Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Vous aimez flâner dans les boutiques de jeu ? Ce que la psychologie dit de notre expérience

Les commerces dits non essentiels rouvrent ce samedi. Qu’est-ce qui nous plaît dans le fait de flâner dans les boutiques de jeu ?


Le Chef de l’État français vient tout juste de l’annoncer ce mardi soir. Tous les boutiques pourront rouvrir en France ce samedi 28 novembre, avec un protocole sanitaire renforcé. À Genève, avec la pression de la frontière et la concurrence, les commerces « non-essentiels » (vous apprécierez les guillemets) ouvrent également le même jour.

Qu’est-ce qui nous plaît dans le fait de flâner, dans une boutique de jeux ou autre ? Pourquoi apprécions-nous nous balader dans les commerces, sans forcément acheter quelque chose ?

Retailtainment

L’expérience de la boutique de jeux consiste à savourer « l’amour » des jeux, à se balader entre les rayons, les boîtes qui s’empilent, qui se côtoient, avec la promesse de trouver, peut-être, chaussure à son pied, jeu à sa table.

Prenons l’exemple de l’une des boutiques de jeux de Genève. Chaque semaine, elle présente un jeu en démo, avec, pour les clientes et clients, la possibilité d’y jouer. C’est ce qu’on appelle le retailtainment, cet anglicisme et néologisme, contraction entre Retail, la vente au détail, et Entertainment, le divertissement. Le retailtainment est une tendance qui repose sur l’utilisation du divertissement pour augmenter l’intérêt des consommateurs pour un produit. Il a ainsi pour but de nourrir leur envie d’acheter. Il n’est plus uniquement question de vendre un produit mais bien de proposer une expérience divertissante et unique.

Généralement, le retailtainment prend la forme d’expériences ludiques insolites reposant sur l’immersion, la découverte. Le consommateur n’est plus simplement un client mais bien un participant engagé dans les actions de l’enseigne. La boutique devient alors un lieu de rencontre et d’échanges. L’expérience n’est pas seulement vécue, elle est partagée. On peut découvrir le jeu, à plusieurs. Cette boutique propose même, comme de nombreuses boutiques par ailleurs, des tournois réguliers, de Magic, X-Wing ou autres, une à plusieurs fois par semaine. Ces magasins allient la vente de leurs produits avec des services et activités annexes. Ils construisent et rassemblent une communauté. La communauté, le maître-mot de ces dix dernières années. Pouvoir compter sur une communauté, c’est s’assurer des ventes. Aujourd’hui, les boutiques sont devenues plus que de « simples » lieux de vente.

Les joueurs et joueuses de jeux de cartes, de jeux de plateau adorent une approche comme celle-ci, qui met l’amour des jeux au premier plan. Reste encore à savoir si en pleine pandémie, ces expériences sont encore autorisées. Le Conseil d’État genevois semble avoir interdit toute action extraordinaire, vente Flash, père Noël, etc. pour assurer un protocole sanitaire adéquat.

Boutiques « en dur » VS boutiques en ligne

Selon les derniers chiffres, le chiffre d’affaires du e-commerce dépasse les 100 milliards d’euros rien qu’en France. Le chiffre d’affaires des ventes sur Internet est en progression constante depuis 2015. Le cap des 100 milliards d’euros a été franchi en 2019 : 103,4 milliards d’euros, une hausse de 11,6 % par rapport à 2018.

8 internautes sur 10 achètent un produit ou un service via un site e-commerce, tous supports confondus, soit 40 millions de français. Ce chiffre est aussi en hausse (+ 800 000 en un an).

On constate une hausse des acheteurs sur mobile en 2019 : + 3,1 millions de consommateurs soit + 23,7 % sur un an. Au total l’année dernière, 16,3 millions de français ont effectué des achats à partir de leur mobile. À savoir : 49 % des e-acheteurs mobile achètent sur Internet au moins une fois par mois via leur mobile. Des chiffres qui en disent long sur le boom de l’e-commerce !

Il faut dire que les deux types de vente ne jouent pas à armes égales. Les boutiques de jeux « en dur », elles, sont limitées par l’espace physique des étagères et ne peuvent donc offrir qu’un petit morceau du catalogue à la fois. Mais une boutique en ligne peut disposer d’un inventaire illimité. Il lui suffit d’avoir un entrepôt ailleurs.

Vendre en ligne représente également une opportunité sertie d’avantages. Chaque référence est souvent criblée de liens vers le résumé du jeu, sa fiche « technique », les informations sur les auteurs, et même bien souvent des critiques et étoiles laissées par d’autres personnes qui viennent alors compléter la référence. De quoi venir en aide aux acheteurs qui ne peuvent pas manipuler, sous-peser, sniffer le jeu en vrai.

L’arrivée des boutiques en ligne dans les années 90-2000 a été un sacré coup dur pour les boutiques « en dur ». Certaines se sont adaptées et se sont mises elles aussi à vendre en ligne. Avec les multiples fermetures dues à la pandémie de 2020, celles qui ont pratiqué le click-and-collect ou la vente en ligne se sont un peu mieux sorties que les autres.

Sans parler de ces circonstances inédites, malgré les boutiques en ligne, Amazon et autres, les boutiques « en dur » font de la résistance. Si certaines d’entre elles ferment, et la pandémie ne va pas améliorer la situation, il faut relever que d’autres tiennent bon. Comment est-ce possible ?

Psychologie de la boutique de jeux

Malgré toutes ses commodités incroyables et ses prix souvent bas, il y a un aspect du jeu de société qui ne peut pas être capturé dans l’expérience en ligne. C’est le sentiment réel d’acheter un jeu. L’acte d’achat « en vrai » implique et génère un état psychologique.

Les amateurs de jeux de société sont familiarisés avec ce sentiment. Les boutiques de jeux présentent une ambiance particulière, parfois feutrées, douillette et agréable. Ce que l’on ne trouve pas dans l’expérience en ligne.

Les approches expérientielles, presque sensorielle, que ce soit de manière stratégique ou intuitive, placent ce sentiment au cœur de l’expérience client. Amazon et autres plateformes en ligne ont poussé les boutiques à se réinventer, à proposer plus que des étagères craquant sous le poids des boîtes de jeu.

En tant qu’industrie, cette disruption peut être aujourd’hui considérée en termes évolutifs : Amazon ou autre a joué le rôle d’étincelle. Ces plateformes ont détruit toutes les boutiques qui vendaient des jeux de manière plutôt… fade. Celles qui ont survécu à l’époque des début d’internet et du e-commerce vendaient peut-être plus que « juste » des jeux.

Si le e-commerce peut être considéré comme une menace pour les boutiques physiques, il faut toutefois relever que le e-commerce est générateur d’emplois. En 2019, le e-commerce représente plus de 200’000 emplois directs. Un nombre qui ne cesse d’augmenter d’année en année. Parmi les sites leaders, on constate que plus de la moitié ont augmenté leurs effectifs en 2019. Il faut également prendre en compte les nombreux emplois dans le domaine du transport et de la logistique qui sont étroitement liés au secteur.

Et l’autre net avantage des plateformes de e-vente de jeux est qu’elles ont peut-être inspiré une nouvelle génération de boutiques de jeux créatives, axées sur l’expérience. 

Bien que l’arrivée du e-commerce ait été à bien des égards un perturbateur destructeur, elle a également obligé les boutiques physiques à se repenser, se réinventer, se remodeler de manière intéressante, convaincante et expérientielle. 

Vers l’infini et au-delà

Si les boutiques physiques veulent survivre face à la concurrence des plateformes de vente en ligne dites natives, qui sont nées numériques et qui ne font que ça, elles doivent se forger une personnalité.

Tous les supermarchés offrent la même expérience d’achat, presque les mêmes produits, en tout cas le même agencement : fruits et légumes à l’entrée, produits frais dans des rangées de frigos juste après, etc.. Soyons lucides, les supermarchés ne se sont pas constitués d’identité propre.

Si tous les jeux sont les mêmes partout, où qu’on les achète, la personnalité d’une boutique est différente. Chaque propriétaire décide de son agencement, de son ameublement, de sa peinture murale, de sa décoration, de sa vitrine, de son ambiance, de son odeur ? Bref, de son expérience. Les boutiques de jeux se sont forgées une identité propre, qui leur correspond et qui finit par correspondre aux attentes de leurs clientes et clients. Peut-être avec un canapé par-ci, une table par-là, des rayons ainsi.

Entrez dans une boutique de jeu et vous entrez dans un univers. Mélange de boîtes et accessoires divers, cabinets de curiosité, elles transcendent l’expérience d’achat. Les boutiques de jeux qui ont survécu et prospéré sont allées au-delà du jeu. Elles offrent une expérience qui respire l’amour des jeux. 

Maintenant, reste la question douloureuse. Les boutiques de jeux qui ont survécu à Amazon peuvent-elles survivre à la pandémie ?

On ne sait toujours pas si ni comment les petites boutiques survivront à la pandémie. Après deux longues fermetures cette année, la première ce printemps, l’autre cet automne, qui s’achève enfin ce samedi 28 novembre, l’année a été un « bain de sang » pour le commerce physique.

D’un point de vue commercial, la pandémie semble être comme une… blague cruelle et toute pourrie. Pour les boutiques physiques, en cette époque « amazonienne », l’expérience de « l’amour des jeux » était leur principal facteur de différenciation qui leur a permis de survivre jusque-ici. Et même, dans certains rares cas, de prospérer. Et avec la COVID-19, c’est devenu la seule chose qu’ils ne pouvaient pas proposer. 

Mais si les 20 dernières années de bouleversements commerciaux et technologiques nous ont appris quelque chose, c’est ceci : les gens apprécient et recherchent l’expérience de la boutique de jeux physique. L’expérience-client est essentielle. Le contact et les conseils d’une vendeuse ou un vendeur peuvent difficilement être remplacés par une version en ligne, même avec un chat actif.

Et vous, qu’est-ce que vous appréciez dans une boutique de jeux physique ?

Votre réaction sur l'article ?
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0

4 Comments

  • Benjamin Bigot

    Acheter en boutique pour moi signifie acheter peu : un ou deux jeux rarement plus alors que sur le net c’est des caisses de 5 a 10 jeux… Pourquoi ? Peut être le regard extérieur en boutique, rentrer à la maison avec le coffre plein, ce côté honteux. Sur le net, il y a ce côté optimisation de l’achat : si j’achète jusqu’à un palier, je gagne les fdp.

  • Jem

    Boutiques physique pour moi quasiment exclusivement, avant tout par principe, pour ne pas se retrouver avec des rues désertées de tout commerce.
    Mais aussi, parce que le principal avantage à acheter en ligne est le « gain de temps » : on s’économise le temps de trajet, voir le temps de recherche si un jeu est absent de sa boutique physique fétiche. Mais un gain de temps pour quoi ? Pour regarder un épisode de plus d’une série, pour regarder des vidéos sur des sites de réseaux sociaux avachi dans son canapé ? Pour moi, le temps d’achat en boutique est loin d’être perdu : c’est l’occasion de sortir, de faire un peu d’exercice, d’admirer le paysage sur la route, de croiser des gens, de discuter 5 minutes avec un parfait inconnu. Bref, de vivre un petit moment de vie « réelle ».

  • guy charrassier

    Bien sûr que les boutiques jeux demeurent intéressantes, cependant l’économie de marché oblige et impose à repenser la distribution. En vendant en direct site marchand la marge éditeur est maximisée et le paiement est immédiat ce qui permet une structure entreprise. légère. A l’inverse; la distribution par les PRO de la distribution fait assurément du volume mais c’est du gagne petit par les prix de ventes trop sous estimés et avec des soucis de paiement. trop lourd à gérer. Je suis auteur de seulement deux titres dont il m’a fallu en étudier la faisabilité et seul le business model fait ressortir l’intérêt du é commerce quand on réalise le plan de trésorerie finalisant un bon ratio réaliste..
    Je n’ai pas encore édité faute de trouver la compétence complémentaire indispensable social média manager. pour la future SCOP envisagée.

  • Phoebus77

    J’aimerai bien acheter en boutique, mais voilà prendre la voiture, rouler 30 mn, galérer pour se garer, l’achat du net c’est choisir pépère sur son canapé et être livré rapidement pour le même tarif voir moins cher. Quand on habite en milieu rural, le choix est souvent vite fait, Et pourtant flâner dans les boutiques, quel plaisir….prendre les boîtes, en lire l’envers, hésiter, se raisonner et essayer de lutter contre l’achat compulsif, pour finalement craquer, Curieusement je me limite plus avec l’achat en ligne car le montant cumulé s’affiche immédiatement et souvent ça fait réfléchir….

À vous de jouer ! Participez à la discussion

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Gus & Co

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading