Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau,  Nos événements

Mais au fond, qu’est-ce qui nous pousse à aller à Essen?

img_4550

« Non, nous n’avons pas trouvé LE jeu incroyable, tout était trop noyé dans une soupe mainstream ».

« Il n’y a pas eu assez de goodies ».

« C’était l’arnaque, les jeux étaient beaucoup trop chers. »

« Finalement, il n’y avait pas besoin d’y aller, on pouvait tout précommander sur le net avant, et pour moins cher. »

Chaque année quand je rentre d’Essen toute la rédac de Gus&Co me demande comment ça s’est passé. Si c’était bien, s’il y avait du monde, si ça a valu la peine d’y aller. Et hormis les poncifs, nouveautés-rencontres-ambiance-et-spa, je fais rapidement le tour. Et je me dis alors: « tout ça pour ça? ».

Avec 174’000 visiteurs en 2016 sur 4 jours, certes pas 174’000 visiteurs uniques, mais 174’000 entrées totales sur toute la durée du salon, chaque année je me demande ce qui nous pousse à aller dans ce raout annuel. De placer autant d’attentes et autant d’effort pour cet événement unique, incroyable. Car qui dit attentes, dit forcément déception. A force de tellement attendre cette manifestation toute l’année, avec un niveau d’anticipation qui atteint son paroxysme quelques semaines, quelques jours avant l’ouverture des portes du salon, une fois dedans, on encoure le risque de déchanter rapidement. 

Finalement, Essen, ce ne sont que des stands couverts de jeux. Autrement dit, du carton, des bouts de papier et parfois un peu de bois et aussi du plastique.

Mais alors, qu’est-ce qui nous pousse à y aller? Et surtout, à y retourner?

Editeurs & distributeurs?

C’est plutôt évident. Pour les pro, Essen est LE moment de l’année où tout le monde se retrouve. Collègues éditeurs, distributeurs, auteurs. Des contrats, des rencontres vitales pour maintenir sa structure à flot. Les éditeurs y vont pour découvrir des protos, des jeux à traduire ou rééditer. Et signer des contrats de distribution avec des distributeurs et parfois directement avec des magasins, tout ce qui fera rentrer l’argent dans la boîte.

Et se faire voir. Un éditeur présent à Essen, c’est un éditeur qui « existe ». Même sans nouveauté.

Et enfin, profiter de l’événement pour lancer la com sur ses prochains jeux: proto, matos visuel, médias.

Et surtout, vendre des boîtes directement aux joueurs, sans passer par distributeurs et magasins, en touchant une marge plus juteuse. Avec toutefois une dépense conséquente pour être présent à Essen. Même si les ventes n’arrivent jamais à rembourser le déplacement.

Auteurs?

Pour les auteurs, Essen est évidemment un moment crucial puisqu’il permet de rencontrer des dizaines, des centaines d’éditeurs pour leur présenter les jeux sur lesquels ils travaillent. C’est souvent à Essen que les éditeurs font « leur achat » et signent leurs prochains jeux. Une véritable aubaine pour les auteurs.

C’est également à Essen que la plupart des jeux de l’année sortent en même temps. Donc les créations des auteurs. C’est alors l’occasion d’être présent sur les stands pour dédicacer les boîtes et rencontrer les joueurs.

Visiteurs?

Pour les visiteurs, la question est plus complexe, peut-être moins évidente. Pourquoi aller à Essen, se manger plusieurs centaines, milliers, parfois dizaines de milliers de kilomètres pour braver la foule, faire la queue devant des stands, ne pas avoir forcément la possibilité d’essayer les jeux, en tout cas pas dans les meilleures conditions (bruit, explication des règles parfois calamiteuses…), et beaucoup dépenser:

pour les jeux

pour la nourriture

pour le déplacement

pour le logement (les hôteliers à Essen doublent, triplent les coûts pendant le salon. Véridique!)

Alors malgré tous ces inconvénients, pourquoi aller à Essen? Certes, il y a l’envie impérieuse (narcissique?) de se sentir pionnier, de découvrir et posséder les jeux AVANT les autres, avant ceux qui n’ont pas été à Essen et qui doivent souvent attendre semaines/mois avant de pouvoir espérer y jouer.

