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Jeux de plateau,  Technologie

BackerKit bannit l’IA : un coup fatal pour les petits éditeurs de jeu ?

🚫 L’annonce de BackerKit de bannir l’IA de sa plateforme soulève de nombreuses questions sur l’éthique et l’avenir du jeu.


Contenu généré par IA : BackerKit prend le contre-pied de Kickstarter

BackerKit, la plateforme de crowdfunding spécialisée dans les jeux de société et les jeux de rôle sur table, a récemment annoncé qu’elle interdirait désormais tout contenu généré par intelligence artificielle (IA) sur sa plateforme. Cette décision, qui contraste fortement avec la position adoptée par son principal concurrent Kickstarter, intervient après la controverse suscitée par l’inclusion d’art généré par IA dans une extension du célèbre jeu Terraforming Mars.

Pour les joueurs, joueuses, les créateurs et créatrices, cette annonce soulève de nombreuses questions cruciales : Quelles sont les implications concrètes de cette politique ? En quoi affecte-t-elle les possibilités de financement des jeux sur BackerKit ? Et plus important encore, est-ce un pas dans la bonne direction pour l’industrie du jeu dans son ensemble ?

Implications concrètes de la politique de Backerkit

Concrètement, la nouvelle politique de BackerKit signifie que les auteurs, autrices et éditeurs ne pourront plus utiliser d’outils d’IA pour générer du contenu visuel ou textuel destiné à leurs jeux. Tout élément inclus dans un projet doit provenir du travail original d’un être humain.

BackerKit effectuera des contrôles pour s’assurer du respect de cette politique. Les projets identifiés comme contenant du contenu généré par IA pourront se voir refuser l’accès à la plateforme ou être retirés après leur lancement.

Cette restriction couvre aussi bien les éléments visuels (illustrations, picto, etc.) que les textes générés par IA. Elle s’applique à toutes les étapes du projet, du pitch initial au matériel final livré aux backers.

Conséquences sur le financement des jeux

Cette décision aura très certainement un impact significatif sur les stratégies de financement des créateurs et créatrices de jeux de société.

L’utilisation d’outils d’IA comme Midjourney ou DALL-E permet de générer rapidement et à faible coût des visuels de haute qualité pour présenter son projet. De nombreux créateurs individuels ou studios indépendants comptaient sur ces technologies pour réduire leurs dépenses en illustration.

Devant désormais s’en passer, ils devront soit investir davantage dans des illustrations faites main, soit se tourner vers d’autres plateformes autorisant le contenu IA comme Kickstarter.

Certains analystes craignent que cette politique ne décourage les petits créateurs aux budgets limités de se lancer sur BackerKit, réduisant la diversité des projets proposés.

D’un autre côté, en se positionnant contre l’IA, BackerKit pourrait attirer les créateurs et créatrices soucieux d’éthique et désireux de promouvoir le travail humain. La plateforme espère probablement aussi rassurer les backers attachés à des créations 100% artisanales, 100% humaines.

Backerkit. Un pas dans la bonne direction ?

Au-delà de ces conséquences pratiques, la décision de BackerKit reflète les interrogations grandissantes sur la place de l’IA générative dans la création.

De nombreux artistes s’inquiètent de voir leur travail copié, remixé et produit en masse par des IA entraînées sur leurs œuvres sans leur consentement. Beaucoup considèrent cela comme du vol pur et simple.

En prenant position, BackerKit cherche à protéger les artistes humains et s’assurer qu’ils soient correctement rétribués pour leur contribution aux projets de jeux.

Pour autant, l’interdiction totale du contenu IA est-elle la meilleure solution ? Certains experts estiment que des garde-fous sur son utilisation éthique seraient préférables à son rejet complet.

Des licences open source comme CC0 permettent par exemple d’entraîner les IA uniquement sur des œuvres libres de droits. Des artistes acceptent aussi de façon proactive de partager leur travail pour ces usages. Pareil pour Adobe Firefly.

Une approche plus nuancée pourrait être d’autoriser l’IA sur BackerKit à condition qu’elle utilise des banques de données éthiques et que les artistes sources soient crédits et rémunérés.

Quelle que soit la position de chacun sur la question, cette décision a le mérite de mettre le débat sur la place publique et d’encourager la réflexion sur les usages responsables de l’IA dans la création de jeux.

Elle envoie également un signal fort à l’industrie naissante de l’IA générative sur la nécessité de respecter les droits des créateurs.

Réactions et perspectives

La réaction des auteurs, autrices et éditeurs de jeux face à ce changement radical sera cruciale. Si certains applaudiront cette protection des artistes, d’autres pourraient voir BackerKit comme un environnement désormais hostile à l’innovation.

Du côté des backers, joueurs et joueuses, cette politique sera perçue différemment selon les individus. Les puristes y verront un gage de qualité, quand les technophiles pourraient la trouver rétrograde.

Reste à voir également si Kickstarter et autres plateformes emboiteront le pas pour bannir totalement les contenus IA, ou opteront pour une approche plus nuancée.

Quoi qu’il en soit, le débat ne fait que commencer. Il soulève des questions passionnantes sur notre rapport aux créations algorithmiques et la meilleure façon d’encadrer les progrès de l’IA pour qu’ils bénéficient à tous.

Cette discussion était jusqu’ici confinée à d’autres industries créatives comme la littérature ou le cinéma. En l’amenant sur le terrain du jeu, BackerKit pourrait bien avoir ouvert la boîte de Pandore.

De l’IA à Essen

Essen 2023 IA

Le plus grand salon du jeu de société au monde, Essen Spiel, ouvre ses portes demain au public. Les organisateurs ont confirmé avoir utilisé des visuels généré par intelligence artificielle pour leurs billets, affiches et application cette année. Cette décision soulève des questions sur les droits des artistes et l’éthique de l’utilisation de l’IA dans l’industrie du jeu de société, comme discuté plus haut avec Backerkit.

Le porte-parole de Merz Verlag, qui organise Essen Spiel, a déclaré qu’ils expérimentent l’IA pour en comprendre les avantages et limites. Ils affirment que la protection des droits des artistes est une priorité, mais admettent ne pas connaître le contenu des bases de données utilisées pour générer les visuels de l’IA.

Bien que Merz Verlag valorise l’art original, ils n’interdiront pas l’utilisation de l’IA par les exposants, estimant qu’une interdiction serait prématurée avant des discussions plus larges. Ils assurent que l’art humain restera important et se distinguera toujours.

Essen 2023 IA

L’utilisation par de grands acteurs comme Merz Verlag et leur Spiel est également perçue comme une normalisation et approbation tacite de l’IA, ce qui pourrait encourager une adoption plus large avant que des lignes directrices éthiques ne soient établies.

Il est certain que l’IA aura un impact majeur sur les illustrations dans le jeu de société. Mais en l’absence de cadre éthique et légal, son adoption devrait se faire prudemment, en trouvant un équilibre entre innovation et protection des artistes.

Et encore une chose

Ce lundi 2 octobre 2023, le magazine américain The Atlantic a publié un riche et long article sur le sujet : Artists Are Losing the War Against AI. Les artistes sont en train de perdre la guerre contre l’IA.

Pour répondre aux accusations d’utilisation illégale d’œuvres d’art pour entraîner l’IA, OpenAI et d’autres entreprises technologiques mettent en place des procédures permettant aux artistes de retirer leurs œuvres des données d’entraînement. Cependant, des experts mettent en doute l’efficacité de ces mécanismes « d’opt-out », étant donné la complexité de supprimer rétroactivement des œuvres déjà intégrées dans des modèles existants et le risque que l’IA génère de nouvelles œuvres dérivées de celles retirées.

Le terme « opt-out » signifie « option de retrait » en anglais.

Dans le contexte de l’article, il fait référence à la possibilité donnée aux artistes de retirer ou exclure leurs œuvres des données d’entraînement utilisées par les entreprises pour développer des modèles d’intelligence artificielle.

Le principe est le suivant :

  • Par défaut, les œuvres des artistes peuvent être utilisées par les entreprises tech pour entraîner leurs IA, à moins que l’artiste ne manifeste explicitement son refus (opt-out).
  • L’artiste doit donc faire une démarche active pour signaler qu’il ne souhaite pas que ses œuvres soient exploitées.
  • C’est le contraire d’un opt-in, où l’accord explicite de l’artiste serait nécessaire avant toute utilisation de ses créations.

L’opt-out transfère donc la responsabilité sur l’artiste, alors que l’opt-in la placerait sur l’entreprise voulant utiliser les œuvres.

Alors que les entreprises technologiques sont dépendantes du contenu original créé par des humains pour améliorer leurs modèles d’IA, les artistes et les éditeurs auront un rôle clé à jouer dans la régulation de l’utilisation de leurs œuvres. La prolifération des procédures d’opt-out montre que les créateurs et créatrices cherchent à défendre leurs droits, mais soulève des questions sur leur efficacité réelle face à un écosystème technologique en constante évolution.

Nous vous proposons ici une traduction de l’article. À lire et à mettre en lien avec l’interdiction de Backerkit des IA génératives.


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Article écrit par Andariel, chroniqueuse et rôliste (JDR, GN) queer qui se consacre au jeux de rôle, aux jeux narratifs et aux sujets LGBTQ+. Elle s’implique pour valoriser la présence des personnes marginalisées dans l’industrie du jeu.


Cette décision de BackerKit vous semble-t-elle justifiée ? Faut-il bannir totalement l'IA des jeux ou adopter une position plus nuancée ?

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2 Comments

  • Serra

    Comme d’habitude, l’industrie se donne bonne conscience en permettant le opt out. Je me sers et après c’est au concepteur de dire que je n’ai pas le droit. Je devrais faire pareil, rentrer dans restaurant, sortir sans payer et dire au restaurateur que c’est à lui de venir me dire qu’il n’est pas d’accord. L’utilisation de propriété intellectuelle existe. Pourquoi le concepteur doit le rappeler à l’utilisateur ?
    Ils défendent jalousement leurs programmes source mais pas celui des artistes.

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