Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Les métiers du jeu de société. Le chargé de projet

ProjectManager-Mdina

De l’auteur au distributeur, en passant par l’éditeur, l’agent, le fabricant, nous avons présenté hier tous les métiers du jeu de société.

Nous avons décidé de nous intéresser de manière plus précise à l’éditeur, et à tous les corps de métier spécifiques qui le composent. Et il y en a un paquet:

Le patron

Le chargé de communication et / ou le community-manager

Le développeur

Le responsable des événements

Le chargé de projet

Ces prochains jours, nous sommes extrêmement heureux de pouvoir partager avec vous les interviews de plusieurs éditeurs connus pour qu’ils nous racontent leur quotidien, leurs défis, leurs missions.

Le chargé de projet

Et nous commençons aujourd’hui avec deux chargés de projet, Simon le Minor, chez Blue Orange, et Amaury, chez Morning Family. Un grand MERCI à eux pour leur participation.

Simon

Bonjour Simon, vous êtes chargé de projet au sein de Blue Orange, une maison d’édition de jeux de société (Dr Eureka, New York 1901). Quelles sont vos missions?

La mission d’un chef de projet dans notre secteur est double : trouver les meilleurs jeux, en fonction de notre ligne éditoriale, et les développer en vue d’une édition « parfaite ».

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir chargé de projet?

Ça a toujours été mon ambition de travailler au plus proche des auteurs et de la création, de participer au processus d’édition et de voir passer un prototype de l’état « conceptuel » à l’état édité et distribué.

D’autant que Blue Orange Edition est actuellement à mon sens la société qui a vraiment le vent en poupe, avec une ligne éditoriale claire, je pense que la société a tout ce qu’il faut pour devenir l’un des premiers voir le premier ÉDITEUR au monde (rires). J’insiste sur le mot éditeur, je ne parle pas du tout de distribution.

dr-eureka

Quelles sont les compétences nécessaires pour être un (bon) chargé de projet pour une maison d’édition de jeux de société?

Question piège (rires). Je dirais qu’avoir deux jambes et deux bras, avec une tête bien remplie au-dessus est déjà un bon début…

Le sens critique, la remise en question, la curiosité, l’organisation, et le sens de l’humour… Et une touche de diplomatie, avec une pincée d’auto-dérision… Une liste de qualité dont je manque cruellement (rires)

Quelles sont les plus grandes difficultés, les plus grands défis que vous avez à relever comme chargé de projet?

Le plus gros défi est quotidien : c’est celui d’être au courant, et de comprendre le marché qui évolue sans cesse, les tendances, les attentes du public, celles de nos distributeurs…

Le défi journalier est de parvenir à conserver notre ligne éditoriale, jeux intelligents, originaux, de très bonne qualité, tout en évoluant perpétuellement en restant à l’écoute du marché.

new york

Sur quel projet travaillez-vous actuellement?

No comment, c’est de l’ordre du top secret (rires), mais je peux affirmer que ce sera vraiment très bon.

Comment est-ce que le métier de chargé de projet a évolué en quelques mois, années?

Je pense manquer d’expérience et d’ancienneté dans le secteur pour donner une réponse sensée sur ce point. Je fais confiance à mes aînés dans le domaine pour fournir une analyse plus pertinente.

Merci pour vos réponses Simon.

Photo Amaury

Bonjour Amaury, vous êtes chargé de projet chez Morning Group, une maison d’édition de jeux de société (Euphoria, Viticulture). Quelles sont vos missions?

Ma principale mission est de faire en sorte que tout se passe bien autour du jeu dont je m’occupe. C’est très vaste et ça ne veut pas dire grand chose, mais l’idée est que je suis responsable du jeu, depuis l’élaboration des règles jusqu’au moment où il sera disponible en boutique.

