
Stratego, nouvelle victime de l’intelligence artificielle
DeepNash, une intelligence artificielle a appris à jouer, et à gagner à un autre jeu de société, le Stratego.
Stratego VS intelligence artificielle
Il y a quelques jours, nous vous révélions qu’une intelligence artificielle avait réussi à gagner à Diplomacy, un jeu de bluff et de négociation, contre des êtres humains. DeepNash, une intelligence artificielle (IA) vient tout juste de gagner à un autre jeu de société, Stratego.
DeepNash, la dernière intelligence artificielle des chercheurs de DeepMind Technologies Ltd., vient de développer il y a quelques jours une IA capable d’apprendre, et de gagner contre le Stratego, ce vieux jeu de société classique. Décrit comme plus complexe que les échecs et le go, et plus astucieux que le poker, avec un soupçon de bluff, DeepNash maîtrise désormais Stratego.
DeepMind a annoncé que son intelligence artificielle DeepNash a appris, à partir de zéro, comment jouer au Stratego. Considéré comme difficile à maîtriser, l’IA a appris les stratégies du jeu en jouant contre elle-même 5,5 milliards de fois. DeepNash a ensuite battu presque tous les joueureuses humains au jeu.
L’histoire du Stratego
Le Stratego, vous en avez certainement déjà entendu parler. Vous y avez certainement déjà joué étant enfant. Stratego est un jeu de plateau de stratégie qui se joue à deux.
Chaque personne possède 40 pièces représentant des soldats individuels dans son armée. Le but est de capturer le drapeau de l’adversaire ou de capturer suffisamment de pions ennemis pour bloquer leur capacité à effectuer un autre mouvement. Les adversaires ne peuvent pas voir les grades des pions de l’adversaire, ce qui en fait un jeu à information limitée. Je sais, je vois, je découvre. Mais je ne sais pas tout.
Stratego a été créé par Mogendorff pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a été enregistré en tant que marque en 1942 par la société néerlandaise Van Perlestein & Roeper Bosch NV.
En 1958, la licence a été accordée à Hausemann an Hotte. La première version de Stratego a été distribuée par Smeets et Schippers en 1946. En 1961, le jeu a été sous-licencié à Milton Bradley, l’éditeur de jeux qui a ensuite été racheté par Hasbro en 1984. Stratego a été et publié pour la première fois en 1961 aux États-Unis.
Ancêtres chinois
Les origines de Stratego remontent au jeu de société traditionnel chinois Jungle, également connu sous le nom de « Jeu des animaux combattants » (Dou Shou Qi), dont les origines remontent probablement au cinquième siècle ou « le jeu du combat des animaux ».
Le jeu Jungle possède également des pions, mais d’animaux plutôt que de soldats, avec des grades différents et des pions de grade supérieur capturent les pions de grade inférieur. Le plateau, avec deux lacs au milieu, ressemble également à celui du Stratego.
Les principales différences entre les deux jeux sont que dans Jungle, les pions ne sont pas cachés à l’adversaire et la configuration initiale est fixe. Le Dou Shou Qi ressemble beaucoup aux échecs.
Un jeu chinois moderne et plus élaboré connu sous le nom de « jeu de bataille terrestre » (Luzhanqi) est un descendant de Jungle, et un cousin de Stratego : la configuration initiale n’est pas figée, les deux joueureuses gardent leur pièces cachées de leur adversaire. L’objectif est de capturer le drapeau de l’ennemi.
Les mécaniques de base du Luzhanqi est similaire, bien que les différences incluent des pions de « missile » et une disposition de plateau ressemblant aux Xiangqi, les échecs chinois avec l’ajout de chemins de fer et de « camps » défensifs.
Une troisième personne intervient également comme arbitre neutre pour décider des batailles entre les pions, sans révéler leur identité.
Ancêtres européens
Dans sa forme actuelle, Stratego est apparu en Europe avant la Première Guerre mondiale sous la forme d’un jeu appelé L’Attaque. L’Attaque s’est très probablement développée au début du XXe siècle ou peut-être dès 1880 en France. On a découvert un brevet délivré par l’Office français des brevets (brevet n° 396.795 [10]) déposé par Hermance Edan en 1909 sur la base d’un jeu qu’elle a développé dans les années 1880.


Hermance Edan n’avait pas donné de nom à son jeu mais dès 1910, un fabricant français vendait le jeu sous le nom de L’Attaque.
Un brevet sur un autre jeu, appelé Jeu de la Guerre, est déposé en 1907 par Julie Moller pour un jeu similaire. L’ancêtre du Stratego a donc été créé par des femmes.
Après la Première Guerre mondiale, le jeu a également été publié le nom d’Attack par la firme londonienne H.P. Gibson & Sons, Ltd.
La version du jeu de 1910 divisait les armées en couleurs rouge et bleue. Les règles de L’Attaque étaient fondamentalement les mêmes que celles du jeu que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Stratego.
Il comportait des pièces rectangulaires en carton debout, imprimées en couleur avec des soldats qui portaient des uniformes contemporains (jusqu’en 1900), et non des uniformes napoléoniens.
