire pour décider de ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas. De pouvoir s’expliquer avec les autres et de le partager. Nous finissons donc à être appelé, même envers soi-même, à définir ce qu’est un bon ou un mauvais goût.

Des plaisirs pas si coupables

Y aurait-il une culture légitime ?

Un plaisir coupable est quelque chose que nous aimons faire. Même si cela peut être gênant, tabou ou même honteux de l’admettre. Aux autres et à soi-même. Cela peut aller de prendre une autre part de gâteau quand vous savez que vous ne devriez pas, ou mater une comédie romantique ringarde.

Ces plaisirs, coupables, qu’on s’octroie jouent un peu le rôle de soupapes de décharge émotionnelles. On a eu une semaine difficile au boulot ? Et si ce soir on commandait un repas (trop gras, trop sucré, trop salé, trop cher. Mais tellement bon) à emporter ?

Maintenir une vie équilibrée peut nous aider à soulager le stress pendant les périodes difficiles. Et ceci passe également par s’offrir, s’abandonner à ces petits plaisirs coupables. Comme chanter (faux) à gorge déployée sous la douche ou à vélo (clairement mon cas).

L’aspect social

D’un point de vue social, les plaisirs coupables reposent sur deux aspects. D’une part, ce sont les activités, les jeux que l’on cache parce que, à tort ou à raison, on les perçoit comme socialement illégitime.  

On a beau vouloir s’affranchir des hiérarchies culturelles, dans certaines circonstances en tout cas, ces hiérarchies s’imposent à nous. Il y a des choses que l’on que l’on cache dans certaines circonstances, que l’on ne cache pas dans d’autres.

Mais au gré des différentes situations sociales ou professionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, il y a des goûts et des plaisirs que nous mettons en avant, plus ou moins bons. C’est ça, un plaisir coupable.

Mais pas seulement. Il y a peut-être un autre aspect, un peu différent, plus subtil. Les plaisirs coupables, ce sont aussi toutes les choses que l’on aime au second degré. Le second degré, c’est cette capacité de distance et d’ironie par rapport à des produits que l’on que l’on aime détester, en quelque sorte.

C’est peut-être là, le summum du mépris social et du mépris culturel. Celui de regarder avec second degré, d’aimer avec ironie des éléments, des activités, des jeux que l’on juge vulgaire et que l’on juge emblématique d’un mauvais goût. Parce que l’on sait qu’on a accès à autre chose, on peut se permettre de s’amuser avec. Cette expression de plaisirs coupables est, somme toute, très ambiguë.

Pourquoi des plaisirs coupables?

Tout d’abord, le terme «plaisir coupable» sonne un peu faux. Ce terme a tendance à être plus associé à la honte ou l’embarras plutôt qu’à la culpabilité elle-même.

Mais que nous ressentons de la culpabilité ou de l’embarras, pourquoi nous sentirions-nous mal de profiter de certaines choses, à jouer à certains jeux, mais pas d’autres? La culpabilité est adaptative. Elle nous motive à suivre les normes sociales.

Par essence, nous nous sentons mal lorsque nous enfreignons les règles. Ce qui nous empêche alors d’enfreindre les règles aussi souvent. À moins que tous les autres le fassent aussi.

Vous en avez fait l’expérience la dernière fois que vous avez roulé sur une autoroute. Si vous respectez pile poil les limitations de vitesse, mais que toutes les autres voitures roulent à 10-20km/h de plus que vous, il y a alors de fortes chances que vous accélériez un peu. Parce que « tout le monde » le fait. Parce que tout le monde s’autorise à le faire. La norme évolue, s’adapte. Même si, dans cet exemple-ci, c’est une très mauvaise idée.

En ce qui concerne les émissions de télévision, ou ce qui nous intéresse ici, les jeux de société, les normes pourraient être ce qui est socialement acceptable.

La revanche du mauvais goût

Cette attitude, admettons-le, tient un peu de la posture. Confesser sur un ton de confidence extrême, presque arrachée comme un aveu, que l’on adore tel film, telle série ou tel jeu unanimement considéré comme nul, possède, depuis quelque temps déjà, une vraie part de… fierté. Les plaisirs coupables du… nanar. En film, en livre, en série, en jeu.

Il fut un temps où l’on détestait aimer des navets, de quelque art que ce soit. On lisait le roman de gare, en le pliant pour cacher la couverture. On matait des VHS pour s’adonner entre complices au vice des séries Z.

« Andouillette, aquariums, Benny Hill, boîtes de nuit, botox, boucheries chevalines, candy crush, canopée des Halles, magasins de souvenirs, maquillage des enfants, Francky Vincent, croisières, marbriers funéraires, chaussettes blanches, papier tue-mouches, parcs d’attractions, perches à selfie, style Pompidou, patinage artistique, Saint-Valentin, salons de massages asiatiques, robe de mariée, porno-vérité, versions françaises, télé-réalité, habits pour chien, ésotérisme, musique de fond, marchés de Noël, miss France… » C’est tout le résumé de l’Encyclopédie du mauvais goût.

Aujourd’hui, le mauvais goût triomphe. Et se revendique. Il y a plaisir, certainement pas culpabilité.

Des plaisirs, vraiment coupables ?

Je me dis que ce concept de plaisirs coupables est tout à fait antinomique. Après tout, on parle bien de plaisir. Il ne devrait donc pas être coupable. Un plaisir n’est pas coupable s’il procure du plaisir.

Je prends autant de plaisir à jouer à un jeu Cocktail Games qu’à jouer à un Super Meeple. Les deux peuvent nous élever, susciter une stimulation cognitive, stratégique. Et en fin de compte, les deux nous permettent de partager du temps avec d’autres. Je(u) crée du lien, quel que soit le jeu.

On dirait qu’il y a une hiérarchie dans les plaisirs. Comme pour les chasseurs du Bouchonnois, il y a les bons chasseurs, et les mauvais chasseurs. Les bons et les mauvais plaisirs. Ceux qui nous culpabilisent, et les autres.

À se demander si on n’applique pas une certaine forme de… snobisme à quel type d’activité, quel type de jeu va nous fournir du plaisir. Les jeux d’ambiance VS les jeux de gestion. La dualité par excellence. Est-ce que les seconds seraient plus… nobles que les premiers ?

Mais ces deux jeux peuvent également nous apporter un certain réconfort, être des activités ou des jeux régressifs, qui nous permettent de traverser des moments douloureux ou difficiles. Ce plaisir ne devrait pas être coupable. S’il nous procure du plaisir, pourquoi culpabiliser ? Si jouer à ces jeux nous offre plaisir et réconfort, autant les apprécier à leur juste valeur !


Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste. Et comme joueur, surtout. Est également pilote de chasse pour l’armée américaine, top-modèle, bio-généticien spécialiste en résurrection de dinosaures, champion du monde de boxe thaï et de pâtisserie végane, inventeur de l’iPhone et mythomane.


Et vous, en matière de jeux, quels sont vos plaisirs coupables ? Racontez-nous ça, on se réjouit de vous lire !

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3 Comments

  • PMesplé

    Un vrai plaisir coupable ? Le Monopoly évidemment : aucune stratégie (ou presque) et diffusant une idéologie frelatée … mais quel plaisir ! ! !
    Il y a, a mon sens, un autre plaisir coupable : le plaisir solitaire, quand on pousse le reste des copains à faire un jeu ensemble pour pouvoir jouer seul dans son coin. C’est très coupable, non ? 😉

  • Lamant Julien

    Ces jeux ne sont des plaisirs coupables que si on en a honte… Je n’ai pas honte de jouer à ces jeux si on s’amuse. Le principal est de s’amuser ensemble (le principe même du jeu de société), si certains joueurs n’aiment pas les jeux que je leur propose, je ne leur impose pas, le monde est vaste; il y a forcément des jeux avec lesquels s’amuser ensemble. Si on vous critique ou si on se moque de vous parce que vous jouez à tel ou tel jeu, le problème vient peut être de l’étroitesse d’esprit de la personne en face.

  • raidden

    J’ai compris depuis longtemps qu’il y a des jeux pour moi et des jeux pour les autres. Partant de cela, il n’y a pas de plaisir coupable.
    Mon jeu préféré, c’est Canardages mais je ne dirais jamais non à une partie de Twilight Imperium IV.

    La honte et la culpabilité viennent du regard des autres, non de nous-mêmes. Si on en fait abstraction, il ne reste que le plaisir de jeu.

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