Critiques de jeux,  Jeux de plateau

Le jeu du jour : Maracaibo

Maracaibo, de quoi ça parle ?

En gros, vous incarnez des marins et aventuriers dans les Caraïbes au 17e. Et pourquoi Maracaibo, le titre ? Parce que la ville du Venezuela ici :

Une ville qui souffre aujourd’hui en 2020 d’une situation économique et sociale catastrophique ! Nous vous en reparlerons plus bas ⬇️

Dans Maracaibo, on ne joue pas à développer la ville éponyme, mais plutôt à se balader dans les Caraïbes à livrer des ressources et résoudre des quêtes

Maintenant, disons ce qu’il en est. Si la carte est un rien crédible et que les illustrations essaient d’apporter un semblant de véracité, avec Maracaibo, on n’y croit pas un seul instant ! On nage en plein jeu « à l’allemande », aux mécaniques ripolinées mais au thème très peu présent. Un 2 sur 5 sur l’ITHEM

Mais

Comme on le verra plus bas ⬇️ dans l’article, Maracaibo peut également se jouer en mode Legacy, avec des choix narratifs à effectuer qui vont modifier le plateau. Et là, l’ITHEM grimpe à 4 sur 5 !

Et comment on joue ?

Rarement un jeu aura eu des règles aussi simples et épurées : on déplace son bateau de 1 à 7 cases, à choix, et là où on atterrit, on effectue la ou les actions indiquées. Puis on pioche des cartes pour compléter sa main

Voilà

Des règles expliquées en une fraction de secondes et sans aucun fragment de hasard. Tout se voit, tout se calcule, tout se planifie. Hormis peut-être les jetons « combat » que l’on pioche au hasard quand on décide d’affronter l’une des trois puissances maritimes coloniales, jamais l’unes des autres personnes à la table. Mais même là, la tuile nous offre trois options

Des règles simples, avec 2-3 subtilités à relever. Alors oui, on peut occuper la même case à plusieurs. Et non, on ne peut pas revenir en arrière sur le chemin, en mode Parks / Egizia. Enfin, le tout premier bateau à atteindre le bout de son périple, à atteindre l’autre côté du plateau met fin à la manche en cours pour déclencher un petit décompte intermédiaire, puis une réinitialisation du jeu. Et comme on ne joue que quatre manches en tout, le jeu est court. Il indique 30′ par personne. Enfin, ça c’est sur le papier ! Il y a tellement de choix stratégiques à effectuer tout au long du parcours maritime, tout au long du jeu qu’on peut doubler cette estimation

Voilà, c’est tout

C’est vraiment tout ?

Oui mais non mais pas du tout !

Si la mécanique de base est ultra-simple, ultra-simplifiée, ultra-simpliste, c’est après que cela se gâte. Les différents emplacements sur le plateau proposent une quantité d’actions possibles : des quêtes à résoudre, des villages avec une action sur trois à choisir, des livraisons, des points de victoire ou de l’argent à récupérer, une avancée sur une piste séparée d’exploration, etc. etc. etc.

Un jeu d’une richesse et d’une profondeur étonnantes et détonantes ! Au point de noyer les joueurs et joueuses lors de leur toute première partie. Avec un déluge de picto et de choix, on baigne en plein Fobo. Pour autant qu’on parvienne à maintenir la tête hors de l’eau !

Un jeu très Familial+++++++, minimum

Et comment on gagne ?

On procède donc à trois décomptes intermédiaires après chaque fin de manche, puis un quatrième et dernier décompte final. Comme on perçoit des PV pendant la partie, tout est visible, mais pas vraiment non plus, car il y a tellement de moyens d’en acquérir en mode salade de points de victoire qu’il en devient compliqué de tout suivre et observer. Chez soi-même et chez les autres

Au fond, on ne joue pas à Maracaibo pour gagner, parce qu’on ne sait pas si sa, si ses multiples stratégies vont le permettre. On joue pour… jouer, s’amuser, et serrer les fesses ou lâcher prise à la fin pour découvrir son résultat avec plus ou moins bonne surprise

Donc un petit décompte intermédiaire, qui propose trois petits choix, et pareil pour le décompte final, dans lequel on doit choisir entre plusieurs possibilités et rajouter son avancée sur les différentes pistes. Cette mécanique de choix pour marquer des points de victoire est plutôt originale et passionnante

Interaction ?

Sur l’IGUS, l’échelle de mesure de l’interaction dans les jeux, Maracaibo atteint un 2/5

Pourquoi ?

