Jeux de plateau

Edito de février 2011 : fausse mondialisation

Quand on parle de mondialisation en 2011, tout le monde sait de quoi il s’agit, c’est aujourd’hui inscrit dans nos sociétés, dans nos modes de fonctionnement économique, de consommation.

Mais existe-t-il réellement de mondialisation dans le monde ludique ? On peut quelque peu en douter.

Distribution

Certes, on peut constater qu’il existe une mondialisation dans la distribution de jeux, boardgamegeek ou quelques excellents sites québécois le prouvent: à ma grande surprise, je me souviens être tombé nez-à-nez avec une boîte de Caylus dans une librairie de Boston en 2008, comme ça, perdue, au milieu de livres et d’autres jeux de société plus conventionnels et classiques (Pictionary, Trivial Poursuit, Monopoly).

Aujourd’hui, les éditeurs et distributeurs ont bien compris la manne économique que représente le marché international, et il y a fort à parier qu’elle se développera ces prochains temps, tant est que certains marchés nationaux et intra-européens se voient inondés de jeux, ralentissant la demande puisque l’offre est élevée, voire saturée (cf édito de janvier 2011 ici). Pour amortir les coûts de production et augmenter son bénéfice, rien de tel que d’aller voir « ailleurs », plus loin.

Production

Il est également évident qu’aujourd’hui la mondialisation touche la production ludique. S’il est aujourd’hui difficile, voire impossible, de ne porter des habits ou produits de première consommation produits localement (habits made in China, tomates nord-africaines, lecteur MP3 de Singapour, etc.), qu’en est-il de nos ludothèques ? Il faut franchement l’avouer, la mondialisation concerne également ce loisir.

La plupart de nos jeux sont en effet produits en Chine ou en Inde, puisque les coûts de fabrication sont moindres: salaires, coûts des matériaux (consultez à ce sujet l’excellent article dans Plato Magazine de février-mars 2007).

Chose intéressante, et dommage au final, c’est que l’on est rarement au courant de l’origine de fabrication des jeux. On sait que le jeu d’Ystari les Mousquetaires du Roy est français, que Tikal II de Gameworks est Suisse, en tout cas de par leurs auteurs ou éditeurs.

Mais où est-ce que ces jeux ont-ils été produits ? Pourquoi est-ce que les éditeurs, dans un souci éthique, écologique, ou juste de transparence, ne mettraient-ils pas un « made in… » dans leur boîte ? Sans aborder ici la problématique liée aux conditions de travail et à la pollution engendrée par le transport, la mondialisation permet aux éditeurs de produire à moindre coût.

Création

En consultant sur TricTrac les jeux les plus possédés ou les plus joués, ou encore le top des jeux sur boargamegeek, les deux plus gros sites de références ludiques, l’un français, l’autre américain, on se rend compte que largement plus de 70% de jeux sont européens, et que parmi ces 70%, largement plus de la majorité est d’origine allemande, viennent ensuite en grande partie les français. Qu’est-ce à dire ?

A observer notre ludothèque de près, ou celle plus importante du nounours vaudois Sébastien Pauchon, à part quelques jeux américains, la plupart sont en effet allemands, français, voire pour quelques-uns italiens. La production slave a fait son entrée ces dernières années, avec les polonais Neuroshima Hex ou Stronghold, et bien évidemment les Czech Games avec le talentueux Vlaada Chvaatil (Galaxy Trucker, Dungeon Lords) et son compère Vladimir Suchy (Shipyard, 20e siècle).

Mais il est vrai qu’ils apparaissent tels des OVNIS, ou OLNIS (objets ludiques non-identifiés), perdus dans la masse de jeux allemands ou français. Alors, que cela signifie-t-il ? Les Africains ne jouent-ils pas ? Et les Chiliens ? Et les Coréens ? Et les Koweitis ? Pourquoi est-ce que le marché ludique est-il principalement saturé de jeux européens ?

On sait que les Chinois sont de fervents amateurs de go, de mah-jong, des échecs (chinois), de jeux de cartes (Gang of Four, Tichu), mais ne créent-ils pas de jeux de société comme nous y jouons? La plupart des sociétés africaines, traditionnelles ou modernes, jouent, c’est évident, l’Awélé le témoigne.

Sommes-nous alors plus créateurs ? Plus joueurs ? La création ludique est-elle liée à nos sociétés de forte consommation ? Le raccourci serait-il abrupte de reconnaître que finalement on crée, on joue, parce qu’on consomme ? Le jeu serait-il lié au produit intérieur brut ? Crée-t-on parce qu’on en a les moyens ? Ou pire, est-ce que la création est-elle liée à un ennui moderne ? Dans nos sociétés économiquement plus avancées, le surplus d’argent est acquis, surplus que l’on peut alors plus ou moins facilement dépenser dans les loisirs.

Conclusion

On a joué en tout temps, et comme le prouve l’origine des échecs, en tout lieux. Les cartes et les dés sont universels. Mais alors pourquoi est-ce que la création ludique ne se généralise pas ? Quand peut-on espérer découvrir un jeu de gestion, de placement ou d’enchères pakistanais, mozambicain ou uruguayen ?

Puisque l’on assiste depuis quelques années à un développement du jeu de société, il est à penser et espérer que si la distribution suit, des pays pour l’instant peu inondés par nos jeux le deviennent. Découvrant le plaisir de jouer à nos jeux, d’ambiance ou de stratégie, on peut parier que de jeunes et nouveaux créateurs se mettront alors eux aussi à vouloir se lancer dans l’aventure.

Et comme à Tongiaki, si vous connaissez ce jeu, il pourrait alors avoir effet « boule de neige » ou réaction en chaîne. L’avenir nous le dira, mais on peut s’attendre à avoir de plus en plus de jeux sortant du « sérail ludique » à l’horizon 2011-2012, et c’est tant mieux.

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