Analyses & psychologie du jeu,  Jeux de plateau

Pourquoi l’interaction divise tellement la communauté de joueurs

Vous est-il déjà arrivé de vous écharper avec vos amis autour de la question de l’interaction dans un jeu? Certains disaient la trouver inexistante, tandis que d’autres pas?

Quand toute la rédac de Gus&Co se réunit pour découvrir et préparer la critique d’un jeu, on finit souvent par s’engueuler et en venir aux mains. A cause de nos intempestives discussions autour de l’interaction.

OK, j’exagère peut-être un peu. On n’en vient pas aux mains. Je suis trop balaise, ils ont peur de moi. Mais nous ne sommes jamais d’accord sur l’interaction. Jamais. C’est pour cette raison qu’il est peut-être nécessaire de débattre aujourd’hui autour de cette notion qu’est l’interaction.

L’interaquoi?

Parce que ça fait toujours clâââsse de commencer un article par une petite déf, pour bien montrer qu’on maîtrise le sujet, voilà.

Selon le dictionnaire Larousse, l’interaction, c’est

  • Réaction réciproque de deux phénomènes l’un sur l’autre.
  • Action réciproque qu’exercent l’un sur l’autre deux ou plusieurs systèmes physiques.

Voilà, ça c’est fait.

Donc pour résumer, l’interaction c’est l’effet, l’impact, la relation que deux ou plusieurs personnes entretiennent entre elles. Autrement dit, le rapport plus ou moins direct entre plusieurs personnes (mais à deux ça marche aussi).

Il faut dire que tout est dans le titre. Jeux de société.

Jeux. De. Société.

On joue ensemble. A plusieurs. Pas tout seule (quoique, certains jeux de société le permettent quand même…). La compagnie des autres est nécessaire, et qui dit compagnie, dit relation. Et dans nombreux jeux de société modernes, l’interaction est souvent… étrange. Voire étrangère.

Mais les apparences peuvent être trompeuses.

Tout dépend bien sûr de ce que l’on entend ou comprend par interaction. Et c’est là que la société des jeux de société s’entre-déchire.

Chapelles

Quand on parle d’interaction, il y a deux écoles. Les uns considèrent que l’interaction doit être flagrante, directe. Autrement dit, qu’on puisse s’en prendre aux autres, qu’on puisse avoir un tantinet d’impact sur leur jeu. Qu’on a besoin d’eux pour jouer.

Souvent le cas des jeux coopératifs ou par équipe, bien évidemment extrêmement interactifs, des party-games, des jeux d’enfoirés, de bluff, d’enchères, de communication, ainsi que des jeux de conquête, de majorité, de contrôle de territoire, de baston.

L’affrontement ou la collaboration est alors directe. Franche. Essayez de jouer à Complots ou à Imagine tout seul qu’on rigole (pas).

Si un jeu ne présente pas ces caractéristiques, si l’interaction n’est pas en full frontal, on peut avoir l’impression de jouer dans son coin. De ne pas avoir à se soucier des autres. Qu’ils soient là, ou pas, ne changerait rien.

Mais les apparences peuvent être trompeuses.

L’autre école considère que l’interaction est omniprésente dès lors qu’on s’asseye à plusieurs autour d’une table autour d’un même jeu. Même si un jeu ne permet pas de s’en prendre directement aux autres, l’interaction peut être plus… froide, plus… subtile.

Rien que le fait d’être en compétition avec les autres dans la course aux points entraîne une certaine forme d’interaction. Selon la définition du Larousse: « Réaction réciproque de deux phénomènes l’un sur l’autre ». On essaie alors de remporter la victoire.

Cette interaction plus froide, plus modérée, se retrouve souvent dans les jeux allemands récents. Les Stefan Feld, les Uwe Rosenberg, les jeux de développement, de gestion. On a pu reprocher à Through the Ages de ne pas avoir d’interaction. Qu’on joue à Race for the Galaxy tout seul dans son coin.

