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Quand Asmodée se lance dans la RSE. Parce que bien sûr

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La RSE, c’est ce terme flashy slash tendance qui galope depuis quelques années devant toutes les fontaines à eau et les open offices des entreprises. Découvert sur le site d’Eurazeo, le fond d’investissement qui a racheté Asmodée en 2013, on peut y découvrir une déclaration sur l’initiative RSE d’Asmodée, l’éditeur et distributeur de jeux le plus important de France.

Nous avons essayé de contacter le principal intéressé à deux reprises pour en savoir plus sur leur démarche, mais ils n’ont pas daigné vouloir s’expliquer… Dommage.

RSE? Mais qu’est-ce que c’est? Pour en savoir plus, nous avons interrogé Julien Goy, spécialiste et consultant RSE. Nous lui avons soumis cette déclaration pour lui demander son avis d’expert.

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Julien, bonjour, merci de bien avoir voulu répondre à nos questions. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la RSE?

Il y a plusieurs définitions. Si l’on suit la Commission européenne, on peut dire qu’il s’agit de la responsabilité des entreprises pour leurs impacts sur la société. C’est trop simplifier les enjeux, mais je pense qu’une bonne façon d’introduire la RSE à des personnes qui n’en ont jamais entendu parler, c’est de dire que c’est l’intégration des considérations du développement durable aux activités de l’entreprise. On va donc s’intéresser à la performance non seulement financière, mais aussi économique, environnementale et sociale de l’entreprise.

On considère souvent que la RSE consiste à aller plus loin que ce qu’exige la loi, par exemple en matière de protection de l’environnement ou de défense des droits de l’homme, mais tout le monde n’est pas d’accord sur ce point ! Et ce qui peut paraître le minimum légal en matière de droits humains dans une entreprise à Genève peut l’être nettement moins dans une mine de cobalt en République démocratique du Congo.

En tous les cas, la responsabilité d’une entreprise peut se manifester selon diverses formes, notamment selon le secteur d’activité de l’entreprise concernée. Une entreprise pétrolière a de grosses responsabilités en matière d’environnement, alors qu’une entreprise active dans le secteur de la mode aura plus tendance à se soucier de savoir si les employés de ses fournisseurs sont bien traités.

Super intéressant. Et comment réagissez-vous au communiqué d’Asmodée sur leur action RSE? Coup de pub ? Ecran de fumée ? Réel investissement ?

Je pense que l’initiative est louable, en premier lieu. Le texte en dit trop peu pour pouvoir se prononcer sur le réel impact d’une telle mesure : on nous parle de 15 conteneurs acheminés par ferroutage en 2015. Soit, mais combien sont acheminés en tout par année ? Si l’on parle de 20 conteneurs en tout, l’initiative a un vrai impact sur l’empreinte carbone de l’entreprise ; mais si Asmodée fait transiter 1500 conteneurs par an, ces 15 conteneurs ne représentent pas grand-chose d’autre qu’un bon début. Il nous faut donc un pourcentage ! On est aussi en droit d’attendre un objectif, du type « D’ici à 2020, Asmodée vise à faire transiter 100% de ses conteneurs via ferroutage ».

Par ailleurs, si l’on veut bien croire que c’est la chaîne d’approvisionnement qui constitue le principal poste d’émissions de gaz à effet de serre (GES), est-ce que l’émission de GES est – pour reprendre les termes de la Commission européenne – le principal impact d’Asmodée sur la société ? Ne pourrait-on pas imaginer que la déforestation nécessaire pour produire tous les éléments en carton, en bois, en papier des jeux est un vrai enjeu ? Et quid des conditions de travail pour les ouvriers – que l’on espère adultes – chez les fournisseurs ?

C’est malheureusement souvent comme cela – avec une communication incomplète ou floue – que les entreprises se retrouvent accusées de greenwashing, et ne gagnent pas la confiance des clients. Ce qui est compréhensible ! En tant que consommateur, si je ne peux pas évaluer concrètement les engagements d’Asmodée, pourquoi le critère « responsabilité sociale » serait-il déterminant pour moi au moment de faire mes achats ? Le problème est similaire avec des produits dits « commerce équitable », qui sont souvent plus chers que leurs concurrents « classiques » : si je ne sais pas précisément en quoi le produit est équitable, pourquoi paierais-je plus cher ?

En s’aventurant sur le chemin de la responsabilité sociale, Asmodée fait, selon moi, le bon choix. Simplement, l’entreprise doit comprendre qu’une telle initiative mérite d’être mieux présentée, expliquée, mise en contexte et en perspective, afin que l’on puisse vraiment juger de sa pertinence.

Asmodée fait le bon choix? L’initiative est alors louable. Julien, vous êtes également un grand joueur, vous connaissez donc bien le marché du jeu de société. D’un point de vue RSE, comment est-ce que les éditeurs de jeux pourraient en faire plus ?

