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Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Le paradoxe du choix dans les jeux de société

Le paradoxe du choix – Pourquoi trop d’options tue l’option ? Nos conseils pour décider efficacement dans les jeux !


La paralysie analytique du choix et comment la surmonter

Lors d’une partie endiablée de Catan, Julie doit choisir entre échanger ses ressources maintenant ou attendre pour construire un village. Ses doigts tapotent nerveusement la table tandis qu’elle envisage tous les scénarios possibles. Elle doit faire un choix.

Cinq minutes plus tard, les autres joueurs et joueuses commencent à s’impatienter. Julie est victime de la « paralysie d’analyse », ou « analysis-paralysis » en anglais. Ce phénomène qui nous fige lorsque nous avons trop de choix. Dans l’univers des jeux de société, il n’est pas rare d’être confronté à un trop-plein d’options. Ce déluge décisionnel peut conduire à l’indécision et l’anxiété. Examinons les ressorts psychologiques de ce paradoxe et les moyens de le surmonter.

Dans le domaine des jeux de société, le concept de surcharge de choix est familier. Les joueurs sont souvent confrontés à une multitude de choix, qu’il s’agisse de mouvements stratégiques, de gestion des ressources ou même du choix des jeux eux-mêmes. Cet article examine les aspects psychologiques de la surcharge de choix, un phénomène qui peut conduire à ce que l’on appelle souvent la « paralysie de l’analyse », et donne des indications sur la manière de la gérer efficacement.

Les choix, c’est relou

Dans le contexte des jeux de société, ces décisions peuvent aller du plus banal, comme le choix d’une carte, au plus monumental, comme le choix d’une stratégie. Le nombre de choix peut être stupéfiant et, bien que le fait d’avoir des options soit généralement considéré comme un aspect positif, il peut également conduire à un état d’indécision ou de « paralysie de l’analyse ».

Nous prenons plus de 200 décisions liées à l’alimentation par jour, et des parallèles peuvent être établis avec le monde des jeux de société. Par exemple, dans un jeu comme Les Colons de Catan, ou Earth, ou tous les (plus ou moins) gros jeux, nous sommes confrontés à une multitude de choix, de l’allocation des ressources à la construction de routes (dans le cas de Catan), chacun de ces choix ayant ses propres résultats et conséquences potentiels.

Satisfaire ou maximiser : Les deux visages de la prise de décision

Herbert Simon, économiste lauréat du prix Nobel, a introduit en 1947 le concept de « satisficing », combinaison de « satisfy » et « suffice ». Cette théorie suggère que les individus ne cherchent pas toujours à tirer le maximum d’avantages d’une décision. Ils comparent plutôt les options disponibles avec leurs besoins et leurs objectifs, et lorsqu’ils trouvent une option qui répond à ces critères, ils la choisissent. Cette attitude s’oppose à celle des « maximisateurs », qui se sentent obligés d’envisager toutes les options possibles avant de prendre une décision.

Prenons l’exemple du jeu Les Colons de Catan. Lorsqu’un joueur doit choisir où construire son village, un style « satisficing » le pousserait à choisir l’emplacement le plus opportun rapidement. À l’inverse, un style « maximizing » l’inciterait à évaluer méticuleusement chaque coin de l’île pour optimiser son choix.

Le paradoxe du choix : Moins, c’est plus ?

Choix

Vous connaissez peut-être la célèbre étude menée en l’an 2000 dans laquelle des acheteurs se voyaient présenter soit 24 confitures différentes, soit seulement six. Il est intéressant de noter que si le plus grand présentoir a suscité plus d’intérêt au départ, les acheteurs étaient dix fois moins susceptibles d’y choisir une confiture. Mais pas seulement. Ceux qui choisissaient la plus petite sélection étaient plus satisfaits de leur choix.

Ce phénomène, connu sous le nom de « surcharge de choix », se produit lorsqu’un individu est submergé par des options apparemment similaires, ce qui entraîne une difficulté à prendre une décision et une anxiété potentielle à l’idée de faire le mauvais choix.

Dans les jeux de société, ce phénomène peut se traduire par le nombre impressionnant de jeux disponibles sur le marché, ou par la multitude de décisions à prendre dans les jeux de stratégie (plus ou moins) complexes. La peur de passer à côté de meilleures options ou de faire le « mauvais » choix peut conduire à la paralysie et nuire à l’expérience globale du jeu.

La pensée inversée : Un changement dans la prise de décision

Dans le monde du jeu, qu’il s’agisse de jeux de société, de jeux vidéo ou même de jeux de rôle, la prise de décision est un aspect crucial. Les choix que nous opérons peuvent avoir un impact significatif sur l’issue du jeu. explorons ici le concept de « pensée inversée » et la manière dont ce concept peut améliorer les capacités de prise de décision, en particulier dans le contexte des jeux.

La pensée inversée est un mode de pensée critique qui consiste à envisager le contraire de son objectif. Cette approche peut stimuler des idées nouvelles et aider à identifier les pièges potentiels avant qu’ils ne se produisent.

Dans le contexte du jeu de société, au lieu de réfléchir aux stratégies qui mèneraient à la victoire, la pensée inversée nous amènerait à envisager les actions ou les décisions qui pourraient conduire à la défaite. Il peut s’agir d’une mauvaise gestion des ressources dans un jeu de société ou de stratégies de combat imprudentes dans un jeu vidéo. En identifiant ces erreurs potentielles, les joueurs peuvent s’efforcer de les éviter et améliorer ainsi leurs performances globales.

Se faire l’avocat du diable : La méthode socratique dans le jeu

La réflexion par inversion s’apparente au fait de se faire l’avocat du diable ou d’utiliser la méthode socratique de questionnement. Elle consiste à demander « Et si… » ou « D’un autre côté… » pour remettre en question les hypothèses ou les stratégies initiales. Cette approche encourage les joueurs à réfléchir de manière critique à leurs choix et à envisager des stratégies alternatives.

Par exemple, dans un jeu de stratégie, au lieu de se concentrer sur la manière d’accumuler des ressources, la pensée inversée amènerait les joueurs et les joueuses à s’interroger sur les actions susceptibles d’entraîner l’épuisement des ressources. Cela pourrait aider les joueurs à identifier les stratégies risquées et à prendre des décisions plus éclairées.

Stratégies issues des mathématiques : L’ingénierie inverse dans les jeux

Le raisonnement par inversion s’appuie également sur des stratégies mathématiques, en particulier sur le concept de rétro-ingénierie. Il s’agit de travailler à rebours à partir d’un échec potentiel pour identifier où les choses pourraient mal tourner. Dans les jeux, cela peut signifier travailler à rebours à partir d’une défaite potentielle pour identifier les mauvaises stratégies ou décisions.

Par exemple, dans un jeu de rôle, un joueur peut réfléchir aux actions qui pourraient entraîner la chute de son personnage, puis travailler à rebours pour identifier les décisions qui pourraient conduire à de tels résultats. Cela pourrait aider les joueurs à éviter les pièges potentiels et à prendre des décisions plus efficaces.

Surmonter la paralysie analytique

Hormis la stratégie inversée, super pratique, voici quelques solutions concrètes pour surmonter la paralysie d’analyse :

Fixez un timer : imposez-vous une limite de temps pour chaque tour ou décision. Un sablier peut aider à visualiser le temps imparti.

🔼 Priorisez vos options : faites un tri entre les choix cruciaux et secondaires pour vous concentrer sur l’essentiel.

🔮 Explorez des scénarios : imaginez mentalement les conséquences de 2-3 options, sans tout évaluer.

Faites des pauses : prenez une courte pause pour vous aérer l’esprit si vous êtes bloqué.

🗣 Demandez des conseils : n’hésitez pas à solliciter discrètement l’avis d’autres joueurs. Un regard extérieur aide.

🤷 Relativisez : rappelez-vous que dans un jeu, une décision n’est jamais catastrophique. Gardez du recul.

💡 Faites confiance à votre intuition : Il arrive que notre intuition nous conduise à la bonne décision. Laisser une décision « mariner » et suivre son instinct peut être un outil puissant.

♻️ Évitez le « tout ou rien » : La plupart des décisions ne sont pas définitives. Si une décision ne produit pas le résultat escompté, il peut s’agir d’une expérience d’apprentissage plutôt que d’un échec.

Interview de Fabien, serial « analyseur-paralyseur »

Dans mon entourage, je connais Fabien, un joueur « connu » pour sa « lenteur », ses difficultés à prendre des décisions pendant les parties de jeux de société. Je lui ai posé quelques questions (tout en jouant à Earth) :

Gus : Salut Fabien ! Merci d’être là pour discuter paralysie d’analyse ou analysis-paralysis autour d’un jeu de société. Alors dis-moi, c’est quoi au juste ce phénomène ?

Fabien : Salut Gus ! En gros, la paralysie d’analyse c’est quand tu bugues total devant ton jeu, incapable de faire un choix. Tu passes 3 plombes à réfléchir à toutes les possibilités avant de jouer une carte. Tu te prends la tête. Ou comme les jeunes disent aujourd’hui, t’as la cervelle en PLS !

Gus : Ah ouais, carrément ! Ça t’arrive souvent ce genre de blocage ?

Fabien : Et comment ! Surtout sur des jeux avec 500 possibilités comme Earth, justement ou Terraforming Mars. Je peux passer 10 min les yeux dans le vague avant de décider où placer un ouvrier tellement j’ai peur de me planter. Mes potes se marrent en me voyant buguer sur un simple coup !

Gus : Haha excellent ! Ou pas, justement. Et du coup, ça arrive plutôt au début ou à la fin de la partie généralement ?

Fabien : Alors bizarrement, souvent c’est quand je commence à bien maîtriser les règles et qu’il y a un enjeu que je commence à trop réfléchir. Au début je joue plus instinctivement. Mais dès que je sais que je peux gagner, je me mets une pression monstre et je bloque complètement !

Gus : Ah ouais je vois le truc ! Et c’était quoi ton pire délire de paralysie d’analyse du coup ?

Fabien : Sans conteste une partie de Burger Quiz avec ma famille. À chaque tour je lisais les questions à voix haute 5-6 fois en bafouillant avant de donner ma réponse. J’ai dû relire les règles 20 fois tellement j’avais peur de me tromper. C’était surréaliste ! Mes neveux se moquaient tellement j’étais lent à réagir. Surtout dans ce jeu délirant.

Gus : Haha génial ! Bon et du coup, t’as des techniques pour essayer de contrer ce blocage ?

Fabien : J’essaye de timer mes tours maintenant. Je compte aussi plus sur mon intuition qu’avant. Et je me dis que l’important c’est de s’éclater, pas forcément de gagner. En fait la paralysie d’analyse c’est un peu le sel du jeu de société ! Faut en rire plutôt que le subir.

Gus : Bien vu ! D’autres conseils à donner à ceux qui comme toi buguent devant leur plateau ?

Fabien : Je leur dirais de se relaxer, de positiver et de voir la partie comme un défi fun. Fixez-vous une limite de temps par décision. Et piochez une carte « joker » vous permettant de passer votre tour si vraiment vous bloquez. L’idée c’est de rendre la paralysie fun ! Si si c’est possible.

Gus : Génial, merci pour tes conseils de pro et ces anecdotes mémorables Fabien ! Mais c’est toujours à toi de jouer. Tu choisis quelle action parmi les quatre disponibles ?

Conclusion

En comprenant nos biais cognitifs et en adoptant quelques stratégies simples, la paralysie d’analyse peut être surmontée. Armés de ces outils, à nous de relever le défi du paradoxe du choix !

Les jeux de société regorgent de dilemmes passionnants. Faire cette action-ci ou prendre cette carte-là ? Plutôt que de les redouter, profitons de ces choix cornéliens. Ils sont l’essence même du plaisir du jeu. Alors, à votre prochain tour, saurez-vous garder votre sang-froid pour prendre LA décision gagnante ? Le jeu n’en sera que plus… savoureux !


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Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.


Quel est le jeu de société où vous passez le plus de temps à analyser vos coups avant de vous décider ? Et pourquoi.

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6 Comments

  • Ritchie

    Excellent article qui propose des solutions encourageantes pour ceux qui sont concernés! un billet similaire portant sur le « Paradoxe du Choix dans l’Achat d’un Jeu de Société » serait passionnant (tant pour les acheteurs compulsifs que pour ceux qui prennent plus de temps à « chercher » un jeu qu’à jouer).

  • Oulan-Bator

    La qualité d’une position de choix ne dépend pas que du nombre d’options.
    Exemple avec un choix alimentaire
    1) merde, cailloux, pétrole, javel
    2) pizza

    La position 2 a 1 seule option, elle est pourtant meilleure.

  • secondino axel

    Bonjour Gus.. bon comme d’habitude toujours interessant de lire ces sujets autour du jeu qui élargissent un peu le spectre mais…
    Mais non… pas toi … gus …. le prix nobel d’économie n’existe pas… et donc ni herbert simon ni aucun autre ne sont des prix nobel d’économie.

    Et ce n’est pas juste un détail … Dans le monde commun un prix Nobel légitime la parole, du nobelisé par une forme de reconnaissance du monde sur l’œuvre ou les travaux du nobelisé… Et ce dans un contexte à priori universel et humaniste prôné par l’académie Nobel…

    Je passe sur les errements récents autour de l’académie et de ses derniers nobel controversé…

    Mais Justement la manœuvre autour du Prix spécial d’économie en la mémoire d’Alfred Nobel ( véritable prix reçus pas herbert simon et les autres ne cherche que cela… faire un raccourci entre ce prix et les prix Nobel…

    Sauf que ni le mode de nomination ni le mode de vote , ni la finalité n’as quoi que ce soit à voir…

    A dispo pour en discuter…

    Et encore mille merci pour votre travail tout au long de l’année.

    Ludiquement… Axel

    • Sébastien

      Merci pour ce nouvel article intéressant !
      De mon côté, ce qui m’a permis de jouer plus vite ce sont les années d’expériences sur plusieurs centaines de jeux différents. Cette expérience peut aussi permettre de jouer à l’intuition par moment càd sans tout calculer le choix ne sera peut être pas le meilleur mais parmi un des meilleurs et certainement pas un mauvais choix.
      Et tout à fait d’accord sur le fait de faire des erreurs est normal et participe à s’améliorer.
      Si on joue plus vite on peut faire deux parties au lieu d’une seule 🙂
      Si on n’a pas l’occasion de jouer assez souvent, je pense que des fois on souhaite tout optimiser et gagner pour ne pas être déçu mais il ne faut oublier qu’on est dans un jeu et que c’est pendant toute la durée de la partie qu’on en profite et s’amuse 🙂
      Ça m’est déjà arrivé de tester une stratégie à fond et de me rendre compte que je ne pourrais pas gagner mais je reste content d’avoir essayé de gagner de cette façon.

À vous de jouer ! Participez à la discussion

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