Le jeu d’attaque se joue avec 36 pièces chacune sur un plateau carré 9×10. Chaque pièce a une valeur numérique, qui est cachée à l’adversaire et révélée uniquement lorsqu’une pièce attaquante se déplace sur une case occupée par une pièce adverse. Dans la plupart des cas, la pièce avec la valeur la plus élevée gagne et la pièce perdante est retirée du plateau.
Le jeu continue jusqu’à ce qu’un joueur trouve le morceau de drapeau de l’adversaire et le prenne.
Stratego classique
Le jeu moderne de Stratego, avec son imagerie napoléonienne, a été fabriqué à l’origine aux Pays-Bas par Jumbo, et a été autorisé par la société Milton Bradley pour la distribution américaine, et introduit aux États-Unis en 1961.
Les pions étaient à l’origine en carton imprimé. Après la Seconde Guerre mondiale, les pions en bois peints sont devenus la norme, mais à partir de la fin des années 1960, toutes les versions avaient des pièces en plastique.
Le passage du bois au plastique s’est fait pour des raisons économiques, comme c’était le cas pour de nombreux produits à cette époque. Mais avec Stratego, le changement a également eu une fonction structurelle : contrairement aux pions en bois, les pions en plastique ont été conçus avec une petite base. Les pions en bois n’en avaient pas, ce qui faisait souvent basculer et tomber les pièces.
Ce qui posait un réel souci pour la personne qui dévoilait ainsi son grade. Et qui risquait de faire tomber d’autres pièces, en mode domino.
DeepNash explose Stratego
Retour à nos moutons, artificiels.
L’intelligence artificielle maîtrise déjà les échecs, le Go, le poker, Diplomacy. Mais le jeu Stratego est beaucoup plus complexe. Selon des calculs, le Go présente dix à la puissance 360 de possibilités de mouvements, bien plus que les échecs ou le poker. Mais Stratego en a dix à la puissance 535. Donc… beaucoup !
Avec DeepNash, cette nouvelle avancée de l’intelligence artificielle surpasse et dépasse le jeu. Ce développement technologique va désormais permettre à des IA de manœuvrer des scénarios du monde réel avec des informations limitées. DeepNash pourrait alors être utilisé dans des situations incertaines pour développer des résultats équilibrés pour des problèmes complexes. On ne sait pas tout. Mais l’IA est capable de se dépatouiller pour trouver une solution.
Stratego est un jeu de bluff mais implique également de la stratégie pour jouer et gagner. Chaque joueureuse doit disposer les 40 pions qui sont cachés à son adversaire au début de la partie. C’est là que la stratégie entre en jeu (c’est le cas de le dire). Chaque personne doit visualiser tous les résultats possibles lors de la mise en place du plateau et jouer à son tour avec des informations limitées. On voit les pions adverses. On ne connaît pas leur grade, leur « secret ».
Comme au poker, la capacité de bluffer est vitale dans Stratego. Ce que l’intelligence artificielle a dû apprendre. Mais à la différence du poker, une partie de Stratego dure beaucoup plus longtemps qu’une main au poker, parfois avec des centaines de coups avant qu’un personne ne soit déclaré gagnante.
Un facteur étonnant dans cette découverte est que l’intelligence artificielle a développé une « stratégie imprévisible ». Cela a permis à l’IA de laisser deviner son adversaire humain, ce qui est essentiel dans ce jeu. Vincent de Boer, le co-auteur d’un article publié dans la revue Science ce 1er décembre 2022, a déclaré qu’il n’avait jamais entendu parler d’une IA de Stratego capable de gagner contre un adversaire humain.
DeepMind a rapporté que son intelligence artificielle, DeepNash, est devenue si avancée dans le jeu Stratego qu’elle s’est classée dans le TOP 3 parmi les experts humains sur Gravon, la plateforme pour jouer à Stratego en ligne. L’IA a joué 50 parties, obtenant un record de 84 % de victoires.
Diplomacy. Maintenant Stratego. Quel est le prochain jeu de société « explosé » par une IA ?
👉 Pour savoir comment DeepNash fonctionne en détail, tout est expliqué ici.
Et si vous désirez prolonger la réflexion, et entendre parler de ChatGPT3, développé par une société appartenant à Elon Musk, vous pouvez écouter l’excellente émission Géopolitique sur France Inter de ce matin.
Un nouveau logiciel de conversation basé sur l’intelligence artificielle bluffe les experts par ses performances, un signe des avancées de cette technologie qui va bouleverser nos vies.
Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


2 Comments
François Haffner
Le Stratego ne descend absolument pas du Dou Shou Qi qui a été vraisemblablement créé par le régime communiste chinois dans les années 50 pour éloigner les populations des jeux d’argent. Cette hypothèse est la plus vraisemblable et on ne trouve aucune trace du Dou Shou Qi avant ces années 50.
Pour en savoir plus sur le Stratego et ses origines, le mieux est de lire le spécialiste de ce jeu, Michel Boutin
sur le Stratego : https://escaleajeux.fr/jeu/strat
et sur son ancêtre l’Attaque : https://escaleajeux.fr/jeu/attaq
Raidden
J’ai un peu de mal avec tous ces tests et ces IA qui battent les humains. On fera bientôt des championnats ou on regardera jouer des IA à notre place, c’est ça l’avenir comme les petits robots dans les arènes ?