Oui, c’est juste.

Tout dépend de la définition que l’on se fait de l’interaction. Si l’interaction se doit d’être franche, directe, belliqueuse ou coopérative, alors oui, c’est juste, certains jeux de gestion peuvent sembler en être dénué.

Mais non, c’est faux.

En réalité, rien que le fait d’être assis ensemble autour d’un même jeu entraîne forcément une interaction. Puisqu’il faudra: épier, dépasser, SE dépasser. Des soft-skills conséquences d’une partie partagée.

Quand mes collègues et amis de la rédaction trouvent qu’un jeu est moyen, voire mauvais, juste parce qu’il manque d’interaction, s’ensuit alors un passionné pugilat. Querelles de chapelles. Chacun prêche pour sa paroisse. Et il faut alors remettre l’église au milieu du village (OK j’arrête les métaphores religieuses).

Non, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas faire de sales coups à son voisin ou l’envahir que le jeu est à fortiori mauvais et qu’il manque d’interaction.

Prenez Agricola.

Ag Ricooooola

Vous êtes-vous déjà dit qu’Agricola manquait d’interaction? Que vous jouiez tout seul dans votre coin de ferme, à planter des vaches et à élever des légumes? OK, le jeu peut se jouer tout seul, c’est dans la règle. De 1 à 4 (pour l’édition 2016). Mais c’est vraiment à plusieurs que le jeu devient vraiment intéressant, passionnant, tendu. A plusieurs. Alors qu’au fond, la seule chose que l’on peut faire contre les autres, c’est poser son ouvrier sur une case convoitée pour bloquer. Forte interaction? Interaction absente?

Si les joueurs n’observent pas le jeu des autres, ils ne pourront pas adapter leur stratégie. Et parfois opérer un choix juste pour les ralentir.

Alors non, on ne pourra pas envoyer une bombe atomique sur la ferme de ses copains (déjà, parce que le jeu se joue au 17e siècle). On ne pourra pas non plus leur envoyer des spadassins ou autres mechawarriors dans les gencives.

N’empêche, si on ne s’intéresse pas à eux, si l’on ne prend pas en compte deux secondes « l’action réciproque qu’exercent l’un sur l’autre deux ou plusieurs systèmes physiques » on risque de passer à côté de nombreuses opportunités. Et de finir à la traîne.

Prenez 7 Wonders.

Stevie 7 Wonders

(ces sous-titres commencent vraiment à devenir du grand n’importe quoi)

Qu’on aime ou qu’on n’aime pas 7 Wonders d’Antoine Bauza, on lui a souvent reproché son manque cruel d’interaction. On a souvent dit qu’on jouait tout seul avec sa chère et tendre Merveille. Ou alors qu’on ne jouait juste qu’avec ses deux voisins directs.

Bullshit.

Si on ne prend pas la peine d’observer et d’analyser TOUTE la table, tous les autres joueurs, même ceux qui ne sont pas directement assis à sa gauche et à sa droite, on rate beaucoup de précieuses informations: qui part plutôt sur du scientifique (donc moins de cartes vertes à dispo pour bibi), qui est en possession de quelle Merveille / quel leader (donc des stratégies orientées), qui ramasse toutes les cartes militaires (qui peut opérer un effet papillon/domino sur le reste de la table, jusqu’à bibi), qui rafle toutes les cartes ressources au premier âge? Les cartes économiques? Et moi, je m’adapte comment dans ce joyeux bordel?

Vous voyez où je veux en venir. Non, 7 Wonders ne manque pas d’interaction.

Mettons enfin un point final de fin

Tout est d’abord question de définition. Quelle est sa propre définition de l’interaction, et quelle est celle des autres? Si comme les MST on ne partage pas forcément la même, n’en reste qu’on bien trop souvent tendance à juger un jeu bien trop rapidement. La révélation flagrante.

Parce qu’on a envie de poser des jugements à l’emporte-pièce.