Mais est-ce que la possibilité de trouver et d’acheter des jeux est une raison suffisante? Sachant qu’on peut de toute façon le faire dans sa boutique préférée dans sa ville, ou sur internet? Même si 1d6 semaines plus tard?

Non.

Non.

Si on va à Essen, ce n’est pas pour acheter des jeux. C’est pour l’expérience. L’expérience Essen.

A Essen, on sait qu’on finira déçu. Qu’on n’aura pas trouvé LA perle. Qu’on aura dépensé trop d’argent pour des jeux qui ne seront pas forcément joués, voire pas beaucoup. Qu’on n’aura pas eu le temps de tout voir, de tout essayer, qu’on en aura oublié certains sur le salon (surtout avec 1’300 jeux en 2016).

On se jure alors de ne plus jamais aller à Essen. Plus jamais. En tout cas pas avant celui de l’année prochaine… Mais finalement, ce qu’on consomme surtout à Essen (et à Cannes en mars, et à PEL en juin), c’est son expérience.

L’expérience Essen

Quel est le moment préféré de vos vacances?

L’avant, la préparation, l’anticipation?

Le pendant, le moment-même, le voyage?

Ou l’après, les souvenirs, les photos, la narration?

L’anticipation est souvent plus marquante car extrêmement riche en émotions: attentes, (im)patience, angoisses, (in)décisions, recherche. Même si le moment des vacances et l’après sont aussi importants, c’est souvent l’avant qui est le plus jouissif, le plus fort.

Essen, c’est pareil. On prend quelques minutes/heures/jours à composer sa liste de jeux, à préparer son plan, à réserver, à prendre des rendez-vous. A se réjouir.

Aller à Essen pour les jeux, c’est comme aller dans le désert pour son sable, ou à la montagne pour sa neige. C’est sympa deux minutes, mais au bout d’un moment on en a fait le tour.

Essen, c’est le temple de la consommation. Le temple. Le jeu de société transcendé en religion. Et pourquoi pas? Car la religion, c’est relier. Les hommes à Dieu, mais aussi les hommes entre eux. Quand on entre dans l’enceinte d’Essen, plus que des boîtes qui s’amoncellent, c’est le fait de communier avec des dizaines de milliers d’individus, tous mus par la même passion, la même flamme. On se sent alors moins seuls. Car oui, nous sommes des animaux sociaux.

Comparés aux objets, les expériences laissent des souvenirs. Les objets (ici, les jeux) sont liés à des achats personnels, individualistes. On achète pour soi-même. Alors certes, les jeux sont de société. On en achète un qu’on va partager.

Tandis que les expériences, elles, sont partagées, sociales, marquantes. Et nous sommes la somme de nos expériences. Nous ne sommes pas définis par ce que nous possédons mais par ce que nous vivons.

Qu’est-ce qui est le plus important? Qu’est-ce qui laissera une marque, un sillon plus profond dans nos vies? La possession d’un jeu? Ou le souvenir d’une anecdote, d’un moment unique, suave, surprenant? La réponse est manifeste.

Alors oui, Essen finira toujours par être décevant. On n’aura pas trouvé LA perle, on aura l’impression d’être passé à côté. Il y avait trop de monde. C’était trop cher. C’était mieux avant.

Mais au final, ce qui compte, c’est d’avoir été à Essen. C’est d’avoir vécu une expérience forte, unique. Et qu’importent les jeux.

Vivement Essen 2017!

Et vous, qu’est-ce qui vous pousse à aller à Essen?

Votre réaction sur l'article ?
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0

13 Comments

  • patrikcarpentier

    Voir Essen et mourir ?
    N’ayant jamais pu aller là-bas, je ne saurais répondre. Néanmoins, je vais essayer d’y aller l’année prochaine ou celle d’après. L’impression que j’ai en lisant ce qu’on raconte sur Essen est que ça ressemble de plus en plus à un salon guindé, avec trop de choses à voir. Mais que ça reste justement encore à voir.