Parce que dans Maracaibo, on ne peut jamais s’en prendre directement aux autres. On peut combattre, certes, mais seulement les puissances maritimes coloniales de l’époque, F, GB, Espagne, qui sont représentées sous la forme de cubes, pistes et tuiles. Donc une « IA », neutre

Une interaction très polaire, en contradiction avec un thème tropical

Les seules interactions « directes », entre 617 guillemets, résident dans le fait d’aller livrer des ressources aux différentes villes avant les autres, pour les empêcher de le faire, ou en raflant une tuile par-ci par-là

Mais surtout, l’interaction première, en plus des points de victoire bien sûr, c’est la course à la fin de manche. En effet, le ou la joueuse qui arrive en fin de sentier maritime met fin à la manche et réinitialise le tout. Et comme on peut se déplacer vite (7 cases max), il faut garder les navires des autres à l’œil. C’est tout le dilemne du jeu : avancer vite, pour embêter les autres et effectuer un décompte intermédiaire qui ne les arrangera pas, mais tout en réalisant moins d’actions ? Ou « traîner » et prendre son temps pour effectuer plus d’actions, et donc remporter plus de points ? Que font les autres ?

Au final, une interaction à 2 sur 5 qui lorgne sur le 3 sur 5

À combien y jouer ?

Le jeu indique de 1 à 4

En solo, le jeu met à dispo un deck automa, une IA qui prend ses « propres » décisions et contre laquelle on doit jouer. Ça se laisse tenter si on apprécie ce genre de mécaniques, mais ce n’est évidemment pas la meilleure config

À 2-3, c’est la meilleure config, un bon équilibre entre interaction et temps d’attente. Car à son tour, on fait tout, déplacement, action, pioche. À 4, Maracaibo peut durer des plombes, et la partie peut alors s’éterniser

À partir de quel âge y jouer ?

Le jeu indique dès 12 ans

Mais de qui se moque-t-on ???

Il y a tellement de possibilités, de paramètres, de choix stratégiques et de picto à maîtriser, qu’à moins de 14-16 ans, oubliez !

Alors, Maracaibo, c’est bien ?

Maracaibo est comme le Go ou le Poker. Simple à apprendre, difficile à maîtriser. Derrière une mécanique simplissime, avancer, activer, reprendre des cartes, se cache en réalité un jeu d’une ampleur rarement égalée ! On a le choix entre des milliers (à la louche) de cartes différentes, d’options, de missions, de moyens de marquer des points par-ci, par-là

Maracaibo est un très gros jeu, à ne pas mettre entre toutes les mains. Les joueurs et joueuses expertes s’éclateront, avec tant de profondeur stratégique

Et la mécanique de déplacement à choix, pour atterrir où ça nous chante, à la Glen More, mais sans l’aspect timing, risque de créer des situations d’analysis-paralysis / Fobo. Ici, ou là ?

Un jeu d’une rare richesse, qui demandera un investissement mental de tous les instants ! Votre première partie sera en mode découverte, des différentes options, de la myriade de picto. Ce n’est qu’à partir de la deuxième, troisième, qu’on commence à se sentir plus à l’aise

Mais

Parlons des choses qui fâchent. Et il y en a !

Les règles

Non, il n’est décidément pas facile de rédiger de bonnes règles de jeu, et depuis le temps, vous le savez. Celles de Maracaibo sont un exemple de trucs à ne pas faire. Elles sont denses, touffues, avec peu d’exemples et peu structurées

Mais surtout, et c’est le gros point noir, c’est que toutes les infos sont réparties et disséminées dans tout le livret. On passe ses 2-3-4 premières parties à naviguer (c’est le cas de le dire, pour un jeu qui se déroule en mer) dedans à trifouiller les informations recherchées. Les informations sont très, très mal organisées ! Ce qui n’aide pas la prise en main du jeu

En même temps, au vu de la richesse et de la complexité du jeu, je me demande bien comment l’éditeur aurait pu faire autrement… Elles sont tellement indigestes à bien des égards qu’elles rendent la toute première lecture, la toute première partie pénibles et douloureuses

L’ergonomie

L’ergonomie, c’est quand le matériel aide à la pratique du jeu, quand ses composants sont suffisamment clairs, ou pas, et bien construits, ou pas, pour proposer une interface jeu-humain fluide, gracieuse et optimale

Et dans Maracaibo, c’est tout caca !

D’abord, le coup des mini-micro jetons tous pourris à la Yum Yum Island. Ca suffit avec ces jetons ! Il faut que les éditeurs arrêtent de les mettre dans leur jeu. De 1, ils sont impossibles à manipuler par des mains d’une personne qui a plus de 3 ans et demi. De 2, ils ne tiennent tout simplement pas

Mais surtout, outre la taille de ces jetons, ce sont les cartes. Leurs « trois » couleurs, entre 617 guillemets. En effet, les cartes sont séparées en trois piles « distinctes », toujours entre 617 guillemets, A, B et C. Au début de la partie, lors de la (pénible) mise en place, on trie et prépare des decks pour la partie. Sauf que. Pour les « reconnaître », retrouver leur catégorie respective, les cartes sont encerclées d’une « corde » de couleur. Foncé pour A, clair pour B et entre-deux pour C. Si les cartes A sont facilement reconnaissables, la nuance de couleurs qui caractérise B & C est tellement proche qu’on ne voit rien. Mais rien du tout. Pour peu que l’on soit un poil daltonien, ou que sa vision ne soit pas à 1.0, ou que les conditions d’éclairage ne soient pas au top, impossible de retrouver quelle carte va dans quelle catégorie. Une ergonomie toute dégueu et ratée !

