Critiques de jeux

Critique de jeu: Mare Nostrum. Si vis pacem…

mare

Mare Nostrum, c’est quoi?

Mare Nostrum est l’un de ces jeux cultes sorti dans « l’Antiquité », en 2003, et créé par le talentueux et trop discret auteur de jeu français Serge Laget. Pour 3 à 5 joueurs (avec l’extension, de 2 à 6 joueurs). D’une durée de 90 minutes (comptez tout de même 120-180′ pour votre toute première partie. Après, ça « fonce »).

Lancé sur KS début 2015, avec près de 700’000 USD récoltés, le jeu a connu beaucoup, beaucoup de retard (comme c’est souvent le cas sur KS…). Pour enfin sortir fin juillet 2016.

Thème

Dans Mare Nostrum, comme son titre l’indique, on contrôle le destin d’une nation antique dans le pourtour méditerranéen: Grecs, Romains, Babyloniens… C’est un pur jeu de civilisation, très inspiré du classique Civilisation de 1980 (magnifiquement supplanté trente ans plus tard en 2010 par Civilization). Economie, politique, conquête, développement, tout y est.

Matériel

A part les figurines « unités » bien moulées et spécifiques à chaque civilisation, le reste du matériel est sobre, fonctionnel, plat, austère. « Beauty is in the eye of the beholder », je sais, mais les plateaux joueurs, les héros sur fond noir, les ressources, tout ça manque de brillance, de panache. Peut-on un jour rêver d’une version Deluxe Collector avec des illu revampées et chatoyantes par Coimbra, Biboune? Je signe où?

Maintenant, il semblerait que la version KS contienne des jetons de poker pour représenter les ressources. OK, pourquoi pas, je ne les ai pas vus, j’ai la boîte sortie spécialement à Cannes en 2016. Mais je doute que les illustrations changent beaucoup avec la version de juillet 2016.

Et on joue comment?

5 phases par tour de jeu.

  1. On collecte ses revenus: ressources, impôts
  2. On échange. Chaque joueur place un certain nombre de ressources, et le jeu du ping-pong peut commencer. Je prends chez toi, tu prends ailleurs, qui prend ailleurs, etc.
  3. On achète. Autant qu’on veut. Avec les impôts récoltés. Ou les ressources, pour autant que le pactole contienne des ressources uniquement différentes. Tout le sel du jeu. C’est sympa de récolter 217 ressources semblables, mais ça ne sert à rien. A part pour les échanges.
  4. On déplace ses unités, on cogne. Comment? Chaque unité présente lance un dé. Le total obtenu est alors divisé par 5 (arrondi au chiffre inférieur), ce qui donne le nombre de touches, de blessés chez son adversaire. Facile.
  5. On revendique les trois titres selon son avancée sur les trois pistes: le chef du commerce (celui qui a le plus de caravanes, de marché), le chef politique (celui qui a le plus de cités, de temples), le chef militaire (celui qui a le plus d’unités présentes)

Voilà.

Dit comme ça, le tout paraît clair, mais les règles, même si très claires et didactiques, sont quand même riches et denses.

mare-heros

Et on gagne comment?

Il y a 4 façons différentes de gagner:

  • militaire: en contrôlant 4 cités de prestige et capitales,
  • économique: en construisant les pyramides avec 12 (sur 13) ressources différentes ou avec 12 pièces d’impôts,
  • « technologique »: en construisant et en engageant 4 héros et/ ou merveilles,
  • politique: en contrôlant les 3 titres, donc en étant le plus loin sur les trois pistes.

Alors, c’est bien?

Oui. Très. Mais c’est très violent aussi.

Alors oui, il y a 4 façons différentes de gagner. Mais soyons lucides. Pour accumuler suffisamment de ressources pour soit engager des héros, soit acheter les pyramides, soit monter dans les pistes, il va falloir s’étendre sur le plateau. Et qui dit s’étendre dit…

C’est vite vu, la grande majorité des héros confèrent des avantages belliqueux.

Mare Nostrum est un jeu violent, tendu, méchant, aux alliances opportunistes et aux trahisons amères. Il faut vraiment voir Mare Nostrum comme un jeu de conquête, avec de la gestion de ressources pour alimenter son développement. Comme le dit si bien l’adage, l’argent est le nerf de la guerre. Sans argent, sans ressources, on se retrouve coincé dans ses stratégies. Et pour les obtenir, il faut conquérir.

Le jeu possède une énorme rejouabilité (i.e. on peut y jouer souvent sans que le jeu devienne répétitif) puisqu’il offre beaucoup de variabilité. On peut bien sûr essayer une autre civilisation, et surtout varier les stratégies: s’orienter sur du pur militaire, ou viser la victoire économique. Très bon. D’autant que les combos des héros / merveilles permettent de tenter des résultats surprenants, divers et plus ou moins efficients.