  • Guy CHARRASSIER

    Les editeurs /distibuteurs… tous cherchent la pépite pour faire décoller les ventes et ils ne l’a trouve pas. Quasiment tous les jeux à super graphismes n’ont pas de carrière commerciale, ils ne répondent pas à une demande clientèle de masse.
    Créer de jeux « commerciaux » nécessitent une étude de marché pour savoir si la demande existe et puis aussi, il importe de se baser sur de nouvelles propriétés mécanismes ludiques totalement différents de l’existant. C’est ce que j »ai fait.
    Les milliers d’auteurs ne sont pas des vendeurs espérant s’en remettre à un éditeur. Ca ne vaut pas le coup pour gagner des centimes en perdant son âme. C’est pourquoi comme auteur je vais créer une enteprise pour exploiter mes licences internationales. Je suis un commercial ce qui explique mon mode d’approche, de création produits,

  • Frédéric Ormieres

    L’expérience humaine est aussi au coeur de l’événement.

    Ayant la chance d’y aller quasiment chaque année pour faire de l’animation/démonstration pour divers éditeurs, ce que j’en retire en premier c’est le contact avec le public ! Le bonheur pour nous autres animateurs de partager notre connaissance des jeux présentés au plus grand nombre (et ce n’est pas un vain mot ici !). Régulièrement, des tablées de joueurs nous demandent : « ce n’est pas trop fatiguant ? ». Mais si, c’est très fatiguant ! Mais le plaisir est toujours là, en français (de plus en plus) ou en anglais en ce qui me concerne, expliquer ré-expliquer un jeu à des centaines de visiteurs qui sont curieux de le découvrir, c’est géant !

    Et puis, le contact avec les amis plus ou moins proches mais à cette occasion plus proches géographiquement qu’en France même, est aussi une excellente raison de faire le déplacement. Paradoxalement, je pense que je rencontre plus de collègues du milieu du jeu à Essen qu’à Cannes !

    Et comme le dit Gus, à titre professionnel (car j’ai la vanité de me compter parmi les pros du jeu), une visibilité la plus étendue possible, une occasion inégalée de faire connaitre son activité…

  • thegoodthebadandthemeeple

    Essen, c’est un gros WE partagé entre amis dans un salon démesuré pleins de jeux. On s’y déplace pour notre part à cout faible je trouve (250 Euros tout compris le we en europe sans les jeux) et on sait qu’on va faire les foufous pendant 4 jours.

    Je trouve la préparation de plus en plus fastidieuse perso car il y a trop de sorties, meme pour les fous que nous sommes.
    Avec les années les moyens de préparations se sont modernisés et nos tableaux excel croisés sont quand meme bien pratiques.

    Nous n’y allons clairement pas pour acheter des jeux, cette époque est révolue, sauf ptetre des occaz. Les prix sont devenus chers et un dealer les vends parfois meme moins cher. Nous y allons pour jouer, pour voir les connaissance ludiques, pour manger, pour le spa aussi ^^, et pour l’instant de vacances loin de chez soi.

    Ca se sent que je suis triste de ne pas y etre allé cette année ? 😀

    • Guy CHARRASSIER

      Bonjour Les super graphismes ,que je loue, ne suffisent pas pour faire sortir un JEU des sentiers rabattus. Un jeu est un produit loisirs dont il faut savoir au préalable s’il correspond à une demande clientèle de masse. Essen à présenté 1300 nouveaux jeux mais ils ont ceci de commun : ils se ressemblent tous en mécanisme ludique ou seules les thèmes changent. Je suis moi même auteur de 3 jeux qui ont fait l’objet d’une étude de marché obligatoire pour savoir si mes produits correspondaient à une demande clientèle de masse. Voyez les grands classiques comme le scrabble par exemple ou les Echecs; ce sont des concepts très vieux dont il est quasiment impossible d’opposer de nouveaux mécanismes meilleurs. C’est ce dont j’ai réussi avec l’un de mes produits évènementiels. Mon objectif a été orienté vers les grands classiques ce qui se vend et ne se démode pas.
      Plutôt que de faire appel à un éditeur, je privilégie ma propre édition.

À vous de jouer ! Participez à la discussion

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Gus & Co

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading