Critique de jeu : Rockwell
Ce jeu critiqué a été acheté par notre rédaction, nous avons toutefois bénéficié de 20% de remise pour la presse.
Rockwell est sorti à Essen 2013, pour 2 à 4 joueurs, créé par le québécois Bruno Crépeault, son tout premier jeu, et édité par la société belge SitDown! (Wiraqocha, et qui publie également le magazine Plato), pour des parties de 90 à 120′.
Dans Rockwell les joueurs incarnent des exploitants de mine et doivent gérer toute l’entreprise, des aspects financiers à la prospection elle-même.
Le thème est bien rendu, et original, on ne pourrait difficilement pas le remplacer par autre chose. On se sent véritablement à la tête d’une compagnie d’extraction.
Le matériel, s’il ne casse pas de briques (expression adaptée pour le jeu… Ok je sors), carton, cubes, etc. remplit tout à fait sa fonction. Les illustrations sont plutôt bonnes, style bédé.
Vous allez certainement me dire qu’il est assez gonflé pour un blogueur de donner des leçons / idées aux éditeurs, qui connaissent leur métier (pour autant qu’éditeur de jeux est un métier qui s’apprend, ne sont-ils pas tous des amateurs?), mais j’imagine qu’il aurait été plus ergonomique de résumer les différentes phases et points de règles derrière les écrans puisque chaque joueur en possède un.
Petit souci, mais mini mini et je pinaille, les deux couleurs des deux ressources zinc & argent sur les objectifs sont trop proches, du coup cela peut prêter à confusion. Mais c’est juste pour couper les cheveux en quatre, car au final, après discussion à la table on se met rapidement d’accord.
La mécanique, ou plutôt les différentes mécaniques devrais-je dire, sont clairement le point fort de Rockwell! Malgré des règles assez touffues, voici comment résumer en gros le jeu : pour remporter la victoire, les joueurs doivent obtenir des points de victoire principalement conférés par des objectifs majeurs, visibles et aux PV décroissants, e.g. envoyer ses ouvriers au centre de la Terre, collecter 10 or, 12 argent, etc. PV décroissants, comme j’ai dit, s’ensuit donc une course effrénée pour les remplir avant les autres.
Et comment réussir les objectifs? Principalement en possédant des minerais extraits au fond de la mine. Et comment extraire ces minerais? Chaque couloir / filon a un nombre. Quand ce nombre est atteint par la force des mineurs présents le filon est alors exploré / exploité et les ressources équitablement distribuées aux joueurs présents.
Équitablement, vraiment? C’est un peu le même principe que Cash n’Guns (dont la réédition est bientôt prévue, par ailleurs), il va forcément rester une partie qui ne pourra pas être équitablement distribuée. Qui s’en saisira? Plusieurs facteurs viennent départager les égalités, dont la force de ses mineurs bien entendu.
Et comment augmenter la force de ses mineurs pour avoir plus de chance d’exploiter les filons et obtenir les répartitions? En plaçant ses 2 vice-directeurs / jetons sur les trois plateaux d’entreprise pour acheter / vendre des ressources et ainsi obtenir des sous pour procéder à des achats de développement.
Bon ok, dit comme ça ça peut paraître un peu compliqué, mais en résumé : objectifs-ressources-filons-mineurs-développements.
Avec quand même beaucoup de choix tactiques et douloureux à effectuer sachant qu’on a que deux vice-directeurs, donc peu de choix de développement, et que jouer en premier est vital pour s’attribuer les meilleures places. Faut-il se développer rapidement et extraire ultérieurement, ou le contraire?
Même si l’on ne peut pas s’en prendre directement aux autres en leur volant leur minerai par exemple (le coup d’enfoiré dans les Colons de Catane par exemple), l’interaction est tout de même plutôt forte dans Rockwell. Il faut constamment jouer avec les autres pour exploiter les filons: par corruption (i.e. les « forcer » à venir vous assister) ou par opportunisme quand un filon est en passe d’être découvert.
Autre point fort, selon la table, le jeu des alliances. Je m’explique: quand un joueur s’avance pour placer un de ses mineurs sur un filon mais qu’il n’obtient pas la somme, il peut tout à fait sceller une alliance avec un autre joueur pour que ce dernier vienne fermer la mine, alliance qui peut aussitôt se dissoudre ou se maintenir au fil de la partie. Gros point fort du jeu, qui peut toutefois engendrer un effet « kingmaker » i.e. qu’un joueur remporte la victoire offerte par d’autres et pas par son jeu. En effet, si c’est toujours le même joueur qui est invité à fermer des mines il risque bien de rafler la mise à chaque fois.
Le placement d’ouvriers et la course aux objectifs viennent renforcer l’interaction.
Casual + Famille : clairement non, beaucoup d’éléments à maîtriser de tous les côtés
Party gamers : non, évidemment pas
Hobby + Core gamers : oui bien sûr, à donf (expression des années 90)
Rockwell est vraiment un excellent jeu. C’est pas plus compliqué que ça en fait. Pourquoi? Rockwell présente une mécanique originale et fraîche. Certes, le coup des objectifs majeurs avec PV décroissants, ainsi que le placement d’ouvriers a déjà été vu moult fois, mais dans Rockwell 1. tout s’imbrique parfaitement 2. le besoin de collaborer sur les filons est vraiment intéressant 3. le système d’attribution des ressources rend le jeu extrêmement tendu et passionnant. En conclusion, Rockwell est vraiment un excellent jeu.
Il y a des éditeurs et des auteurs qui buzzent à fond. À peine sortent-ils le moindre jeu que toute la toile s’enflamme: previews, articles, visuels 6 mois avant, concours, etc. ad nauseam. Et il y a les autres, des auteurs et éditeurs beaucoup plus discrets. Soit parce qu’ils n’en ont pas les moyens, les réseaux ou le temps. C’est malheureusement clairement le cas avec Rockwell. Je le répète, malheureusement. Car Rockwell est vraiement vraiment un excellent jeu. Il n’a peut-être pas connu le succès qu’il mérite amplement, certainement dû en partie à son manque de visibilité. Comment en effet sortir son épingle du jeu à Essen avec 800 autres sorties, et plus tard dans l’année perdu au milieu de 1’200-1’400 autres jeux, tous plus ou moins bons?
Moralité: 1. les jeux qui buzzent ne sont pas tous forcément bons, on a tous des exemples. 2. les jeux qui ne buzzent pas peuvent être excellents, exemple ici avec Rockwell 3. certains jeux mériteraient plus d’être buzzés pour augmenter leur visibilité et succès.
Attention, il est indiqué 2 à 4 joueurs sur la boîte, alors qu’à 2 on est obligé d’utiliser un joueur neutre, une IA. Et je ne sais pas pour vous, mais je déteste les IA dans les jeux de société, c’est justement… artificiel. Il aurait vraiment mieux valu indiquer 3-4 joueurs sur la boîte, même si c’est forcément moins vendeur. A 3 le jeu est bien mais c’est clairement à 4 qu’il gagne toute sa saveur.
Les différentes mécaniques, originales, fluides, fraîches
L’interaction forte. Même si on ne peut pas « casser » les autres on a rudement besoin d’eux pour se développer. Presque du coopératif, au fond (de la mine. Ok je sors)
La dynamique de course aux objectifs décroissants
Le jeu des alliances
L’envie d’y rejouer et d’essayer plusieurs tactiques différentes
Des parties à 4, clairement l’optimum
Des règles fluides, une fois bien maîtrisées
Les règles, plutôt touffues et compactes. Il manque un résumé derrière les écrans et en toute fin de règles.
Les deux couleurs du zinc & argent très proches sur les objectifs. Mais je pinaille, ça ne gâche en rien le jeu.
Les règles à deux joueurs avec l’IA.
L’effet Kingmaker. Ce n’est pas du tout un point faible inhérent au jeu, cela dépendra plutôt des joueurs présents, à eux de veiller à l’éviter.
Une mise en place qui dure 217 heures… Mais je râle pour rien, car si la mise en place est longue et fastidieuse les parties durent suffisamment longtemps pour « ‘l’amortir ».
Ne pas avoir y joué avant. Pas facile de jouer à tout après Essen… C’est d’ailleurs chaque année le même coup. On rentre d’Essen les valises pleines, on se jette sur certains jeux qui buzzent et d’autres qu’on laisse patiemment reposer et qu’on se dit qu’on va essayer plus tard. Et plus tard c’est… 6 mois plus tard.
Le magazine Plato #65 propose un intéressant dossier sur les jeux à thème minier : Gueules Noires, avec une interview de W. Kramer, et Rockwell également.
Voici 8 mini conseils stratégiques pour bien commencer à Rockwell généreusement offerts par Gus&Co:
1. Développez-vous vite. Ne laissez pas vos voisins vous distancer dans les développements (force des ouvriers, protection et déplacements améliorés…), l’écart risque de se creuser rapidement.
2. Ne négligez pas la corruption, fort pratique pour faire venir de l’aide. D’autant que pour la répartition, même si un joueur qui vient finir le filon, c’est vous le joueur actif pour départager la répartition, il faut le savoir!
3. Rushez les objectifs pour ne pas perdre trop de PV (décroissants)
4. Visez les premières places, plus intéressantes, notamment en ce qui concerne les 3 plateaux de développement.
5. Montez rapidement vos mineurs en force, pour 2 raisons principales : 1. vous pourrez fermer plus facilement des filons 2. vous aurez plus de chances de vous octroyer le surplus lors de la répartition.
6. Et les puits de mine? Pensez à en poser rapidement dans le jeu puisqu’à la fin de chaque phase d’extraction ils vous donneront les ressources indiquées sur la tuile. Donc plus tôt ils seront posés plus vous en recevrez, logique. Evidemment, les filons à hauts chiffres seront forcément plus « juteux », vous aurez tendance à vouloir attendre avant de les poser, mais « un tien vaut mieux que deux tu l’auras » (expression bancaire suisse).
7. Il est évidemment beaucoup plus intéressant de fermer un filon tout seul, aucune répartition de ressources. Si toutefois vous ne pouvez pas le faire seul et que vous êtes néanmoins assuré d’obtenir le surplus, faites tout (alliances, corruption) pour fermer le filon à 3 joueurs. Pourquoi à 3 plutôt qu’à 2 ou à 4? Parce qu’à 3 joueurs la distribution sera moins équitable qu’à 2 ou 4 joueurs, il y a par conséquent beaucoup plus de probabilité que le surplus soit plus important. Bingo!
8. Enchérir avec de l’argent? Uniquement avec des ressources? Un panachage? Perso, je préfère utiliser uniquement des ressources. Pourquoi? Car elles sont beaucoup plus « faciles » à obtenir, tandis que pour l’argent il vous faudra passer par la bourse, et l’argent vous permet également l’amélioration de vos mineurs, donc mieux vaut éviter l’argent et préférer les minerais.
Les règles présentées par l’éditeur
3 Comments
BC
Messieurs, dames, merci pour cette critique intéressante et réfléchie (et surtout positive !). Je vous souhaite de très excellentes futures parties de RW !
VIGNIER-C.
Hello, Merci pour cette bonne critique, j’ai eu l’occasion de jouer une fois au jeu. Ce qui m’a embêter dans la partie c’est que les ventes peuvent devenir prépondérantes dans la victoire au points de supplanter les PV des objectifs et de casser la mécanique d’up-grade. Pour moi c’est dommage qu’une sorte annexe de PV devienne finalement si importante au point de casser certaine mécanique.
Julien
Je te rejoins complètement: le jeu est vraiment bon! Je n’ai certes qu’une partie au compteur, mais j’ai vraiment apprécié l’utilisation de mécaniques qui ne sont pas si innovantes si prises séparément, mais dont le mélange donne vraiment l’impression de jouer à quelque chose de nouveau. A refaire!