Donc oui, pour conclure, Mare Nostrum est un excellent jeu, même si servi par un matériel austère. La réédition d’Asyncron est très, très bonne, elle permet de corriger certains soucis de la toute première édition, notamment en terme d’équilibrage et de quelques règles par-ci par-là, notamment:

  • la contrainte des jetons choisis par le maître du commerce pour éviter les blocages des échanges par un seul joueur.
  • le coût progressif des héros au lieu d’un coût unique et plus élevé de départ, ce qui permet d’acquérir plus rapidement un héros et bénéficier de son avantage.
  • dés et résolution des combats au hasard réduit.
  • deux nouvelles conditions de victoire, les trois titres et les quatre villes, pour offrir plus d’ouvertures stratégiques.
  • adaptation du plateau pour 3 ou 4 joueurs.
  • etc. etc. etc. la liste est longue!

Bref, c’est Mare Nostrum 2003, mais en beaucoup, beaucoup mieux. L’auteur Serge Laget a véritablement amélioré son jeu pour nous en offrir la quintessence.

mare-plateau1.png

Mais encore

L’effet Caliméro

Le jeu est asymétrique. Chaque civilisation commence avec un héros, un leader au pouvoir différent. La tentation serait alors grande de trouver l’un ou l’autre « cheaté » et déséquilibré. Mais ça serait prendre un raccourci facile et maladroit.

Alors oui, les Grecs sont puissants. Alors oui, les Babyloniens aussi. Mais au final, tout dépend de:

  1. la stratégie appliquée
  2. la stratégie de blocage appliquée par les adversaires. Si chacun joue dans son coin, c’est la civilisation qui part avec un avantage militaire de départ qui peut mieux s’en sortir.

Bref, je reste extrêmement sceptique quant à un souci d’équilibrage et de martingale. C’est un peu facile. C’est comme avec le hasard. Quand on gagne à un jeu, on a tendance à dire que c’est parce qu’on a su faire preuve de stratégie, et quand on perd, c’est juste à cause du hasard…

Il est impératif de bien suivre le jeu des autres, de leurs achats en héros et merveilles qui changent le jeu et apportent des avantages considérables.

Non, Mare Nostrum n’est pas un jeu d’échecs, dans lequel les deux adversaires ont pareille force. Et encore, ce n’est pas vrai puisque blanc commence toujours. Donc il créé le déséquilibre. Pareil dans Mare Nostrum. Le déséquilibre est inné, c’est aux joueurs d’y remédier.

Tonight, we dine in hell

Autre petit conseil: pour ouvrir les hostilités, n’attendez pas le milieu de partie ou pire, la fin de partie. Ca sera déjà trop tard. Mare Nostrum est avant tout un jeu de conquête. Commencez rapidement à vous armer, à vous étendre, au risque de laisser vos voisins se renforcer et vous claquemurer dans des stratégies pacifiques, économiques, souvent vouées à l’échec.

Attention, soyons clairs, je ne dis pas que la victoire militaire est plus facile que toutes les autres. Mais comme toutes les autres nécessitent aussi des conquêtes, il faudra savoir faire preuve de belligérance. Et rapidement.

Et à combien y jouer?

Je conseille la configuration à 4 ou 5 joueurs. A 3, même si le plateau est réduit, les interactions sont moindres. A 5 c’est le must, c’est là que le jeu prend toute sa saveur épique et tendue. Et le temps de jeu n’est pas forcément plus long ou plus lent.

Mundus?

Oui, si vous connaissez Mundus Novus sorti en 2011 chez Asmodée, créé par Serge Laget et Bruno Cathala, vous reconnaîtrez la phase de commerce de Mare Nostrum. Elle en a été extraite du jeu de 2003 pour en faire un jeu à part (et que j’ai trouvé très creux). Donc non, ce n’est pas l’édition de 2016 qui a copié Mundus Novus de 2011, mais plutôt… Oh là, je commence à avoir mal à la tête, je vais aller m’allonger.

Extension

Il y a déjà une extension, Atlas, bourrée de mini-extensions, dont la possibilité de jouer à 2 uniquement (les Guerres Puniques), de rajouter un 6e joueur ou de rajouter des héros. On peut très bien jouer à Mare Nostrum sans cette extension, mais ça serait dommage de s’en priver puisqu’elle apporte encore plus plus plus de rejouabilité.

Ou trouver Mare Nostrum?

Chez Philibert,

Chez Ludikbazar,

Chez Ludibay,

Et si vous habitez en Suisse, chez Helvétia Games Shop.