Parce que c’est rapide.

Parce que c’est facile.

Parce qu’aujourd’hui on est tellement noyé sous les sorties qu’on préfère juger rapidement pour passer à autre chose. Rapidement.

Et c’est vraiment dommage. Ne vaut-il pas mieux acheter/jouer à moins de jeux, mais d’y jouer… mieux? Plus souvent? Pour avoir le temps et l’opportunité d’en découvrir toutes les subtilités? Voire même une interaction plus froide, plus douce?

Et pour vous, est-ce que l’interaction est un critère crucial?

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8 Comments

  • bibi

    Ton très marrant dans cet article. Et du rythme. J’aurais presque reproché un semblant de vacuité mais la conclusion remet tout dans l’ordre. Particulièrement d’accord au sujet de 7wonders.
    Soit dit en passant, ca n’empêche pas d’avoir des coups de foudre… Je découvre seulement Citadelles (honte) hé ben comment j’ai quiphé instantanément. Pas bien grave si je révise mon jugement plus tard (‘tellement daté Citadelles’ diront certains). D’ici-là je l’aurai contrequiphé quelques fois. C’est normal (et sain je pense) de parfois réviser ses jugements.

  • Jérémie

    Bonjour,
    Je pense que l’on se trompe souvent sur l’évaluation des jeux… je vois fleurir partout des critères alambiqués alors que la seule chose à évaluer est le plaisir :
    « Ai-je pris du plaisir pendant le temps que j’ai accordé à cette partie ? »

    Ceci explique donc le phénomène observé : les nombreuses discussions autour de l’interaction.

    Parce que quoi qu’on en dise, à 2 ou davantage, ça a toujours été et ça sera toujours les interactions qui créent le plus de plaisir ! (OK le glisse sur une pente savonneuse 😉 désolé)

  • Psined

    Comme tu l’as parfaitement démontré, dans un jeu il y a toujours de l’interaction…
    Pour ma part, je pense plutot qu’il y a deux types d’interactions la directe et l’indirect et que chaque jeu se positionne entre les deux à différente position.
    – Les partie games et les jeux ameritrash : interaction plutot directe
    – Les jeux de gestion ou plus globalement « à Allemande » : interaction plutot indirecte

    De plus, je pense que suivant le type de jeu, une interaction trop directe peut être parfaitement être néfaste : je n’ose imaginer un jeu de gestion avec programmation sur plusieurs tours, avec une énorme interaction directe.

    • guillaume

      Psined : a la première lecture, j’avais raté « de gestion » dans ta phrase, et j’allais du coup te répondre que pourtant, RoboRally 🙂
      Space Alert est pas plus dans le genre (mais coop)
      Enfin, bien sur, faut aimer.

  • Boisnier

    T’as vraiment des gens qui disent que TTA n’est pas interactif ? Non, parce que autant, sur le reste, ça s’entend souvent, autant j’ai jamais entendu dire que TTA n’était pas interactif. Ou alors le type n’a jamais vu une guerre à 100 points de différentiel sur une partie qui se joue en 180. TTA est souvent considéré comme trop interactif plutôt que pas assez.

    • Gus

      Encore une fois, tout dépend de la définition / parti-pris sur l’interaction. Pour certains joueurs, comme dans Race for the Galaxy ou Dominion, dès qu’un joueur est focalisé sur son propre développement et son propre matos sans forcément les partager avec les autres, le raccourci de dire que le jeu manque d’interaction est vite pris. Parce que facile. Mais en effet, c’est se tromper.

      Observer, courir aux points, tout ça, comme dans TtA, il y a bien interaction.

  • Lathos

    Justement, ce qui me plaisait dans 7 Wonders, c’est qu’on interagit juste avec ces voisins ! Thématiquement c’est logique, et en plus le jeu serait TELLEMENT plus simple si on pouvait interagir avec tout le monde… C’est cette semi-intéraction qui m’a beaucoup plu.

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