Je pense que les quelques éléments présentés plus hauts sont un bon point de départ : réduire l’empreinte carbone des jeux, s’assurer que les fournisseurs font travailler leurs employés dans des conditions décentes, ou encore se tourner vers la labellisation des matières premières utilisées – FSC pour le bois, par exemple. Les éditeurs étant pour la plupart occidentaux, la production des jeux pourraient être rendue plus locale, et être réalisée dans des usines en France, en Allemagne, etc. Assurément, cela aurait un impact sur le prix des jeux. Mais peut-être en achèterions-nous moins, ce qui ne serait pas plus mal ! Nous serions incités à vraiment « user » un jeu, en explorer toutes les possibilités, avant d’en acheter un autre. Il ne faut pas oublier que les consommateurs ont eux aussi une responsabilité.

Toutefois, on pourrait aller plus loin et ré-imaginer des business models basés sur des considérations de développement durable. Réfléchissez en tant que joueurs : combien de meeples au total possédez-vous dans votre ludothèque, tous jeux confondus ? Combien de dé à 6 faces ? Les cubes représentant le bois dans Archipelago ne sont-ils pas étrangement similaires à ceux de Robinson Crusoé ? En tant qu’éditeur, on pourrait imaginer une série de jeux différents, mais se jouant avec tout ou partie du même matériel. Si j’ai le jeu X, je peux commander le jeu Y sans telle ou telle composante du jeu, avec un prix adapté en fonction. Ça peut paraître tiré par les cheveux, et difficile à mettre en œuvre, c’est certain. Mais prenez le Fairphone : il est vendu sans chargeur. Autant dire qu’on ne peut pas le faire fonctionner lorsqu’on le reçoit. Le fabricant est parti du principe que l’on a tous chez nous un ou plusieurs chargeurs provenant d’anciens téléphones ; et ça marche, personne ne se plaint de recevoir un Fairphone sans chargeur (et sans écouteurs, d’ailleurs).

De par sa position de plus en plus dominante sur le marché, Asmodée a l’opportunité de redéfinir les règles du jeu (no pun intended) et de montrer l’exemple en matière de responsabilité sociale. J’espère qu’ils vont continuer dans cette voie.

Merci Julien pour toutes vos réponses! Maintenant nous en savons plus grâce à vous! Désolé de vous avoir dérangé pendant votre partie d’Intrigue.

Revenons à nos moutons bio.

Tout ce foin RSE me rappelle notre article sur la production des jeux de société. Chine? Pas Chine? Pas un sujet facile. Si certains éditeurs s’engagent dans ces domaines, Opla, Bioviva, le Scorpion Masqué qui fait planter un arbre pour un jeu acheté, la très grande majorité cherchent encore à réaliser des profits à court terme, sans se soucier de leur impact sur la planète à long terme, et préfèrent donc souvent passer par des fabricants chinois, moins coûteux et plus polluant en terme de transport.

Alors oui, il y a Ludofact par exemple, le fabricant allemand de jeux de société le plus connu sur le marché européen. Mais il faut savoir que Ludofact ne fait principalement que de l’assemblage. Et va également sous-traiter la production de certaines pièces, parfois même en Chine. Donc même si on avance l’argument de produire en Europe, encore faut-il savoir d’où proviennent toutes les pièces, la matière première (bois, carton, papier), les encres. De l’assemblage européen, de la main d’oeuvre principalement européenne, oui, peut-être. Mais le jeu n’est pas garanti d’être entièrement produit « localement ».

Maintenant, comme avec Asmodée, on ne peut qu’espérer que d’autres éditeurs de jeux de société se lancent dans la démarche RSE. Pour réduire notre empreinte carbone chaque fois qu’on achète une boîte. Sinon, on a toujours la possibilité d’en acheter moins, comme le propose Julien. Ça fonctionne aussi.

Et vous, vous sentez-vous concernés par l’impact écologique des jeux de société? Vous êtes-vous déjà imaginé le périple d’une fig pour qu’elle arrive toute pimpante dans votre boîte?

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7 Comments

  • XIII

    L’idée de créer des jeux avec un matériel commun est intéressant. Toutefois, le prix de revente d’un jeu se mesure aussi à la quantité de matériel (et sa qualité). Ainsi proposé plusieurs jeux avec du matériel « générique » reviendrai à acheter une règle de jeu et un plateau original, peut être quelques pièces spécifique au jeu acheté et rien de plus. Dans ces conditions difficile de justifier un prix d’achat à 40 €. Sauf si les pièces générique sont vraiment très belle.

    Commercialisé une « ligne de jeux » utilisant un matériel générique vendu séparément que l’on n’achète qu’une fois, puis se dire que l’on va pouvoir acheter, 2, 3, 4 ou 10 jeux différent utilisant ce même matériel nous permettrait aussi de gagner de la place dans nos étagère de jeu et diminuerait sensiblement le prix d’achat de beaucoup de jeu, la marge pour les entreprise serait sans doute un peu meilleurs (moins de matos à acheter = moins de dépense de production pour créer un jeu) et irait aussi sans doute dans la prise de risque pour l’édition de certain jeu « de niche » à faible nombres d’éditions mais qui serait donc plus rentable parce que moins chère à produire.

  • Julien

    Merci pour ce commentaire, XIII. Tout à fait d’accord, une telle façon de procéder ne justifierait plus un prix de 40 – voire 60, 80 – euros. Moins de bénéfice directement pour l’éditeur, mais on peut miser sur un aspect « fidélisation » qui pourrait permettre de compenser. Il faudrait assurément plus qu’un commentaire pour répondre sérieusement à cette question, mais c’est mon intuition. Et je rejoins entièrement vos arguments que vous développez dans le 2e paragraphe, tout à fait pertinents. Asmodée, ou un autre éditeur, savent désormais qu’ils auraient au moins deux clients!

  • sbstn

    Je suis d’accord avec vous !!
    Je commence donc par jouer à COLT EXPRESS avec mes figurines de ZOMBICIDES ! Zut le train est trop petit !!
    Donc je prend mes meeples de CARCASONNE ou bien les LEGO du fiston….

  • Ludodida

    Sujet fort intéressant.
    J’ai choisi la solution qui consiste à acheter moins de jeux, prendre plus de temps pour les choisir et prendre plus de temps pour y jouer.
    Je suis de ceux qui peuvent payer pour un concept au delà du strict matériel, mais j’ai bien peur que la mode ne soit pas celle-ci (cf les jeux kilo plastique).
    Merci Gus pour la mise en lumière…

  • reivaax

    Interview très intéressante qui met le doigt sur les zones d’ombre du CP, tout en explorant de façon remarquablement impartiale les différentes possibilités d’interprétation qui y sont ouvertes et pauses les bonnes questions. (Dans cet exercice étant dans la communication, je n’aurais peu être pas était aussi impartial, surtout sur le manque de précision des informations données ;)).

    C’est un réel problème qui ne touche pas que le jeu de société aujourd’hui malheureusement. Le « made in France » tout comme le RSE, commerce équitable voir le bio sont des principes bien trop vagues et qui sont devenus pour beaucoup d’entreprises, des leviers marketing efficaces à l’heure ou les consommateurs commencent à être de plus en plus regardant sur ce qu’ils consomment.
    Ce qui peut être dommage dans ce type de communication, c’est que si 2 boites peuvent tenir le même propos. Comme annoncé, il est possible que ce soit un ratio de 15 / 20 pour la société A et 15 / 500 pour la société B. Si la société B venait a se faire toper (et cela arrive bien trop souvent), le consommateur se retrouverais réfractaire contre les 2 société sans discernement. C’est une règle élémentaire de commerce. La conquête est bien plus difficile que la fidélisation. Et gagner la confiance d’un consommateur / prospect n’est pas chose facile et peut très vite se perdre… (C’est aussi malheureusement pourquoi nombre de secteurs favoriseront toujours la conquête à la fidélisation…)

    Pour ce qui est d’une production locale, malheureusement je pense que nous avons perdu bien trop de savoir faire qui ne se trouve plus qu’en Asie aujourd’hui. Surtout pour de la grosse production. Il est donc difficile pour une entreprise de re basculer tout ou partie de sa production localement aujourd’hui, et cela n’est pas toujours de leur fait. Il faut l’accorder.

    Je resterais donc sur la même note positive de l’interview pour ma part. Il y au minimum une bonne volonté, au mieux une réel action qui est menée par Asmodee. De la part d’un des leaders, c’est à eux qu’il incombe de mener ce changement avant les autres éditeur il me semble et nous ne pouvons que nous réjouir de cela.
    Maintenant comme toujours, c’est à nous consommateur qu’il adviendra de faire avancer les choses plus vite. En ne courant pas à tout pris vers le produit le moins cher. Arrêter de juger la justesse du prix d’un jeu uniquement sur le nombre d’éléments qui le compose. Etre un peu moins acheteur compulsif et plus réfléchi dans ses choix. (Je me retrouve avec plus de jeux de société aujourd’hui que quand j’étais gosse bordel ^^ et une partie encore non déballée :s).

    Merci encore pour cette article qui permet de prendre un peu de recule sur nos achats et ouvre à la réflexion personnelle :). Surtout quand sur d’autres aspects vous nous poussez à la consommation avec vos articles qui font saliver :p.

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