Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Ever Given et jeux de société, quelle leçon en tirer ?

Maintenant que l’Ever Given navigue à nouveau et que le Canal de Suez est débloqué, quelle leçon retenir de cet accident ?


Tout est bien qui finit bien. Ca y est. Depuis hier soir lundi 17h, le méga porte-conteneur Ever Given de la compagnie maritime japonaise Evergreen flotte et navigue à nouveau ! Une excellente nouvelle pour le commerce maritime, une excellente nouvelle pour le commerce mondiale, tout court.

Vraiment ? Ne peut-on pas retenir une leçon, essentielle, de cet accident ? Est-ce qu’il n’est pas temps pour les éditeurs de jeux de société de profiter de ce (mauvais) coup du sort pour repenser nos chaînes d’approvisionnement ?

E la nave va

L’Autorité du canal de Suez (SCA) a annoncé lundi la reprise du trafic dans cette voie maritime majeure obstruée depuis près d’une semaine par un porte-conteneur géant, l’Ever Given. Il a repris sa route lundi après-midi, aidé par des remorqueurs et des pelleteuses qui ont dégagé 27’000 m3 de sable jusqu’à 18 mètres de profondeur à sa proue. Même la pleine lune, qui a élevé plus que d’ordinaire le niveau de l’eau, a aidé !

On estime que 90% du commerce mondial est transporté par voie maritime. En tant que consommatrices et consommateurs, de jeux de société, et de tout le reste aussi, nous réfléchissons rarement à la manière dont les jeux, les choses que nous achetons font le tour de la planète pour finir sur nos étagères, dans nos appart, nos maisons. Autrement dit, ce que l’accident de l’Ever Given nous offre, c’est la révélation des faiblesses de ce système mondial et mondialisé.

Alors oui, des vents violents mardi soir semblent être la cause de l’accident de mardi soir passé, vents qui ont poussé le porte-conteneurs au point de le mettre en travers à l’entrée du canal, dans une voie qui n’en compte qu’une seule, au contraire d’autres parties du canal, bidirectionnel. Comme une artère, cruciale pour notre organisme, ce canal sert d’artère commerciale reliant la Méditerranée et la mer Rouge. Autrement dit, le canal de Suez sert d’artère et de voie « rapide » entre l’Europe et l’Asie, là où la plupart de nos jeux, et de nos denrées proviennent.

L’Ever Given, ce colosse des mers

Le canal de Suez est responsable du transit de plus de 19’000 navires en 2019, soit près de 1,25 milliard de tonnes de fret. On pense que cela représente environ 13% du commerce mondial. Vous imaginez sans peine que tout blocage, comme celui qui s’est produit ces derniers jours, est susceptible d’avoir un impact significatif sur nos jeux, sur nos produits de consommation, allant de la pâte à papier pour produire notre papier de toilette à la PS5, en passant par le pétrole brut et le bétail pour nos burgers.

Au vu des dimensions gargantuesques de l’Ever Given, qui mesure 400 mètres de long (contre 324 de haut pour la tour Eiffel) et 16 mètres de profondeur sous la ligne de flottaison, et qui transportait des produits venant de l’Asie pour être acheminés en Europe, le moindre « petit » accident, comme celui-ci, remet tout le système en question.

L’Ever Given, de taille gigantesque encore une fois, est l’un des plus grands porte-conteneurs au monde, capable de transporter plus de 18’000 (!) conteneurs, soit près de 150’000 tonnes de marchandises, nos jeux de société en faisant partie. Si le nombre exact de porte-conteneurs de cette taille transitant par le canal est inconnu, les porte-conteneurs représentent près d’un tiers de tout le trafic sur le canal. Leurs dimensions rendent la navigation difficile dans le canal. 

Ce que ce naufrage dit des chaînes logistiques mondiales, et de nos jeux de société, c’est que des passages obligés étroits, d’Egypte au détroit d’Ormuz, exposent notre système mondial à des risques majeurs, comme on l’a vu ces derniers jours. Et tout ça, en pleine pandémie qui a déjà secoué le marché.

Ever Given, cette mule des mers

En tout et pour tout, avec cet accident et le blocage qui a suivi, ce sont plus de 450 bateaux auraient été bloqués lundi au sud du canal, selon l’agence Bloomberg. La majorité d’entre eux transportent des matières premières de tout type. Il y a aussi des pétroliers qui transportent des carburants entre l’Arabie saoudite, l’Europe et les Etats-Unis. Un million de barils de pétrole y transitent chaque jour.

Il y a aussi du bétail. Parmi les navires en attente au sud du canal, une quinzaine achemineraient des animaux. Quelque 200’000 bêtes seraient bloquées dans des conditions qui inquiètent car il faut les nourrir et, en général, les réserves sont limitées.

Les autorités syriennes ont déclaré que le navire échoué a retardé l’arrivée d’un pétrolier dans le pays et que Damas doit rationner les approvisionnements en conséquence. Le blocage pourrait aussi entraîner un manque de papier hygiénique, selon le patron de Suzano, un fabricant brésilien.

L’offre en café soluble en Europe serait également mis à mal, avec la majorité des grains qui transitent par le canal. Seul le café robusta du Brésil et de Côte d’Ivoire ne passe pas par cette route.

Et tout ceci, dans une situation mondiale plus que secouée après une année de pandémie. Entre confinements et magasins fermés, nous n’avons jamais autant consommé sur le net, et donc importé, et ceci souvent en Asie. Comprenez, Chine. Ce ballet sur mer a déséquilibré la répartition des conteneurs. La fermeture de l’économie chinoise en mars 2020 et sa reprise rapide juste après, due à nos incessantes commandes, couplée à un manque de camionneurs et de main-d’œuvre dans les ports, coucou COVID, ont créé une pénurie de conteneurs sur les « autoroutes » maritimes, notamment entre la Chine et les Etats-Unis.

Une chance pour l’industrie du jeu de société

La pandémie a provoqué des retards, des ruptures, des augmentations de prix fulgurants, allant jusqu’à +400% sur les conteneurs ! De quoi revoir notre système de production de nos jeux de société, et entraîner, par conséquence, des relocalisations « forcées » dans des usines de fabrication en Allemagne (Ludo Fact), ou Pays-Bas (NSF Games).

Tapez, au hasard, dans l’une de nos chroniques et critiques de jeu de société. Depuis près de deux ans, nous appliquons l’Ecoscore, un étiquetage carbone que nous avons développé pour les jeux de société. Dans la plupart de nos chroniques, nous insistons sur le lieu de production, d’assemblage, nuance, des jeux. Et ce que nous constatons est sans appel : la très, très grande majorité des jeux de société sont aujourd’hui produits en Chine. Même quand ils sont « juste » composés de papier ou de carton, comme Nidavellir par exemple, qui vient tout juste de décrocher le Swiss Gamers Award.

Nidavellir, ce sont juste quelques cartes, quelques jetons de pièce en carton, et tout ça est produit en Chine. Pour un jeu qui propose une palette de figurines, comme la plupart des jeux américains et/ou Kickstarter, on peut le comprendre. La Chine a acquis, avec le temps, une expertise et un outillage pour réaliser moulages et injections plastique. Mais pour des jeux de société « simples », juste composés de papier-carton, la méthode interroge.

Faut-il vraiment, vraiment faire produire, et faire acheminer nos jeux à travers toute la planète ? Surtout pour des jeux qui pourraient l’être plus près de chez nous ? Cela aurait plusieurs avantages : relancer l’économie « locale », tout dépend encore où l’on vit bien sûr, surtout en période de crise économique majeure, de diminuer les impacts écologiques, et, enfin, pour reprendre l’épisode Ever Given, pour réduire la vulnérabilité et fragilité d’une industrie du jeu de société aujourd’hui tellement mondialisée.

Ce que l’accident de l’Ever Given nous offre, aujourd’hui, c’est la chance de revoir notre copie. Peut-être que les éditeurs de jeux devraient parfois chercher le moyen de production le plus pertinent, pour la planète, pour l’économie, et pas forcément le plus rentable. C’est le cas de certains éditeurs, une minorité. Qu’attendent les autres ?

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3 Comments

  • Klumpf

    Bonjour,
    Que dire sur cette article sinon que mon commentaire du très bon article du 18/03/2021 n’en est que la confirmation.
    Qu’attendent les éditeurs pour inciter plus de production en Europe et accompagner cette transition…

    • Gus

      Peut-être que nous prenons le problème par le mauvais sens. Peut-être qu’au lieu de rejeter « la faute », si on peut parler de faute bien sûr, sur les éditeurs, qui ne font pas attention à l’Ecoscore de leurs jeux, peut-être que nous, joueurs, joueuses, clients, clientes, avons nous aussi notre part de responsabilité. Je m’explique. À force d’acheter et de filer des prix (coucou Nidavellir) à des jeux qui sont produits en Chine, et qui pourraient très bien l’être en Europe, pourquoi est-ce que les éditeurs chercheraient à produire autrement ? En réalité, tant que la demande est indulgente, l’offre ne va pas changer.

      Je prendrai comme exemple la fausse « viande », végétarienne. Depuis 2-3 ans, l’industrie agro-alimentaire s’est emparée de cette niche, réservée précédemment aux magasins bio. Aujourd’hui, même les grandes marques de viande proposent leurs substitut. Pourquoi ? Pas pour se montrer plus écolo. Mais pour répondre à une demande en progression. Le nombre de végétariens et végétariennes et vegans augmentent, et tant mieux pour la planète et l’éthique animale, et ça se répercute sur les ventes. Moins de viande vendue, plus de fausse viande vendue. Résultat ? Le marché, l’offre s’adaptent, réagissent, recalibrent.

      Si nous, joueuses, joueurs, faisions plus attention à l’Ecoscore des jeux, quitte à carrément refuser des étiquettes D ou E, les éditeurs se verraient bien forcés de revoir leur copie et de chercher à produire autrement. Au fond, la balle n’est pas dans le camp des éditeurs de jeux de société, mais bien dans la nôtre !

      • Klumpf

        Mais à titre personnel, je regarde ce genre de chose justement et cela peut effectivement dicter mon choix (surtout lorsque les jeux sont composés essentiellement de tuiles, de cartes mais aussi en fonction la composition des pions). Mon premier regard sur la boite convoité est systématiquement sur la composition du relief de l’entoilage du carton pour en deviner l’origine. :o) et après je regard son origine systématiquement pour confirmer si doutes il y a….
        Je peux comprendre également qu’un éditeur qui commence produise hors d’Europe afin de ce faire un matelas économique en prévision de ces créations futures mais si cela devient la norme pour lui je me détournerai probablement de sa production dans le temps car indiquer la production lisiblement et me semble-t-il un argument commercial.
        A l’inverse certains éditeurs encore « jeunes » (moins de 10 ans) mais avec de belles réussites ont choisi l’Europe directement dés leur démarrage sans prix exorbitant et semble s’y tenir donc c’est faisable et notable.

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