Maracaibo, un jeu Legacy (ou à peu près)

Maracaibo peut se jouer de deux manières différentes. En mode « simple », juste en jeu stratégique. Et ce mode est déjà très, très bon ainsi

Mais si on le désire, on peut s’engager dans une campagne en mode Legacy, avec des cartes narratives qui proposent des choix et modifient le plateau. Mais au contraire des jeux Legacy, Maracaibo ne demandent pas de déchirer des trucs, d’écrire des machins sur le plateau. Maracaibo propose en effet des tuiles qui se pose sur le plateau pour le modifier. Rien n’est définitif, tout est narratif. Un très, très bon mode, pour celles et ceux qui désirent prolonger l’expérience et jouer à de multiples reprises au même jeu

🔴 Maracaibo, score final : 4/5

Ce qui nous a plu ❤️️

✅ Un jeu très, très profond, offrant quantité de choix stratégiques puissants

✅ Le mode « campagne » narratif et non-définitif

✅ La mécanique principale de jeu, extrêmement simple et épurée

✅ Un jeu à la durée de vie infinie

✅ Un jeu qui ravira les joueuses et joueurs Core

✅ Son plateau perso qu’on va peu à peu vider pour débloquer des avantages. Maracaibo est un pur jeu d’engine-building, i.e. qu’on va peu à peu construire des mécaniques, de combos

✅ Un jeu qu’il faut pratiquer souvent pour commencer à en apprécier la richesse stratégique

✅ Pas de hasard, ou à peine. Extrêmement stratégique

✅ Les décomptes, à options

Ce qui nous a moins plu ⛔️

❌ Une mise en place extrêmement longue et pénible

❌ Des règles insupportables : denses, et aux informations disséminées partout

❌ Des milliards de picto peu claires, qui demandent de garder le nez collé aux règles (indigestes) les 1-2-3-4 premières parties

❌ Les mini-micro jetons à la taille qu’on ne peut pas manipuler

❌ Les cartes aux nuances de couleur qu’on parvient à peine à distinguer

Et encore une chose

Pour l’instant, Maracaibo n’existe qu’en anglais. Et hormis des règles extrêmement denses et chargées, il faut également compter sur les cartes narratives du mode Legacy. Si vous n’êtes pas parfaitement bilingue, à votre place, j’attendrai la VF qui est déjà annoncée pour le printemps 2020 chez Super Meeple. Nous ressortirons cet article à l’occasion de la sortie de la VF

Vous pouvez consulter les règles de Maracaibo en anglais ici

Vous pouvez trouver Maracaibo en anglais chez Philibert ici

Et si vous habitez en Suisse, chez Helvétia Games shop ici.

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  • Auteur : Alexander Pfister (qui s’est déjà distingué pour l’exaltant Great Western Trail)
  • Illustratrice et illustrateur : Aline Kirrmann, Andreas Resch
  • Éditeur : Capstone Games pour la VO. Bientôt Super Meeple pour la VF
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1 à 4 (mais comptez plutôt 2 à 3)
  • Âge conseillé : Dès 12 ans (le gag ! Comptez plutôt 14-16 ans, jamais moins !)
  • Durée : 30′ par personne (LOL. Comptez plutôt 45′-60′ par personne, pas moins !)
  • Thème : Caraïbes au 17e
  • Mécaniques principales : Objectifs, déplacement, course, narratif pour le mode « campagne »

Si vous voulez savoir ce qu’il est advenu à Maracaïbo quatre siècles après le jeu, vous pouvez écouter cet édifiant et tragique documentaire passé sur RFI, Grand Reportage, ce mardi 28 janvier 2020

« Au Venezuela, l’ancien paradis du pétrole, Maracaibo, est devenu le symbole de la descente aux enfers du pays. Cette ville, la deuxième du Venezuela, était la plus prospère et la plus moderne quand le pétrole coulait à flots.

Mais avec la crise économique, elle est frappée de plein fouet par le marasme économique, les coupures d’électricité, les pénuries d’eau et d’essence. C’est une ville à la dérive où les habitants sombrent dans la misère. »

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9 Comments

  • afloplouf

    Je n’ai pas encore pu tester le mode multi-joueur pour voir s’il l’émule bien mais le mode solo est absolument génial. L’automa fait montre d’une vraie opposition et on peut sélectionner sa difficulté : je n’ai toujours pas gagné en mode de difficulté 3/5.

    Et comme on est face à de l’interaction indirecte de toute façon, il reste très drôle de faire son optimisation tout seul dans son coin.

    Le seul souci est une mise en place un peu fastidieuse

  • Charles Amir PERRET - SUPER MEEPLE

    Merci pour l’article Gus ! Et le point noir étant les règles, j’espère qu’il sera résolu dans la VF, nous avons en effet profité des améliorations proposées par l’éditeur et puis nous avons essayé de simplifier certains termes. Quant au matériel, des changements très légers comme des cartes de meilleure qualité, les fameux petits disques marrons un peu plus grands … tout ça devrait contribuer au plaisir de jouer à cet excellent jeu ! 🙂

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