Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Ce n’est pas de ma faute. Ou comment le syndrome de la cour de récré nous empêche de donner le meilleur de nous-mêmes

Je m’en veux. J’ai fait une erreur. Et depuis, je m’en veux

En mai dernier, lors notre dernier Sherlock Holmes Live qui a accueilli plus de 1’400 joueurs, lors de la distribution des docs de départ, par inadvertance quelques enveloppes du samedi ont été données aux équipes du dimanche. Rien de grave, puisqu’il s’agissait de la même aventure, des mêmes docs

Ou presque

A un détail près

La fin, le rendez-vous de samedi soir n’était pas le même que celui du dimanche après-midi

Cette erreur n’a affecté qu’une poignée d’équipes, puisque l’erreur de distribution n’était pas généralisée. Quelques équipes malchanceuses

Heureusement, les joueurs disposaient d’un numéro de téléphone, d’une helpline pour demander de l’aide et recevoir la correction

Sauf que

Dimanche, certains joueurs ont quand même fait le pied de grue devant le rendez-vous de samedi. Sans personne de notre orga pour s’occuper d’eux

Une ou deux équipes ont été fâchées. Nous leur avons alors expliqué qu’ils disposaient d’une helpline et qu’ils leur avait suffi d’appeler pour connaître la bonne adresse, celle du dimanche. Pour nous excuser, nous avons été d’accord de faire un geste commercial et de leur rembourser un billet sur quatre pour avoir attendu à la fin pour rien

Mais aujourd’hui, je m’en veux

Et vous, comment auriez-vous réagi?

La meilleure réaction aurait peut-être été de leur rembourser les quatre billets. Et d’assumer notre erreur. Ils auraient pu appeler. Ils ne l’ont pas fait. Ce n’était pas leur erreur à eux, mais la nôtre à la base. Nous aurions dû assumer notre erreur. Nous aurions dû assumer notre responsabilité

Je m’en veux. De ne pas avoir assumé notre erreur, nos responsabilités

Je m’en souviendrai pour une prochaine fois

Toujours. Assumer. Ses. Responsabilités

C’est lui qui a commencé

C’est le syndrome de la cour de récré. Souvenez-vous. Dès notre plus jeune âge, nous avons appris à accuser les autres. C’est elle/lui qui a commencé. C’est sa faute à elle/lui. Pourquoi accuser l’autre? De peur des représailles des parents/autorités/prof

Prenez l’exemple du retard

Quand êtes-vous arrivé.e en retard dernièrement? Et qu’avez-vous alors dit à ceux qui vous attendaient? Que c’était la faute du métro, de la météo? Mais avez-vous seulement déjà osé révéler la vraie vérité? Que vous étiez tranquillement posé.e chez vous, peinard, pas trop pressé.e à partir au moment opportun?

L’un des membres de la Team Gus&Co (mais je ne balancerai pas 😁) est un spécialiste du retard. Il arrive toujours avec 30-45-60 minutes de retard. Et depuis que nous nous connaissons, plus de dix ans, jamais il ne s’est excusé d’arriver en retard. A chaque fois, c’est la faute des autres: sa moto a calé, trop de trafic, le tram 14 était en retard, il a reçu un appel au dernier moment, etc. Mais il n’a jamais reconnu que c’était de sa faute, qu’il était parti trop tard, qu’il n’avait pas assez prévu le trafic, etc.

Parce que c’est toujours plus facile d’accuser les autres

Parce que du coup, on ne se sent pas coupable

Parce que du coup, on n’aura pas à assumer les conséquences

Space Cowboys

Et si nous essayions de changer? Et pour une fois, d’assumer nos erreurs? Notre responsabilité. Même si parfois infime, nous avons toujours un brin de responsabilité dans les couacs qui peuvent se produire. De ne pas avoir suffisamment vérifié? De ne pas avoir suffisamment travaillé? De ne pas avoir suffisamment écouté? De ne pas avoir suffisamment communiqué?

Se pose toujours deux options: accuser les autres, les circonstances, ou assumer ses responsabilités

Comme vous avez certainement pu le lire, les Space Cowboys ont laissé passer un petit couac dans leur Unlock 2. Rien de grave en soi, mais si quand même un peu puisqu’on risque bien de sortir une carte par erreur et de perdre du temps pour rien. Et de griller un scénario sur trois

En leur annonçant ce bug, leur service comm a réagi très rapidement. Ci-joint copie de leur email. Voici ce qu’ils nous ont répondu

ils auraient pu dire que non, nous avons mal vu. Que non, ça ne changeait rien. Que non, il ne voyait pas de problème. Que c’était de notre faute. Que c’était une broutille. Que tout allait bien

Mais non

Ils ont choisi d’assumer leur responsabilité, de reconnaître leur erreur

Classe

Prof un jour, prof…

Enseignant au lycée depuis plus de vingt ans, je m’arrache souvent les cheveux que je n’ai plus lors des conseils de fin d’année quand les cas des élèves non-promus sont discutés. Très souvent, les enseignants accusent ces élèves de n’avoir pas acquis les bases. De manquer de motivation. De ne pas assez travailler. De ne pas faire leurs devoirs

Jamais/très rarement, les enseignants se remettent en question et assument une part de responsabilité

L’élève n’a pas acquis les bases? N’est-ce pas la responsabilité de l’enseignant de tout faire pour l’aider à y arriver? Quid de la motivation? Si l’élève en manque, c’est peut-être aussi parce que nos cours ne sont pas assez dynamiques?

C’est (pas) la taille qui compte

Et pourquoi préfère-t-on éviter d’assumer nos erreurs, notre responsabilité?

Parce qu’on préfère éviter les conséquences

Et surtout, parce qu’on pense qu’en avouant on se ridiculise, on perd de sa prestance

Mon père, aujourd’hui âgé de 80 ans, ne s’est jamais, jamais excusé de quoi que ce soit. Pourquoi? Parce que pour lui, s’excuser, reconnaître ses torts, c’est perdre de son pouvoir

Vraiment?

Ne serait-ce pas le contraire, en réalité?

Émotion VS Raison

Souvent, on accuse l’autre par réaction émotionnelle. La peur. La colère. Quand l’émotion prend le pas sur la raison. On ne contrôle alors plus rien. L’autre qui se plaint devient l’antagoniste. On doit s’en méfier, s’en protéger, le discréditer, le « détruire »

Vous avez déjà eu un accrochage en voiture, en scooter, à vélo? Quelle a été votre toute première réaction? Certainement d’accuser l’autre, de dire et penser que c’était de sa faute et pas de la vôtre. Mais était-ce vraiment, vraiment le cas? Est-ce que vous n’étiez pas en train de répondre à un whatsapp au volant? De mater un snap? De prendre des risques inconsidérés?

Faute avouée est à demi

Et qu’est-ce que ça change, de reconnaître sa responsabilité?

De 1

On fait preuve d’empathie, de compassion envers l’autre, celui qui se sent lésé. On cherche à le comprendre, on prouve qu’on est à l’écoute

De 2

On est prêt à se remettre en question. Pour grandir. Ce n’est pas donné à tout le monde, remarquez. Plusieurs éditeurs de jeux ne nous parlent plus parce que nous avons osé émettre quelques commentaires négatifs sur leur jeu (la #dinettegate de Conan, LOL). Alors qu’on le sait bien, les critiques positives nourrissent l’ego, les critiques négatives font avancer. Vos opposants sont souvent vos meilleurs alliés. Comme dirait Alfred, « Why do we fall? So we can learn to pick ourselves up »

Mais pour ça, encore faut-il reconnaître qu’on est « tombé ». Et ce n’est jamais facile de (se) l’avouer

De 3

La personne lésée acceptera mieux les excuses que le déni. Imaginez: vous êtes au restaurant. On vous amène votre plat. Il est froid. Vous le dites. Voici ce que le serveur vous répond:

a. Désolé, c’est de ma faute, je n’ai pas assez bien géré les commandes, j’ai laissé traîner votre plat en cuisine trop longtemps. Je vous reprends votre commande et je vous ramène le tout chaud

b. Je n’y peux rien, c’est la faute de la cuisine. Bon appétit

Et qu’importe la vérité. Ce qui compte, c’est que le serveur assume sa part de responsabilité. Car il en a une, même infime. C’est lui qui vous sert. C’est lui qui doit vérifier ce genre de choses, même si au final ce n’est pas de  sa faute

Quelle réaction préférez-vous? Quelle émotion l’une ou l’autre réponse suscite en vous? Si vous deviez ensuite laisser un commentaire sur Google/Tripadvisor, quelle note donneriez-vous au restaurant après votre repas? Avec la b, vous risquerez d’être énervé.e.s et de laisser un sale rating. Avec la a, vous pourriez excuser le serveur et adoucir votre notation

Un client déçu, c’est un client perdu

SAV et Kickstarter et jeux de plateau

Plus besoin de présenter le crowdfunding. C’est devenu une pratique plus que courante dans le marché du jeu de plateau. Comme les retards endémiques de livraison. Si aujourd’hui le jeu financé n’a « que » six mois de retard, c’est moins que le retard prévu…

Prenez tous les financements participatifs/précommandes participatives actuelles en cours et pas encore livrées. Combien d’entre elles sont en retard? Et surtout, comment est-ce que les éditeurs communiquent là-dessus? C’est ça qui est intéressant, leur comm, pas les raisons du retard

Entre soucis de prod, de livraison, souvent par cargo depuis la Chine, et de logistique, les jeux financés sur Kickstarter et consœurs sortent souvent bien plus tard que ce qui était annoncé lors du financement

Ça arrive

Une fatalité. Une réalité

Ça fait partie du risque que l’on prend quand on passe par ces plateformes et qu’on n’attend pas la sortie en boutique

Mais c’est énervant

Ce qui est encore plus énervant, et c’est souvent le cas, c’est quand l’éditeur communique peu, ou mal. Mal, en disant que tout va bien, le jeu va bientôt sortir (et 1d3 années plus tard, le jeu n’est toujours pas sorti…). Mal, en disant que ce n’est pas de sa faute, qu’il est désolé

Mais selon moi, c’est toujours de la faute de l’éditeur

Parce qu’il n’a pas assez suivi, contrôlé ou communiqué. Et comme au restaurant, qu’importe la vérité. L’éditeur s’engage à livrer et vendre un produit, il en est responsable

Et vous, quand est-ce que vous avez été déçu de la réaction d’un éditeur? Pourquoi?

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4 Comments

  • Chrys

    Hors domaine du jeu, je viens d’avoir un petit différent avec une relation épistolaire.
    La personne en face de moi pensait qu’elle avait raison alors qu’elle avait tort,
    je lui ai expliqué les arguments à 3 reprises
    et au bout de cette 3ème fois, j’ai commencé à m’énerver
    car ça me donnait vraiment l’impression de qqn qui avait tort mais qui souhaitait qu’on lui dise qu’il a raison,
    en fait, sa défense était de dire « non, je ne souhaite pas ça mais je donnais simplement mon point de vue ».
    Du coup, je lui ai dit que j’étais désolé pour mes écarts de langage et j’ai essayé d’expliquer mon point de vue :
    par le fait qu’il dise toujours la même chose alors que c’est faux et qu’on lui donne la vérité,
    ça donne l’impression qu’il met de la mauvaise volonté
    (et donc c’est crispant).
    Je te dirai, si tu veux, si mes excuses ont été acceptées ou non.

  • Sylvain Jean Jo

    De l’acceptation de ses erreurs, kickstarter est un bon exemple, partage de ma petite expérience :

    J’ai a ma gauche le jeu « The 7th continent », plus d’un an de retard, le suivi de la part de l’éditeur est régulier, une explication détaillée des raisons de ce retard, avec finalement un engouement général et ce sentiment d’attente exacerbé.

    A ma droite le jeu « Sbires », un mois d’attente, peu voir pas de communication/explications, des écarts (selon eux des choix) quand au produit final (vs produit prévu lors de la campagne), une section commentaire qui n’a de cesse de s’agiter, des remboursements et une (probable) remise en question (de la part du public hein, faut pas trop demander) de leur crédibilité quand à leur futur(s) (projets).

    Une des finalités est, je pense, le long terme, les fameuses « retombées » et face à cela, nous aurons malheureusement toujours des personnes qui en feront fi, et non pas que par mécanisme de défense, mais je pense aussi par appât du gain.
    Reconnaître ses erreurs est avant tout un acte altruiste, et je pense que cette valeur est assez bien portée par le « monde » du jeu de société. Vous en êtes (très cher), toujours un bon exemple.

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