Votre réaction sur l'article ?
+1
2
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0
+1
0

20 Comments

  • theo2638

    C’est drôle chez moi c’est l’égyptien et le carthaginois qu’on trouve « au dessus des autres », absolument pas le grec et le Babylonien. Un ami à remporté une victoire aux pyramides en ne combattant presque pas et en se contentant presque de ses provinces de départ en gérant parfaitement le commerce. La richesse de ce jeu est là : on croit que mais la réalité peut être totalement différente

    • Ultratom

      Je suis d’accord avec theo2638, et je vais même encore plus loin, TOUTES nos parties ont été remportées aux Pyramides (4 ou 5 parties), sans combats, ou en tout cas sans aucun combat décisif. A chaque fois le même scénario, un joueur (Rome ou Carthage, souvent) réussit à obtenir 12 biens en 2 à 4 tours, sans que personne ne s’y oppose. Manque de réactivité de la part des adversaires? Peut-être, du moins j’espère. Mais ce genre de parties qui s’arrêtent d’un coup sans préavis, c’est frustrant. Alors il ne faut pas hésiter à rentrer dans le lard du chef du commerce, voire à ne pas venir lui prendre ses ressources lors de la phase d’échange, garder toujours un œil, même si c’est assez compliqué, sur les différentes ressources que chacun engrange.
      J’espère que mes futures parties seront plus saignantes, c’est ça qu’on attend de ce jeu, pas simplement de la gestion de ressources.

  • Fabou

    Concernant le matériel les jetons de poker sont vraiment très agréables ( Splendor aurait il eu le même succès avec des jetons en carton?) rehaussent la qualité esthétique du jeu qui il est vrai n’est pas « flashy »… 2 parties au compteur dans lesquelles mes partenaires de jeu ont été très (trop) pacifiques. Victoire au héros et aux pyramides.

  • Karpot

    Merci pour ton article.
    Je confirme les jetons de poker sont trop beaux ainsi que les miniatures (Kickstarter c’est le mal…)…Après 3 parties à 5 joueurs nous avons :
    -Victoire des égyptiens par la conquête de 4 villes capitales/légendaires
    -victoire de Carthage à la pyramide
    -victoire de l’empire grecque aussi par la construction d’une pyramide
    Le bémol au niveau matériel est pour moi la finesse du carton du paravent et des aides de jeu…Mais bon comme fanatique de la protection des jeux…J’ai tout plastifié…Longue vie à l’inventeur de la plastifieuse…
    Sinon le plaisir ludique est présent et chaque partie a donné lieu à un débriefing interminable sur le déroulement de celle-ci.Il est important de surveiller pendant la partie la progression des adversaires et surtout de ne pas donner de biens à la phase commerciale que nos ennemis ne produisent pas.
    Il ne faut pas hésiter à faire des accords temporaires avec une autre joueur pour frapper durement une civilisation trop avancée (c’est pas joli joli mais le monde est dure…)

  • Azgarock

    Je ne vois pas comment on peut gagner 12 ressources après 3 à 4 tours, d’autant qu’il faut bazarder les ressources inexploitées à la fin de la phase achat, donc impossibilité de se créer une réserve… avec en plus l’obligation d’obtenir 12 ressources différentes (sauf pouvoir particulier)…

  • Jérémie Dulain

    Bonjour,
    j’ai fait 2 parties de Mare Nostrum… et ça a été pour moi un vraie claque ludique dans ma petite tête (à 5 joueurs puis 3 joueurs). D’habitude, j’essaie de ne pas acheter de jeux que des amis ont, mais là je vais sans doute faire une exception !

    // début second degré
    Du coup j’ai voulu lire cet article pour voir comment il est perçu par d’autres… et je suis déçu 😉 vous ne l’avez pas situé en terme de public cible. Et là rien, je suis triste. 🙁
    // fin du second degré

    Je vais tout de même donner mon avis : il s’agit d’un jeu clairement pour joueurs très « investis » dans leurs parties (je n’aime pas trop les termes, gros joueurs, ou joueurs expérimentés). Pourquoi ?
    1) les règles sans être indigestes sont un peu longues (comme un poil de mammouth laineux par exemple)
    2) et surtout le point principal : chacun des tours est essentiellement contraint par les actions des autres. Il faut sans cesse bloquer les autres joueurs tout en insérant, quand c’est possible, un peu de stratégie/tactique pour faire progresser son camp.
    => Et ce genre de démarche demande de l’ « investissement »: assimilation des règles, concentration, vision d’ensemble etc mais quel plaisir !

    Attention : ce qui est vraiment exceptionnel dans ce jeu peut être un handicap… si l’un des joueurs ne joue pas son rôle de blocage, il ne gagnera pas nécessairement… mais quelqu’un gagnera très vite car il manquera des actions de blocages et un joueur ne sera pas freiné du tout et progressera très vite. (c’est le genre de jeu où l’on voit comment un joueur peu gagner, et on en profite pour ne pas l’en empêcher afin qu’un troisième y soit contraint car jouant après nous… et ainsi profiter de la situation pour prendre l’avantage ! du très bon je vous dis !)

À vous de jouer ! Participez à la discussion

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Gus & Co

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading