Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Inflation : la hausse des prix impacte aussi le secteur du jeu de société

L’inflation atteint, dans la zone euro, un niveau record depuis près de vingt-cinq ans. Le jeu de société est également affecté.


Inflation

L’inflation n’épargne aucun secteur. Énergie, alimentation, matières premières… On constate en France, en Suisse et ailleurs des hausses de prix à chaque achat. Et pour cause, l’inflation n’a jamais été aussi forte que depuis 1985.

L’inflation galope dans la plupart du monde où son taux a récemment bondi de presque un point en rythme annuel pour passer de 3,6 % à 4,8 % en mars en à peine deux mois. Elle serait même passé à 5,2% selon les tous derniers chiffres récents du moi de mai. Et cette inflation concerne tous les secteurs : l’énergie, l’alimentation, les matières premières, et les jeux de société.

Cette situation grignote le pouvoir d’achat des ménages. Ce qui se fait sentir sur la consommation, et également sur le secteur du jeu de société. Nous avons interviewé plusieurs boutiques de jeux pour en savoir plus. Nous reviendrons plus tard sur leurs réponses.

Situation actuelle différente

Si la hausse des prix est bien de retour et touche un grand nombre de pays, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des pays industrialisés connaissent aujourd’hui quasiment une situation de plein-emploi avec des taux de chômage extrêmement bas et/ou en diminution.

La figure ci-dessous présente les taux d’inflation et de chômage fin mars 2022 dans les pays de l’OCDE (sauf la Turquie où l’inflation est à 70 %). L’inflation dépasse les 2 % un peu partout, tandis que le taux de chômage ne dépasse les 8 % que dans trois pays.

Inflation, une situation inédite

L’inflation atteint donc, dans la zone euro, un niveau record depuis près de vingt-cinq ans. La France est plutôt moins touchée que les autres pays de l’Union, notamment du fait des mesures de soutien prises par le gouvernement. Il n’empêche : faire le plein de son véhicule coûte de plus en plus cher, se chauffer, s’éclairer aussi, et les additions au supermarché sont plus lourdes qu’auparavant.

Le pouvoir d’achat des Françaises et des Français diminue, et c’est leur principale préoccupation. On a vu ce thème s’affirmer lors des dernières élections présidentielles. Comment dès lors expliquer ces hausses des prix ?

La reprise des activités économiques après la phase de confinement et la guerre en Ukraine sont-elles les seules raisons de ces augmentations de prix ? Le regain de la pandémie en Chine et le confinement d’une partie du pays a aggravé ce problème, ces problèmes.

Comment se calcule l’inflation ?

Pour calculer l’inflation, on prend en compte les prix des denrées et autres produits. Évidemment, on ne peut pas le faire de manière exhaustive. On collecte des biens quelconques, une sorte de « panier de la ménagère » moyen.

Ces « paniers » sont autant collectés sur internet qu’IRL dans les petites et grandes surfaces. Chaque mois, on calcule le prix de 400 000 produits. Et tous les mois, c’est avec l’ensemble de ces paniers de biens représentatifs du consommateur et consommatrice moyenne, pondéré par les coefficients budgétaires, qu’on permet d’évaluer l’évolution des prix.

Patrick Chappatte dans Le Temps, 7.6.22

En effet, ce qui est important, ce n’est pas tant le niveau de prix de ce panier, mais l’évolution du prix du panier dans le temps. Mais pourquoi est-ce que les prix augmentent ? Tout s’explique par la fameuse loi économique de l’offre et de la demande.

Post-COVID, les indices à la consommation ont augmenté. L’économie se porte bien, très bien, même. Les chiffres du chômage sont au plus bas, le nombre d’emplois vacants atteint des records, en Suisse, notamment.

On travaille, on dépense. La demande est donc forte. Et en face, l’offre se tend, entre guerre en Ukraine bien sûr, mais également soucis d’acheminements, pénuries de toutes sortes (dont le papier) et crise sanitaire. Résultat ? Les prix augmentent.

Dans une économie de marché, les prix des biens et des services varient. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsque les prix augmentent globalement, et non uniquement les prix de quelques biens et services. Quand tel est le cas, avec le temps, chaque euro permet d’acheter moins de produits. Autrement dit, l’inflation érode progressivement la valeur de la monnaie.

Est-ce que tout le monde est touché par l’inflation ?

Tout dépend du type d’inflation. Aujourd’hui, nous connaissons une inflation très particulière. Ce ne sont pas tous les prix qui augmentent. Certains prix, et notamment les prix de première nécessité, comme l’énergie, augmentent.

Si comme vu plus haut l’inflation se situe autour de 4 et 5%, ce n’est pas aussi évident. En réalité, le prix de l’énergie a augmenté de 30% à 40%, pouvant même aller jusqu’à 50%. Certains autres produits ont augmenté de quasiment 8% alors que certains autres n’ont progressé que de 2,1%.

2,1%, c’est peu. C’est une inflation à peu près normale. Donc tous les prix n’ont pas flambé. Mais certains prix et produits sont incompressibles. Nous sommes obligés de nous chauffer, de nous nourrir, de nous déplacer, surtout quand nous sommes assez éloignés de notre lieu de travail. Donc l’inflation actuelle est plutôt inégalitaire. Si vous avez la chance d’habiter et/ou de travailler en centre-ville, de ne pas devoir prendre votre voiture, vous allez moins subir cette inflation.

Est-ce qu’on achète moins ?

Avec l’inflation en général, et celle que nous vivons aujourd’hui en 2022, nous consommons, certes, mais autrement. Les dépenses de consommation augmentent régulièrement depuis les années 1970, tout comme leur pouvoir d’achat qui, en 2020 et 2021, a encore enregistré en moyenne des hausses respectivement de 0,4 % et 2,2 %.

Cependant, la part des dépenses contraintes (logement, transport, énergie, télécommunications, assurances, etc.) a en parallèle doublé depuis 60 ans dans les budgets. Ce qui peut expliquer les inquiétudes, notamment chez les moins aisés. Ces derniers n’ont en effet pas d’autre choix que d’y faire face pour la simple raison que celles-ci leur sont vitales.

Il faut noter que les consommatrices et consommateurs passent par deux phases pour compenser les pertes que les mécanismes économiques leur imposent. La première phase consiste à consommer différemment, ce qui a été remarqué lors la récente crise sanitaire.

Autrement dit, avant de renoncer à l’achat, ils essayent de trouver des solutions alternatives. En ce sens, face aux poussées inflationnistes, les ménages deviennent plus attentifs aux prix au kilogramme ou au litre. Plutôt que de ne comparer que le montant de l’achat en valeur absolue, ils développent ainsi une très forte sensibilité aux promotions.

On peut ainsi trouver des alternatives et séquencer ses dépenses. Par exemple en optimisant ses déplacements grâce au covoiturage ou aux transports en commun, en attendant les soldes, en choisissant des marques plus modestes ou en explorant le marché de l’occasion. Acheter moins, mais acheter mieux, surtout.

Cependant, cette première phase s’avère parfois insuffisante. On va alors entamer la seconde phase de sa stratégie de gestion de la diminution de ses ressources : le renoncement. On ne renonce pas aux fondamentaux de ses besoins. En revanche, si la pression inflationniste persiste, puisque sa gestion de ses besoins est déjà optimisée, on doit alors sacrifier d’autres dépenses. La baisse de son pouvoir d’achat est, en quelque sorte, une forme de perte de revenu.

Dépenses

Dans le domaine de la consommation, on constate la présence de trois grands domaines économiques de possibles dépenses. Le premier concerne les produits essentiels à la vie et au travail, telle que la nourriture, le logement, le chauffage, les assurances, le carburant pour les déplacements, etc.

Le deuxième concerne les loisirs, les vacances, les moments entre potes, le cinéma, les bars et les restaurants. Bref, les sorties et les sources de détente et de socialisation, en général.

Et le troisième concerne les produits de luxe, autrement dit les marques dont la valeur traverse le temps en restant stable ou en augmentant. Dans le cas de produits de luxe, une montre par exemple, l’objet cristallise en effet un investissement, donc la possibilité d’une revente avec bénéfice.

Les petits plaisirs de la vie face à l’inflation

Avec une telle inflation record, en situation de crise, comme celle que nous traversons ce printemps, entre guerre en Ukraine, crise sanitaire toujours présente, crise climatique et crise maritime mondiale, les premiers postes sacrifiés sont donc les dépenses intermédiaires que l’on pourrait qualifier d’hédonistes ou de socialisantes car elles sont injustifiables à la fois en termes de besoins et en termes de rationalité. Le jeu de société en est l’une des représentations.

Cinémas, restaurants, jeux, sont ainsi abandonnés car ils ne constituent pas des besoins mais des envies. En outre, ils représentent des dépenses « sèches », c’est-à-dire sans contrepartie tangible. A contrario, dans le cas du produit de luxe, on a le sentiment d’un investissement, intelligent, rationnel, puisqu’il échange une monnaie dont personne ne connaîtra la valeur demain contre un produit dont tout le monde connaîtra la valeur après-demain.

Dans le cas d’une perte de revenu, la richesse a incontestablement une fonction, celle de permettre un investissement de protection économique. On peut renoncer à « tout le reste », quitte à limiter ses interactions sociales et les « petits plaisirs de tous les jours ».

« Stagflation », « Whackflation », « foodflation » ou « slumpflation » sont dans un bateau

Nous venons d’aborder l’inflation. Mais d’autres termes assortis du même suffixe ont fait leur apparition pour décrire le bien étrange contexte économique actuel.

Stagflation

Le terme de « stagflation » n’est pas apparu par hasard dans les années 1970. Les deux chocs pétroliers avaient débouché à l’époque sur un environnement économique caractérisé par une croissance faible et une inflation très élevée. La stagflation – contraction de stagnation et d’inflation – se traduit par des revenus qui ne progressent pas alors que les coûts augmentent fortement.

Pour un ménage, cela signifie une érosion du pouvoir d’achat. Pour une entreprise, cela se traduit par des coûts de production et de transport en hausse. Elle doit donc décider entre réduire ses marges pour amortir le choc ou augmenter ses prix, sachant que ses clients potentiels subissent une dégradation de leur niveau de vie.

Whackflation

La pandémie a aussi donné un grand coup à l’économie mondiale et, à mesure que le système tente de se redresser, d’importantes fluctuations de prix continuent à se produire. C’est ce que des journalistes américains ont nommé la «whackflation», «whack» signifiant justement un grand coup.

Le pétrole illustre parfaitement cette notion avec des prix qui peuvent connaître de sévères chutes comme de spectaculaires envolées. Le baril de brut vaut actuellement plus de 120 dollars, alors que son prix avait été négatif en avril 2020, au plus fort de la crise sanitaire.

Whackflation est une oscillation entre de hauts pics et de profonds creux. Ce sont de grandes flambées de prix suivies de baisses de prix.

Foodflation

Dans cette succession de hausses et de baisses, ce sont plutôt les premières qui dominent actuellement. Dans les matières naturelles et en particulier les produits agricoles, donc la nourriture. C’est la «foodflation», l’augmentation continue des prix de l’alimentaire, qui croissent à un rythme supérieur au niveau général d’inflation.

Parce que oui. La guerre en Ukraine génère une crise alimentaire mondiale.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février a considérablement aggravé les perspectives des prix mondiaux déjà élevés.

L’arrêt des exportations ukrainiennes après le déclenchement du conflit a poussé l’indice des prix des aliments selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, qui suit les prix internationaux des produits alimentaires les plus négociés dans le monde, jusqu’à son point le plus élevé en mars depuis le début des relevés en 1990.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, que la Russie appelle une… « opération spéciale » pour démilitariser son voisin, est le récent développement d’une crise alimentaire mondiale croissante.

Alors que la demande mondiale post-pandémique, les conditions météorologiques extrêmes, la diminution des stocks alimentaires, les prix élevés de l’énergie, les goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement et les restrictions et les taxes d’exportation ont tendu le marché alimentaire depuis deux ans, la convergence récente de tous ces facteurs après l’invasion de la Russie est sans précédent. De quoi exploser les taux d’inflation qui touche les produits alimentaires. D’où cette « foodflation ».

En Europe, l’indice des prix à la consommation des aliments a fortement augmenté dans toutes les plus grandes économies du continent.

Graphiques de Reuters

Dans les pays en développement et émergents, la variation de l’indice est encore plus spectaculaire, laissant les consommateurs confrontés à des prix beaucoup plus élevés pour les denrées alimentaires de base.

Graphiques de Reuters

Les exemples les plus extrêmes ont vu l’inflation alimentaire augmenter de centaines de points. Le Liban, un pays qui dépend fortement des importations alimentaires, dont la majeure partie de son blé est en provenance d’Ukraine, a vu l’indice des prix exploser depuis 2020.

Graphiques de Reuters

Au cours des 8 mois qui ont précédé l’invasion, 51 millions de tonnes de céréales ont transité par les sept ports ukrainiens de la mer Noire, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies.

Depuis l’invasion, une grande partie du stock actuel de céréales d’exportation de l’Ukraine est bloquée dans ce pays déchiré par la guerre en raison des dommages causés aux infrastructures ferroviaires, des ports fermés et des blocus russes dans la mer Noire.

Ces blocages signifient également qu’il n’y aura pas suffisamment de stockage disponible lorsque la récolte de 2022 arrivera, selon le PAM.

Le déficit pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour de nombreux pays qui ont compté sur l’Ukraine et la Russie pour la moitié de leurs importations de blé de 2016 à 2020, y compris l’Égypte, qui a récemment conclu un accord avec l’Inde pour aider à remplacer une partie des 80 % de son blé.

En Europe, la guerre en Ukraine a mutilé les principales lignes maritimes à travers la mer Baltique et la mer Noire, et plusieurs pays européens clés ont également interdit les navires battant pavillon russe de leurs ports, bloquant certaines céréales russes.

Les effets aigus du conflit n’ont fait qu’aggraver les problèmes mondiaux de transport. Une étude menée au début du mois de mai par des analystes de la Banque Royale du Canada (RBC) a révélé qu’un cinquième de la flotte mondiale de porte-conteneurs était actuellement bloquée dans la congestion dans divers ports importants. Les difficultés qu’on a connues pendant la crise sanitaire continuent d’affecter le commerce mondial.

Les problèmes de la chaîne d’approvisionnement mondiale devraient s’aggraver à mesure que les blocages dus au COVID en Chine et l’invasion de l’Ukraine par la Russie entraînent des retards encore plus longs dans les ports et augmentent les coûts d’expédition, déjà élevés à un niveau historique.

La grande bataille économique qui se joue avec la guerre en Ukraine se joue donc avec les ressources en blé de cette superpuissance céréalière, historiquement considérée comme le grenier de l’Europe, la quatrième, statistiquement. La Russie est en train «de provoquer une crise alimentaire mondiale».

On voit bien que notre système économique planétaire est touché de plein fouet par cette « foodlation ».

Shrinkflation

C’est l’inflation que vous n’êtes pas censé voir.

Les entreprises sont donc confrontées à un renchérissement de leurs coûts de production. Elles peuvent augmenter leurs tarifs, au risque de perdre des parts de marché. Elles peuvent aussi rogner sur leurs marges, à condition d’avoir suffisamment de marge de manœuvre.

Certaines ont trouvé des parades pour camoufler la hausse du prix de leurs produits. La «shrinkflation» consiste à réduire la taille des produits ou des emballages. On continue à payer le même prix, mais pour moins de matière. «Shrink» signifie rétrécir, se contracter en anglais. On parle de «réduflation» en français.

La «shrinkflation» peut se remarquer lorsque le nouveau produit est placé à côté de l’ancien. Mais la supercherie est plus difficile à discerner lorsqu’on se trouve face au seul nouvel emballage.

Du papier toilette au yaourt et au café en passant par les chips, les fabricants réduisent discrètement la taille des emballages sans baisser les prix. C’est donc ce qu’on appelle la « shrinkflation », et ça s’accélère dans le monde entier.

Aux États-Unis, une petite boîte de Kleenex contient désormais 60 mouchoirs. Il y a quelques mois, il y en avait 65. Les yaourts ont eux aussi diminué de contenant. Au Royaume-Uni, Nestlé a réduit ses boîtes de café Nescafé Azera Americano de 100 grammes à 90 grammes. En Inde, une barre de savon à vaisselle Vim est passée de 155 grammes à 135 grammes.

La «shrinkflation» n’est pas nouvelle. Mais elle prolifère en période de forte inflation alors que les entreprises sont aux prises avec la hausse des coûts des ingrédients, de l’emballage, de la main-d’œuvre et du transport. Comme on en discute ici, l’inflation mondiale des prix à la consommation a augmenté. Un rythme qui se poursuivra probablement jusqu’en septembre.

Les fabricants savent que la clientèle remarque des augmentations de prix, mais pas une trace des poids nets ou de petits détails, comme le nombre de feuilles sur un… rouleau de papier toilette. Les entreprises peuvent également utiliser des astuces pour détourner l’attention de la réduction des contenants, comme marquer les petits emballages avec de nouvelles étiquettes flashy qui attirent l’attention.

En Inde, le « down-switching » un autre terme pour la « shrinkflation », se fait principalement dans les zones rurales, où les gens sont plus pauvres et plus sensibles aux prix. Dans les villes, les entreprises augmentent simplement les prix.

Parfois, la tendance peut s’inverser. À moyen terme, à mesure que l’inflation diminuera, la concurrence pourrait obliger les fabricants à baisser leurs prix ou à réintroduire des packages plus volumineux. Mais une fois qu’un produit est devenu plus petit, il reste souvent ainsi. La montée en gamme est plutôt rare. Malheureusement.

Cheapflation

La «cheapflation» constitue une variante encore plus discrète de la «shrinkflation», puisqu’elle correspond à une baisse de la qualité des produits. Poids et taille demeurent inchangés, mais les ingrédients coûteux sont remplacés par des éléments de moins bonne qualité, donc moins chers («cheap» en anglais) pour le producteur.

Exit l’huile d’olive et bonjour les graisses bas de gamme, par exemple. La «cheapflation» peut être démasquée par une lecture attentive de la composition des aliments. Lecture qui peut être compliquée si… la taille des lettres a elle aussi subi une «shrinkflation».

La « cheapflation » est la dernière trouvaille des distributeurs pour maintenir leurs marges et permettre à leur clientèle de «presque» pouvoir toujours manger leurs produits préférés malgré la hausse de l’inflation qui grève leur pouvoir d’achat. La tendance à monter en gamme dans les achats pourrait donc s’inverser face à la progression des prix.

Slumpflation

De manière plus générale, la période hautement incertaine que nous traversons pourrait dégénérer en «slumpflation», c’est-à-dire une période d’inflation qui coïncide avec une baisse prolongée de la production. Une sorte de « stagflation » qui aurait mal tourné.

L’inflation pourrait-elle être passagère ?

Les cours élevés des matières premières incitent à produire davantage, ce qui a tendance à faire baisser les prix, selon un mécanisme bien établi mais qui prend du temps.

L’inflation pourrait être transitoire, comme l’ont exprimé plusieurs banques centrales. Sauf que cette notion a été mal comprise. On a réalisé a posteriori que les banques centrales voulaient dire que les prix n’allaient pas continuer à augmenter rapidement pendant une longue période. Mais cela ne signifie pas qu’ils vont baisser et retrouver leur niveau antérieur. En réalité, les prix vont demeurer à des niveaux élevés.

Mais comme ils ne progresseront plus, l’inflation – qui mesure donc les variations d’une année à l’autre – aura disparu. Mais encore une fois, les prix vont demeurer à des niveaux élevés. Comme le New York Times le titrait le 3 mai, l’ère du bon marché et de l’abondance pourrait s’achever.

Ce qui est cher reste cher

Au cours des trois dernières décennies, les entreprises et les consommateurs ont bénéficié des échanges internationaux qui ont maintenu un approvisionnement régulier en appareils électroniques, vêtements, jeux de société et autres biens si abondants qu’ils ont permis aux prix de rester bas.

Mais alors que la pandémie et la guerre en Ukraine continuent de peser sur les relations commerciales et internationales, cette période d’abondance semble subir un renversement partiel. Les entreprises repensent l’approvisionnement de leurs produits et le stockage. Même si cela signifie une efficacité moindre et des coûts plus élevés. Un tel abandon d’une mondialisation normalisée pourrait avoir des implications importantes pour l’inflation et l’économie mondiale.

Les économistes se demandent si les récents bouleversements de la chaîne d’approvisionnement et les conflits géopolitiques entraîneront un renversement ou une reconfiguration de la production mondiale, dans laquelle les productions qui ont été délocalisées à l’étranger retourneront en Europe et dans d’autres pays qui présentent moins de risques politiques.

Si cela se produit, une baisse des prix de nombreux biens qui dure depuis des décennies pourrait prendre fin ou même commencer à aller… dans l’autre sens. Ce qui pourrait stimuler encore plus l’inflation globale.

Depuis 1995 environ, les biens durables comme les voitures et l’équipement ont contenu l’inflation, et les prix des biens non durables comme les vêtements et les jeux de société n’ont souvent augmenté que lentement.

Jeux de société et inflation

Depuis le début de l’année, l’inflation prend l’ascenseur. Lentement pour certains produits, plus marquée pour d’autres. Mais tout augmente. D’où notre sujet de départ. Est-ce que l’inflation impacte également le secteur du jeu de société ?

Nous avons voulu savoir quelles répercussions est-ce que ces augmentations de prix avaient sur cette économie. Début juin, nous avons alors interviewé des vendeurs dans des boutiques de jeux de société. Ils sont en première ligne. Ils peuvent d’une part constater l’évolution des prix des jeux, et d’autre part celle des achats.

Genève

Pour la boutique de jeux L’Épée à Deux Nains au centre-ville de Genève, à la question de savoir si elle était touchée par l’inflation, les responsables de la boutique ont affirmé avoir « remarqué quelques effets. Les clients réfléchissent un peu plus avant d’acheter et se laissent un peu moins aller aux achats impulsifs. Cela ce ressent principalement sur les gros jeux : les joueurs vont plus se renseigner et souvent vont préférer prendre un jeu moins cher « en attendant ». Du coup, les petits jeux d’ambiance fonctionnent bien au détriment des gros jeux d’aventure. »

Enfin, quant au calendrier, la boutique de Genève indique que « Habituellement ce sont les mois de janvier-février qui sont les mois calmes, mais cette année après un bon départ le « creux » est plutôt sur avril-mai. Il faut voir si la tendance se confirme sur le long terme… »

Les habitudes changent, donc.

St-Genis-Pouilly

Pour la boutique La contrebande de jeux, à St-Genis-Pouilly dans le Pays de Gex dans le Département de l’Ain, à quelques encâblures de Genève, les responsables reconnaissent également que « l’inflation en cours, les hausses tarifaires annoncées par tous les fournisseurs ou presque font du tort au milieu. Beaucoup de nos clients en parlent, tiquent sur un prix, nécessitent une justification sur la grande montée générale des prix des éditeurs. »

Le vendeur de la boutique dresse un constat accablant sur la situation. Il rajoute avoir « à tirer sur les tarifs et rogner sur nos marges comme jamais précédemment. Ayant connu le monde de la librairie et du jeu depuis bientôt 9 ans, je peux prédire que la précarité si réputée des librairies va se transmettre d’ici peu dans le monde ludique. » Le vendeur explique avoir un « retour de nos éditeurs ainsi que d’autres boutiques de copains, que le commerce de jeux n’est pas à la fête en ce moment. »

Est-ce que ce vendeur a vu les prix des jeux de société s’envoler ? Selon lui, « Oui, les prix ont bougé, et on l’a admiré comme tout le monde dans les superbes mails de nos fournisseurs, qui bien désolés de cette situation, se voient dans l’incapacité de maintenir leurs tarifs pour 2022 et y annoncent une augmentation des prix d’achat de 1 à 10% (oui, quand même !). Je peux même annoncer une augmentation de 11% pour Wizards of the Coast (Magic the Gathering) puisque c’était un communiqué officiel. Le terrible coût du papier et de l’impression européenne s’est soudainement imposé à eux comme insurmontable.

Nous avons donc bien sûr dû en répercuter certaines hausses de prix (considérons un mouvement moyen de 1 à 5€ sur le prix de vente théoriquement parlant), qui ne sont malheureusement pas du tout en adéquation avec la réalité. »

Paris-Annecy

Même son de cloche à la boutique Play-in à Paris et Annecy, qui constate que : « de nombreuses personnes ont découvert ou redécouvert les jeux de société avec les confinements. Avec le déconfinement, les gens peuvent à nouveau consacrer du budget à d’autres activités. En ajoutant à cela le ralentissement général de la consommation en raison de l’inflation, les ventes de jeux de société sont en train de se stabiliser après plusieurs années de croissance soutenue. »

Un autre constat de ralentissement, donc.

Le vendeur rajoute que « Au final, nous pensons que le marché du jeu de société est en train de sortir de sa période exceptionnelle liée aux confinements. La base de joueuses et joueurs est plus large qu’avant suite aux confinements, ce qui est plutôt une bonne nouvelle sur le long-terme. 

Strasbourg

Pour la boutique Philibert à Strasbourg, ils indiquent que « Globalement, l’inquiétude quant à l’avenir, la guerre et l’inflation ont tendance à tasser un peu les ventes depuis février. Après les années « confinement » pendant lesquelles le cercle des joueurs s’est élargi, la situation économique de ce début d’année provoque un ralentissement logique de cette croissance. Mais si on creuse un peu, ce n’est pas uniforme.

L’impact de l’inflation sur les budgets des joueurs va dépendre de ce que représente cette passion pour eux. Quand il faut faire des arbitrages dans son budget, on coupe d’abord dans ce qu’on considère comme accessoire. Donc pour les joueurs passionnés et acharnés, ce n’est pas dans ce budget que les économies sont faites prioritairement. Alors que pour des joueurs occasionnels, la question se pose et ils peuvent reporter cette dépense qu’ils considèrent plus accessoire. 

L’impact sur le catalogue des jeux vendus chez nous est un renforcement de la part des gros jeux et des nouveautés et à contrario une baisse de la part des jeux plus légers ou des classiques. »

Conclusion de l’inflation

Après un survol des mécaniques économiques qui régissent l’inflation, et nos entretiens auprès de quatre boutiques de jeux, on peut constater que :

👉 Les prix augmentent

👉 Les achats se tassent. Surtout après deux ans de confinements et de crise sanitaire qui ont vu une explosion exceptionnelle de la demande en jeux de société

👉 Les habitudes d’achat de jeux de société changent

👉 Certains jeux deviennent des « valeurs sûres », des « valeurs refuges »

Comme expliqué plus haut, les points de dépense se catégorisent en trois groupes. Le jeu de société appartient au deuxième, le loisir. C’est là qu’on va devoir, parfois, renoncer à des achats. Les quatre boutiques de jeux interrogées peuvent en témoigner.

Et maintenant, on fait quoi ? On attend. Que la situation mondiale, économique, politique s’améliore. Au fond, l’inflation n’est pas un mal. C’est la preuve d’une économie en essor. Tant qu’elle reste moindre, gérable et qu’elle n’entraîne pas de précarité.


Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste. Et comme joueur, surtout. Ses quatre passions : les jeux narratifs, sa ménagerie et les maths.


Et vous, comment réagissez-vous face à cette inflation que nous connaissons en 2022 ? Achetez-vous moins de jeux ? Ou achetez-vous des jeux autrement ? Racontez-nous ça.

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2 Comments

  • yanbal

    Merci pour cet article très intéressant et très complet qui reflète de manière très pertinente les problématiques en lien avec la vie internationale.
    Ce qui serait intéressant, serait, de faire dans le cadre de ce site, un listing des astuces et/ou des solutions qui seraient envisageables pour les joueurs et le monde du jeu.
    Merci encore pour ce superbe et non moins alarmant constat et travail effectué.

  • Charlène

    En effet, merci pour ce bel article très complet.
    Pour compléter l’état des lieux de l’article, de notre côté Au Grand Méchant Loup ( https://grandmechantloup.ch ) on a pas vu de différence dans les ventes. On est toujours sur une belle croissance. Peut-être est-ce dû à nos prix très attractifs pour le marché suisse ou à notre décision de non répercussion des augmentations de ces derniers mois.
    Espérons que cela dure.

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