De façon plus concrète, mes missions sont divisées en plusieurs branches. La première se focalise sur le jeu en lui même. Cela passe par le développement du jeu, la mécanique, l’écriture des règles qui se fait en partenariat avec l’auteur du jeu et le game developer. Cette attention particulière donnée à ce qui fera l’essence du jeu est primordiale car elle va conditionner l’ensemble de mon travail. En effet, des choix de thématiques, de règles etc… amènent ensuite une façon spécifique de présenter le jeu. Sur ce point, je travaille également à la création de l’univers du jeu, ce qu’on appelle la backstory, l’histoire sur laquelle repose le jeu, en inventant la biographie des personnages et tout l’univers autour du jeu.

Dans cette même branche, je rangerais aussi la création de l’ensemble des éléments visuels du jeu. Elle se définit par le thème qu’a choisi d’impulser l’auteur et en véritable co-création avec lui. Pour réaliser ces visuels du jeu, nous faisons appel à un illustrateur mais également à un directeur de création qui par sa capacité d’analyse, à percevoir la cohérence dans la création orientera le travail de l’illustrateur.

La deuxième branche, la plus obscure, est celle de l’évaluation des coûts d’un jeu. Je suis en contact avec une usine et des fabricants de prototypes qui m’apportent des informations concernant les coûts du jeu et de ses pièces. C’est une partie très importante du travail car c’est là que la capacité d’un jeu à générer de l’argent se concrétise. Nous prenons en compte les aspirations des joueurs, d’avoir un jeu très beau pour un prix très réduit. C’était un de nos buts pour KUMO, c’en est un pour tous les jeux que nous faisons. Nous voulons produire es jeux de grande qualité à un coût très raisonnable. La troisième branche touche à l’extérieur. C’est à dire la communication et dans le cas présent à Kickstarter puisque ce jeu sera lancé sur cette plateforme. Ceci implique de gérer l’ensemble des publications que nous faisons, de nouer des partenariats avec des influenceurs (comme toi !) et des associations, d’organiser des événements dans des bars à jeu et des salons.

Nous essayons aussi de trouver des moyens innovants et différents de faire la com, sans se couper des médias traditionnels. En ce qui concerne Kickstarter, mon boulot consiste à rédiger les textes de la page mais plus précisément à déterminer les niveaux de pledge, de stretch goals, s’il y aura ou pas des add-ons, si nous mettons en place une stratégie avec des achievements…

Comme tu peux le voir toutes ces branches ne sont pas séparées, elles fonctionnent en étroite coopération. J’ai besoin des prix du jeu pour déterminer mes niveaux de pledge, j’ai besoin des visuels du jeu pour construire ma stratégie de communication, etc.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir chargé de projet?

Ah, la question personnelle à laquelle il est toujours difficile de répondre. Que ce soit dans mes études ou dans mes projets personnels, j’ai aimé me sentir au sein d’une dynamique de groupe, pouvoir l’impulser et me sentir responsable de ce que je faisais, de la direction que pouvait prendre le projet. C’est lié à mon caractère, mais j’ai besoin de beaucoup d’effervescence, de sentir que des choses se passent.

Après, on peut dire qu’il y a plusieurs motivations. Une motivation personnelle, d’avoir des responsabilités, assez jeune, dans une entreprise jeune également mais à l’image de mon idéal d’entreprise. Ce qui est assez nouveau pour moi mais au fond ce dont rêve tout jeune qui sort de l’école, avoir la confiance de son employeur, se voir confié des tâches clés.

Un autre aspect que je chéris est de ne pas être enfermé dans une tâche. Être chef de projet, ça veut tout dire et rien dire et c’est cette indétermination que j’apprécie. Mes journées ne se ressemblent et ne se répètent jamais. La grande variété des tâches que j’ai à accomplir me permet de ne pas me sentir dans un carcan, limité à une activité. Ce qui est aussi intéressant c’est que la même activité change de forme au cours du projet. Par exemple, le travail sur les visuels du jeu, assez abstrait au début, devient très précis en cours de développement lorsqu’il faut adapter parfaitement les éléments au jeu. Et il prend encore une tournure différente quand on intègre la dimension communication qui nécessite de retravailler certaines choses, etc.

Quelles sont les compétences nécessaires pour être un (bon) chargé de projet pour une maison d’édition de jeux de société?

De l’organisation, beaucoup d’organisation.

Je ne m’en rendais pas bien compte avant mais une journée ne compte que 24h et on a des milliards de choses à gérer. Que ce soit le plus infime détail sur l’illustration d’un personnage au communiqué de presse en passant par le prix de la boîte…

Ce qui est sûr c’est qu’on ne chôme pas, alors il faut un brin de logique et de recul pour y voir clair dans toutes ces tâches qui s’entremêlent, pour les comprendre et pour les traiter de la façon la plus innovante possible.

Un des aspects importants, c’est de rester lucide sur ce qu’on a à faire. Ne pas se laisser envahir par la tâche et garder la maîtrise du projet. Il est important de souvent prendre du recul sur ce que l’on fait, d’une manière ou d’une autre de le remettre en question pour être sûr de garder la bonne direction.

Dans ce type d’activité, une fois qu’on pense avoir trouvé la bonne idée, on la continue, on s’enferre dedans pour se rendre compte au final qu’on a pu négliger d’autres pistes, que la voie que l’on a choisie n’est pas forcément la bonne. Il est donc important de questionner les directions que l’on prend mais aussi de savoir trancher,
d’avancer lorsque cela est nécessaire et cela sans former de remords ou de regrets. Tout le reste, c’est du conjoncturel, je pense. Organisation, capacité de d’analyse, de synthèse et prise de décision forment un triptyque originel sur lequel on peut bâtir le reste.

Un aspect important, je pense, est la nécessité de garder à côté une activité personnelle, différente et importante pour soi. Que ce soit de lire, écrire, jouer, faire du sport. Prendre le temps, le trouver voire se forcer à le faire est primordial pour garder un lien avec qui on est, pour prendre de la distance.

Quelles sont les plus grandes difficultés, les plus grands défis que vous avez à relever comme chargé de projet?

Le métier de chargé de projet pourrait être le même dans de nombreux environnements. On donne une direction, on prend des décisions, on met en place une stratégie, des objectifs … Pourtant, dans le monde du jeu il conserve une grande spécificité où le vocabulaire, les attentes des joueurs constituaient quelque chose d’assez nouveau pour moi. L’un des plus grands défis est de conserver un rapport sain au temps. Il y a plusieurs périodes dans un projet. Au début, il y a toujours une phase d’acclimatation où l’on découvre le projet, on met en place ses idées, on forme son opinion et on prend ses premières décisions.

Ensuite, vient la phase de développement et de mise en place de la stratégie dans laquelle on est toujours face à des imprévus, une certaine urgence, même si essaie de planifier au maximum… Enfin, on fait le point, le bilan sur son projet. Essayer de déterminer ce qui a fonctionné, ce qui a péché et mettre au point des méthodes pour éviter de retomber dans les mêmes travers.

Pour autant, dans un projet, toutes ces phases sont mêlées, on est sans cesse en train de se former une idée de ce que l’on a à faire, de l’appliquer et d’en analyser les conséquences. Il me semble donc que l’important est de bien dissocier ces phases. De déterminer les temps pour apprendre, donc se taire et écouter. De cerner les temps de l’action et les temps de la réflexion. La qualité d’organisation de son temps est incontournable pour mener son projet à terme. Mais savoir organiser son temps, cela veut aussi dire gérer les imprévus etc. C’est penser à l’avance le temps qui précède le lancement de la campagne. C’est également de savoir prendre le temps pour soi. Le temps que l’on a pour faire tout ce dont on a besoin.

Sans lister l’ensemble des difficultés qui peuvent émerger dans un projet comme les restrictions budgétaires, la concurrence avec d’autres projets, la confiance à construire avec ses collaborateurs… savoir déterminer quel temps est nécessaire pour chaque chose me paraît le plus grand défi.

Sur quel projet travaillez-vous actuellement?

Aujourd’hui et depuis quelques mois, je travaille sur HOPE, un jeu d’Olivier Grégoire (Aya, Piratoons) que Morning Players édite et distribue.

test 1 bdHOPE est un jeu semi-coopératif, de 2 à 4 joueurs dans lequel on incarne un héros de H.O.P.E. (Human Organization to Preserve Existence). Il doit naviguer de galaxie en galaxie pour terraformer des planètes et ce faisant, les protéger de la destruction qu’une régression de l’univers fait peser sur elles. Mais attention, un traître s’est glissé parmi les héros et il se servira de la couverture des ténèbres pour faire échouer votre mission.

Ça c’est pour le côté présentation officielle, je préfère le présenter, au niveau des sensations de jeu et de l’expérience, comme un jeu qui tient de Pandémie où les joueurs doivent réfléchir ensemble pour gaspiller le moins de ressources, optimiser leurs déplacements et essayer de démasquer le traître. Là où HOPE trouve son originalité, c’est que les conditions de fin de partie n’autorisent qu’un seul joueur à remporter la partie, donc certes il faut coopérer mais savoir aussi tirer son épingle du jeu. Il y a plusieurs défis dans le jeu.

Déjà dans sa mécanique, car le jeu s’appuie sur un plateau de jeu qui dessine une illusion 3D. Nous nous attachons donc rendre cette illusion lisible pour les joueurs. Et comme le design du plateau influence grandement la mécanique de déplacement, il est important que ce soit clair. C’est innovant et intéressant d’utiliser la 3D dans un jeu. Je trouve que ça renforce l’immersion et l’expérience de jeu.

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Un autre défi est que le jeu a déjà connu un lancement sur KS qui a malheureusement avorté. Alors nous avons pris notre temps pour analyser nos erreurs, savoir pourquoi on les avait commises et surtout préparer un plan d’action pour éviter de commettre ces erreurs à nouveau. On sait que les attentes de la communauté sont élevées et nous voulons proposer un jeu dont nous sommes fiers, alors cela prend du temps, mais nous avançons bien!

Comment est-ce que le métier de chargé de projet a évolué en quelques mois, années?

C’est une question difficile pour moi et il m’est quasiment impossible de répondre car cela ne fait que quelques mois que je suis en charge d’un projet dans le monde du jeu. Mon expérience dans les autres domaines est transposable mais je ne suis pas sûr que la même grille d’analyse puisse s’appliquer. J’ai une position différente, les moments sont différents, les univers professionnels aussi…

Peut être que si tu m’interroges dans quelques mois je pourrais te répondre avec plus de pertinence.

Racontez-nous une journée professionnelle type.

Si je reprends la distinction en trois branches que j’ai mentionnée un peu plus haut, je pense que dans une journée standard, je passerais 15% à m’occuper de la première branche (règles, visuels…). C’est ce qui prend le moins de temps car beaucoup de personnes gravitent autour de cela. Il ne me reste plus alors qu’à valider ou pas la direction prise. 35% de mon temps serait consacré à la gestion des coûts, trouver les meilleures solutions pour les optimiser, savoir ce qui correspond aux attentes des
joueurs etc. 35% du temps serait dédié à la dernière branche, celle qui concerne la communication, Kickstarter, etc.

Oui ça ne fait pas 100% mais 85%. Le reste du temps consiste à gérer les imprévus, les tâches annexes qui tombent sans prévenir. C’est souvent la part la plus intéressante du travail, là où l’on trouve les meilleures idées !

Merci pour votre participation Amaury.

Dans le prochain épisode, nous inviterons des chargés de communication de maisons d’édition pour nous parler de leur métier.

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2 Comments

  • Darville Arnaud

    Quelles ont été vos formations ? Comment êtes vous entré dans le secteur ? A quels critères sont attentifs les éditeurs ? (formation en école de co? licence? expérience en ludo ? associative ? expérience de joueur ? etc)

  • Amaury Joubert

    Bonjour Arnaud,
    Pour ma part, j’ai fait une école de commerce (ESSEC) et j’ai beaucoup appris dans mes premiers mois chez Morning. Par exemple, faire ESSEN est une expérience unique, bien plus formatrice que n’importe quel discours.
    Je pense que les éditeurs recherchent des profils adaptables, travailleurs, des personnes motivées et qui ont soif d’apprendre.
    Bien sûr, il faut avoir une appétence pour le jeu, envie d’en savoir plus et de jouer, c’est important d’être passionné par son travail!

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