Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Save Patient Zero. Une course contre la montre, bâclée

Dans Save Patient Zero, retrouvez un antidote, sauvez le monde. Ça ne vous rappelle rien ?


Save Patient Zero

Cathartique. Il y a quelque chose de cathartique et de soulageant à jouer à des jeux de société qui parlent de pandémies en pleine… vraie pandémie. La preuve avec tous ces autres jeux qui nous plongent en pleine pandémie. Et c’est sur cette vague, interminable, que vient surfer à son tour Save Patient Zéro.

Après une campagne de financement sur Kickstarter en automne 2021, qui, il faut le dire, a eu de la peine à décoller, 13K sur 10K demandés, le jeu sort en fin d’année 2021 – tout début d’année 2022, dans toutes les pharmacies boutiques de jeux.

Comment ça marche ?

Une pathologie mortelle vient d’apparaître. Elle est sur le point de détruire l’humanité. Le patient zéro a pu être identifié. Mais il va falloir trouver le moyen de le guérir au plus vite ! Deux laboratoires, Moderna/ Pfizer Labo M et Lavo T, sont en compétition pour trouver au plus vite un antidote.

La personne ou l’équipe qui arrivera à découvrir avant les 3 molécules nécessaires à la fabrication de l’antidote sera désigné laboratoire victorieux. Et pourra, au passage, se faire un max de pépètes en nous vendant X doses chaque 1d6 mois.

Dans Save Patient Zero vous incarnez le fleuron de l’élite scientifique. Vous devez vous mesurer à vos collègues de promotion du laboratoire concurrent.

Au sein de votre équipe, il vous faudra choisir judicieusement l’ordre dans lequel vous utiliserez les 10 outils de laboratoire mis à votre disposition lors de chaque partie. Ceux-ci seront sélectionnés, volontairement ou au hasard suivant le mode de jeu, parmi les 24 existants.

Dès 3 scientifiques en jeu et principalement en cas de nombre impair, le rôle de Maître de Jeu sera endossé par une des personnes autour de la table. Sous le nom de SAVVY (normal il la joue !)  il aura pour mission d’exécuter les actions ordonnées par les deux laboratoires. Pour les parties en solo ou en nombre paire, une application mobile dédiée jouera le rôle de SAVVY…. du moins dans l’idéal de jeu…mais on y reviendra.

SAVVY va tout d’abord tirer secrètement au sort les 3 molécules qui seront celles à découvrir pour créer l’antidote nécessaire et ainsi, sauver le monde en éradiquant cette maladie mortelle apparue récemment. Toute ressemblance avec des faits réels est bien évidemment purement fortuite.

Save Patient Zero est une course folle, dans laquelle il va falloir utiliser des outils de précision scientifiques (microscope, centrifugeuse, analyzer, scanpad, etc..) à bon escient, dans le bon ordre et combinés du mieux possible afin de réussir à déduire les 3 précieuses molécules parmi les 25 existantes.

Chaque laboratoire, après concertation au sein de ses scientifiques présents, va le plus rapidement possible transmettre à SAVVY la carte outil choisie. Celles-ci sont alors révélées face visible. Ils vont ensuite exécuter leur ACTION dans l’ordre de remise à SAVVY et attend que leurs adverses en fasse de même, avant de pouvoir proposer une nouvelle ACTION.

Un laboratoire ne peut en aucun cas utiliser son nouvel outil tant que l’autre labo n’a pas achevé son ACTION. Lorsque les deux équipes ont terminé, un nouveau tour commence. Compter de 6 à 8 tours par partie. La tension reste ainsi à son maximum jusqu’à ce qu’un des laboratoires, pensant tenir la bonne combinaison, présente en premier la carte ANTIDOTE et trouve le trio gagnant.

Au fur et à mesure des déductions faites, les mauvaises molécules sont tracées sur la Feuille de Laboratoire pour, finalement, révéler les trois précieuses molécules.

Attention, seules 2 cartes ANTIDOTE sont à disposition par laboratoire. Une erreur est donc possible lorsque le laboratoire pense avoir trouvé la bonne combinaison, mais la seconde sera fatale.

Un paravent dissimule la piste de jeu de chaque laboratoire tout en rappelant, en face visible des scientifiques, la spécificité des différents outils mis à leur disposition.

Les échanges entre scientifiques d’un même laboratoire sont indispensables mais il va falloir être discret car les oreilles ennemies et le piratage pharmaceutique n’est pas loin. Les plus malins sauront l’utiliser pour distiller de fausses informations et tromper leurs adversaires.

Save Patient Zero est un jeu qui colle à l’actualité. Le graphisme de la boite de jeu et du matériel est tout à fait dans le thème et les actions/outils à combiner sont très réalistes et diversifiés. C’est un jeu à forte interaction directe et indirecte, qui fait monter l’adrénaline et active la réflexion et la stratégie. Les parties sont rapides , compter environ 20-30 minutes. Dès qu’une est terminée, on a clairement envie de renfiler la blouse et replonger le nez dans les éprouvettes : aaaah l’euphorie du scientifique !

Pourquoi jouer à Pandemic ou Save Patient Zero en pleine pandémie ?

Pourquoi nous tournons-nous vers des jeux de société, comme Pandemic ou comme ici Save Patient Zero, en pleine pandémie mondiale mortelle ? Pourquoi jouer à des jeux qui parlent de ce que nous cherchons à éviter dans la vraie vie ? Ces jeux ne font pas que nous divertir. Ils le font, certes, et nous en avons peut-être plus besoin que jamais. Ils nous aident toutefois également à aborder la situation de manière créative. À résoudre des problèmes, à se concentrer, à s’adapter et à réfléchir.

L’historien grec antique Hérodote a d’ailleurs écrit que les premiers jeux ont été créés pour aider les gens à faire face aux malheurs.

Sous le règne d’Atys, fils de Manès, toute la Lydie fut affligée d’une grande famine, que les Lydiens supportèrent quelques temps avec patience. Mais voyant que le mal ne cessait pas, ils y cherchèrent remède et chacun en imagina à sa manière. C’est à cette occasion qu’ils inventèrent les dés, les osselets, la balle et toutes les autres formes de jeux, excepté celui des jetons, dont ils ne s’attribuent pas la découverte. Et pour tromper la faim qui les pressait, voici l’usage qu’ils firent de ces inventions pour tromper la faim qui les pressait. On jouait alternativement pendant un jour entier, afin de se distraire du besoin de manger; et le jour suivant, on mangeait, au lieu de jouer.

Hérodote

Déjà dans l’Antiquité on faisait référence aux serious games. Le fait de jouer pour apprendre, pour développer des connaissances, des compétences. Une recherche de 20141 se penche sur ces serious games pour faire la lumière sur leurs apports. Une autre de 20152 liste les compétences développées par ces jeux, sérieux. En 2016 une recherche3 découvrait que le jeu, les serious games et la gamification apportaient des bénéfices.

Des jeux de société, tels que Pandemic, ont entraîné une résurgence des jeux de société en tant que loisirs pour adultes, renforcée par un désir d’expériences sociales authentiques, le désenchantement de certains jeux vidéo en ligne (et de leurs trolls) et la prolifération des cafés de jeux de société.

Dans Pandemic, ou Save Patient Zero, on ressent des montées d’adrénaline, de la crainte de ne pas y arriver, et puis un soulagement d’avoir réussi. Pandemic est un jeu coopératif. On joue, ensemble, contre les méchantes maladies. On prend, de manière collective, des décisions, des actions pour sauver la planète.

Ensemble. Le mot est lâché. C’est tout ce qui rend l’expérience de jeu, qu’elle soit coopérative ou compétitive, comme Save Patient Zero, sublime. Le fait de se retrouver, à plusieurs, à partager un problème à résoudre. D’autant que Save Patient Zero peut aussi se jouer par équipe.

Alors Pourquoi maintenant ? Pourquoi, face à la réalité d’une pandémie mondiale, serions-nous intéressés, et rassurés par des jeux qui parlent de maladies mortelles ? Ce n’est pas comme si le jeu banalise le problème. Pandemic et Save Patient Zero présentent des défis complexes, nécessitant des stratégies flexibles. Ils présentent finalement une solution possible obtenue grâce à la coopération et une planification intelligente.

Jouer à jeu de plateau à la maison entre potes, en famille peut offrir une chance de créer de l’ordre dans sa tête lors d’une situation de crise comme celle que nous traversons depuis deux ans maintenant. Nous pouvons nous sentir quelque peu soulagés, rassurés.

Les situations difficiles nécessitent des stratégies évolutives. Et les revers peuvent être temporaires et fournir des voies vers des solutions plus créatives. C’est ce que démontre une autre recherche de 20164. Le jeu devient alors… terrain de jeu, d’expérimentation. Et, finalement de levier cathartique pour mieux affronter notre réalité, bousculée.

Retour à notre patient

Pour découvrir différentes stratégies, pour ressayer, pour s’améliorer, Save Patient Zero donne donc envie de re-re-rejouer. Toutes ces belles promesses rendent du coup encore plus inadmissible les grossières erreurs qui viennent… contaminer le jeu.

Et comme un virus, faute de couverture vaccinale complète, il se transforme généralement en plusieurs variants, plus ou moins sympathiques. C’est ce qui est arrivé à Save Patient Zero.

Variant Delta

Clairement le plus rageant des variants. C’est le premier qu’on découvre dans Save Patient Zero, tellement il est énorme. À l’heure à laquelle je vous écris, aujourd’hui lundi 10 janvier 2022, alors que le jeu est déjà sorti depuis quelques jours de manière officielle dans les boutiques, l’application dédiée sur laquelle les parties de 1 à 2 scientifiques ou en nombre paire reposent est tout simplement INTROUVABLE sur iOS au téléchargement. Rendant ces configurations de jeux impossibles. Et même l’app sur Android débloque.

Incompréhensible ! Rageant. On paie un jeu sans pouvoir y jouer à 1 ou 2. Voire plus.

Car si les rôles des scientifiques sont prenants, après une partie dans le rôle de SAVVY Maître du Jeu, plus personne n’a envie de s’y coller. La responsabilité d’une erreur est grande pour un intérêt totalement nul. L’application est donc indispensable comme alternative !

Et comble de la situation, l’éditeur suisse Helvetiq ne communique aucune information sur son site à ce sujet. Pas très pro…

Variant Omega

Un autre variant qui contamine le jeu.

Selon les cartes, les virus, tous représentés par un numéro, n’ont pas forcément les mêmes contours graphiques. On en vient à douter de savoir si l’on parle bien de la même molécule (ex. molécule 19). Un souci d’ergonomie qui pose des soucis dans le jeu.

Variant Omicron

Un autre variant qui contamine le jeu.

Les applications de chaque outil sont rappelées sur la face interne des paravents afin que les scientifiques puissent s’y référer pour faire leur choix. Celles-ci sont entièrement en anglais. Alors que le jeu est vendu en version multilingue. Mais est-ce que l’éditeur helvétique a voulu réunir les 4 langues nationales suisses avec l’anglais universel ?

Il a donc eu l’excellente idée de fournir des feuillets en allemand, français et italien à accrocher sur chaque paravent au moyen de pinces également fournies. Mais il n’y a qu’un seul jeu de traduction pour les deux paravents de laboratoire et uniquement 3 pinces pour les 4 feuillets qu’elles devraient permettre d’accrocher.

Un peu mesquin tout cela. À moins que l’objectif soit, dès le départ, de faire se battre en duel les deux laboratoires pour voler à l’autre le matériel nécessaire à son travail ?

Alors certes, on peut télécharger et imprimer la feuille supplémentaire sur le site de l’éditeur. Mais encore faut-il le savoir, et le faire. Si on s’achète un jeu, on attend de pouvoir y jouer sans autre.

Variant IHU

Un autre variant qui contamine le jeu.

Les feuilles de laboratoire sur lesquelles les déductions sont notées sont fournies en format bloc-notes de papier jetable. Une version effaçable aurait non seulement permis d’être plus écologique et économe en papier, mais également plus efficace pour s’y retrouver en notant, au moyen d’un feutre noir, ses déductions plutôt qu’avec le crayon papier, peu lisible, fourni dans la boite de jeu.

L’auteur y avait visiblement pensé dans son édition de luxe de Kickstarter mais avec 13K sur 10K, les backers n’ont pas réussi à investir jusque-là, et à débloquer ce stretch-goals, dommage.

Save Patient Zero, verdict

En résumé, un bon jeu très prometteur. Mais mis à mal par une sortie bâclée avec des erreurs grossières ! Pour un éditeur de jeux connu, c’est un fail ! Bad buzz pour l’éditeur suisse.

Un vrai gâchis qui fait chuter la note du jeu à 2 alors qu’un 4 aurait pu être facilement envisagé.

Pas mal, avec des soucis des production qui nuisent au plaisir du jeu. Et en l’état, 10 janvier 2022, sans application, le jeu est injouable à 1-2 alors que c’est proposé.

Note : 2 sur 5.
  • Auteur : Cédric Martinez
  • Illustrateur : Emiliano Ponzi
  • Éditeur : Helvetiq
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1 à 7 (sans appli, oubliez d’y jouer à 1-2)
  • Âge conseillé : Dès 10 ans (bonne estimation)
  • Durée : 30′ (bonne estimation)
  • Thème : Virus, recherche scientifique
  • Mécaniques principales : Déduction, course, équipe

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Article écrit par Aline. Elle travaille dans le domaine social. Elle est tombée toute petite dans la marmite du jeu sous toutes ses formes (plateau, jeux vidéo, escape room, murder). Écrire sur le blog lui permet de découvrir de nouveaux jeux et partager de vrais coups de cœur.

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2 Comments

  • Sylvain VANDAELE

    Hello
    Merci pour cette analyse du jeu qui résume bien mon ressenti.
    J’ai participé au kickstarter et reçu mon exemplaire.

    Déception : l’application Android qui ne permet pas de jouer seul (apparemment cela fait partie de la dernière mise à jour) mais qui ne permet de jouer qu’avec une autre personne connectée. Donc l’appli dispo sur Android existe mais ne permet pas de jouer sur table…

    Le jeu est rangé dans la bibliothèque, pas sûr qu’il sortent rapidement, quel dommage…

    Sylvain

    • Gus

      Merci Sylvain pour votre retour.

      Et ce qui est étrange dans toute cette affaire, c’est le manque total de réaction, de communication de l’éditeur Helvetiq. Ils pourraient au moins réagir, s’expliquer, proposer une solution… Mais non. Ils préfèrent ne rien dire, ne rien faire, laisser passer la tempête et attendre que ça passe.

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